L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil

L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil

b) L’affaiblissement de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil

282. Application restrictive du principe. L’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil est un principe que n’exprime explicitement aucun texte législatif.

C’est une création doctrinale et jurisprudentielle selon laquelle le juge civil ne peut pas méconnaître ou contredire ce qui a été décidé d’une façon nécessaire et certaine par un tribunal répressif, à peine d’une contradiction inadmissible, fâcheuse pour la justice elle-même 445.

Ce principe de l’autorité de la chose jugée au criminel fait l’objet d’une application restrictive par les juges, qui lui assignent des limitations tenant tant à ses conditions qu’à ses effets 446.

283. Les limitations quant aux conditions. Concernent non seulement les décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée au criminel, mais également les dispositions de ces décisions qui ont cette autorité.

284. En premier, lieu selon la jurisprudence. Seules les décisions émanant d’une juridiction répressive française de jugement sont susceptibles d’avoir autorité, ce qui exclut les décisions des juridictions d’instruction 447 et naturellement la réquisition du ministère public 448.

Certaines décisions rendues dans le cadre de procédures alternatives au jugement ou aux poursuites ne tranchant pas l’affaire au fond, elles sont dépourvues d’autorité de chose jugée 449. Pour être revêtues de l’autorité de chose jugée, les décisions pénales doivent être définitives et irrévocables 450.

285. En second lieu, toutes les dispositions de la décision répressive. Ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée au criminel. La jurisprudence tend à « émonder au maximum la décision pénale »451.

D’abord, seule la décision sur l’action publique peut avoir cette autorité, la décision sur les intérêts civils ayant seulement l’autorité relative de la chose jugée au civil 452.

Ensuite, toutes les dispositions pénales du jugement ne seront pas revêtues de l’autorité absolue, qui n’est attribuée qu’à « ce qui a été certainement et nécessairement décidé par le juge criminel, soit quant à l’existence du fait qui forme la base commune de l’action pénale et de l’action civile, soit quant à la participation du prévenu au même fait »453.

Il faut donc que les motifs, exprimés de manière non dubitative, soient le « soutien indispensable de la décision », ce qui ôte l’autorité absolue à tout motif surabondant 454. En fin de compte, il ne subsiste qu’un « squelette à qui seul est dû le respect »455.

286. Des limitations quant aux effets. Viennent également restreindre l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil.

A supposer que les motifs statuant sur la culpabilité remplissent les conditions de l’autorité de la chose jugée au criminel, les effets de cette autorité sur le civil peuvent encore être limités.

287. Le recours à la responsabilité civile sans faute. Et à la dualité des fautes civiles et pénales d’imprudence permet au juge saisi de l’action civile de retenir une faute civile alors que l’auteur des faits a obtenu une relaxe.

Cette limite apportée à l’autorité du criminel sur le civil est dans une certaine mesure consacrée par les articles 372 et 470-1 du Code de procédure pénale, qui autorisent le juge pénal saisi de l’action civile à admettre une faute civile après avoir constaté l’absence de faute pénale.

En outre, l’article 4-1 du Code de procédure pénale permet également au juge civil de retenir une faute civile quasi délictuelle de l’article 1383 du Code civil ou une faute inexcusable de l’article L 452-1 du Code de la Sécurité sociale là où le juge répressif a considéré qu’il n’y avait pas de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal 456.

288. En outre, selon le Professeur Robert, la restriction apportée par la loi du 5 mars 2007. Au sursis à statuer obligatoire « affecte nécessairement quoique indirectement la présomption de vérité légale attachée aux décisions des juridictions répressives »457.

Il voit dans la règle du sursis à statuer et dans la présomption de vérité deux aspects de l’autorité du criminel sur le civil, ce qui rejoint la conception selon laquelle le principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil et l’obligation de surseoir à statuer de l’article 4 du Code de procédure pénale sont deux manifestations de la primauté du criminel sur le civil.

Or, l’obligation de surseoir à statuer est expressément restreinte par le législateur à la seule action en réparation du dommage découlant de l’infraction, dans l’attente de la décision sur l’action publique (article 4 alinéa 3 du Code de procédure pénale).

La jurisprudence pourrait aisément en déduire que dans l’hypothèse, non prévue par l’article 4 alinéa 3, où cette décision est déjà rendue, son contenu ne liera pas le juge civil saisi ultérieurement d’une action à fins civiles.

Elle procédera d’autant plus volontiers à cette extension de la portée du texte que cela est conforme à sa tendance à limiter les inconvénients de l’autorité de la chose jugée 458.

289. Nous pouvons également observer que la Cour de cassation a contourné de manière notable le principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil, dans un arrêt remarqué rendu en Chambre mixte le 3 juin 1998.

En se plaçant sur le terrain de l’extinction du droit d’agir du demandeur, la Cour a habilement éludé le principe de l’autorité de la chose jugée dans une affaire où il aurait visiblement dû être appliqué et produire ses effets 459.

286 CEDH 21 février 1975 Golder c/ Royaume-Uni, n° 4451/70, §§ 35 in fine et 36, Série A n° 18.

287 CEDH 27 août 1992 Tomasi c/ France, n° 12850/87, §§ 120 à 122, Série A n° 241-A, RSC 1993 p. 142 obs. L.-E. Pettiti, D 1993 Somm. 383; CEDH 21 novembre 1995 Acquaviva c/ France, n° 19248/91, §§ 44 et 46 à 48, Série A n° 333-A, D 1997 Somm. 206; CEDH 28 octobre 1998 Aït-Mouhoub c/ France, n° 22924/93, §§ 44 à46, Rec. 1998-VIII, RSC 1999 p. 399 obs. R. Koering-Joulin; CEDH 26 octobre 1999 Maini c/ France, n° 31801/96, §§ 28 et 29, JCP 2000 I 203 §8 obs. F. Sudre.

288 CEDH 12 février 2004 Perez c/ France, n° 47287/99, RSC 2004 p. 698 obs. F. Massias, D 2004 IR 734; CEDH 27 juillet 2004 Pfleger c/ République Tchèque, n° 58116/00.

289 Saisi d’une question similaire, le Conseil constitutionnel a validé la disposition excluant la présence de la partie civile devant la Cour de justice de la République au motif que la victime conserve le droit de saisir la juridiction de droit commun : Cons. const. 19 novembre 1993, n° 93-327 DC, J.O. 23 novembre 1993 p. 16141. L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a d’ailleurs statué dans le même sens dans l’affaire dite « du sang contaminé » : Ass. plén. 21 juin 1999, D 1999 IR 189, Procédures 1999 comm. 212 note J. Buisson.

290. La jurisprudence estime enfin que l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil. Est un principe d’intérêt purement privé, et en tire les conséquences logiques :

Le ministère public ne peut invoquer le principe et le juge ne peut suppléer ce moyen, les parties peuvent renoncer à l’application du principe et ne peuvent l’invoquer pour la première fois devant la Cour de cassation.

D’éminents auteurs critiquent cette position jurisprudentielle car ils estiment que le caractère d’ordre public de la règle découle tout naturellement du fondement qu’on lui assigne, à savoir la primauté des juridictions répressives 460.

Il n’en reste pas moins que dans ces conditions, le caractère d’ordre privé attribué à l’autorité de la chose jugée indique bien l’affaiblissement du principe de primauté.

291. Il a été fort justement relevé que la dualité de notions de décision définitive, notion extensive en matière de sursis à statuer et notion restrictive en matière d’autorité de la chose jugée, s’explique par la volonté d’obtenir un même résultat: accroître l’indépendance du procès civil et du procès pénal 461.

Cette indépendance des deux procès peut trouver son aboutissement dans une évolution ultime du principe de l’autonomie du juge pénal, selon laquelle ce principe serait étendu de sorte que les constatations matérielles et objectives d’un juge, quel qu’il soit, auraient une autorité absolue de chose jugée envers tout autre 462.

292. Nous constatons donc un réel affaiblissement tant du sursis à statuer obligatoire en cas de poursuites pénales que de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil. L’affaiblissement des règles issues du principe de la primauté du criminel sur le civil marque l’effritement de ce principe. Le caractère accessoire de l’action civile en apparaît d’autant moins évident.

290 Nous retrouvons la distinction de Monsieur Alessandra concernant l’intérêt relatif ou absolu de l’assureur à intervenir devant le juge répressif : Ph. Alessandra : op. cit., p. 35 et s.

291 CEDH 9 octobre 1979 Airey c/ Irlande, n° 6289/73, § 26, Série A n° 32; CEDH 4 décembre 1995 Bellet c/ France, n° 23805/94, § 31, Série A n° 333-B; CEDH 2 octobre 2008 Atanasova c/ Bulgarie, n° 72001/01, § 37, Dr. pén. avril 2009 chron. « un an de… » § 18.

292 CEDH 3 décembre 2002 Berger c/ France, n° 48221/99, RSC 2003 p. 410 obs. F. Massias; CEDH 15 juillet

2003, Ernst et a. c/ Belgique, n° 33400/96; CEDH 4 octobre 2007, Forum Maritime S.A. c/ Roumanie, n° 63610/00 et 38692/05.

De surcroît, les règles issues de la primauté du criminel sur le civil se révèlent encore plus dénuées de portée lorsque l’action civile est exercée devant le juge répressif.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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