La faveur d’une conception génétique de la maternité

3 – La faveur d’une conception génétique de la maternité
a) La dèsuétude de l’adage
En raison du développement de l’assistance médicale à la procréation et le recours à la gestation pour autrui, il paraît nécessaire de réfléchir sur des solutions en d’une législation future. Les juristes sont réticents car cela suscite de nouvelles interrogations sur la vie et la mort. Une question grave est la définition juridique de la maternité261. La loi française ne donne pas de définition de la mère. La seule référence est l’adage « Mater semper certa est » qui reconnaît pour mère que la femme qui accouche. La question est pourtant très discutable.
L’argument tiré des articles 319 et 341 alinéa 2 du Code civil ne sont que des règles de preuve et non de fond. Si la preuve de l’accouchement est de nature à établir la maternité, il n’en résulte aucunement que ce fait soit l’essence même du lien, et on ne saurait soutenir que les rédacteurs du Code civil aient entendu trancher en réglant la preuve comme ils l’ont fait, un problème de fond dont ils n’ont pas la moindre idée. L’article 319262 ne dit pas qu’elle est la femme qui doit être dèsignée dans l’acte comme étant la mère, d’autant que cette dèsignation est facultative. L’article 341 alinéa 2263 concerne l’enfant naturel. On ne saurait en déduire que la même preuve serait requise au cas où l’action s’exercerait à l’encontre d’une femme prétendue mère malgré qu’elle n’ait pas accouché. De plus, ce principe est atténué de par la possibilité d’accouchement anonyme et l’obligation qu’a parfois la mère de reconnaître l’enfant.
Ce raisonnement est inexact et dépassé car il fait abstraction des nouvelles données biotechnologiques qui ont permis de dissocier la création d’un embryon par fécondation in vitro et son transfert. Des auteurs se sont interrogés sur le schéma nouveau de la maternité qui aujourd’hui peut être divisé entre la génitrice et la gestatrice. Cette situation apparaît en cas de gestation pour autrui, mais également en cas de don d’ovocytes ou de greffes d’ovaires. Cela bouleverse l’image familière. Le Comité consultatif national d’éthique264 a sévèrement critiqué et condamné, à l’époque, la pratique de l’abandon d’enfant par la mère génétique.
Toutefois, il est à noter que cette condamnation est en contradiction avec la politique suivie par le législateur en matière d’adoption dans la loi du 11 juillet 1966 et dans celle du 22 décembre 1976. Si l’adoption reste encore une institution de sauvegarde de l’enfance, on ne saurait méconnaître la prise en compte, de plus en plus accentuée dans les réformes contemporaines, des intérêts des adoptants265. Une pareille orientation, qui détourne l’adoption de la finalité charitable qui lui était traditionnellement attribuée, entraîne logiquement à consacrer la possibilité pour une femme de concevoir un enfant en vue de le donner en adoption. Par ailleurs, si le don d’ovocytes est permis, comment interdire la greffe d’ovaires.
Certains auteurs ont proposé de s’en tenir dèsormais à une définition génétique de la maternité266. En effet, si on se tourne vers le fond du Code civil, c’est un argument en faveur d’une conception génétique de la maternité qui se dégage du droit actuel. S’impose alors la nécessité d’adopter à l’égard du père et de la mère une même conception dans l’élément biologique dont le rôle est aujourd’hui prépondérant dans les composants de la filiation charnelle. Concernant la filiation paternelle, cet élément biologique réside dans l’apport génétique. C’est l’hérédité qui indique le père. Dès lors, l’idée paraît s’imposer que c’est l’hérédité, c’est-à-dire la fourniture d’une cellule souche, qui fonde biologiquement et principalement la filiation maternelle. Est une erreur de poser le principe que la femme qui accouche est seule en droit de rester mère à l’abri de toute contestation. C’est une filiation fictive, ce qui va à l’encontre de toute évolution suivie par le droit de la famille ou de la filiation. Puis il y a un risque de conflits positifs mais également négatifs (couleur de peau ou infirmité). En cas de conflit positif, la situation est moins grave du point de vue de l’intérêt de l’enfant car il sera toujours bien accueilli. Mais en cas de conflit négatif, sur qui faire peser la responsabilité de l’abandon ? Le lien génétique apparaît comme le plus solide fondement qui puisse être donnée à la maternité comme à la paternité. Le seul inconvénient de faire éclater la vérité du sang maternel est de compromettre l’utilité des greffes d’ovaires ou dons d’ovocytes, mais dans ce cas la législation a déjà tranché pour l’anonymat.
Les opposants de cette conception font valoir en faveur d’une filiation maternelle fondée sur la grossesse et l’accouchement les rapports qui s’établissent entre la mère et l’enfant pendant la vie intra-utérine. Ces rapports sont mal connus mais doivent être pris en considération dans le débat267. Encore faut il leur donner une qualification juridique exacte. Même s’ils affectent l’état somatique du fœtus ou son psychisme, ils ne sauraient être analysés au même titre que l’élément biologique. Ces rapports ne constituent rien d’autre qu’un tractatus.
Le tractatus n’intéresse la filiation que s’il constitue la possession d’état. Un simple tractatus prénatal peut constituer une possession d’état au sens de 311-1 et 311-2 du Code civil. La jurisprudence a déjà tranché en ce sens268. Cependant, la gestation et la délivrance peuvent avoir été vécues en qualité de mère ou sans que la femme prétende à cette qualité (tel est l’animus de celle qui porte l’enfant pour autrui)269. Puis, la grossesse et l’accouchement n’indiquent de rapport de filiation qu’entre l’enfant et sa gestatrice. Il s’agit donc d’une possession d’état d’enfant naturel de celle-ci. Mais une possession d’état d’enfant légitime au cours de la grossesse n’est pas exclue. Pour cela le mari doit s’y trouver associé (C. civ. 321). Il doit adopter le comportement d’un futur père et doit être considéré comme tel par l’entourage. Mais la possession d’état d’enfant naturel n’est que précaire et reste exposée à une contestation fondée sur la vérité biologique (336, 337, 334-8 C. civ. peuvent être contestés par 339 C. civ.). Quant à la possession d’état d’enfant légitime, elle est incontestable en l’absence d’acte de naissance mais empêche une filiation naturelle concurrente. Mais si elle se joint à l’acte de naissance portant le nom de la gestatrice, il y aura une fin de non recevoir à toute action en contestation (C. civ. 322). Donc la maternité comme la paternité se trouve exposée au doute et à la contestation fondée sur la vérité biologique.
Madame BANDRAC propose une conception réaliste de la maternité qui renvoie à deux constructions symétriques des filiations paternelles et maternelles. Deux constructions fondées sur l’égale vérité de l’élément biologique, mais dans lesquels la possession d’état, jouant un rôle d’indice et de régulateur du contentieux, prend en compte, pour atténuer les conséquences brutales de la vérité biologique, les comportements des pères et mères, saisis dans leur singularité. La prise en compte du lien biologique éviterait des drames tel que l’arrêt de la Cour d’appel de Rennes où les jumeaux génétiquement issus de la femme du couple n’ont pu être adoptés par cette dernière.
De ce fait, la gestation utérine ne serait plus qu’un élément susceptible de prouver la possession d’état. La donneuse d’ovule serait la mère légalement dèsignée, et la prêteuse perdrait cette qualité, sauf à prouver qu’une possession d’état rétabli
t à son égard la présomption de maternité. Il resterait alors à régler le conflit entre les deux femmes.
Lire le mémoire complet ==> La convention de gestation pour autrui : Une illégalité française injustifiée
Mémoire présenté et soutenu vue de l’obtention du master droit recherche, mention droit médical
Lille 2, université du Droit et de la Santé – Faculté des sciences juridiques, politiques et économiques et de gestion
_____________________________________
261 BANDRAC (M.), Mélanges Raynaud, Dalloz, 1985, p. 27 (Réflexions sur la maternité).
262 L’article 319 du Code civil dispose « La filiation des enfants légitimes se prouve par les actes de naissance inscrits sur les registres d’état civil ».
263 L’article 341 dudit code énonce que l’enfant qui exerce l’action en recherche de maternité naturelle sera tenu de prouver qu’il est celui dont la mère prétendue est accouchée.
264 Avis du 23 octobre 1984 sur les problèmes nés des techniques de reproduction artificielle.
265 RAYNAUD, « La réforme de l’adoption », D. 1967, Chr. 77
266 BANDRAC (M.), Mélanges Raynaud, Dalloz, 1985, p. 27 (Réflexions sur la maternité).
267 DELAISI DE PERSEVAL (G.) et JANAUD (A.), L’enfant à tout prix, p. 123.
268 Paris, 5 février 1976, D. 1976.Jurisp. p. 573, note PAIRE; Douai, 12 janvier 1977, D. 1979. I.R. 242, obs. Huet-WEILLER.
269 La possession d’état se trouve t’elle affectée en l’absence de l’affectio ou intentio maternelles ? La doctrine est partagée. Certains estiment que, comme pour les biens, la possession d’état ne comporte aucun animus (RTD civ. 1975, p. 459, note 44). Pour d’autre, la possession d’état ne va pas sans quelque chose d’affectif (CARBONNIER, Droit civil, 2, 12ème éd. p. 424).

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top