Syndicalisme, mutualisme et solidarité du social à l’économique

L’émergence de l’économique – Chapitre 2 :
Syndicalisme et mutualité se sont affirmés dans la pensée sociale dominante à la fin du XIXe siècle. Ce besoin de structures sociales découlait des conséquences désastreuses sur la population ouvrière, tant du point de vue professionnel que du point de vue sanitaire et social, de l’émergence d’une donnée économique s’exprimant au travers de la Révolution industrielle.
Aujourd’hui, l’économie est une variable essentielle voire primordiale. Toutes les composantes de la société tendent vers une perspective économique qui semble être inéluctable. Cette évolution ne donne pas l’impression de vouloir épargner les mouvements syndicalistes et mutualistes.
En effet, syndicalisme et mutualisme présentent certains travers tendant à confirmer un basculement dans la sphère économique. Si l’on peut comprendre que dans une société où tout semble voué à entrer dans le domaine économique le social n’y échappe pas, ce nouvel état de choses présente cependant un certain nombre de risques.
Section 1- les dérives économiques des mouvements sociaux
Le syndicalisme et le mutualisme sont les deux principaux mouvements sociaux de notre pays. Ils ont toujours œuvré dans le sens d’une réduction sinon d’une disparition des inégalités sociales. Dans la plupart des cas, celles-ci sont la résultante de la situation économique du moment. A ce titre, les structures syndicales et mutualistes n’ont jamais ignoré l’économie mais se sont plutôt placés comme des rectificatifs à celle-ci.
Il semble aujourd’hui que le rapport entre les mouvements sociaux et l’économie change de nature. Syndicalisme et mutualité présentent tous deux différents aspects témoignant de l’entrée de l’économique dans la sphère même du social. A côté d’une logique de solidarité se développe une logique de l’utilité, modifiant par là même le rapport des organisations à leurs membres. Si cette tendance est présente tant dans l’univers syndical que dans l’univers mutualiste, c’est au sein de ce dernier que cette question revêt une importance particulière et génératrice d’un débat vif et passionné.
§1-Du social à l’économique
Nous l’avons vu, syndicalisme et mutualité se sont développés en faisant de la solidarité un principe directeur essentiel. Ce choix de la solidarité contribue à inscrire ces deux mouvements dans une approche profondément sociale. Depuis quelques temps, cependant, il est apparu au sein de ces structures des comportements qui témoignent d’un certain rapprochement avec l’économie. Il semblerait qu’à la solidarité, pourtant toujours revendiquée comme objectif principal, se substitue peu à peu l’utilité, bouleversant ainsi les rapports existant entre le syndicalisme, le mutualisme et leurs adhérents respectifs.
Au sein du syndicalisme, l’idéal d’identité collective est en train de s’effacer au profit d’un certain clientélisme, alors qu’au sein de la mutualité, la solidarité doit faire face à une exigence de plus en plus accrue des sociétaires.
A- Le syndicalisme face à l’utilitarisme
Les syndicats ont-ils cessé d’être « un lieu de sociabilité, d’échange d’idées et de production de vision du monde 66 » ? La question peut aujourd’hui être posée en ces termes tant il semblerait que le syndicalisme ne produise plus une identité collective automatique.
En effet, le sentiment de destin commun et d’identité que faisait naître le phénomène syndical a laissé la place à un nouveau type de rapports entre le syndicalisme et ses membres. Ce rapport peut être qualifié d’utilitariste en ce sens où les syndicats apparaîssent être pensés comme un simple outil, un instrument au service de ses membres et en vue de satisfaire des besoins plus individuels que collectifs. La relation unissant l’adhérent et le syndicat est devenue plus instrumentale, moins personnelle. Aux dires de Pierre Rosanvallon, le syndicat n’est plus qu’un outil, « outil technique pour tirer les tracts, fournir des salles de réunion et des lignes de téléphone, outil organisationnel pour mener une négociation et transmettre des demandes67 ».
Aujourd’hui, plus de la moitié des adhésions nouvelles sont des adhésions de type utilitaristes. C’est le besoin d’information ou de défense qui a conduit l’individu à s’adresser au syndicat et l’adhésion est la contrepartie de cette aide68. La recherche d’un collectif, d’une communauté n’est plus le motif d’adhésion par excellence. La notion d’adhérent tend à s’estomper. Il est beaucoup plus un client. Si les deux termes ne sont pas synonymes, la proximité entre eux se fait de plus en plus sentir. Un certain nombre d’individus se tournant vers le syndicalisme le fait dans une perspective marchande.
Ainsi, dans cette perspective, ce n’est plus une défense collective que les individus attendent mais bel et bien la défense de leur situation personnelle. Ce qui compte c’est le profit que l’individu va retirer de son adhésion. Nous sommes ici dans une véritable logique d’échange et même d’échange personnalisé et individualisé.
Pourquoi un tel rejet face à la figure collective qu’offre le syndicalisme ? Faut-il relier ce phénomène à un regain d’individualisme voire d’égoïsme ? Il est vrai que nous nous trouvons bien loin de l’idéal de solidarité qui, en théorie, préside toujours à l’activité syndicale. Cet idéal n’a certes pas complètement disparu mais il est en concurrence avec un besoin d’efficacité individuelle et de recherche de profit personnel. Les adhésions se font de plus en plus précaires, conjoncturelles. L’adhérent recherche moins une manifestation d’appartenance sociale qu’une réponse à sa réalité particulière69.
Ainsi, le syndicalisme doit désormais faire face non plus à une demande collective de défense mais à une multitude de demandes individuelles. Certains y voient un regain de l’individualisme. Pour d’autres, ce n’est que l’expression d’une tendance naturelle de l’homme à rechercher son propre profit. Pour d’autres, encore, la faute est à rechercher du côté du syndicalisme lui-même qui n’a pas su s’adapter aux nouvelles réalités de la société. Mais n’est-ce pas tout simplement la résultante d’une société que tout tend à rendre de plus en plus marchande et donc économique ? Quoi qu’il en soit, le syndicalisme s’engage sur une pente qui semble le conduire inexorablement vers une dimension où l’économique prédomine. Cette tendance paraît se confirmer puisqu’un phénomène similaire touche la mutualité.
B- Le mutualisme face à la concurrence
La mutualité intervient dans des domaines divers. Outre la protection maladie proprement dite à savoir le remboursement ou la fourniture de soins en cas de maladie, la mutualité a développé son intervention par le biais d’œuvres sanitaires et sociales mais également par des activités de prévoyance. C’est dans ce domaine que les structures mutualistes ont à subir les assauts de la concurrence notamment des compagnies d’assurances.
Les activités de prévoyance mises en place par la mutualité visent les contrats individuels ou collectifs prévoyant le versement de sommes afin de compenser la perte de revenus dans le cas d’une interruption de travail consécutive à la maladie, au décès ou à la survenance d’un accident. Le marché de ce type de prestations est considérable dans la mesure où la législation obligatoire est encore insuffisante.
Les premières difficultés intervenues entre la mutualité et les compagnies d’assurances datent de 1965. Les entreprises désirant protéger des groupes de salariés devaient, afin d’obtenir la couverture du ticket modérateur et de la prévoyance, s’adresser à des sociétés mutualistes différentes. Les comp
agnies d’assurances, avec le développement des conventions collectives incluant des accords de prévoyance, entrent dans les entreprises.
Les choses se précipitent à partir de 1967. A cette époque, le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique recherche un accord global de prévoyance. La mutualité n’ayant pas la possibilité de prendre en charge autant de salariés, le SNIP s’oriente vers une compagnie d’assurance. La mutualité se doit de réagir. De 1967 à 1975 se succèdent divers systèmes afin de garantir la mutualité sur le terrain de la prévoyance. Le principal de ces systèmes est la création du Mutex ou Mutualité expansion qui consiste en un véritable label commercial de diffusion des produits avec pour assises juridiques et financières les structures mutualistes fédérales. En 1978, divers accords sont signés entre la mutualité et les instances syndicales avec pour principal objectif de « soustraire la prévoyance au secteur du profit70 ».
En dépit de la signature de ces accords, la concurrence se fait toujours sentir avec autant de force. La prévoyance est perçue comme ne relevant pas du secteur de la santé et donc plutôt du domaine de l’assurance. Les mutuelles se retrouvent par conséquent en concurrence avec les compagnies d’assurances, mais aussi avec des banques et diverses autres institutions financières. Pour conquérir le marché, tous ces groupes n’hésitent pas à proposer leurs prestations à des coûts inférieurs à ceux pratiqués par les mutuelles. Les prestations mutualistes ne sont en effet pas toujours très compétitives et il est aisé de proposer une tarification plus favorable. Ce type de pratiques a amené les groupements mutualistes à se centraliser afin de proposer de meilleures prestations à moindre coût. Par là, ceux-ci commencent à entrer dans logique commerciale d’où il est difficile de sortir.
D’une nature à l’origine éminemment sociale, syndicalisme et mutualité glissent chacun à leur manière dans la sphère économique. En ce qui concerne le syndicalisme, l’utilité a supplanté en partie la solidarité mettant ainsi en défaut la création d’identité collective. Pour ce qui est de la mutualité, la concurrence à laquelle elle est soumise depuis maintenant près de quarante ans l’a conduite à adopter des comportements plus ou moins marchands afin d’accroître sa compétitivité. Le mutualisme est entré dans un système de dérives assurantielles.
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Syndicalisme et Mutualité
Mémoire de DEA de Droit Social – Université Lille 2-Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
_________________________
66 BODE (I.), « Le difficile altruisme des groupes d’intérêt, Le cas du syndicalisme CFDT et de la Mutualité ouvrière », R.Franç.socil. XXXVIII, 1997, p.271.
67ROSANVALLON (P.), op.cit., p.35.
68 ANDOLFATTO (D.), LABBE (D.), op.cit., pp.15-16.
69 ROSANVALLON (P.), op.cit., p.38.
70 BENHAMOU (J), LEVEQUE (A.), op.cit., p107.

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