Qu’est-ce que BruSEL ? Histoire de BruSEL et Esprit des fondateurs

Qu’est-ce que BruSEL ? Histoire de BruSEL et Esprit des fondateurs

Partie empirique – L’action sociale au sein de BruSEL

I. Qu’est-ce que BruSEL ?

1. Histoire de BruSEL

Le BruSEL est né à Bruxelles au milieu des années nonante sous l’impulsion d’un groupe de philosophes de l’ULB et de militants issus d’un groupement politique nommé « gauches unies ». Ils transposèrent leurs principales aspirations politiques et éthiques dans l’article 1 de la future charte :

Le BruSEL est un Système d’Echange Local dont l’objet est de permettre un échange de services entre ses membres sur une base égalitaire dégagée de considérations financières, et de contribuer par là au renforcement d’un tissu social local qui ne reproduit ni les rapports sociaux ni la hiérarchie des qualifications tels qu’ils existent sur le marché du travail.

En septembre 1996, sur base des principes du LETS info pack, le projet prend forme. Le nouveau SEL acquiert le statut d’association de fait et prend le nom de BruSEL. Afin de mieux saisir l’esprit des débuts, il est nécessaire de nous ramener aux idées promues au sein du groupement politique « Gauches Unies », auxquels la majorité des fondateurs étaient rattachés. Pour cela, nous renvoyons à un article de P. Delwit et J.-M. De Waele intitulé « La gauche de la gauche : le parti communiste, le parti du travail, le parti ouvrier socialiste et gauches unies » .

2. L’esprit des fondateurs

Une grande part des membres fondateurs faisait partie de « Gauches Unies » (où l’on retrouve Lise Thiry, Isabelle Stengers, Eliane Vogel-Polsky). Ce mouvement a disparu dans les années nonante à cause des divergences d’opinion qui régnaient en son sein : il y avait des tensions entre ceux qui étaient intéressés par la diffusion d’un discours militant et ceux dont le militantisme devait consister en un recours à de nouvelles pratiques de discussion et d’entraide. Ce sont essentiellement des membres issus de cette seconde mouvance qui seront séduits par le principe du SEL et se décideront à en lancer un dans la ville de Bruxelles.

2.1. Changer ensemble les manières de penser, de sentir et d’agir

L’objectif poursuivi par les initiateurs du projet BruSEL était très clairement politique : il s’agissait de mettre en place un collectif de résistance à la redéfinition marchande des activités humaines. « Plus qu’un simple instrument de développement des liens sociaux, le noyau du réseau se considère comme un moyen d’activation politique hors des structures classiques ».

Bref, BruSEL devait être un moyen d’activation politique qui – plutôt que de s’épuiser à faire valoir un discours militant préconstruit – appelait à la constitution collective d’un sens partagé. L’idée était de dire que – nul ne pouvant prétendre détenir la vérité absolue sur ce qu’est une société juste – c’était collectivement que la réponse devait se trouver, par la mise en valeur des expériences de chacun et par le soutien mutuel (cf. entretien p.i. 11).

Les fondateurs voyaient donc en BruSEL un outil de transformation concrète des manières de penser, de sentir et d’agir. A cet égard, Isabelle Stengers dit avoir été guidée par son intérêt pour les « modes de production et de transmission des savoirs et à la manière dont les savoirs transforment les capacités de sentir et de penser ».

2.2. A propos de la conception philosophique de BruSEL en tant que modèle d’organisation sociale

Puisque nous ne disposons pas d’un matériau assez consistant en la matière, notre ambition ne sera pas de donner un aperçu fidèle de ce que fut la conception philosophique que les fondateurs avaient de BruSEL en tant que modèle d’organisation sociale. Nous nous contentons juste ici de soumettre au lecteur une réponse incomplète et qui est peut-être trouvée dans la philosophie de Gilles Deleuze, philosophe dont Isabelle Stengers a été l’élève.

Selon Deleuze, le corps (humain, politique ou encore social) est non pas un objet centré et organique mais plutôt un objet en relation, un ensemble rhizomatique, fait de connexions. Un rhizome est « (…) une tige souterraine qui pousse, à partir d’elle, des bourgeons au-dehors – ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu, entre les choses, inter-être, intermezzo. L’arbre est filiation, mais le rhizome est alliance, uniquement alliance. L’arbre impose le Verbe être, mais le rhizome a pour tissu la conjonction et… et… et… Il y a dans cette conjonction assez de force pour secouer et déraciner le verbe ‘être’ ».

Aux vues de ce court extrait, on perçoit un peu mieux les raisons de l’aversion de certains anciens vis-à-vis des préoccupations techniques du SEL : Ce n’est sans doute pas par accident que certaines personnes définissent le SEL comme un « service d’échange local » plutôt que comme « système d’échange local».

Il s’agit de montrer qu’un tel groupe n’est pas destiné à fonctionner à la manière d’une machine, à répéter un même mouvement avec le plus de dextérité possible, mais bien à se faire sans chercher à prédire ce en quoi consisteront les évolutions futures.

Et sans surprise, la personne qui critique avec le plus de virulence la prévalence des préoccupations techniques et statistiques au sein de BruSEL, est aussi celle qui cite Deleuze afin de définir BruSEL comme un « plat » agencement de connexions. Selon notre interprétation, ce que cette personne veut dire c’est que c’est en s’armant de sa volonté propre et non s’épuisant à améliorer sans fin les moyens techniques susceptibles de rendre possible la rencontre, qu’il sera possible pour les bruseliens de mieux se rencontrer. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de ce travail.

2.3. Les principes de justice

i. Liberté : Faire valoir le droit à se faire valoir

Légalement, les allocataires sociaux ne peuvent pas exercer d’activité en compensation d’avantages matériels. Leur temps devant être tout entier consacré à la recherche d’un emploi, ils ne peuvent se rendre socialement utiles en compensation d’un avantage personnel (cf. A.R. 24.11.1991). Cette privation de liberté a été fortement critiquée par les initiateurs du système BruSEL ; et cette critique a été et demeure encore aujourd’hui un des grands fers de lance du mouvement.

Plus clairement, certains fondateurs de BruSEL verront dans cet arrêté un pouvoir discrétionnaire par lequel on s’autorise à faire des chômeurs des citoyens de seconde zone, condamnés à ne rien produire de bon et à ne rien consommer de bon. Une des ambitions de BruSEL était très précisément de libérer ses personnes-membres de cette double punition.

« Quand BruSEL a pris de l’ampleur, certains on voulu aller plus loin sur le terrain politique. Il s’agissait, d’une part, de trouver des relais politiques (partis, syndicats) ce qui n’a jamais donné suite, au vu du caractère électron libre de BruSEL. Et d’autre part, de porter une revendication au niveau des allocataires sociaux, c’est le principal cheval de bataille institutionnel de BruSEL ».

ii. Egalité : Faire valoir le droit à valoir autant que n’importe qui

Ce qui ressort le plus nettement de l’article 1 de la charte, c’est la référence au principe d’égalité : Les auteurs du texte insistent fermement sur le refus « de la hiérarchie des qualifications et des rapports sociaux tels qu’ils existent au sein du marché du travail » et proposent que le système BruSEL soit au contraire doté d’« une base égalitaire ».

Il faut donc comprendre BruSEL comme une réponse locale au processus de restructuration des rapports sociaux opéré par le marché du travail. Par opposition à la structure verticale du marché du travail – cet espace de compétition composé de dominants mobiles et des dominés flexibles – les fondateurs se décident de créer une petite association horiz

ontale, réticulaire et égalitaire. La prétention des fondateurs de BruSEL n’est donc autre que de tester l’hypothèse selon laquelle, même dans le contexte actuel, une société égalitaire est possible et viable et qu’un brassage social à petite échelle est effectivement réalisable.

iii. Solidarité : Faire valoir le lien en tant que fin de l’échange

Le mot « individu » est absent de la charte. Il renvoie à une conception de l’homme abstraite de l’idée de « lien social », et amène à concevoir la rationalité comme si elle était toute entière dirigée vers la satisfaction de ses intérêts propres. Selon l’idéologie des fondateurs, c’est parce que cette conception exclut toute possibilité de constitution d’un « vivre ensemble » qu’il faut lui préférer la notion de « personne ». Alors que le marché s’adresse à des individus, le SEL s’adresse à des personnes.

Idéalement, les individus du marché sont tout juste appelés à être libres tandis que les personnes du SEL sont appelées à être à la fois libres, égales et solidaires. Libres car en acceptant de mettre leur temps à disposition elles se voient dotées de la possibilité d’exercer une activité valorisante et de disposer d’un « pouvoir d’achat » qui leur permet de s’affranchir peu ou prou du joug de la nécessité ; égales car le temps de l’un équivaut et est de fait inaliénable au temps de l’autre ; solidaires car ce temps que tous ont l’égale opportunité de mettre à profit est susceptible d’être partagé.

C’est le statut juridique minimal pour une association.

P. Delwit et J.-M. De Waele (dir.), « La gauche de la gauche : le parti communiste, le parti du travail, le parti ouvrier socialiste et gauches unies » in Les partis politiques en Belgique, Bruxelles, Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, 1997.

V. Gillet, Socio-anthropologie d’un Système d’Échange Local, le Bru-SEL en quête de soi (promoteur P.-J. Laurent, UCL), Louvain-la-Neuve, 2000, pp. 28-29.

Abréviation pour personne interrogée.

G. Deleuze & F. Guattari, Mille Plateaux, Paris, Editions de Minuit, 1980

M. Dielemans, L’esprit du SEL. Analyse anthropo-économique d’un système d’échange local à Bruxelles (promoteur D.V. Joiris, ULB), Bruxelles, 2003, p. 56

Bref, ce qui s’échange importe moins que l’activité d’échange en elle-même et le lien de confiance qui se constitue par elle. En d’autres mots, le lien est la fin ultime de l’échange.

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