Le Chianti : des ruines à la réhabilitation

Le Chianti : des ruines à la réhabilitation

2.2 Des ruines à la réhabilitation : une mise en valeur influencée par le regard des étrangers

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Chianti était un espace agricole pauvre touché par l’exode rural.

Le conflit international avait entraîné de nombreuses destructions et certains domaines agricoles avaient été très endommagés par les bombardements. (M. PESCINI, Maire de San Casciano in Val di Pesa, Annexe E, entretien n°2).

Vingt ans après la fin de la guerre, le Chianti est en effet entré dans une période de déclin.

Les lois de réformes agraires Sila et Stralicio de 1950 favorisèrent le développement du faire-valoir direct et renforcèrent les exploitations économiquement viables au détriment des structures faiblement productives.

Le système de la mezzadria, qui avait régulé la société locale depuis la fin du Moyen-Age, fut alors brutalement abandonné dans ce contexte de révolution agricole (PERRIN, 2009).

Le nombre de métayers passa ainsi de 3482 en 1950 à 352 en 1970 en Toscane (BIANCHI, 1985). Or le Chianti fut particulièrement affecté par ce processus de modernisation.

La zone de production perdit de sa population, le secteur agricole fut délaissé par les résidents locaux au profit de l’industrie et l’artisanat et certains espaces furent abandonnés.

Le Chianti a l’apparence d’un territoire riche aujourd’hui, mais après la Seconde Guerre mondiale, le territoire était extrêment pauvre et une terrible misère s’était installée.

La moitié des maisons étaient détruites à cause des bombardements américains et des destructions allemandes.

La situation a été catastrophique pour l’agriculture à la fin des années 1950-1960. (…) L’industrialisation a montré que [le métier de métayer] était un type de travail arriéré et non prestigieux.

Les agriculteurs sont partis pour devenir ouvriers ou artisans et l’agritulture a été transformée.” (M. PESCINI, Maire de San Casciano in Val di Pesa, Annexe E, entretien n°2)19

19 “Il Chianti ha l’apparenza di un territorio ricco oggi, ma dopo la seconda guerra mondiale, il territorio era estremamente povero ed una terribile miseria si era installata.
La metà delle case era distrutta a causa dei bombardamenti americani e delle distruzioni tedeschi.
La situazione è stata catastrofica per l’agricoltura fino negli anni 1950 -1960. Il sistema del mezzadria dominava.(…)
L’industrializzazione ha mostrato che [mezzadro] era un tipo di lavoro arretrato e non era prestigioso.
Gli agricoltori sono partiti allora per diventare operai o artigiani e l’agricoltura se ne è trovata trasformata.
Solo negli anni 80 la campagna si è ripopolata, che l’agricoltura è stata rivalutata e che il turismo si è sviluppato ”. Traduction V. ANGER

La « misère » et « la pauvreté » ont alors laissé place à l’abandon d’une terre considérée comme déprimée : « La mention area depressa était inscrite sur les panneaux de signalisation à l’entrée des communes » (PERRIN, RANDELLI, 2008).

Les prix des domaines devinrent excessivement bas.

C’est dans ce contexte que des étrangers et des producteurs locaux, issus de grandes familles terriennes ou non décidèrent de remettre en valeur le paysage et les bâtiments de l’espace viticole du Chianti.

2.2.1 Le rôle déterminant du regard étranger à partir des années 1960

Trois profils d’acteurs étrangers

Dans leur article « L’essor des viticulteurs étrangers dans le Chianti », Coline PERRIN et Filippo RANDELLI, distinguent trois profils d’étrangers ayant participé à la revitalisation du patrimoine viticole (PERRIN, RANDELLI, 2008).

Le premier groupe identifié est arrivé dans les années 1960, attiré par le cadre de vie de qualité offert par le lieu.

Souvent venus d’Europe du nord (Grande Bretagne, Allemagne, Hollande) ou des Etats-Unis, ces étrangers ont été séduits par le climat et les paysages du Chianti lors d’un voyage touristique et ont décidé de s’y installer.

Les campagnes du Chianti sont en effet idéalisées à l’étranger, la Toscane étant une région renommée à l’échelle internationale pour ses paysages ruraux et ses villes d’histoire.

Le vin Chianti représentait aussi un élément fort dans leur imagination, car il symbolisait la richesse gastronomique et donc la qualité de vie de la région.

Non viticulteurs antérieurement et s’étant généralement enrichis dans un autre secteur d’activité, ils se sont lancés dans la fabrication du vin en vue d’en faire une occupation de loisirs.

Or cette catégorie d’investisseurs étrangers a fortement contribué à la revalorisation du Chianti : ils ont réhabilité et aménagé les bâtiments conformément à l’image idéalisée qu’ils avaient de la campagne toscane. Leur perception antérieure des lieux a donc fortement influencé les choix de mise en valeur du patrimoine rural local.

Ils ont par ailleurs souvent ouvert des chambres d’hôtes ou des locations touristiques destinées généralement à l’accueil de visiteurs originaires de leur pays.

L’image d’une culture à taille humaine a en outre encouragé les étrangers initialement viticulteurs, deuxième groupe identifié, à investir dans le Chianti.

L’amour du vin, la renommée du Chianti mais aussi la présence d’une filière viticole alors bien structurée et dynamique les a incités à acheter un domaine, souvent à bas prix, dans cette portion de la Toscane. De plus, les bouteilles étaient revendues à un prix élevé.

Cette caractéristique leur donnait la possibilité d’être rentables sur une superficie de moindre dimension et rendaient en conséquence le Chianti attractif.

Certains d’entre eux ont profité du cadre agréable de leur nouvelle propriété agricole pour créer un agritourisme, lequel est généralement tenu par l’épouse de l’exploitant. D’après l’étude, ces véritables viticulteurs seraient souvent moins riches et plus jeunes que les précédents.

Enfin le dernier profil d’étrangers ayant choisi de s’installer dans le Chianti sont ceux que C.PERRIN et F. RANDELLI appellent les « investisseurs de la planète nomade ».

Il s’agit de multi-résidents fortunés qui exercent une fonction de cadre supérieur dans leur pays d’origine et qui ont fait un placement financier en achetant un domaine dans le Chianti, autant pour y produire du vin de qualité que pour son cadre de vie.

Arrivés plus tard, dans les années 1990, c’est donc aussi bien pour exercer une nouvelle activité économique que pour réaliser un investissement immobilier qu’ils ont acheté un domaine. Ils emploient souvent de nombreux employés et assurent la gestion de l’exploitation par des va-et-vient réguliers.

La plupart de ces nouveaux exploitants ont de plus aménagé des équipements d’accueil pour les touristes. Les auteurs citent l’exemple d’un armateur de cargos frigorifiques, qui a acheté un domaine à Gaiole in Chianti en 1988, puis un deuxième en 1996.

Il a réhabilité les deux maisons, modernisé les caves, et aménagé un agritourisme d’une capacité de 60 lits.

Dans la mesure où l’investissement a une valeur financière considérable (le quart de la valeur d’un cargo), l’exploitation représente plus que du hobby-farming. Le propriétaire participe d’ailleurs 15 jours par mois aux travaux agricoles.

Le Chianti : des ruines à la réhabilitation

Les initiateurs de la mise en valeur du patrimoine viticole

Bien que présentant des profils socio-économiques distincts, ces trois types d’acteurs ont un point commun : ils ont choisi de s’installer dans le Chianti et d’y exercer des activités viticoles et touristiques parce qu’ils avaient une image positive de la région et de son patrimoine culturel et gastronomique.

Alors que le Chianti était en partie détruit par les bombardements de la seconde guerre mondiale, ils ont aménagé leurs biens et mis en place des techniques de production conformes au cadre et au mode de vie traditionnels qui selon eux était associés au Chianti.

Les principes qui ont régi la reconstruction et la revalorisation patrimoniale et touristique des campagnes du Chianti ont donc été emprunts d’idéaux et d’imaginaires forgés par les visiteurs :

« D’après Sean O’C, «Les maisons tomberaient en ruine sans les étrangers : les habitants ne voulaient plus y habiter». Les étrangers ont effectivement réhabilité à l’identique les maisons qu’ils occupent en employant des artisans locaux (maçons, charpentiers, tailleurs de pierres).

Selon Gerd S, «les étrangers défendent mieux le patrimoine du Chianti que les toscans». Il a remis en état un château et le bourg environnant à l’abandon en respectant les matériaux d’origine.

Après six années de gouffre financier, il est très fier d’avoir redonné à l’Italie un joyau qui se perdait par manque d’argent. » (PERRIN, RANDELLI, 2008).

Ils ont apporté au Chianti le souci de la protection et de la préservation du patrimoine bâti et agraire (paysages agraires, murets de pierres sèches), mais aussi des préoccupations environnementales souvent liées à leur position sociale et à la culture de leur pays d’origine.

Les hollandais, les suisses et les allemands accordent ainsi une attention particulière à la culture des vignes en terrasse pour limiter l’érosion.

En outre, ils ont favorisé le développement d’une viticulture de terroir modernisée et tournée vers l’exportation. Ce sont eux qui, face à la crise actuelle du marché, ont construit une stratégie productive sur un retour au terroir et le refus de produire un vin standardisé.

Ils ont mis en avant l’ancienneté du San Giovese, le cépage autochtone qui fait la particularité du Chianti Classico et en ont fait un facteur de haute qualité dans le processus de fabrication du vin.

Ils ont enfin introduit des techniques de commercialisation axées sur la promotion. Et de fait, la moitié de leurs vins est généralement vendue dans leur pays d’origine.

L’offre s’adresse donc à une demande extérieure spécifique, réceptive à des images préconçues du Chianti. Aussi, là-encore, la promotion est basée sur des idéaux de patrimoine rural, de modes de vie et de savoir- faire. Ils participent ainsi de la diffusion de l’image d’un terroir dit « authentique ».

Enfin, ce sont eux, qui ont importé le principe de l’agritourisme à la fin des années 1940. Les allemands et les britanniques ont développé ce type d’offre pour accueillir les touristes étrangers.

Le fait d’aménager un bâtiment agricole secondaire pour en faire une structure d’hébergement touristique était une innovation à l’époque dans la région.

En raison de son succès, l’idée a été reprise par de nombreux grands propriétaires d’origine toscane.

Si aujourd’hui beaucoup d’étrangers primo-arrivants sont opposés à l’afflux trop important de touristes, ressenti comme une menace pour l’ « authenticité » qu’ils étaient venus chercher, il n‟en demeure pas moins qu’ils ont eux-mêmes lancé le processus de mise en tourisme du Chianti.

2.2.2 L’implication des grands propriétaires locaux

Le mouvement lancé par les étrangers fut presque aussitôt suivi par les grands propriétaires, qui pouvaient davantage envisager la diversification des activités de l’exploitation vers le tourisme que les petits agriculteurs (PERRIN, 2009).

De fait ils disposaient des capacités financières pour transformer le bâtit rural et le reconvertir en hébergement touristique.

Ils bénéficiaient de plus d’une expérience de l’accueil liée à l’ancienne villégiature. Surtout, ils étaient propriétaires de nombreuses fermes abandonnées avec la fin de la mezzadria (métayage), et l’exode rural massif qui s’en est suivi.

Sans nécessairement se lancer directement dans le tourisme, des familles ont travaillé à la revalorisation du patrimoine local.

Nous pouvons reprendre l’exemple de la famille Cappellini, qui a racheté en 1958 le domaine et le Château de Verrazzano, une exploitation peu rentable dont des bâtiments tombaient en ruine.

Autrefois propriétaires d’un grand domaine situé dans la province de Sienne, les Cappellini décidèrent de tout vendre pour acheter des parcelles à Greve in Chianti parce qu’ils jugeaient le terroir plus porteur.

Le fait qu’il s’agisse d’un château dont l’histoire remonte au 14ème siècle, et la situation du domaine, en plein cœur de la zone de production du Chianti Classico, a vraisemblablement influencé leur choix. Et de fait le vin et l’huile d’olive produits sur le domaine portaient l’appellation Chianti Classico.

Ils ont alors réhabilité le château, sa cave et ses bâtiments agricoles avec l’aide de la Soprintendenza ai Monumenti di Firenze. Durant la période qui s’étend des années 1960 au début des années 1990, Luigi Cappellini s’est d’abord focalisé sur la production d’un vin de qualité et sur l’exportation vers les Etats-Unis.

A partir des années 1990, bien que réticente dans un premier temps à laisser entrer des visiteurs sur les lieux de fabrication du vin et aux abords de leur domicile, la famille a créé un agritourisme (hébergement) à l’entrée de la propriété, puis s’est lancé dans l’organisation de visites et de dégustations (S. MODUGNO, Responsable commercial du château de Verrazzano, Annexe E, entretien n°10).

A l’image de la famille Cappellini, les acteurs privés locaux ont beaucoup participé à la mise en valeur du patrimoine rurale et viticole du Chianti et au développement de l’œnotourisme (DESPLANQUES, 1980).

Nous pouvons citer la famille Socci, qui possède la Fattoria di Lamole depuis le 19ème siècle20, ou la famille François, qui a acquis le Château de Querceto au 18ème siècle21, toutes les deux rattachées au Consortium depuis sa création en 1924.

Elles ont ainsi restauré les poderi de leurs domaines pour les transformer en hébergements touristiques.

20 www.fattoriadilamole.it
21 www.castellodiquerceto.it

Les producteurs, étrangers et toscans, sont donc à l’origine de la démarche de patrimonialisation et de valorisation du patrimoine viticole qui a précédé le développement du tourisme dans le Chianti.

Par leurs actions, l’espace viticole, ses paysages et ses bâtiments agricoles, civils et religieux ont pris une dimension identitaire et patrimoniale, et constituent aujourd’hui le bien commun spatialisé des habitants et des producteurs du terroir.

L’idéalisation étrangère du paysage chiantigiano, le besoin croissant de patrimoine et d’ « authenticité » des sociétés européennes et nord-américaines ainsi que l’évolution de la demande des consommateurs de vin ont alors fortement contribué à la renaissance de cet espace rural et ont déterminé les choix de mise en valeur de cet héritage.

L’imaginaire de ces protagonistes exogènes a servi de référent au cours des différentes démarches de sélection des héritages à conserver qu’implique le processus de patrimonialisation.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Mise en tourisme du patrimoine viticole : l’exemple du Chianti
Université 🏫: Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne - Institut de Recherche et d’Etudes Supérieures Du Tourisme IREST
Auteur·trice·s 🎓:
Melle Virginie Anger

Melle Virginie Anger
Année de soutenance 📅: Mémoire professionnel présenté pour l’obtention du Diplôme de Paris 1 – Panthéon Sorbonne - 2010-2011
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