La réglementation du spamming par la protection de la vie privée

L’origine du message litigieux – Chapitre I :
Partie I : Le concept du « spamming » en droit compare : un concept universel controverse
Section II- L’origine humaine du message : l’exploitation de diverses données privées par l’auteur
La détermination de l’origine humaine du message est peu aisée, car la protection de la vie privée interfère dans la définition du « spamming ». En effet, l’origine humaine consistant en l’exploitation de données privées par le « spammeur », le lien avec la protection de la vie privée semble évident. Ces deux notions sont donc liées.
Afin de mieux appréhender la notion de « spamming », il convient au préalable de s’intéresser à la protection de la vie privée.
La définition de la vie privée ou Privacy n’est pas simple, dans la mesure où elle varie avec l’évolution sociale et technologique. Néanmoins, il est possible de donner deux sens principaux à la notion. Il s’agira soit d’une liberté civile qui pourra être contrebalancée par la sécurité, soit d’informations confidentielles sur une personne qu’il ne faudra pas dévoiler sauf en présence d’une compensation quelconque86.
La société moderne affirme d’ailleurs l’importance de la protection de la vie privée. Ainsi, le droit au respect à la vie privée, qui est un droit de l’homme, est garanti par des textes internationaux fondamentaux : l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme87, l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques88 et l’article 8 de la CEDH89. Le droit au respect de la vie privée se compose de divers droits : droits de ne pas communiquer aux autres des renseignements personnels, de conserver l’anonymat, de vivre sans être surveillé, d’avoir des conversations privées, de faire respecter l’intégrité physique et l’espace personnel, et d’être laissé tranquille en tant que consommateur et citoyen90.
Il convient néanmoins de noter que la suprématie de la vie privée cède le pas à la « dérive sécuritaire »91. La situation actuelle est fort bien résumée par George ORWELL dans son roman 1984. En effet, « dans le passé, aucun gouvernement n’avait eu le pouvoir de maintenir ses citoyens sous une surveillance constante. Maintenant, la Police de la pensée surveill[e] tout le monde, constamment. »92
Pour se convaincre de la justesse de cette citation, il convient de penser à Échelon93 ou à Carnivore94.
Demain, « il y aura moins de vie privée mais plus de sécurité, nous pourrons anticiper le futur grâce à l’interconnexion de toutes les informations vous concernant. Demain, nous saurons tout de vous. »95
À l’heure du tout sécuritaire, les données privées sont exploitées afin de garantir la sécurité de tous. Cependant, avec l’évolution technologique, les données privées sont également exploitées par des particuliers ou des commerciaux pour envoyer des « spams ».
Diverses données privées sont exploitées : l’adresse, le nom, et parfois le mode ou l’habitude de consommation des particuliers. Grâce à ces données, le « spammeur » s’immisce dans la vie privée de tiers par le « spamming ». En plus, grâce à la possibilité de garder l’anonymat qui est garantie par le droit au respect de la vie privée, le « spammeur » peut envoyer des « spams » sans s’identifier.
Le respect de la vie privée est donc au cœur du débat : d’une part, droit des particuliers au respect de leur vie privée, et d’autre part, droit du « spammeur » de rester anonyme. Il convient alors de se demander si le « spamming » doit être compris comme une sous-catégorie de la protection de la vie privée. Plus simplement est-il indépendant de la protection de la vie privée ?
Certes en l’absence d’une réglementation spécifique au « spamming », le pouvoir judiciaire a appréhendé le « spamming » comme une violation de la vie privée96. Mais, une réglementation du « spamming » par l’usage de la réglementation protectrice de la vie privée est à exclure, car elle comporte divers dangers (§1). A contrario, il convient de militer pour la distinction de ces notions, une telle distinction s’avérant nécessaire pour la sécurité juridique et pour une meilleure compréhension de la norme juridique (§2).
§1- Les dangers d’une réglementation du « spamming » par la protection de la vie privée
L’utilisation de la législation protectrice de la vie privée pour réglementer le « spamming » est une tentation bien naturelle, car elle évite la prise d’une réglementation spécifique au « spamming ». Cependant, une telle utilisation est à exclure. En effet, elle est dangereuse aussi bien pour la clarté que pour la sécurité juridique. D’abord, elle est inadaptée au « spam » (A). Ensuite, afin de pouvoir s’appliquer au « spamming », une dénaturation des règles juridiques est nécessaire (B).
A)- Une réglementation inadaptée au « spamming »
La réglementation de la protection de la vie privée est inadaptée au « spamming ». Son inadaptation se manifeste de trois façons.
D’abord, la réglementation protectrice de la vie privée est destinée à protéger une liberté fondamentale spécifique. Elle ne peut dès lors être employée pour réglementer une notion distincte même si elle est proche.
Il ne faut pas oublier en effet que le « spamming » est un concept à distinguer de la vie privée, même si l’envoi de messages non sollicités peut causer une atteinte à la vie privée de tiers et même si la vie privée permet un envoi anonyme de messages non sollicités.
Par exemple, la législation d’Argentine de 2000, Personal Data Protection Act97, est utilisée pour combattre le « spamming ». Toutefois, cette législation est destinée à protéger principalement et exclusivement les données personnelles et par ce biais à assurer le respect de la vie privée et de l’honneur des Argentins98. Elle ne permet dès lors la sanction que d’un aspect du « spamming ». En effet, elle ne permet pas de résoudre les problèmes des médias du « spamming », de son caractère de message non sollicité, et de l’envoi anonyme de « spams ». Il convient de conclure à son inadaptation pour réglementer le « spamming ».
Ensuite, la réglementation protectrice de la vie privée est inadaptée au « spamming », dans la mesure où ce dernier touche à d’autres libertés fondamentales que le respect de la vie privée. Il s’agit par exemple de la liberté du commerce ou la liberté d’expression. Il faut remarquer que la liberté du commerce doit être restreinte en présence de « spamming ».
Ainsi, des juges condamnent le « spamming », parce qu’il entraîne des pertes économiques pour les usagers du fait de l’augmentation des coûts de connexion dus au téléchargement des messages non sollicités. Cette solution découle notamment d’un jugement précité du Landgericht de Traunstein du 18 décembre 199799 qui se fonde sur la concurrence déloyale.
Enfin, la réglementation protectrice de la vie privée ne fait nulle mention de la notion de « spamming » ou plus largement de « communications non sollicitées ».
Par exemple, la législation argentine précitée ne s’intéresse qu’au traitement des données personnelles. Bien qu’elle s’intéresse à l’exploitation commerciale notamment des données personnelles, elle ne mentionne jamais explicitement le problème du « spamming » qui reste implicite.
Le problème du « spamming » n’est en conséquence que sous-jacent dans une réglementation protectrice de la vie privée. L’adaptation d’une telle réglementation au « spamming » peut alors passer par une dénaturation de cette réglementation et des impératifs de protection de la vie privée (B).
B)- Une réglementation dénaturée
Une réglementation protectrice de la vie privée est ina
daptée au problème du « spamming » qui la dénature. En effet, la dénaturation est visible à deux niveaux : d’une part, lors de l’adaptation de la législation protectrice de la vie privée au « spamming », et d’autre part lors de l’application de cette législation.
Il convient d’abord d’adapter la législation sur la protection de la vie privée au « spamming ».
C’est ce que la directive CE2002-58 du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002100 a tenté de réaliser dans son article 13 sur les « communications non sollicitées ». Toutefois, il convient de regretter que la réglementation du « spamming » soit définie dans une directive relative au traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Un lien fort avec la protection de la vie privée est alors affirmé par cette directive.
Pour éviter toute confusion, la prise d’une réglementation séparée aurait été souhaitable. Un danger de confusion pour le particulier existe du fait de l’adaptation de la législation. Ainsi, un particulier non initié au droit aura des difficultés à découvrir dans un texte législatif consacré au respect de la vie privée une réglementation du « spamming ».
Ensuite, la dénaturation de la réglementation relative au respect de la vie privée est perceptible par l’étude de la jurisprudence. La jurisprudence s ‘est ainsi efforcée de faire rentrer le concept de « spamming » dans le moule du respect de la vie privée. Le particularisme du « spamming » a de ce fait été occulté par la jurisprudence.
Le « spamming » a été ainsi sanctionné au motif qu’il porte atteinte à la vie privée.
Par exemple, en Allemagne, une décision de l’Amtsgericht (AG) de Brakel du 11 février 1998101 condamne le « spamming », car il porte atteinte à la vie privée. En effet, le plaignant n’ayant pas manifesté son intention de recevoir un tel message, les juges ont conclu à une immixtion dans la vie privée du plaignant par le « spammeur ».
De même, le respect de la vie privée a permis d’interdire au titre du « spamming » la diffusion d’adresses captées régulièrement ou irrégulièrement. Or, il est évident qu’une telle diffusion relève clairement de la protection de la vie privée et des données personnelles, et non du « spamming » dont elle est juste une résultante.
En Argentine, un juge fédéral de Buenos Aires a rendu le 3 novembre 2003 une injonction interdisant à un « spammeur » d’envoyer de nouveaux messages non sollicités à des personnes ayant précisé qu’ils ne souhaitaient pas en recevoir et de diffuser l’adresse de ces personnes102. Ici, c’est le respect de la vie privée qui est protégé par le biais de la loi de 2000 sur les données personnelles précitée.
Pour conclure, il faut noter que l’utilisation d’une réglementation spécifique à la protection de la vie privée, quand bien même elle aurait été adaptée partiellement au « spamming », pour réglementer le « spamming » est inadaptée et conduit à sa dénaturation.
En outre, un tel usage dénature aussi la notion de « spamming ». En effet, le « spamming » ne doit pas être résumé à une violation de la vie privée. Une telle vision serait trop réductrice du concept que l’on cherche à définir. Il convient en conséquence de distinguer les notions de vie privée et de « spamming » (§2).
Lire le mémoire complet ==> (Publicité indésirable et nouvelles technologies : Étude du spamming en droit comparé)
Mémoire Pour l’Obtention du D.E.A. de Propriété Intellectuelle CEIPI
Université ROBERT SCHUMAN STRASBOURG III
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86 P.SCHOLTZ, « The changing definition of privacy », http://zdnet.com.com/2100-1107-530816.html
87 « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.» http://www.unesco.org/general/fre/legal/droits-hommes.shtml
88 « 1. Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. 2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. » http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/a_ccpr_fr.htm
89 « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » http://www.echr.coe.int/Convention/webConvenFRE.pdf
90 Composantes de la vie privée tirée du site canadien Rescol http://www.acjnet.org/jeunefaq/pridefr.html
91 Expression à la mode en France depuis l’adoption de la loi sur la sécurité intérieure
92 George ORWELL, 1984, Edition Gallimard, 1950
93 C’est un réseau secret d’espionnage qui devait intercepter les conversations en provenance du bloc de l’Est et qui depuis la fin de la Guerre Froide serait utilisé à des fins commerciales par les Etats-Unis notamment. Ces informations sont tirées du Dossier Echelon du Courrier International http://www.courrierinternational.com/dossiers/soc/echelon/echelon00.htm
94 C’est l’outil de surveillance électronique du FBI. Cet outil est dangereux pour la vie privée, car il suffit à un agent du FBI de dire à un juge qu’un citoyen est susceptible de commettre un crime pour qu’il soit mis sur écoute. Informations tirées du site Transfert.net « Carnivore, circulez y’a rien à voir (ou presque) » http://www.transfert.net/a3044
De même, Carnivore ne garde aucune trace des interceptions effectuées par les agents du FBI : «en aucun cas le système ne demande une confirmation de l’ordre d’un tribunal pour justifier la « mise sur écoute » d’une boite à lettres électronique.» Branchez-vous, « Carnivore inquiète toujours », http://www.branchez-vous.com/actu/00-11/04-335901.html
95 Citation de M. John L. PETERSEN, président du Arlington Institut, dans le journal espagnol El Pais du 4 juillet 2002, « En el futuro podremos conoceros a todos, augura a un asesor de Bush. »
96 Infra page 22s., notes 96 et 97
97 Pour une version complète de la loi en langue anglaise http://www.privacyinternational.org/countries/argentina/argentine-dpa.html
98 Section I : « The purpose of this Act is the full protection of personal information recorded in data files, registers, banks or other technical means of data-treatment, either public or private for purposes of providing reports, in order to guarantee the honor and intimacy of persons, as well as the access to the information that may be recorded about such persons. »
99 Landgericht (LG) Traunstein, le 18 décembre 1997, http://www.jurpc.de/rechtspr/19980013.htm
100 Journal Officiel des Communautés Européennes du 31 juillet 2002, http://europa.eu.int/eur-lex/pri/fr/oj/dat/2002/l_201/l_20120020731fr00370047.pdf
101 Amtsgericht (AG) Brakel le 11 février 1998, http://www.jurpc.de/rechtspr/19990025.htm
102 Buenos Aires, injonction,
le 3 novembre 2003, pour un résumé des faits et de la décision, http://dataprotection.blogspot.com/2003_11_01_dataprotection_archive.html#106918694242518252
103 Dictionnaire de l’Académie française http://www.academie-francaise.fr/dictionnaire

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