Les acteurs institutionnels à l’égard des enfants au travail

Les acteurs institutionnels à l’égard des enfants au travail

III. Le cadre institutionnel

Il est indéniable qu’il existe une dialectique entre l’opinion publique, les militants des associations, l’attitude des gouvernements et l’information diffusée par les associations et les pouvoirs publics. Toutefois, avant d’aborder la position de ces différents acteurs institutionnels à l’égard des enfants au travail, il est sans doute préférable de commencer par présenter ce qui est considéré comme normatif au niveau international.

1. Les normes internationales

La Convention des droits de l’enfant, ratifiée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1989, est le document qui a reçu le meilleur accueil de la communauté mondiale. Ce document est en quelque sorte comparable avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen dans la France de 1789 puisqu’il aborde les droits économiques, sociaux et culturels des enfants, ainsi que leurs droits civils et politiques (Bonnet, 1998, pp. 119-154).

Le message est clair : l’enfant est un ensemble, ses droits sont liés les uns aux autres et, en violer un, c’est toucher d’une façon ou d’une autre à tous les autres. C’est donc dans la perspective du respect de l’ensemble de ces droits – ou si l’on préfère de développement complet de l’enfant – qu’il faut envisager la question de sa relation au travail.

Le domaine du travail des enfants est directement abordé dans l’article 32 que voici :

« Les Etats parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social ».

Remarquons que la protection demandée pour l’enfant n’est pas dirigée seulement contre l’exploitation mais contre tous les risques pouvant provenir du travail. Pour que les enfants puissent jouir de leur droit au travail, les Etats doivent prendre un ensemble de mesures pour mettre en place une véritable politique de l’enfance dans le domaine du travail, ce qui implique qu’elle soit coordonnée avec une politique d’éducation et de santé.

Pour la fixation des mesures concrètes d’application, la Convention des droits de l’enfant renvoie vers les autres instruments internationaux. La convention n° 138 sur l’âge minimum pour l’emploi, adoptée en 1973, est la référence obligatoire lorsqu’on parle des positions prises par l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur le travail des enfants. Elle a été ratifiée par 55 Etats. Son article premier est très clair quant à l’optique générale :

« Tout Membre pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à poursuivre une politique nationale visant à assurer l’abolition effective du travail des enfants et à élever progressivement l’âge minimum d’admission à l’emploi au travail à un niveau permettant aux adolescents d’atteindre le plus complet développement physique et moral ».

Sans vouloir entrer dans les détails, indiquons que l’âge minimum général d’admission à l’emploi ne doit pas être inférieur à l’âge auquel cesse la scolarité obligatoire, c’est à dire à 15 ans – âge porté à 18 ans lorsqu’il s’agit de travaux dangereux.

Des exceptions et des dérogations sont prévues pour tenir compte des situations locales ; le but est de faire en sorte que, quelle que soit la situation du développement économique d’un pays, un processus s’enclenche poussant la société vers l’abolition du travail des enfants.

En 1999, la convention n°138 a été modifiée par la convention n°182 et la recommandation 190 dont l’objectif se limite à l’éradication des pires formes de travail des enfants. Cette rectification répond au constat que les causes du travail infantile – dont la pauvreté, la discrimination et l’accès insuffisant à l’éducation -, ne peuvent que s’éliminer progressivement. Cependant ces modifications ne sont pas encore adoptées par les législations nationales.

2. Les législations nationales

Les législations nationales concernant le travail des enfants diffèrent parfois dans le détail des articles selon la situation sociale, culturelle et économique locale, et surtout selon l’histoire politique de chaque pays. Toutefois, pour l’essentiel, elles reflètent conventions et recommandations de l’OIT.

L’existence de législations (appliquées ou non), pose un problème capital : en général, le travail des enfants est interdit donc, du point de vue de la loi, les enfants travailleurs n’existent pas.

Cela a plusieurs conséquences directes sur les enfants travailleurs qui, eux, existent. Premièrement, étant des clandestins, ils sont entièrement à la disposition de leur employeur car ni les parents ni les enfants n’ont intérêt à se plaindre ouvertement par crainte à perdre le travail dont ils dépendent économiquement.

Deuxièmement, les enfants travaillant illégalement sont hors de la loi et à ce titre peuvent eux-mêmes être l’objet de réprimandes, d’amendes, d’une politique de répression policière et même d’emprisonnement. Troisièmement, étant administrativement invisibles, ils sont hors de tous les réseaux de protection et ne peuvent bénéficier de programmes qui pourraient les aider.

Quant à l’efficacité des législations sur le travail des enfants, leur principal handicap, c’est qu’elles ne concernent pratiquement pas les secteurs et les entreprises où les enfants sont effectivement au travail (travail domestique, travail à domicile, services domestiques, commerces et services, agriculture, entreprises familiales, entreprises artisanales).

De plus, dans les moyennes et grandes entreprises et les secteurs couverts par la loi (industrie, mines, construction, transports, travail maritime, ports et docks), l’inspection du travail n’est pas opérationnelle à cause de l’insuffisance du nombre des inspecteurs du travail, de la surcharge de travail notamment administrative, du manque de moyens appropriés pour agir, etc.

Cette déficience prend de l’ampleur dans des pays du Tiers Monde où l’infrastructure nécessaire pour une inspection du travail est complètement insuffisante; en outre, les nombreux programmes d’ajustement structurel qui imposent des coupes importantes dans tout ce qui a trait à la fonction publique aggrave la situation.

3. Le milieu associatif

Deux approches dominent les programmes concernant les enfants au travail, approches grosso modo communes aux ONG et aux organismes internationaux dans ce domaine comme l’UNICEF et l’OIT. L’approche paternaliste considère le travail comme une catastrophe; de ce fait, on tente par tous les moyens de soustraire l’enfant au travail, ce qui signifie habituellement l’insérer ou le réinsérer dans un système scolaire officiel, dans des programmes d’éducation informelle, d’alternatives éducatives, etc.

L’approche humanitaire, en revanche, concentre son action sur un aspect particulier de la vie de l’enfant : la santé, l’hygiène, la nutrition, le loisir, la culture, etc… On laisse l’enfant au travail mais en niant de facto son identité de travailleur.

Au sein de ces deux approches, il n’est pas acceptable qu’un enfant puisse être un enfant (un être fondamentalement en développement), et puisse en même temps être travailleur (inséré dans les activités économiques de la société et participer en tant que travailleur à la formation de cette société). La seule vérité incontestable est que tout enfant doit être éloigné du travail car il est nocif ou dangereux pour lui.

Cette attitude est tellement ancrée dans l’opinion publique qu’elle handicape, parfois jusqu’à la paralyser, l’action d’associations qui se consacrent pourtant à améliorer la situation des enfants dans le monde (Bonnet, 1998, p. 134).

Il reste encore exceptionnel de rencontrer des projets ou des programmes d’ONG qui s’adressent spécifiquement aux enfants en tant que travailleurs, c’est-à-dire, des programmes permettant aux travailleurs enfants d’améliorer leur développement complet malgré le fait qu’ils travaillent, de les éduquer à faire respecter leurs droits de travailleurs ou de les aider à entrer de façon organisée dans le mouvement ouvrier. Cela dit, il faut indiquer que ces dernières années, le créneau du travail des enfants est devenu un excellent « business » pour certaines ONG désireuses d’attirer les fonds des donateurs internationaux.

4. Les opinions publiques

L’opinion publique semble dans sa vision du travail des enfants se diviser en deux catégories : il y a ceux qui considèrent que la mise au travail précoce d’un enfant est une attitude à combattre et ceux qui estiment impossible de ne pas faire travailler les enfants.

Chacun de ces groupes a aussi un trait caractéristique. Dans le premier se trouvent, sauf exceptions, des gens qui n’ont ni l’occasion ni le besoin de l’expérience directe avec le travail des enfants; dans le deuxième ceux qui ont un contact direct avec les enfants travailleurs; il s’agit des gens qui ne connaissent pas d’autres moyens que le travail de ces enfants pour résoudre leurs problèmes.

Actuellement, l’essentiel des pouvoirs économiques et politiques demeure dans les mains du premier groupe au détriment des personnes, des catégories sociales ou des populations qui forment le second.

5. Les médias

Que les médias montrent d’informations sur le travail des enfants ne signifie pas forcément qu’ils montrent la réalité de ces enfants dans toute sa dimension.

Le sentiment de solidarité internationale, éveillé par les informations filtrées par les médias, renforce la tendance occidentale à élaborer des solutions conçues sans la participation des populations concernées (encore moins celle des enfants travailleurs eux-mêmes), solutions qui sont mises en oeuvre sans laisser à la communauté locale le temps de prendre conscience du problème et de faire siennes les solutions proposées (Bonnet, 1998, p. 144-154). Sous prétexte d’urgence, on ne laisse pas le temps aux protagonistes d’intervenir eux-mêmes dans l’élaboration des solutions à leurs propres problèmes.

Le développement des moyens de communication et leur influence sur les opinions publiques ont donné naissance ces dernières années à de nouvelles formes de luttes utilisant la logique et le dynamisme même du marché économique qui est en partie à l’origine du travail des enfants: programmes de production incluant des clauses sociales, codes de conduite, labels de garantie, boycott de certains produits, commerce alternatif, etc.

Contrairement aux principes de lutte contre le travail infantile évoqués ci-dessus, la caractéristique principale de ces nouvelles stratégies est d’agir au niveau de la distribution des marchandises produites par ou avec l’intervention des enfants et non directement au niveau de la production elle-même.

Elles représentent la décision du consommateur d’acheter ou non un produit, mais elles ne s’attaquent pas directement au problème de l’utilisation de la main d’œuvre enfantine. En effet, ces programmes issus et utilisant le développement spectaculaire de l’outil médiatique ne bénéficient que très rarement aux populations pauvres, directement concernées par la présence en leur sein des enfants travailleurs.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La formation professionnelle duale: alternative éducative
Université 🏫: Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education
Auteur·trice·s 🎓:
Dana Torres & Carmen Vulliet

Dana Torres & Carmen Vulliet
Année de soutenance 📅: Mémoire de licence - Novembre 2001
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top