La révolution et les avocats du marais, Histoire de l’avocat

La révolution et les avocats du marais, Histoire de l’avocat

Section II

La révolution et les avocats du marais

Aussi bien l’ouvrage de Lucien KARPIK que celui de Jacques BOEDELS, Avocat à la Cour d’Appel de PARIS, consacré à la justice sous le titre « les habits du pouvoir », s’accordent pour admettre qu’à la fin du XVIIIème siècle, l’Institution Judiciaire s’est sclérosée ; son prestige s’est affaibli auprès des philosophes puis dans l’esprit du public lui-même.

Déjà au XVIIème siècle, La BRUYERE avait condamné la barbarie de la procédure criminelle :

« La question est une invention merveilleuse et tout à fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible et sauver un coupable qui est né robuste ».

Quant à VOLTAIRE, il sera l’apôtre de la tolérance et le pourfendeur de la Magistrature dans son ensemble.

C’est dans un tel contexte que Jacques BOEDELS relève « le paradoxe fut donc que conçue dans ses principes par des avocats, la Révolution leur fût hostile ».

Le principe de « la barre libre » avait été affirmé par une Loi du 16-24 août et cette liberté donnée au citoyen de se défendre lui-même lui était accordé devant le Tribunal de Cassation.

Des avocats étaient suspects pour deux raisons essentielles : ils disposaient du monopole de la plaidoirie et, d’autre part, ils étaient constitués en Ordre.

Or, la Loi le Chapelier et plus tard le décret du 17 mars 1791 portaient un coup fatal aux corporations et associations professionnelles.

Il faut ajouter une réflexion de Jacques BOEDELS qui s’inscrit parfaitement dans la mentalité des avocats lorsqu’il s’agit d’évoquer le corps tout entier et de ne pas mettre en avant les fortes individualités :

« En outre, en homme de robe, les avocats épousaient traditionnellement les querelles des parlementaires.

Leur nombre au sein de l’assemblée (70) et l’autorité morale qui s’exerçait étaient en leur faveur, mais il semble qu’ils furent victimes de leur indécision quant au rôle qu’ils devaient jouer aux fins des futurs tribunaux ».

Cet attentisme relevait peut être de la prudence et de la volonté d’observer l’évolution et le fonctionnement du système avant de s’y insérer.

Cet attentisme et cette prudence qui se sont souvent manifestés, n’ont jamais profité à l’avocat, mais ont simplement permis à l’Ordre des avocats tout entier, bien qu’il faille distinguer l’Ordre des avocats au Barreau de PARIS et chaque Ordre rattaché à un Barreau de province, de traverser l’histoire en ne se heurtant pas trop violemment au pouvoir politique du moment.

Afin de mieux illustrer le contexte dans lequel allait devoir évoluer l’avocat sous la Révolution, Jacques BOEDELS rappelle :

« La Loi de septembre 1790 qui avait établi le costume des juges, greffiers et huissiers, énonça : les hommes de Loi si souvent appelés avocats ne devant former ni Ordre, ni Corporation, n’auront aucun costume particulier dans leur fonction ».

Et le décret du 25 juin 1791 précisa :

« Les titres d’avocat et de procureur sont supprimés : leurs fonctions seront exercées par des défenseurs officieux et des avoués… tout citoyen pourra exercer la fonction de défenseurs officieux ».

Dans son ouvrage consacré à l’histoire du Barreau de Paris, depuis son origine jusqu’à 1830, GAUDRY, ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour Impériale de Paris, rappelle que depuis l’An III (1795) et surtout après la loi du 27 ventose An VIII, les anciens avocats avaient cherché à se réunir :

« Lorsque apparaissaient des hommes distingués par des sentiments d’honneurs, ils les acceptaient et sans former une corporation légale, ils maintenaient les anciennes traditions.

Ils furent appelés avocats du Marais parce qu’un certain nombre d’entre eux habitaient ce quartier de Paris…

En sa qualité de premier secrétaire de la conférence des avocats à la Cour d’Appel de Paris, Jean-Marc VARAUT a prononcé, le 10 décembre 1960, un discours consacré aux avocats du Marais ou « Le Barreau sous la révolution ».

Au moment où l’on demandait l’abolition de l’Ordre des avocats avec les privilèges des métiers, des villes, des provinces, Jean-Marc VARAUT rappelle qu’un seul monta à la tribune pour exalter la gloire et la mémoire de la profession d’avocat.

« Sa figure grise, son air commun, son maintien embarrassé détourne l’attention ».

On n’écouta pas Maximilien Robespierre affirmer :

« C’est là que se conservent les dernières traces de la liberté exilée du reste de la société ; c’est là que se trouve encore le courage de la vérité qui ose proclamer les droits des faibles opprimés contre les crimes des oppresseurs puissants. »

C’est effectivement le 3 septembre 1790, à l’occasion d’un décret ayant pour objet de régler le costume des Juges que l’assemblée constituante mis un terme à l’indépendance des avocats.

Cette indépendance des avocats dit Jean-Marc VARAUT c’est : le premier droit de la défense, le premier besoin de la justice.

En cette période où règne la terreur, une épuration s’installe qui touche des Magistrats et des avocats.

Pour ce qui concerne ces derniers, Jean-Marc VARAUT rappelle :

« Aux avocats succèdent les défendeurs officieux.

Ce nom sans faste, ce métier sans apprentissage, ce ministère sans garantie permettent à une multitude d’hommes nouveaux d’exercer librement les fonctions de défenseur.

Fonctions où la confiance devrait être mieux éprouvée avant de leur livrer la fortune, la liberté, l’honneur d’un homme. Parfois sa vie.

Alors que les avocats au parlement mettaient leur fierté à ne jamais dénaturer la cause qu’ils défendaient, les nouveaux venus mettent la leur à tromper les juges et leur contradicteur.

Juges, défenseurs, plaideurs, tous se soupçonnent et tous s’épient. Les audiences ont l’aspect d’un obscur combat.

C’est dans les cafés, à la régence, au caveau que se donnent les consultations.

C’est là aussi que ces prétendus hommes de loi sollicitent des procès après les avoir suscités.

Sous le nom de « Cabinet d’affaires », ils forment de véritables sociétés qui exploitent les procès comme une branche du commerce.

Il n’était pas rare d’entendre dire : le citoyen Marceau, jurisconsulte, a fait banqueroute. »

Et Jean-Marc VARAUT d’ajouter :

« Le plus grand nombre des avocats inscrits sur le tableau de 1789 quitte le Barreau pour n’être pas confondu avec ces avocats de circonstances. »

Parce que ces avocats soucieux d’une tradition qui préservait leur honneur, assurent la communication intégrale des pièces du procès aux seuls anciens avocats, ils reçoivent des Magistrats le titre modeste et glorieux, déclare Jean-Marc VARAUT, AVOCAT A COMMUNICATION.

Ils seront les avocats à communication pour les magistrats et les avocats du Marais pour le public.

A écouter le discours de Jean-Marc VARAUT, combien les efforts de ces avocats apparaissent dérisoires face à la volonté d’un pouvoir qui considère la défense comme une atteinte à la liberté.

Parce que cette défense pouvait de temps en temps arracher un accusé à la mort, la plaidoirie est dénoncée :

« En donnant des défenseurs aux inculpés, on remet la liberté en cause. »

Et ajoute Jean-Marc VARAUT, « le 26 janvier 1793 une loi impose aux avocats de produire un certificat de civisme pour se présenter à la Barre des tribunaux. »

Et puisqu’il faut clore ce chapitre consacré à une époque où s’entremêlent abjection et grandeur, rappelons que là encore existèrent des hommes tel FOUQUIER-TINVILLE pour faire préparer à l’avance par ses bureaux les jugements, les faire signer par les jurés, les noms étant ajoutés à l’audience et parfois oubliés.

La révolution et les avocats du marais, Histoire de l’avocat

Parce que l’histoire confronte sans cesse le pouvoir comme la force à sa propre lâcheté, il faut encore citer Jean-Marc VARAUT lorsqu’il évoque cette saison d’épouvante.

« L’histoire et la mémoire des peuples lui ont donné un nom dont on n’a pas encore épuisé l’horreur : c’est la Terreur.

« L’instrument de la terreur, ce tribunal servile, Camille DESMOULINS en a donné la formule sanglante, reprise de TACITE :

Ce sont les despotes maladroits qui se servent des baïonnettes. L’art de la tyrannie est de faire la même chose avec des juges. »

Que retenir une fois de plus de cette période sinon que l’avocat, aussi brillant soit-il, aussi courageux soit-il, n’existe pas.

Mais ceux qui auront osé traverser ces épreuves et sauver parfois au péril de leur propre vie, des vies humaines ont eu effectivement le mérite de rappeler la vocation de l’avocat, s’élever seul pour la défense d’une femme ou d’un homme, d’un idéal ou d’un principe, contre la multitude.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Avocat face à 2 mondialisations : les entreprises et les Mafias
Université 🏫: Université PANTHEON ASSAS - PARIS II
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire pour le diplôme d’Université Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines - 1999 – 2000
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