Contentieux impliquant des NPE : une étude chiffrée

Contentieux impliquant des NPE : une étude chiffrée

Chapitre 5

Contentieux impliquant des NPE : une étude chiffrée127

Les NPE, et leurs formes dérivées, les patent trolls, sont au cœur de l’actualité judiciaire et médiatique. La place de choix qu’ils occupent biaise quelque peu la perception du public qui voit vite une NPE en chaque entreprise et un troll sous chaque pont. Ce chapitre se propose d’évaluer l’importance réelle des Non-Practicing Entity NPE.

Aux Etats-Unis, les litiges ayant trait à des brevets ont augmenté à un taux actuariel128 de 5,6% par an depuis 1991, atteignant près de 2.900 actions en contrefaçon menées en 2008, alors que le nombre de brevets délivrés, n’a crû, pour cette même période qu’à un taux actuariel de 3,5%.

Les chiffres ayant trait à la proportion des litiges impliquant des NPE sont assez nébuleux et relativement peu cohérents. Selon les uns, comme Nathan Myhrvold, environ 2% seulement des litiges ayant trait aux brevets impliquent une NPE129, selon d’autres, comme RPX Corporation, il s’agirait de près de 15% d’entre eux130.

Les académiques ne sont pas d’un grand secours pour clarifier la tendance : selon S. K. Shrestha131, il s’agirait de 2% des litiges, selon C.V. Chien132, de 17%. L’analyse de J. R. Allison, M. A. Lemley et J. Walker133, quant à elle, procède en deux temps : premièrement sont identifiées les industries auxquelles appartiennent les brevets qui font le plus souvent l’objet d’une action en justice, les most-litigated patents. Les résultats sont éloquents : près de trois most-litigated patents sur quatre sont des brevets portant sur des logiciels. Viennent ensuite les brevets portant sur les business methods avec un taux de 15%. Deuxièmement, les auteurs s’intéressent aux propriétaires de ces brevets. Pondérée par le nombre total d’actions en justice, la proportion de celles introduites par des NPE est de plus de 80%.

Cependant, la grande majorité de celles-ci le sont par des entreprises développées par l’inventeur de la technologie brevetée; la proportion des actions introduites par des sociétés spécialisées dans l’acquisition de brevets n’est plus que de à 6,7%. L’étude conclut également que les most-litigated patents sont aussi les brevets qui ont la valeur la plus importante.

Bien sûr, une analyse détaillée de la méthodologie adoptée par chaque auteur permet d’expliquer – partiellement – ces différences importantes : l’identité et la qualité de l’auteur, la définition de Non-Practicing Entity NPE, l’échantillon choisi, l’horizon temporel ou encore la définition de « procès » sont autant de facteurs qui génèrent des différences, parfois importantes, entre les chiffres obtenus. Une approche unifiée du problème serait bienvenue pour permettre d’éclairer le public et les responsables politiques sur l’étendue véritable du phénomène.

Bien que les litiges impliquant des NPE ne représentent, en termes absolus, qu’une proportion relativement faible des litiges ayant trait aux brevets134, ils ont par contre connu une croissance importante au cours des dernières années. Selon PatentFreedom et RPX Corporation, de tels litiges ont connu, en moins de dix ans, une croissance de près de 300%.

Année de l’introduction de l’action en justiceNombre de cas introduits par des NPEProportion de cas introduits par des NPE
Avant 1998985.4%
1999432.4%
2000623.4%
2001754.2%
20021488.2%
20031588.8%
20041176.5%
200526814.9%
200626014.4%
200729916.6%
Jusqu’août 200822712.6%
Total1,802100%

Tableau 4 : Litiges impliquant des NPE135

En termes de dommages et intérêts, à présent, une tendance se dégage depuis 2001. Alors que, jusque là, les dommages et intérêts accordés aux détenteurs de brevets étaient similaires, que le breveté soit une NPE ou non, ils sont aujourd’hui trois fois plus importants pour les NPE que pour les entreprises productrices : $12 millions en moyenne pour les premières, $3,4 millions pour les secondes, au cours de la période 2002-2008.

Il existe également des différences en termes de taux de réussite, selon que le breveté est une NPE ou une entreprise productrice. Les chiffres sont ici en faveur des secondes, gain de cause leur étant accordé dans 40,4% des cas contre 29,3% pour les premières.

Cependant, il est éclairant de raffiner ces résultats en les différenciant selon les différentes modalités de procédure : lorsqu’il s’agit d’un summary judgment136, les NPE sont souvent plus malheureuses que les entreprises productrices (11,9% c. 19.9%). Par contre, en cas de trial, elles obtiennent un taux de réussite sensiblement plus élevé (67,4% c. 65,8%).

Le recours de plus en plus fréquent au mécanisme du jury par les NPE n’est guère surprenant si l’on s’en réfère à l’évolution des montants accordés par celui-ci en termes de dommages et intérêts, au cours des décennies passées : d’une moyenne de $1,1 million dans les années 1980, la moyenne est passée à $10,1 millions dans les années 2000. Le montant des dommages et intérêts accordés par un juge seul (bench) a, par contre, diminué ces dernières années : il ne s’élève plus aujourd’hui, en moyenne, qu’à $600.000.

Si l’on distingue les NPE des autres, la différence entre les deux mécanismes est d’autant plus marquée : pour les NPE (resp. entreprises productrices), un jury accorde un moyenne $11,5 millions (resp. $7,4 millions) contre $600.000 pour un bench (resp. $0,9 million).

Peu de recherches ont été menées en ce qui concerne la proportion de litiges qui vont effectivement jusqu’au stade du procès. De plus, des données, dans ce cas, ne sont disponibles que si, à un moment donné, le demandeur a introduit une action en justice; les accords conclus strictement hors des tribunaux sont, en effet, difficilement repérables.

126 J. F. MCDONOUGH III, « The Myth of the Patent Troll: An Alternative View of the Function of Patent Dealers in an Idea Economy », Emory Law Journal, vol. 56, pp. 213-214.

127 Sauf s’il en est précisé autrement, la plupart des chiffres indiqués dans ce chapitre provient de la récente étude de PricewaterhouseCoopers : PRICEWATERHOUSECOOPERS, « 2009 Patent Litigation Study: A closer look – Patent litigation trends and the increasing impact of nonpracticing entities », 2009, http://www.pwc.com/us/en/forensic-services/publications/assets/2009-patent-litigation-study.pdf (consulté le 8 août 2010).

128 Compound Annual Growth Rate (CAGR).

129 N. MYHRVOLD, « Inventors Have Rights, Too! », Wall Street Journal, 30 mars 2006. Rappelons ici que Nathan Nyhrvold dirige Intellectual Ventures, souvent décriée comme étant un patent troll. Il a donc tout intérêt à minimiser l’impact que l’on prête aux NPE.

130 RPX CORPORATION, « A High-Risk, High-Cost Threat », 2008, http://www.rpxcorp.com/svc_problem.html (consulté le 21 juillet 2010). RPX Corporation se spécialise dans la défense contre les patent trolls : son intérêt réside donc dans un certaine amplification de la situation.

131 S. K. SHRESTHA, « Trolls or Market-Makers? An Empirical Analysis of Nonpracticing Entities », Columbia Law Review, 2010, vol. 110, p. 114. Sur la méthodologie adoptée, voyez spéc. p. 159.

132 C. V. CHIEN, « Of Trolls, Davids, Goliaths, and Kings: Narratives and Evidence in the Litigation of High-Tech Patents », North Carolina Law Review, 2009, vol. 87, p. 101. Sur la méthodologie adoptée, voyez spéc. pp. 122-128.

133 J. R. ALLISON, M. A. LEMLEY et J. WALKER, « Extreme Value or Trolls on Top? The Characteristics of the Most- Litigated Patents », University of Pennsylvania Law Review, 2009, vol. 158, n° 1. Sur la méthodologie adoptée, voyez spéc. pp. 4-12.

134 G. G. BALL et J. P. KESAN, « Transaction Costs and Trolls: Strategic Behavior by Individual Inventors, Small Firms and Entrepreneurs in Patent Litigation », U Illinois Law & Economics Research Paper, 2009, n° LE09-005, p. 25.

135 PATENTFREEDOM, « Overall litigation per year by NPE has been growing », 2008, http://www.rpxcorp.com/svc_problem.html (consulté le 26 juillet 2010).

136 Voyez note 113.

137 G. G. BALL et J. P. KESAN, « Transaction Costs and Trolls: Strategic Behavior by Individual Inventors, Small Firms and Entrepreneurs in Patent Litigation », U Illinois Law & Economics Research Paper, 2009, No. LE09-005, p. 20.

L’analyse de G. G. Ball et J. P. Kesan137 jette un premier éclairage sur le sujet. Les auteurs montrent que, lorsque des NPE poursuivent des grandes entreprises, il est plus probable qu’un accord soit trouvé que lorsqu’une autre entreprise productrice est demanderesse. Ils ne sont malheureusement pas en mesure de fournir une explication quant à cette tendance.

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