Une prise de recul sur la vie, l’âge de la vieillesse

Une prise de recul sur la vie, l’âge de la vieillesse

3.3. Une prise de recul sur la vie

3.3.1. Des préoccupations qui évoluent

Pour les individus dont le parcours de vie a abouti à une réussite professionnelle et familiale, le sentiment d’accomplissement personnel détourne les préoccupations de l’individu de sa vie familiale et professionnelle. L’individu ne cherche plus à s’accomplir dans les domaines de la vie sociale, ses préoccupations ne concernent plus uniquement son avenir personnel.

En effet, le bonheur des enfants et des petits-enfants est devenu une priorité nouvelle. Pendant la période adulte l’individu est au centre de ses préoccupations. Mais à l’approche de l’âge de la vieillesse, l’individu glisse d’un comportement égocentrique à un comportement plus altruiste où c’est le bonheur des autres qui prime alors. Comment expliquer alors ce changement?

Face à une perspective temporelle qui se raccourcit, et une vie sociale solidement construite, l’impression que la vie n’est plus à construire fait surface. C’est donc l’avenir des enfants restant à construire qui devient important.

Par ailleurs, à mesure où avance le vieillissement, les individus prennent de plus en plus conscience de la finitude de la vie. Les enfants symbolisent alors une partie de soi qui perdure par-delà la mort. C’est une volonté de transmission envers les enfants qui émerge avec l’avancée en âge, la transmission notamment des normes, valeurs et expériences qui ont auparavant amené l’individu à son accomplissement personnel. Cet intérêt porté au bonheur des enfants participe donc à cette transmission. Tout ce qui caractérise l’individu, et notamment les enfants prend part à la construction identitaire. Derrière cette préoccupation envers la réussite des enfants se dissimule ainsi une volonté de concordance entre « l’identité désirée » 16 et le parcours des enfants qui entre en jeu dans la construction identitaire du parent :

« A l’heure actuelle ce qui me semble important c’est pas moi. J’ai cinquante ans maintenant, et je pense plus aux enfants, à leur avenir, leurs études. Je suis plus axée sur leur bonheur. Pour moi maintenant je travail, j’ai ce qu’il me faut. Donc je me projette plus à travers mes enfants et leur réussite. Le bonheur c’est la réussite des enfants. » (Marie, F, 49 ans, pharmacienne)

Face à une perspective temporelle qui se raccourcit avec l’avancée en âge, certains individus ne se préoccupent plus de leur réussite et ascension sociale. Il s’agit à présent de profiter de la vie un maximum. Cette prise de conscience du temps qui passe amène alors de nouveaux comportements et normes d’actions. Se faire plaisir passe également par la consommation.

Comme l’exprime G. Lipovetsky dans le bonheur paradoxal17, « l’hyperconsommation a charge de « rajeunir » sans cesse le vécu par l’animation de soi et des expériences nouvelles ». Se faire plaisir c’est donc aussi amorcer un changement dans la vie sociale de l’individu, ce qui contraint la monotonie et donne à la vie un mouvement de renouvellement :

« La vie. Me faire plaisir surtout c’est important. […]C’est parce que ça passe trop vite. » (Martine, F, 50 ans, chargée de mission formation)

A l’approche de l’âge de la vieillesse, les individus accordent à la santé un statut primordial. Ils considèrent en effet la santé comme un élément moteur de leur vie. Face aux premiers signes de vieillissement, la santé devient ainsi une préoccupation de plus en plus forte pour l’individu :

« L’important c’est que j’ai la santé le plus longtemps possible. Sinon rien d’autre. » (Suzanne, F, 59 ans, assistante maternelle)

Certains individus se considèrent satisfait de leur situation professionnelle. Néanmoins, le travail reste un domaine important de leur vie. Il demeure un élément fondamental pour l’individu parce qu’il participe d’une part à sa construction identitaire et à son épanouissement personnel. D’autre part le travail a une valeur forte dans notre société, il est source d’intégration sociale, d’épanouissement et permet de forger des relations sociales. Ainsi, même à l’approche de l’âge de la retraite le travail demeure un élément central de l’épanouissement personnel :

« Ce qui est important c’est de garder des bons contacts avec sa famille, qu’elle soit proche ou un peu plus éloignée. Evidemment la santé, c’est une banalité. Et aussi avoir un travail dans lequel on s’épanouie. Sans ça c’est quand-même difficile d’être heureux. Bon il y a des gens qui s’épanouissent en élevant leurs enfants, mais bon moi je parle pour moi. J’ai besoin de faire autre chose.

Je crois que les relations avec les proches, la santé et le travail qui nous plaît c’est essentiel. Je pense qu’on peut pas s’épanouir complètement sans avoir un travail qui nous plaît. » (Rachel, F, 51 ans, avocate)

L’évolution des préoccupations et objectifs des individus tout au long du cycle de vie affirme ainsi comme l’ont indiqué C. Bühler et F. Massarik dans The course of human life18 que chaque période de la vie est marquée par différents niveaux de réalisation des objectifs fondamentaux de l’existence. Ces objectifs orientent le sens de l’existence et sa cohérence interne.

Cependant à chaque âge de la vie ne correspond pas des objectifs divergents. Ils sont complémentaires dans la construction de l’identité et du sens de la vie.

16 BAJOIT, G., Le changement social, Paris, Armand Colin, pp 103 – L’auteur définit « identité désirée » comme « l’idée que l’individu se fait de ce qu’il voudrait devenir et être, c’est l’ensemble des projets identitaires (conscients ou non) qu’il voudrait réaliser, c’est l’image qu’il a de ce qu’il devrait faire pour assurer son épanouissement, son accomplissement personnel, sa réalisation de soi. »

17 LIPOVETSKY, G., Le bonheur paradoxal, Paris, Gallimard, 2006, pp 66

3.3.2. Une prise de recul face aux expériences vécues : des regrets, une revisite des priorités

L’avancée en âge c’est aussi la possibilité de prendre du recul sur la vie passée et les multiples expériences qui ont marqué la vie de l’individu. Ce regard sur les expériences passées amène à relativiser les évènements de la vie, notamment les petits désagréments de la vie quotidienne. Cette prise de recul concourt ainsi à une simplification de la vie quotidienne :

« Je pense que quand tu vieillis tu relativises beaucoup de choses. Tu te dis mais pourquoi je me suis emmerdé il y a 10 ans avec des petits problèmes aussi futiles. Quand tu te dis chaque jour qui passe c’est un jour de chance, tu relativises. Et je me dis soit tu es étriqué avec ton petit ménage, et je pense que moi qui aie voyagé j’ai toujours ce recul, et je ne suis pas étriquée. » (Sophie, F, 60 ans, nurse)

Certains enquêtés cherchent quant à eux à disposer de temps suffisant pour pouvoir faire le point sur leur vie. Se remémorer les souvenirs, les bons et les mauvais moments permet à l’individu de revivre le temps passé, mais aussi d’avoir un regard sur son parcours de vie.

L’avancée en âge est une continuité dans la vie, mais le passé reste néanmoins présent. Il est même rassurant pour l’individu puisque les souvenirs viennent confirmer l’accomplissement de soi :

« A la limite j’aimerais pouvoir maintenant disposer d’un temps suffisant pour faire le point sur tout ce que j’ai vécu. Parce que il y a des choses, des papiers et documents que je redécouvre, je me dis tiens, j’ai fait ceci, j’ai fait cela. Et puis les souvenirs avec les gens, sur l’instant même on ne les vit pas, c’est après. On vit l’action de ce qu’on mène, et c’est seulement après qu’on se dit j’étais dans l’action de ça. » (Laurent, H, 54 ans, capitaine de police)

Cette prise de recul sur la vie fait prendre conscience à certains individus que la période adulte a été une période de vie

« trépidante » où le manque de temps rythmait les activités. Pendant cette période d’activité intense il s’agit en effet de gérer carrière professionnelle et vie familiale. L’individu et poussé par le temps et contraint à remplir d’abord toutes ses obligations.

Cette prise de recul entraîne alors un changement de comportement et de rapport au temps. Il s’agit maintenant de prendre de son temps :

« On a connu aussi le fait de faire les courses le midi, se dépêcher avec le caddie à manger un sandwich parce qu’il fallait faire vite. Et c’est vrai que quand on a le recul de penser à ça, on se dit que la vie est très trépidante, et on a l’impression de zipper tout ce qui est à faire, des tâches qui viennent un peu parasiter ce à quoi on devrait se consacrer. Alors il fallait garder le maximum de temps pour faire ce qui est à faire à côté.

Alors maintenant on voudrait souffler. On voudrait décompresser tout ça et prendre le temps de le faire dans des intervalles de temps plus confortables. C’est-à-dire que là où je vais speeder avec la voiture pour arriver à l’heure, maintenant je m’y prendrais 2 heures avant pour prendre le temps de la faire normalement sans speeder. » (Laurent, H, 54 ans, capitaine de police)

Finalement, le regard porté sur les expériences passées est un regard rempli de souvenirs, de moments joyeux et de regrets. Mais le regard sur le passé confronté au temps à venir amène l’individu à réorganiser sa vie et ses priorités.

Certains enquêtés font ainsi le tri des choses inutiles. Face à une perspective temporelle qui se raccourcit, il s’agit de maximiser le temps restant.

La prise de conscience de la valeur du temps qui devient de plus en plus précieux amène alors un renouvellement du temps présent. Dans Penser le temps pour lire la vieillesse19, Claude Attias-Donfut caractérise justement ce renouvellement de « temps fécond, constitutif de nous-même, un temps d’accomplissement, celui du « temps retrouvé » :

« C’est-à-dire que je suis en train de faire le tri des choses qui ne sont pas utiles. J’ai presque 10 sollicitations par jour, je fais le tri. Je m’arrange pour être présent pour mon fils et ça c’est génial parce qu’il le rend sans compter. » (Jean, H, 58 ans, Professeur de sport)

3.3.3. Un cumul d’expériences qui permet d’avoir un regard plus éveillé sur les problèmes de société

La jeunesse est perçue comme l’âge naïf, contrairement à l’âge adulte. Néanmoins ce ne sont pas uniquement des représentations puisqu’elles corroborent avec le discours des enquêtés. En effet l’avancée en âge s’accompagne d’un accroissement des connaissances théoriques et expérimentales permettant notamment de mieux comprendre l’environnement de l’individu. Le niveau d’intégration sociale, les responsabilités et la multiplication de ses rôles sociaux de l’individu l’amènent alors à poser un regard éveillé sur la société actuelle :

« Je pense que au fil des années, on ne voit pas la vie de la même façon à 20 ans ou à 50 ans. C’est vrai que quand mes parents me disaient, tu verras !…Je me disais non c’est pas possible, je ne croyais pas tout ce qu’ils me disaient. Et c’est vrai qu’au fil des années, ce que nos parents et grands-parents nous disaient c’est bien vrai. Je trouve que quand on vieillit on prend plus conscience du monde qui nous entoure. On est plus insouciant quand on est plus jeune. » (Marie, F, 49 ans, pharmacienne)

Ce regard plus éveillé sur les problèmes de société engendre un sentiment d’inquiétude chez l’individu. Cependant, ce n’est pas tant pour son avenir qu’il est inquiet, mais celui de ses enfants et des plus jeunes qui le préoccupe. Les problèmes économiques et sociaux sont en effet un frein à l’intégration sociale des plus jeunes, notamment les plus défavorisés ; la société d’aujourd’hui façonne alors leur avenir :

« Les enfants n’ont pas de boulot, le monde est un peu galère. Avant je ne pensais pas à tout ça. Mais maintenant que tu commences à vieillir tu vois qu’il y a quand même beaucoup de problèmes tout autour de toi, et tu n’y peux rien. C’est l’âge.

Avant tu ne pensais pas à tout ça. Tu voyais tous les trucs à la télé, tu voyais les élections, mais ça passe. Et puis après avec l’âge tu te dis quand même les enfants, les petits enfants, comment ils vont faire. Tu t’inquiètes un peu plus pour ta petite famille, et pour les autres aussi. C’est vrai que le monde est bizarre pour les petites qui viennent derrière.

Parce que nous on a souffert comme nos grands-parents ont soufferts, tout le monde a eu du mal. Mais quand tu es jeune, tu ne t’en rends pas compte. C’est quand tu prends de l’âge que tu vois que c’est dur. Tu te dis même ce que tu es venu foutre dans un monde pareil, pour toi et pour tes enfants. » (Françoise, F, 55 ans, manutentionnaire en intérim)

En définitive, l’avancée en âge est une avancée dans la vie où le recul pris sur le passé amène une redéfinition des valeurs et des préoccupations. L’avancée en âge s’accompagne également d’un mode de vie fait de ruptures et de continuités.

La principale rupture est instaurée par le départ des enfants. Si l’arrivée des premiers signes de vieillissement pourrait amorcer des comportements inscrits dans un mode de vie en ruptures, il n’en n’est pas. Des pratiques adaptées et préventives aux effets du vieillissement s’intègrent progressivement dans le mode de vie des individus. Les nouvelles pratiques ne sont pas en décalage.

Appréhendées comme bienfaisantes, elles sont alors inscrites dans une redéfinition du mode de vie. Néanmoins, l’arrivée des premiers signes physiques et psychiques de vieillissement est pour l’individu révélateur du processus de vieillissement qui est en marche. Quelle posture adopte-t-il alors face aux signes de vieillissement ? Les signes physiques de vieillissement altèrent l’apparence de l’individu.

18 BÜHLER, C., MASSARIK, F., The course of human life: a study of goals in the humanistic perspective, NY, Springer, 1968

19 ATTIAS-DONFUT, C., Penser le temps pour lire la vieillesse, Paris, PUF, 2006, pp 134

Tant dans les pratiques que les représentations, les signes de vieillissement constituent-t-ils alors une rupture, ou sont-ils appréhendés en tant que processus naturel qui n’a pas de conséquences dans les pratiques individuelles?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les 45-60 ans : âges de transition
Université 🏫: Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Charlotte Feuillafée

Charlotte Feuillafée
Année de soutenance 📅: Master 2, Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel - Juin 2008
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