La cité par projet, structure de SEL

La cité par projet, structure de SEL

VI. la ci2té par projet ou la grandeur que confèrent les liens aux personnes et aux choses

Le modèle qui rend le plus fidèlement compte de l’agencement du système c’est le réseau. La structure de BruSEL est en effet horizontale, réticulaire, rhizomique. Elle se déploie en un agencement changeant et modulable de connexions.

Les êtres interconnectés – loin de s’y maintenir dans un état fixe, défini une fois pour toute – sont perpétuellement redéfinis. Leur grandeur dépend moins de leur place ou de leur état dans le réseau que de leur aptitude à changer d’état, à faire naître des choses nouvelles, à engendrer un projet.

Le réseau nécessite des relations de confiance stables et durables. Mais BruSEL se distingue de la cité par projet en ceci (i) qu’il local, enraciné en un lieu géographique, et (ii) qu’il est composé d’un grand nombre de personnes passives, rétives à participer aux échanges et aux réunions.

Bien que dans ses principes de fonctionnement BruSEL soit un réseau, dans les faits – à cause d’une évidente carence de participation de la part des membres – il a parfois tendance à se transformer en une structure hiérarchique.

Principe supérieur commun : Activité (aptitude à projeter, étendre le réseau)

i. au niveau individuel

Le dynamisme, l’enthousiasme, la motivation sont des qualités généralement appréciées à BruSEL. Qu’il soit motivé par un intérêt propre ou par un goût pour le dévouement, le fait d’y être actif est perçu comme quelque chose de particulièrement valorisant et positif. En cela, BruSEL ne se distingue en rien des autres SEL, puisque comme le précise Smaïn Laacher (cf. supra), l’activité est le principe de référence selon lequel sont jugés les êtres, le principe par lequel on leur dispense de la grandeur.

ii. au niveau du système

C’est un principe mentionné par presque tous les répondants : le système doit tourner, il faut stimuler les échanges, amener les membres à participer. Le système doit s’ouvrir, étendre ses possibilités, faire en sorte que ses liens prolifèrent etc.

État de grandeur : Engagé, engageant, mobile, flexible, enthousiaste

La grandeur se mesure ici en fonction de la capacité des êtres à étendre et à renforcer le réseau. Il semble que la p.i. 12 soit ainsi l’archétype du « grand » sujet de la cité par projets : elle a permis l’informatisation du réseau, elle est aussi un des membres – sinon le membre – le(s) plus actif(s). Enfin, elle se donne pour tâche de ‘motiver’ les autres, de redynamiser le réseau, et perçoit BruSEL comme un instrument destiné à changer les mentalités.

Dignité : Le besoin de se lier

« Le lien vaut plus que le bien » : C’est le « contact humain qui est recherché plus que le service » [2.506] affirment certains. Le fait de tisser des liens est – comme nous l’avons déjà précisé dans le chapitre précédent – la motivation principale de la plupart des membres. Certains vont jusqu’à dire que c’est là l’essence même du groupe. Rencontrer les gens est quelque chose de plus fondamental que le fait d’échanger des services et de participer aux discussions en assemblée.

« Je dirais le contact, le contact est plus humain parce que dès le début… la preuve c’est qu’on se dit tu alors que je t’ai jamais vu et toi non plus, alors que je pourrais certainement être ta grand-mère (rire). Et ça je trouve ça très précieux quoi.

Comment on perd du temps avec toutes les contingences …. Euh d’éducation bien sûr et d’…Donc c’est plus le … je dirais comme contact direct, et plus disponible, sauf si la personne n’avait pas le temps, en disant « je te donne qu’une heure parce que ce soir j’ai autre chose ». Ici on sent la personne disponible, en tant que personne, pas en tant que fonction mais en tant que personne donc moi » [14.198].

Mais le « besoin de se lier » est parfois critiqué : « Je sentais que parfois, derrière la demande de service, il y avait une demande de contacts humains des gens en détresse, qui ont pas beaucoup d’amis ou de gens à qui parler (…) parfois j’ai refusé parce que je m’sentais pas trop l’envie de jouer un rôle qui me convenait pas ; c’est-à-dire d’être une oreille ». [5.242].

Répertoire des sujets : Médiateurs, chefs de projets

Ici, on ne parle pas de chefs, mais de coordinateurs : les membres de la coordination sont les membres de BruSEL élus par l’AG qui endossent les responsabilités liées au fonctionnement et au bon développement du SEL. On essaye généralement d’assigner à quelqu’un la responsabilité du bon fonctionnement de chaque équipe-système.

Ils tâchent entre autres de faire en sorte que les gens tournent : c’est-à-dire qu’ils mettent en place les conditions nécessaires pour que l’offre de chacun puisse combler les besoins de chacun : outils de communication, réunions, fêtes, AG etc.

Ils font en sorte que des connexions puissent aisément se faire entre membres. C’est essentiellement en cas de conflit qu’il sera véritablement question d’avoir recours à des médiateurs. Pour éviter le conflit, il est nécessaire de bien préciser la demande.

A côté de la dizaine de membres résolument engagés dans la coordination du SEL, il existe des membres très actifs de par leurs échanges mais généralement absents des Assemblées. Enfin il y a des membres moins actifs ou totalement inactifs tant dans la coordination que dans les échanges.

Ce sont souvent ces membres-là qui critiquent le plus fermement l’inertie ou le manque de dynamisme du système. Les coordinateurs ont coutume de leur répondre que la communicabilité dans le groupe dépend non pas de la décision de quelques-uns mais de l’ouverture et du dynamisme de tous.

Répertoire des objets : Instruments de connexion

  •  Les instruments informatiques : Le Site, Bab-el-cyber, les ordinateurs, l’e-mail, Internet
  •  Le téléphone : c’est l’instrument de connexion le plus important avec le bottin
  •  Les instruments-papier : Le bulletin/bottin, les chèques, les folders
  •  Autres : Réunion d’information, Radio, affiches, TV, Indication sur les mouvements des comptes

Formule d’investissement : Adaptabilité

BruSEL ne peut pas être compris indépendamment du contexte d’une société du travail où le travail se fait rare. Les individus mis systématiquement en marge du marché du travail, ou insatisfaits de celui-ci peuvent en venir à vouloir organiser une vie sociale en marge, aux interstices du système. Aux dires de nos répondants, c’est très précisément ce que fait BruSEL : combler les petits trous qu’il y a dans le système dominant.

Il arrive régulièrement que les membres actifs se redéfinissent, c’est-à-dire qu’ils changent ou allongent la liste des services qu’ils proposent afin de mieux répondre aux demandes au sein du SEL [4.136, 8.69, 8.77, 8.129]. C’est apparemment contradictoire avec un message qu’on semble vouloir faire passer aux bruseliens et qui consiste à dire « ne vous adaptez pas à n’importe quoi !», « faites ce que vous aimez et ce que vous savez faire !».

Ce qui les fait sortir de la contradiction c’est sans doute ceci : ce que les membres aiment par-dessus tout dans BruSEL c’est le fait qu’il offre l’opportunité de créer du lien. Ceux qui sont peu demandés sont donc naturellement et spontanément portés à se redéfinir (entre autres grâce au service de conseil en matière de choix de services). Cette redéfinition les fait s’éloigner de leurs choix initiaux mais leur permet de répondre avec plaisir à une demande réelle des bruseliens. On entend néanmoins des témoignages du style « me

s capacités ou mes envies ne rencontrent pas ces personnes insatisfaites » [10.250].

Rapports de grandeur : Connecter, s’ajuster, communiquer :

« C’est un agencement de connexions » confie un des répondants en paraphrasant Gilles Deleuze [10.609]. BruSEL met en œuvre les conditions nécessaires à ce que des clics de communication se fassent», à ce que les gens communiquent et échangent dans toutes les directions, à ce qu’ils fassent découvrir et transmettent ce qu’ils ont.

Relations naturelles : Connexions

Nous avons expliqué plus haut que le fait de « tisser des liens » est perçu par beaucoup de bruseliens comme une des fins sinon la fin fondamentale(s) du système. Ainsi, c’est souvent pour « rencontrer des gens » qu’ils prennent part aux activités SEL, et c’est de toute évidence de ces rencontres (interpersonnelles ou collectives) que la plupart des membres tirent le plus de satisfaction.

L’établissement de ces relations nécessite que les gens se livrent une confiance mutuelle. Mais elle prend du temps à s’installer ; c’est une tâche difficile que d’obtenir un système où les gens se connaissent et tournent tous, et cela pour la bonne et simple raison qu’on ne peut pas forcer les gens à participer.

C’est-à-dire que cet espace de confiance que les coordinateurs tentent d’élargir et de renforcer ne doit jamais contraindre personne à agir contrairement à sa volonté : les liens qui unissent les selistes sont simplement des relations d’entraide contractuelles. Ce ne sont donc généralement ni des liens intéressés de type marchand ni des liens d’affection de type familial. Il s’agît en l’occurrence de rapports désintéressés, conviviaux et ‘désactivables’, c’est-à-dire épurés de tout sentiment de dette ou d’obligation.

Les répondants expriment cette idée en soulignant le fait qu’on est toujours libre de dire « non ». Les contacts n’impliquent donc pas nécessairement que soit maintenue une relation suivie avec les personnes ; ils peuvent être mis de côté et activés au moment opportun. Ce sont par conséquent des connexions au sens précis où Boltanski et Chiappello les entendent, des liens mis en veille et susceptibles d’être réactivés.

« Au départ moi je me disais ben si en plus tu peux rencontrer des chouettes gens et t’faire un réseau d’entraide… c’est un peu le rêve comme ça tu vois, bon après tu gardes ou tu gardes pas contact souvent tu gardes pas… » [13.317].

Figure harmonieuse : le réseau

Les relations du réseau ne sont pas bilatérales mais multilatérales. On n’attend pas du destinataire d’un service qu’il nous rende la pareille. Cela génère des relations souples et non-coercitives. Se retrouver dans ce réseau, c’est avoir la liberté d’activer des connexions en cas de besoin: c’est un recours intéressant, quelque chose de rassurant qui améliore la qualité de vie de chacun sans contraindre personne.

Épreuve modèle : La fin d’un projet et le début d’un autre

Que ce soit faute d’argent, de temps, ou de contacts sociaux, des personnes peuvent se voir dans l’impossibilité de s’attribuer un projet propre. BruSEL peut être un remède partiel à cette situation-là, c’est du moins ce qui transparaît au travers des témoignages de certains répondants. Il s’agit souvent de se questionner sur la motivation qu’on a à faire ce qu’on fait, d’échapper aux étiquettes, de se redéfinir et de se dire « oui, je ne suis pas uniquement quelqu’un qui a un diplôme et qui sait faire ça » [8.93]. On se dévoile ainsi à soi-même ce qu’on sait, ce qu’on aime et ce qu’on veut faire.

Mode d’expression du jugement : Participer

Dans le cadre des échanges, on ne se comporte pas avec la personne qui nous donne le service comme un consommateur se comporterait avec son client. C’est-à-dire que le destinataire du service participe, il est actif, il s’investit. A BruSEL, la participation minimale consiste à donner son soutien, à accorder son appui, à manifester sa solidarité à l’égard du projet (sans pour autant participer aux échanges). Cette participation de principe dérange certains de ceux qui souhaiteraient redynamiser le système : en se contentant de soutenir on va en effet à l’encontre de l’idée de départ qui est l’échange.

Par delà les échanges de personne à personne, les membres de la coordination souhaitent que chacun se sente engagé concrètement au niveau de l’organisation. Il y a une disposition de la charte (cf. art. 3) qui est sensée aider à cela et qui prévoit qu’un des quatre services proposés par le nouvel adhérant soit un service au système lui-même.

On est reconnaissant envers les gens qui participent beaucoup, qui donnent de leur temps au système mais on se sent aussi parfois mal à l’aise de recevoir cela d’eux sans participer soi-même au fonctionnement. Mais même sans faire partie de la coordination, les selistes peuvent en venir à avoir des initiatives personnelles qui dynamisent le SEL, permettent que des activités se fassent (accueillir chez soi la tenue d’une réunion, amener quelque chose à une bruselienne).

Mais le constat est parfois que ce sont souvent les mêmes qui portent, qui se donnent, tandis que d’autres ne font rien. Ainsi, aux yeux de certains, la fracture qui menace le plus serait celle qui ferait la part entre d’un côté ceux qui demandent et de l’autre ceux qui offrent. Cela pourrait – dit-on – amener des dérives, soit une prolifération de comptes en négatif désaffectés.

Formule de l’évidence : Etre appelé à participer

Les membres du comité de coordination se donnent pour tâche de pousser les membres à participer, de les motiver, de les impliquer, de les faire se sentir concernés, voire de les initier à l’envie d’aller vers l’autre et à l’envie de donner. Et tout cela se fait par le dialogue ; mais il faut garder à l’esprit que chacun est libre de faire ce qu’il veut. C’est donc spontanément qu’on se propose de participer à la coordination. Ainsi on peut entendre l’actuel trésorier affirmer ceci : « Quand le comptable a jeté l’éponge et qu’il a fallu un autre je me suis proposé tout naturellement » [6.392].

Malgré les initiatives des membres de la coordination, certaines personnes se plaignent de ne pas être sollicitées par la coordination ; pas même pour les services aux systèmes. Puisqu’elles ne sont jamais demandées elles en concluent que le système ne marche pas, ne tourne pas. Selon certains membres, afin d’être réellement demandés, sollicités, il est indispensable de prendre un minimum d’initiatives personnelles : Ainsi il y eut débat avec les inactifs ; à leurs objections, les coordinateurs répondaient ceci : « et vous, avez-vous demandé ? », « êtes-vous allé aux réunions ? ».

État du petit et déchéance de la cité : Inengageable, inadaptable, autoritaire, rigide, immobile, local, enraciné, intolérant, tueur de réseau

A BruSEL comme dans la cité par projet, on dévalorise tout ce qui peut s’apparenter à de la hiérarchie, de l’apathie ou a une attitude fermée, rigide et asociale. A côté de cela, BruSEL possède également des traits contraires à l’esprit de la cité par projets : essentiellement son caractère local. Mais il est ici très intéressant de noter qu’en conséquence de l’informatisation du réseau, il commence à être question d’échanges interSEL. C’est-à-dire que par voie informatique et grâce à l’initiative de la p.i. 12, il sera bientôt possible pour les bruseliens d’échanger toutes sortes de services avec, prenons, le SEL de Villers-la-Ville. Bref, il y a chez certains bruseliens une volonté d’élargir le réseau par-delà les limites de la vil

le de BruSEL. Cet élargissement permettrait de voir s’étendre la gamme des services proposés.

Selon Boltanski et Chiappello, la déchéance de la cité par projet c’est la fermeture du réseau, le fait que l’on cesse d’y projeter des activités et d’y tisser des liens. Encore une fois il est clair que ce modèle est adéquat à la compréhension de notre objet, car en effet, les problèmes qui génèrent le plus d’inquiétude au sein de BruSEL sont l’inertie et la fermeture : les comptes aberrants en négatif, l’absence d’échange et de participation, le phénomène par lequel quelques membres en viennent à tourner en circuit fermé, de rester à zéro etc.

… mais pas nécessairement tous actifs au niveau des échanges

Les coordinateurs recourent souvent de petites ruses pour faire communiquer les nouveaux membres qui ne communiquent pas ou pour motiver les membres à échanger avec les nouveaux. Pour ce faire, ils ont changé l’ordre numéros dans le bottin, en commençant par les plus nouveaux.

La p.i. 2 perçoit BruSEL comme un pur réseau, qu’aucun projet ne doit contraindre. Elle parle ainsi d’échange pur, c’est une position qui ne rencontre pas l’adhésion de beaucoup de membres.

Aux gens qui se plaignent du mauvais fonctionnement du système, les membres de la coordination répondent : « si vous voulez que ça marche mieux, venez nous aider à assurer le fonctionnement » [4.475]. Mais c’est là une perspective qui rebute certaines personnes ; c’est un travail parfois perçu comme lourd et contraignant. De fait on s’y engage moins par plaisir que par ‘dévouement’ ou par ‘engagement citoyen’ pourrait-on dire. « On pourrait dire ben fait le toi-même ! Ben non, je n’vois pas pour quoi je m’taperais de choses pour lesquelles j n’me suis pas engagée » [7.302]

« Je considère ça comme un échec, un membre qui a trouvé chouette la philosophie, et puis il est resté à zéro et puis il s’est dit « maintenant ça fait trois ans qu’il s’est rien passé, ça sert à rien quoi… donc je m’en vais. Ca je crois que c’est le pire échec qu’il peut y avoir dans notre philosophie » [6.505].

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