La sécurité sanitaire : les moyens matériels et les limites

B – La définition des moyens matériels de la santé.
Les phénomènes conjoints de la définition des moyens matériels et de la mise en œuvre de la sécurité sanitaire débouchent sur une raréfaction des éléments du corps humain susceptibles de rejoindre le stock des produits de santé, raréfaction qui engendre par ailleurs une prise de valeur de ces mêmes éléments sur le marché, comme en atteste les limites à l’application du principe de précaution.
La définition des moyens matériels est conditionnée par la dotation globale mais elle dépend aussi étroitement de l’état des techniques, dont la fiabilité est éprouvée au titre des réglementations en matière de sécurité sanitaire et dont l’intérêt est mesuré en fonction de l’existence de techniques de substitution (2). Cela dit, les moyens techniques mis à disposition sont étroitement dépendants des besoins de la population dont la mauvaise répartition géographique débouche sur la fuite de moyens de certaines zones au profit d’autres, aboutissant à une régionalisation des compétences pour certains actes (1).
1 – la répartition des compétences entre les régions
Le système de santé qui s’est développé selon ses propres ressorts jusqu’à l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996, mettant en place les LFSS, a permis l’apparition d’une spécialisation croissante des régions et des disparités dans l’accès aux soins et aux services. Depuis l’adoption des LFSS, la répartition de la dotation globale attribuée à chaque région est assurée par le directeur de l’ARH qui coordonne et équilibre l’accès aux soins et aux ressources, en considération de l’objectif de réduction progressive des inégalités de ressources134.
Cela étant, la spécialisation des régions est une réalité qui évolue en fonction de l’attractivité de celles-ci. Une région attractive économiquement attire autant les activités et la population que les praticiens. Ainsi, les moyens ne sont pas exploités de la même façon d’une région à l’autre. Ceci implique que les régions peu attractives engendrent des inégalités d’accès aux soins du fait du sur-chargement des quelques praticiens présents, avec des périodes d’attente pour les soins courants trop longues, ainsi qu’un faible amortissement des plateaux techniques. A l’inverse, dans les régions de forte attractivité on assiste à une sur-exploitation des plateaux techniques, donc un amortissement plus rapide, avec un accès aux soins proportionnel voire supérieur à la capacité de la région et, en conséquence, une demande de soins qui est satisfaite plus rapidement.
Ainsi, la répartition géographique de l’offre de soins est non pas basée sur l’effectif des régions mais sur le poids économique des régions, donc sur l’assurance d’une consommation, ou d’une sur-consommation, de soins dans la mesure où l’offre va susciter la demande. Afin de limiter les dérives mercantiles de l’offre de soins, les politiques de santé développent deux axes. D’abord, elles tendent à rééquilibrer la répartition des professionnels sur le territoire en prévoyant des systèmes d’avantages fiscaux pour ceux qui s’établiraient volontairement dans les régions peu attractives, mais seulement là où la demande de soins est effective. Ensuite, le principe de l’interdiction de rémunération à l’acte empêche les médecins de faire du chiffre sur la quantité, et a pour objectif de faire prévaloir la qualité des soins. En ce sens, l’adoption du système des clefs flottantes135 pour les actes effectués vise à dissuader les praticiens de tourner l’interdiction et à faire en sorte qu’ils ne soient pas enclins à faire du chiffre en bradant leur savoir au plus grand nombre plutôt qu’à délivrer des soins nécessaires et adaptés à chaque cas particulier.
Ce déséquilibre est une des raisons des inégalités d’attribution des ressources effectives et incite à faire de la santé un bien de consommation sans modération malgré les risques que peut représenter une sur-consommation de soins. Ainsi, autant le comportement des professionnels que celui des consommateurs de soins est source d’enchère sur le marché des ressources, en s’affranchissant parfois des limites assignées par les besoins de la sécurité.
2 – les limites de la sécurité sanitaire, l’absence de moyens de substitution
Les réglementations de plus en plus strictes en matière de sécurité sanitaire débouchent sur une évaluation périodique des moyens de santé. Cette périodicité est propice à la délivrance de soins de qualité mais elles peuvent parfois, faute de moyens ou du fait de l’existence de techniques de substitution, déboucher sur le retrait du plateau technique de moyens encore fonctionnels en terme d’efficience diagnostic ou thérapeutique.
Le coût actuel de la sécurité a été et reste largement initié par le recours massif au principe de précaution dans le domaine de la santé publique, notamment lorsqu’il s’agit de l’adoption de thérapeutiques lourdes et de techniques médicales nouvellement éprouvées.
Pour cette raison, les risques inconnus inhérents à l’utilisation de ces techniques ne doivent pas préjudicier aux bénéfices thérapeutiques que celles-ci sont amenées à procurer à la santé humaine, voire à certaines catégories de population pour lesquelles il n’existe pas de produits ou techniques substituables. Il s’agit là de déterminer des seuils de tolérance adéquats, en fonction des critères formulés dans la définition du principe de précaution; l’adoption de mesures effectives et proportionnées à un coût économiquement acceptable. Le critère du coût économiquement acceptable peut néanmoins recouvrir deux acceptions : d’une part, le coût de la mesure au regard du bénéfice attendu pour la santé humaine et, d’autre part, le coût de la mesure pour les industriels qui pourraient parfois préférer abandonner la production d’un produit ou d’une technique, notamment eu égard à la législation relative à la responsabilité du fait des produits défectueux136 et qui s’impose autant aux producteurs privés que publics.
La mise en œuvre de la responsabilité du fait des produits défectueux, qui est une responsabilité pour défaut du produit subordonné à la preuve d’une faute du producteur, intègre la notion d’exonération pour risque de développement. Ainsi, aux termes de l’article 1386-1 « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit lié ou non par un contrat avec la victime » et, au regard du principe de précaution, s’il faillit à son obligation de suivi du produit imposée par l’article 1386-13 du Code Civil. et qui précise que la responsabilité du producteur est engagée si « en présence d’un défaut révélé dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n’a pas pris les dispositions propres à prévenir les conséquences dommageables », il dispose donc d’un délai de dix ans pour prendre les mesures nécessaires, laissant aux autorités concernées un créneau d’autant pour la mise en œuvre du principe de précaution voire pour provoquer la réaction appropriée du producteur. Un système d’exonération pour risque de développement a été prévu par l’article 1386-12 al. 2 du Code Civil. sauf lorsque, au terme de l’article 1386-12 al. 1 du Code Civil., le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci ».
L’obligation de suivi, la responsabilité du fait des produits défectueux implique leur traçabilité. Pour en assurer l’effectivité, cette obligation du producteur se prolonge par une obligation de contrôle de la part des pouvoirs publics, notamment par les canaux préventifs, et de la part du distributeur final, tel que les praticiens – orthodontistes et prothésistes. Le dis
tributeur final du produit peut être amené à répondre du défaut du produit qu’il a prescrit par la mise en œuvre solidaire de la responsabilité du fait des produits défectueux, surtout selon l’article 1386-8137 du C. Civ., lorsque le praticien a apporté la dernière valeur ajoutée au produit ou s’il a procédé à son incorporation dans le corps de la victime du dommage.
Cependant, l’opportunité de la mise en œuvre de la responsabilité repose parfois sur des considérations inaccessibles et le recours à la mesure ultime de retrait ou d’absence de retrait d’un produit pour vice de celui-ci est étroitement fonction de l’existence ou non d’un produit substituable. Dans la mesure où il existe un produit substituable, la mesure de retrait pourra intervenir facilement, l’Administration chargée de cette mission, l’AFSSAPS au titre de l’article L. 5312-1 du CSP138, n’ayant qu’à relever un défaut de fabrication de tout un stock de produits pour demander le retrait et la destruction de ces éléments139.
Ainsi, lorsqu’il n’existe pas de produit substituable sur le marché, la responsabilité du producteur ou du distributeur est affaire de circonstances, notamment il suffit de se référer à l’affaire du sang contaminé. La réaction des transfuseurs et des patients face à la mesure de précaution a été intimement guidée par l’insuffisance des stocks des produits sanguins. L’utilisation des stocks malgré la connaissance du risque ne fait que refléter l’appréciation de l’adéquation de la mesure par les transfuseurs. Cette opposition à la décision de sélection de donneurs a été fortement tributaire de l’inexistence de produits de substitution. Ainsi, dans les paramètres de la décision, les décideurs publics ont pris la responsabilité d’une mesure jugée proportionnée en invitant à une sélection systématique des donneurs et en rejetant l’option radicale qui consistait à arrêter les transfusions et condamner automatiquement les patients nécessitant l’administration d’un produit sanguin. La légitimité de la décision, pour les transfuseurs, s’analysait avant tout en terme de manque de donneurs bénévoles, et ensuite en terme de produit non substituable. Il fallait donc faire face à cette double carence en pénalisant le moins possible les patients. L’observation ultérieure de la mesure a été davantage admise du fait même des recours en responsabilité engagés contre les pouvoirs publics.
La précaution indique de répondre au devoir d’informer de manière complète sur tous les effets secondaires d’un produit et commande une utilisation encadrée et limitée à une catégorie de patients afin d’aménager une exception face à une mesure jugée trop radicale pouvant porter préjudice aux intérêts des patients et, éventuellement, révélant une rupture d’égalité avec les autres patients alors qu’il n’existerait pas d’autre alternative. Ainsi faire de l’information et du consentement des moyens d’exonération semble être antithétique par rapport à la recherche d’une plus grande protection de la santé humaine, ils seraient les moyens derrière lesquels pourrait s’évanouir l’aspect collectif de la santé publique au profit des volontés individuelles, méprisant de la sorte le bien commun.
Ainsi, la conjugaison des règles de répartition des moyens matériels et financiers avec les réglementations relatives à la sécurité explique pour partie les difficultés rencontrées pour l’approvisionnement de certaines structures en ressources thérapeutiques et pour l’attribution équitable de celles-ci.
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(La vénalité des éléments du corps humain)
Mémoire réalisé en vue de l’obtention du MASTER droit filière recherche, mention droit médical
Université DE Lille 2 – Droit et santé – Faculté des sciences juridiques, politiques et sociale
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134 PELLET (R.), Les lois de financement de la sécurité sociale, Juris-Classeur fasc. 204, 1er mars 2001.
135 PELLET (R.), Les lois de financement de la sécurité sociale, Juris-Classeur fasc. 204, 1er mars 2001Mécanisme créé par la LFSS, le dispositif des clefs flottantes consiste à faire en sorte que « si le nombre d’actes réalisé par les praticiens génèrent une dépense d’assurance maladie excessive, incompatible avec l’enveloppe fixée en référence à l’ONDAM, le tarif unitaire des actes peut être réduit jusqu’à 20% ».
136 Code Civil., art. 1386-1 à 1386-18.
137 Code Civil., Art. 1386-8 « En cas de dommage causé par le défaut d’un produit incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a réalisé l’incorporation sont solidairement responsables ».
138 CSP, Art. L. 5312-1 « [l’AFFSAPS] peut suspendre les essais, la fabrication, la préparation, l’importation, l’exportation, la distribution en gros, le conditionnement, la conservation, la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux (…) lorsque ce produit ou groupe de produits, soit présente ou est soupçonné de présenter (…) un danger pour la santé humaine ».
139 CSP, Art. L. 5312-3 « (…) l’agence peut enjoindre la personne physique ou morale responsable (…) de procédé au retrait du produit ou groupe de produits en tout lieu ou il se trouve, à sa destruction lorsque celle-ci constitue le seul moyen de faire cesser le danger (…). Le cas échéant, les mesures (…) peuvent être limitées à certains lots de fabrication ».

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La vénalité des éléments du corps humain
Université 🏫: Université DE Lille 2 – Droit et santé Ecole Doctorale n° 74 - Faculté des sciences juridiques, politiques et sociale
Auteur·trice·s 🎓:
LAPORTE Sylvie

LAPORTE Sylvie
Année de soutenance 📅: Mémoire réalisé en vue de l’obtention du MASTER droit - Filière recherche, mention droit médical 2003-2018
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