Transport maritime de marchandises et la faute inexcusable

Transport maritime de marchandises et la faute inexcusable

§ 2) En droit des transports maritimes110

Le droit des transports maritimes, comme le droit des transports aériens est fortement préoccupé par l’institution de la limitation de responsabilité du transporteur, de la conception et de la place de la faute inexcusable dans le régime de responsabilité du transporteur. Apparue dans le domaine du transport aérien, la faute inexcusable a imprégné le domaine de transport maritime, au premier abord des passagers et puis des marchandises.

Compte tenu de la variation des textes111, à l’opposé du droit aérien, selon qu’il s’agit de transports de marchandises ou de passagers, nous allons séparément aborder la question de l’application de la faute inexcusable en cas de transport de marchandises et en cas de transport de passagers.

Par ailleurs, nous allons, en dernier lieu, examiner un aspect singulier (et en pleine actualité) de l’application de la faute inexcusable, en tant que cause de déchéance de l’entreprise de manutention de son propre droit de limitation. En effet, la loi du 18 juin 1966 alignant la responsabilité des entreprises de manutention maritime sur celle des transporteurs, soulève la question de savoir si la faute inexcusable a pour effet le déplafonnement de la responsabilité de celles-ci.

A) Transport maritime de marchandises

La Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissements, tout en envisageant le principe de la limitation de responsabilité du transporteur maritime, méconnaît la possibilité d’y faire échec112. Et la loi du 2 avril 1936 a repris ces principes en droit interne, alors que la jurisprudence française a pris soin de les adapter aux principes fondamentaux du droit français de la responsabilité civile, le dol seul pouvant faire échec à la limitation légale (le dol faisant échec à toutes les règles)113, sans néanmoins admettre d’assimiler la faute lourde au dol. Cette solution a trouvé sa sanction explicite par le truchement de l’article 28 de la loi du 18 juin 1966 sur les contrats d’affrètements et de transports maritimes.

Or, à partir des années 1970, la notion de faute inexcusable s’insère dans le droit international de transport : toutes les conventions internationales y font référence. Le transport maritime ne saurait pas y manquer. C’est ainsi que la faute inexcusable est apparue dans le Protocole du 23 février 1968 modifiant la Convention de Bruxelles de 1924114. Parallèlement, elle a été introduite, dans de termes analogues, dans les Réglés d’Hambourg, adoptées le 31 mars 1978 et entrées en vigueur le 1er Novembre 1992 (article 8).

En droit interne français, la notion pénètre plus tardivement. En effet, ce n’est que par la loi du 23 décembre 1986, remaniant la loi du 18 juin 1966, que le droit français s’est rallié, à l’ordre juridique international (article 28), harmonisant parallèlement les solutions retenues en droit aérien et en droit maritime.

Néanmoins, la loi française présente une divergence essentielle, bien que négligée dans la pratique, par rapport au texte de l’article 4.5e de la Convention de Bruxelles modifiée. En effet, l’article 28 de la loi de 1966 se réfère expressément, comme entraînant la déchéance du transporteur, au seul fait ou omission personnels à celui-ci, alors que le Protocole de 1968 se référant seulement à l’acte ou omission du transporteur, est conçu comme incluant la faute inexcusable du préposé115. D’ailleurs, le nouveau le projet CNUDCI sur le transport de marchandises entièrement ou partiellement par mer se réfère à la notion non pas de « faute inexcusable», mais de « faute personnelle inexcusable» (article 99)116.

En tout cas, la Cour de cassation saisie du trouble de l’interprétation de la faute inexcusable117 en droit des transports maritime, elle s’est trouvée confrontée au même dilemme; En effet, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la notion de faute inexcusable et de la confronter aux faits, deux conceptions s’opposent.

La première renvoie à une analyse abstraite de la situation et conduit à se demander quel aurait été le comportement du bon professionnel dans la même situation que celle dans laquelle s’est trouvé l’intéressé. La seconde conception débouche sur une appréciation in concreto. Il faut alors vérifier si le transporteur a eu effectivement conscience qu’un dommage résulterait probablement de son attitude.

Dans la mesure où le texte fait référence à la conscience du transporteur maritime, il semble que seule une approche concrète et de la psychologie du transporteur maritime corresponde à l’intention du législateur. La Cour de cassation s’est, pour autant, prononcée en faveur d’une appréciation objective de la faute inexcusable118. La jurisprudence de la Cour suprême a fait donc preuve de rigueur à l’égard du transporteur, suivant en même temps une politique protectrice des intérêts des chargeurs.

Cette sévérité à l’encontre du transporteur maritime de marchandises s’exprime, comme le relève très justement M. Isabelle Corbier 119, de deux manières. Plus précisément, la Cour de cassation, par la conception de la faute inexcusable qu’elle adopte, elle fait, d’abord, de celle-ci une simple variante de la faute lourde120; tantôt, elle sanctionne l’inexécution d’une obligation fondamentale du transporteur; tantôt, elle sanctionne l’inaptitude du transporteur maritime à accomplir la mission dont il est chargé.

Au surplus, cette rigueur de la jurisprudence est d’autant plus saisissante que les tribunaux ignorent le caractère personnel que la faute inexcusable doit revêtir pour fonder le déplafonnement de sa responsabilité121. Or, si la chose est normale pour les transports régis par la Convention de Bruxelles, l’adjectif personnel étant absent dans la Convention de 1924 modifiée, elle l’est moins pour les transports soumis à la loi française du 18 juin 1966, modifiée par la loi du 6 décembre 1986 qui, nous venons de le noter, définit comme constituant la faute inexcusable, seulement le fait ou l’omission personnels du transporteur 122.

Faut-il alors penser que, pour la Cour de cassation, le terme de personnel peut en quelque sorte être oublié par le juge, d’autant qu’elle n’a guère porté attention à cet aspect des choses123?

Répondre par l’affirmative serait certainement excessif, comme le relève le Professeur Pierre Bonassies124. D’ailleurs, la Cour de cassation n’a jamais été appelée à se prononcer sur cette question, les pourvois concernant la faute inexcusable du transporteur maritime ne la lui ayant jamais posée. En conséquence, la Cour suprême n’avait paradoxalement pas, jusqu’à présent, à rechercher si la faute avait été commise par le transporteur lui même ou par son préposé. Il faudrait qu’un pourvoi reproche aux juges du fond de ne pas s’être interrogés sur le caractère personnel de la faute commise par le transporteur pour que la Haute Juridiction s’y prononce expressément.

Si une telle question lui était posée, la Cour de cassation soit rapprocherait la faute inexcusable commise par le capitaine ou l’équipage de la faute inexcusable perpétrée par le transporteur soit elle entérinerait la distinction de la faute commise par le capitaine ou l’équipage de la faute inexcusable du transporteur.

En d’autres termes, le dilemme qui sera posé un jour ou l’autre à la Cour de cassation sera de choisir entre l’harmonie au sein du droit de transports, les autres conventions internationales s’étant, déjà, prononcées125 en faveur d’une faute inexcusable pas nécessairement personnelle du transporteur ou la reconnaissance, en la matière, d’une spécificité du droit maritime, compte tenu que la Convention de Londres de 1976 comporte de solutions analogues que celles de la loi française.

Il serait tentant que la deuxième solution soit privilégiée. En effet, cette solution est la solution de l’avenir, étant donné que le nouveau le projet CNUDCI sur le transport de marchandises entièrement ou partiellement par mer se réfère à la notion non pas de « faute inexcusable», mais de « faute personnelle inexcusable» (article 99)126. La Cour de cassation devra, de ce fait inévitablement, prendre en considération du caractère personnel de la faute inexcusable dans l’interprétation de celle-ci. Une solution contraire ne sera, dans l’avenir, justifiée par la lettre des textes, aussi bien nationaux que internationaux, réglementant le transport maritime127.

110 D. Veaux et P. Veaux-Fournerie, op. cit., p. 394 et s.

111 Le contrat de transport maritime de passagers a, contrairement au droit aérien où les conventions de Varsovie et de Montréal réglementent le transport de marchandises et de passagers à la fois, fait l’objet des conventions successives spéciales.

112 Dans sa rédaction initiale, l’article 4.5 de la Convention de Bruxelles prévoyait : » En aucun cas le transporteur maritime ne sera tenu au delà des plafonds légaux de responsabilité ». Ainsi, sous l’empire de la Convention de Bruxelles originaire, le texte ne parle pas de faute inexcusable. Le concept n’est donc pas appelé à jouer.

113 La Cour de cassation se référait en effet implicitement à la conception du dol dit « contractuel», selon laquelle le dol dans l’exécution d’un contrat résulte de l’inexécution délibérée d’une obligation contractuelle essentielle, et cette conception trouve sa source dans la jurisprudence des chambres civiles depuis le célèbre arrêt Jacques Martin rendu en 1969 (Cass. 1ère civ. 4 févr. 1969, Gaz. Pal. 1969.1. p. 204; dans le même sens : Cass. 3ème civ. 18 déc. 1972, D. 1973. somm. 29).

114 Article 4.5 du prévoit désormais que » ni le transporteur, ni le navire n’auront le droit de bénéficier de la limitation de responsabilité établie par ce paragraphe s’il est prouve que le dommage résulte d’un acte ou une omission du transporteur qui a eu lieu soit avec intention soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement ».

115 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 718, no 1114.

116 Ph. Delebecque, « Le projet CNUDCI sur le transport de marchandises entièrement ou partiellement par mer : derniers pas avant une adoption», DMF 2007, n° 685.

117 Terminologie consacrée par la Cour de cassation, Cass. com., 7 juill. 1998, navire »Atlantic Island» : DMF 1998, p. 826.

118 Cass. com., 20 mai 1997; DMF 1997, p. 976, rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies. – En ce sens, A. Sériaux, op. cit., n° 364 et 365. I.; Corbier, préc., p 103 et s. A. Vialard , op. cit., n° 104 et s.

119 I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», préc., p. 103 et s.; A.Vialard, « L’évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation» : DMF 2002, p. 579.; I. Corbier, « La faute inexcusable de l’armateur ou du droit de l’armateur à limiter sa responsabilité» : DMF 2002, p. 403; G. de Monteynard, op. cit., 2002, p. 247.

120 En recourant aux mêmes méthodes pour la qualification de la faute inexcusable et de la faute lourde, la Cour de cassation adopte un concept unique pou ce qui concerne la cause de déchéance du droit à limitation de responsabilité.

121 Cass. com., 7 janv. 1997, navire »Teleghma», DMF 1997, p. 737, obs. Ph. Delebecque; DMF 1998, Hors-série n° 2, n° 68 et 101; DMF 2000, Hors-série n° 4, n° 71; Cass.com. 27 0ctobre 1998, navire »Girolata» : DMF 1998 rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies, p.1129 – DMF 1999, Hors-série n° 3, p. 70, n° 93, obs. P. Bonassies.

122 P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p.718, no 1114. : « Plus qu’un oubli des juges, il faut sans doute voir la une autre manifestation de la rigueur de la jurisprudence».

123 V. I. Corbier, « La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité», préc., p. 103.

124 Cass.com. 27 0ctobre 1998, »navire Girolata», DMF 1998 rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies, p.1129 – DMF 1999, Hors-série, n° 3, p. 70, n° 93, obs. P. Bonassies.

125 Ainsi les Conventions de Varsovie et de Montréal en matière aérienne.

126 Ph. Delebecque, op. cit., n° 685.

127 On observera que la conception de la Common Law l’ a emporté sur la conception française qui exige que la faute du préposé colore la responsabilité de l’entreprise. V. P. Bonassies et Ch. Scapel, op. cit., p. 718, obs. 160 et Ph. Delebecque, « Le projet d’instrument sur le transport international de marchandises par mer», DMF 2003, n° 642.

S’agissant maintenant de l’assimilation de la faute inexcusable à la faute lourde consistant dans l’inexécution d’une obligation fondamentale, l’exemple, le plus topique qui puisse se déduire de l’examen de la jurisprudence est celui de l’obligation du transporteur d’exécuter, de façon appropriée et soigneuse128 les opérations de chargement et de déchargement.

Particulièrement abondante est la jurisprudence sur le cas du chargement en pontée irrégulier129, à savoir le chargement en pontée sans l’accord du chargeur130. En effet, le fait même d’avoir chargé la marchandise en pontée sans l’accord du chargeur ou en dépit de ses recommandations, constituait un comportement fautif caractéristique d’une faute inexcusable131.

Les juges, dans ces arrêts, se sont bien gardés de rechercher si le transporteur a véritablement eu l’intention de provoquer le dommage, ou même si il avait conscience qu’un dommage en résulterait probablement. Si ils l’avaient fait, ils n’auraient sûrement pas conclu à la faute inexcusable dans la mesure où « tout transport en pontée ne génère systématiquement, Dieu merci, un dommage»132.

Toutefois, l’un des arrêts les plus récents de la Cour de cassation133 semble désormais être favorable à une appréciation plus restrictive de la faute inexcusable, mettant un frein à cette conception large de la notion134. La faute inexcusable ne peut, dès lors, plus résulter de la simple constatation du caractère irrégulier du chargement en pontée, du manquement du transporteur à son obligation d’en aviser le chargeur. Pour qu’il le devienne, d’autres éléments, doivent être rapportés.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris, une fois cassé pour défaut de base légale135, a été renvoyé devant la Cour d’appel d’Orléans. Cette dernière136 se prononçant, retient, comme la cour d’appel de Paris, la faute inexcusable du transporteur, mais elle motive, à l’exigence de la Cour de cassation, très scrupuleusement les raisons qui la poussent à retenir cette qualification.

Ce sont la témérité et la conscience de la probabilité du dommage que la Cour d’Orléans a taché de démontrer dans une analyse minutieuse des faits et du comportement du transporteur maritime : prévisions météorologiques de tempêtes sur la route du navire et, donc, exposition certaine à de mauvaises conditions de mer pour un colis sensible à l’humidité et placé sur le pont et à l’avant du navire; impéritie et désinvolture du transporteur qui laisse le soin à l’équipage de tenter une réparation de fortune de l’emballage et refuse d’organiser à la première escale un transfert en cale du colis endommagé, malgré les multiples demandes adressées en ce sens par le capitaine à son armateur; conscience que cela ne pouvait manquer de provoquer la corrosion du matériel par son exposition prolongée aux effets de la salinité de l’eau de mer.

Outre la condamnation de l’inexécution d’une obligation fondamentale, la faute inexcusable, telle qu’elle est appréhendée, peut également induire à sanctionner l’inaptitude du transporteur à accomplir la mission dont il est chargé137, par exemple le comportement aberrant du transporteur138 ou l’incapacité de ce dernier à donner des informations sur la marchandise139, sans examiner si le transporteur avait conscience du dommage qui pourrait en résulter.

Toutefois, cette jurisprudence austère (qui a été abondamment discutée140) dans l’appréciation de la responsabilité du transporteur maritime de marchandises et de son droit à limiter l’indemnisation dont il est redevable, n’est, comme en matière aérienne, pas finale.

En effet, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 février 2006 (141), semble adopter une interprétation subjective de la faute inexcusable du transporteur maritime. En l’espèce, le transporteur n’avait pu assurer la livraison du conteneur dont il avait pris la charge et il était « incapable d’avancer la moindre explication sur les circonstances de cette disparition». Le pourvoi tendait à caractériser la faute inexcusable à partir de la gravité objective du comportement reproché au transporteur, c’est-à-dire à la ramener à la faute lourde.

Au demeurant, il est rejeté et confirme la tendance, déjà indiqué ci-dessus en droit des transports aérien142, de la Chambre commerciale soucieuse des impératifs économiques et débarrassée sur ce point des questions de dommages corporels, en faveur d’une interprétation subjective de la faute inexcusable.

La seule perte d’une marchandise au cours d’un transport ne constitue pas en soi une faute inexcusable interdisant au transporteur de se prévaloir de la limitation de responsabilité prévue par la Convention de Bruxelles. « Le transporteur bénéficie de la limitation dès lors qu’il n’a pas été établi que son comportement procède d’un acte ou d’une omission qui a eu lieu témérairement»..

Néanmoins, cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation n’a pas été unanimement saluée par la doctrine. Ainsi, si le Professeur Philippe Delebecque remarque que la solution, quoique stricte, paraît justifiée143, professeur Martine Rémond Gouilloud réplique qu’il subsiste en effet un malaise.

128 Article 38 du décret du 31 décembre 1966; différente est la solution qui a été retenue en droit anglais lequel refuse de voir dans les dispositions de la Convention de 1924 une obligation analogue à la charge du transporteur.

129 Il est aujourd’hui acquis que la pontée est régulière, lorsqu’elle a été notifiée au chargeur, elle a été mentionnée sur le connaissement et elle a été acceptée expressément par le chargeur, par le truchement de sa signature, a la quelle ne peut nullement être assimilée la signature apposée au verso du connaissement en qualité d’endos ( P. Bonassies et Ch.Scapel, op. cit., p. 617, n° 964 ).

130 Or, il ne suffit pas non plus au transporteur d’avoir chargé la marchandise en pontée régulièrement pour échapper à la faute inexcusable. L’arrêt Teleghma (Cass. com., 7 janv. 1997, navire »Teleghma», DMF 1997, p. 737, obs. Ph. Delebecque; DMF 1998, Hors-série n° 2, n° 68 et 101; DMF 2000, Hors-série n° 4 et n° 71) en illustre en effet un exemple : le transporteur ne peut invoquer le bénéfice d’une pareil clause [autorisant le chargement en pontée] s’il est prouvé que le dommage provient de son fait ou de son omission personnels avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement; en retenant la circonstance de l’exécution du contrat de transport maritime entrepris dans des conditions qui engendraient nécessairement le dommage, dès lors témérairement et avec conscience qu’un préjudice en résulterait, la Cour d’appel a pu estimer que le comportement du transporteur maritime ainsi qualifié ne lui permettait d’invoquer ni le bénéfice de la clause litigieuse, ni la limitation de responsabilité prévue par l’article 28 de la loi du 18 juin 1966. V. aussi dans le même sens, CA. Fort-de-France, 20 déc. 2002, navire »Atlantic Island», RJC 2003, p. 222, obs. Ph.Delebecque.

131 CA Rouen, 18 févr. 1999, navire »Düsseldorf Express», DMF 2000, p. 231, obs. R. Achard : Le connaissement couvrant le transport d’une essoreuse industrielle de La Nouvelle Orléans au Havre portait la mention : « under deck stowage only, do not stow cargo on top of container, use precaution in loading, unloading & stowage». Cette mention fut rayée par le transporteur ou son agent, et l’essoreuse, placée sur un conteneur open top, transportée en pontée, avec des dommages considérables. Malgré l’argument du transporteur que le chargeur était un client habituel, qui savait que la mention under deck qu’il portait sur les connaissements couvrant ses expéditions était systématiquement rayée, la Cour de Rouen a condamné le transporteur, et lui a refusé de se prévaloir tant de la clause de non responsabilité pour les transports en pontée que de la limitation légale de responsabilité, en raison de la faute commise à avoir entrepris le voyage dans des conditions propres à nécessairement engendrer le dommage; V. dans le même sens, CA Versailles, 30 mars 2000 : BTL 2000, p. 541.

132 J-S Rohart et C. Cornuault, « La pontée : une faute inexcusable en droit français ?», Liber Amicorum Roger Roland, Brussel, 2003, p. 372; V. cependant l’arrêt Magda (CA Paris, 12 mai 2000, navire »Magda», BTL 2000, p. 800; DMF 2001, p. 65, n° 79), où la Cour d’appel de Paris a jugé que « la pontée, même non autorisée, sur un navire grumier n’a pas pour résultat de priver le transporteur de toute exception ou limitation de responsabilité en relation avec les pertes favorisées par cette pontée; que pour ce type particulier de transport, connu des professionnels du négoce du bois, l’absence d’information des conditions de chargement et l’omission de les préciser sur les connaissements n’ont pas revêtu le caractère d’une faute lourde ou encore moins dolosive exclusive de toute limitation de responsabilité au sens de la Convention dans sa version de 1924».

133 Cass. com., 14 mai 2002, navire »Ethnos», DMF 2002, p. 620, rapp. G. de Monteynard, obs. Ph. Delebecque : Pour conclure au rejet de cette qualification, le conseiller rapporteur attire l’attention de la Cour sur la spécificité du droit maritime qui implique clairement que la notion de faute inexcusable d’un transporteur maritime doit être d’interprétation stricte : « le droit commun c’est la limitation et non la responsabilité pleine et entière»; G. de Monteynard, op. cit., 2002, p. 247; A. Vialard, L’évolution de la notion de faute inexcusable et la limitation : DMF 2002, p. 579 : « arrêt qui nous induit en tentation de considérer que la Cour est en train de revenir à plus mondiale interprétation de nos textes».

V. en sens inverse, CA Rouen, 9 septembre 2004, navire »Marina Ace», DMF 2004, n° 655, obs. I. Corbier : « Dans un arrêt du 14 mai 2002, la Haute Juridiction semble mettre un frein à la conception large de la notion : la seule circonstance que le chargement en pontée était irrégulier ne suffit pas à qualifier d’inexcusable la faute commise par le transporteur maritime (…) Il aurait été téméraire de se réjouir de voir confirmé le droit fondamental du transporteur à limiter sa responsabilité : la décision commentée ici le prouve. La motivation des juges du fond rend compte de l’inconséquence du transporteur maritime. En vain, cherche-t-on l’idée de risque témérairement pris et assumé par le transporteur : de témérité – c’est-à-dire de hardiesse imprudente – ou de hardiesse – c’est-à-dire d’insolence et d’effronterie –, il n’est ici point question. De faute d’une gravité exceptionnelle ? Pas davantage. En refusant au transporteur maritime le droit de bénéficier de la limitation de responsabilité, la Cour d’appel de Rouen inscrit sa décision dans un courant jurisprudentiel établi qui considère la limitation comme un droit exceptionnel offert à l’armateur, propriétaire ou transporteur».

134 I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» préc.

135 Pour les hauts magistrats, les éléments pris en considération étaient sans doute pertinents, mais ils n’étaient pas, en eux-mêmes, «suffisants» pour caractériser la faute inexcusable.

136 C.A. Orléans, ch. soc., 2 avril 2004, DMF 2004, p. 549, obs. A. Vialard; DMF 2005, Hors -série n° 8 n° 9, obs. Ph. Delebecque; Revue Scapel, 2003, p. 119.

137 A. Vialard : J-Cl, Responsabilité Civile et Assurances : Transport Maritime- Responsabilité du transporteur de marchandises – Limites, Fasc. 465-20 n° 104 et s.; I. Corbier, « Métamorphose de la limitation de responsabilité de l’armateur» préc.

138 Cass.com. 27 0ctobre 1998, navire »Girolata», DMF 1998 rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies, p.1129 – DMF 1999, Hors-série n° 3, p. 70, n° 93, obs. P. Bonassies : « Ayant constaté que le transporteur avait observé une attitude purement passive, alors que, sous une pluie fine, de nuit et sans autre éclairage que celui du phare du navire, le conducteur d’un camion avait tenté d’accéder à la cale du navire en marche arrière, en empruntant de surcroît la rampe de chargement latéralement, la Cour de Paris avait conclu à l’existence d’une faute inexcusable. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre la décision d’appel, en observant que la Cour d’appel avait « pu déduire» des circonstances relevées par elle la conclusion par elle affirmée. Aussi, l’interprétation très ouverte donnée par la Cour d’appel de Paris de la notion de faute inexcusable a été jugée « acceptable».

139 Cass. com., 4 janv. 2000, navire »Woermann Banniere» : BTL 2000, p. 232; DMF 2000, p. 466, obs. Ph. Delebecque; DMF 2000, Hors-série n° 4 et n° 81, obs. P. Bonassies : la Cour de cassation énonce, en l’occurrence, que la carence du transporteur et son incapacité à donner des informations sur la marchandise sont assimilables une faute inexcusable. les pertes des marchandises – inexpliquées par le transporteur – résultaient d’un acte ou d’une omission de sa part qui avait eu lieu témérairement et avec conscience qu’un dommage en résulterait probablement. De la constatation du dommage, était donc induit la faute inexcusable du transporteur. Dans le même sens, CA Nouméa, 1er oct. 1998 : BTL 1999, p. 444. V. cependant, Cass. Com., 7 juill. 1998, navire Atlantic Island : DMF 1998, p. 826, rapport J.-P. Rémery et obs. P. Bonassies : les juges de la Cour de cassation ont censuré l’arrêt de la Cour d’appel en décidant que « Pour refuser aux transporteurs maritimes […] le bénéfice de l’application du plafond d’indemnisation le plus élevé, l’arrêt retient que le fait d’avoir placé en pontée des conteneurs qui auraient dû être chargés en cale constitue une faute commerciale (faute lucrative) – c’est nous qui soulignons-. En se déterminant par ces seuls motifs, sans rechercher si une telle faute pouvait être qualifiée de faute dolosive ou inexcusable des transporteurs maritimes, la cour d’appel n’a pas donnée de base légale à sa décision». La cassation était en l’espèce inévitable, une faute commerciale ne pouvant, sans autre explication, être assimilée à la faute prévue par le Protocole de 1968.

140 V. par exemple les réserves de P. Bonassies et de Ph. Delebecque dans leurs commentaires sous l’arrêt du navire »Woermann Banniere» : « On croyait en effet acquis que la preuve de la faute inexcusable devait être rapportée par celui qui l’invoque. Faut-il désormais, après avoir lu la décision de la chambre commerciale du 4 janvier 2000, se contenter de présomptions, fussent-elles précises et concordantes ? Il est difficile de l’admettre, sauf à vouloir abandonner au juge un pouvoir considérable. Lorsqu’une limitation de réparation est en cause, comme en l’occurrence, il appartient logiquement à celui qui entend la combattre d’établir que la protection accordée par la loi ou par la convention au transporteur n’a plus de raison d’être. Dispenser le demandeur de rapporter la preuve que le transporteur ne mérite plus d’être protégé revient à bouleverser l’équilibre même de la responsabilité telle qu’elle a été conçue par le législateur. Du reste, il a toujours été dit que le seul fait pour le transporteur de ne pouvoir donner d’éclaircissements sur les causes et les circonstances d’une perte ou d’un manquant n’établissait pas l’existence d’une faute caractérisée (c’est nous qui soulignons). Du reste, on pouvait penser qu’il y avait une différence de nature entre la faute inexcusable et la faute lourde et que les concepts n’étaient pas identiques. La faute inexcusable se situe, dans l’échelle des fautes établie en fonction de leur gravité, juste au deuxième échelon, c’est-à-dire en dessous de la faute dolosive. La faute inexcusable, faut-il le rappeler, est une action ou une omission volontaire, d’une gravité exceptionnelle commise avec la conscience du danger qui peut en résulter et qui ne s’accompagne d’aucune cause de justification. La faute inexcusable suppose un comportement téméraire. Elle se distingue dès lors de la faute lourde que l’on définit, en droit des transports, comme « une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il a acceptée».

141 Cass. com., 7 févr. 2006, navire »Touggourt», n° 03-20.963, Bull civ. IV., n° 34; RTD com. 2006, p. 521, obs. P. Delebecque; JCP E 2006, p. 2280, obs. C. Legros; DMF 2006, p. 516, obs. M. Remoud-Gouilloud; DMF 2007, Hors-série n° 11, obs. P. Bonassies; D. eur. Transp., p. 350 et s.

142 Cf supra p. 38. V. aussi, RTD com. 2006, p. 521, obs. P. Delebecque : « Nous observerons ici que la Cour de cassation semble, depuis quelque temps, vouloir reprendre la main. On l’a noté en matière aérienne. On le note encore en matière maritime où, bien que soulignant l’inexécution de l’obligation de livraison du transporteur et son manque d’organisation, la Haute Juridiction refuse de conclure à l’existence d’une faute inexcusable».

143 RTD com. 2006, p. 521; V. aussi, H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 – juin 2006», D. 2007, p. 111, abondant dans le sens de Ph. Delebecque.

144 DMF 2006, p. 516; V. aussi, I. Bon-Garcin, « Les transports, contrats et responsabilités», JCP E 2006, p. 2280 : « Un tel renforcement de la sévérité dans l’appréciation de la faute inexcusable conduit à se demander si cette notion peut être encore mise en œuvre pour écarter les limitations conventionnelles de réparation, aboutissant dès lors à une absence de sanction de l’incurie du transporteur, faute de démontrer une intention dolosive, quasi-inexistante en pratique et de surcroit très difficile à prouve».

145 V. Ph. Delbecque, « La faute inexcusable en droit maritime français», JPA, 2005, p. 328 et s.; DMF 2007, Hors- série n° 11, obs. P. Bonassies; P. Bonassies, Rapport de synthèse, Actes de la 9ème journée Ripert, DMF 2002, p.1085; Cass. com., 14 mai 2002, navire »Ethnos» : DMF 2002, p. 620, obs. Ph. Delebecque : « On est tout naturellement conduit à se demander si ce qui vaut pour le transporteur vaut également pour l’armateur qui, lui aussi, est déchu de son droit à limitation de responsabilité en cas de faute inexcusable. Ici, la jurisprudence ne fait preuve d’aucune magnanimité et retient assez facilement la faute inexcusable du professionnel de l’armement. L’appréciation se fait toujours d’une manière objective, tandis que le degré de diligence requise ne cesse de se rehausser devant les exigences de sécurité».

Bien que la disparition du conteneur litigieux « ne permette pas la qualification de comportement téméraire» de la part du transporteur, l’arrêt d’appel, respectueux de la jurisprudence consacrée, n’en relève pas moins que ce fait démontre une inorganisation de sa part, la disparition « pouvant s’expliquer par un acte frauduleux des personnes dont il répond, ou par une livraison à un autre que le destinataire». (…) Du coup l’on vient à s’interroger sur l’impunité bénéficiant à la négligence grossière d’un professionnel témoignant « d’une incapacité à remplir sa fonction». (…) On voit mal, du reste, pourquoi l’accumulation, négligences et imprudences, n’est pas sanctionnée à ce titre, alors qu’elle seule explique l’inorganisation dommageable144.

Quoi qu’il en soit, le nouveau courant jurisprudentiel, justifié ou pas, de la Chambre commerciale de la Cour de cassation vers une appréciation subjective de la faute inexcusable et l’évolution de celle-ci, au moins en matière de transports, sont, d’ores et déjà, incontestables. Dès lors, la question qui se pose est de savoir si ces évolutions que connaît le droit des transports ne font pas présager un revirement de la jurisprudence en matière aussi de faute inexcusable de l’armateur145.

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