Les pratiques des entreprises en matière de Responsible Care

Les pratiques des entreprises en matière de Responsible Care

Section 3

Courants théoriques mobilisés pour notre recherche

Pour expliquer les différences ou les ressemblances dans les pratiques des entreprises en matière de Responsible Care, nous utilisons les principaux courants théoriques sur les relations entre l’organisation et l’environnement.

Selon la théorie institutionnelle, l’environnement peut imposer des exigences sociales et culturelles aux organisations, les poussant à jouer des rôles déterminés dans la société ainsi qu’à établir et à maintenir certaines apparences extérieures.

Philip Selznick, considéré par beaucoup comme le père fondateur de cette théorie, observe que les organisations s’adaptent aux contraintes internes et aux valeurs de la société externe (Mary Jo Hatch, 2000). La théorie néo-institutionnelle explique les processus par lesquels les organisations ont tendance à adopter les mêmes pratiques et les mêmes structures en réponse à des pressions institutionnelles communes.

Selon Mary Jo Hatch (2000), Scott définit les institutions comme des actions répétées et des conceptions partagées de la réalité. D’autres sociologues américains, Dimaggio et Powell (1983), définissent les différentes catégories de pressions institutionnelles (voir page 33). Cette théorie permet de comprendre pourquoi les pratiques des entreprises chimiques se ressemblent.

Les attentes sociales et culturelles, les contraintes réglementaires, les pressions des organisations professionnelles amènent les entreprises chimiques à réagir de la même manière. L’histoire du Responsible Care nous révèle que ce sont les pressions de la société après les catastrophes environnementales, comme celles de Bhopal, du Love Canal et du Torre Canyon, qui ont amené les entreprises chimiques à adopter massivement le programme du Responsible Care. La légitimité sociale apparaît très importante car les entreprises dépendent du consentement de la société dans laquelle elles évoluent (Mary Jo Hatch, 2000).

Mais cette théorie néglige la capacité des entreprises à répondre à ces pressions institutionnelles. En effet, elle considère les entreprises comme des éléments passifs face à un environnement qui les façonne et déterminent leurs résultats.

La théorie de la dépendance des ressources estime que les organisations jouent un rôle plus actif d’opposition. Selon cette théorie, la vulnérabilité d’une entreprise face à son environnement vient de son besoin de ressources.

Cette dépendance donne du pouvoir à l’environnement. L’analyse des relations interorganisationnelles au sein du réseau peut aider les gestionnaires à comprendre les relations de pouvoir et de dépendance afin d’anticiper les sources d’influence et de trouver les façons de les contrebalancer. L’article de Olivier (1991) identifie différentes stratégies, pour répondre aux pressions institutionnelles, qui varient en fonction des choix, de la conscience, de l’influence, des intérêts personnels des entreprises.

Ces stratégies sont au nombre de cinq : stratégie de consentement, stratégie de compromis, stratégie d’évitement, stratégie de défi et stratégie de manipulation. Les entreprises peuvent donc répondre de manières différentes aux pressions de leur environnement.

Elles peuvent aussi adapter les pratiques imposées par l’extérieur de différentes façons. Cette théorie nous permet de comprendre pourquoi certaines pratiques ne sont pas adoptées de manière identique dans les entreprises chimiques.

Les principes du Responsible Care n’étant pas très directifs, toutes les entreprises ne l’ont pas adopté de la même manière. Les recherches de Howard, Nash et Ehrenfel (2000) font ressortir quatre catégories de pratiques du Responsible Care.

Dans la première, le Responsible Care est utilisé comme une stratégie d’affichage par les entreprises. Pendant que ces entreprises affichent leur volonté de respecter les principes du Responsible Care, elles considèrent que la mise en place de toutes les pratiques n’a pas de valeur ni d’importance pour leur fonctionnement. Pour ces entreprises, le Responsible Care n’apporte pas de véritables changements et n’a pas de réel impact sur leur fonctionnement interne.

De plus, la haute direction n’implique pas réellement les employés : très peu de formations leurs sont données sur les pratiques et aucune incitation formelle n’est mise en place (par exemple prendre le Responsible Care comme facteur d’évaluation des performances des employés).

Dans la deuxième catégorie, le Responsible Care vient compléter les programmes HSE existants. Les entreprises de cette catégorie estiment que le Responsible Care leur a permis de formaliser les activités existantes en matière de sécurité, d’hygiène et de protection de l’environnement et qu’il n’a pas changé fondamentalement ce qu’elles faisaient déjà grâce aux programmes HSE.

L’étude de Weiler et Cherry (1998) vient appuyer cette approche du Responsible Care. En effet, l’étude de cas, réalisée dans l’entreprise chimique américaine Rohm & Haas, révèle que les codes ne spécifiant pas les systèmes, les procédures et les programmes pour le management des fonctions hygiène, de sécurité et de protection de l’environnement, alors les compagnies américaines ont développé une variété de stratégies pour adopter le Responsible Care.

Rohm & Haas utilise le Responsible Care comme une stratégie de couverture « Umbrella strategy » par laquelle les systèmes actuels de HSE sont identifiés comme le système central de l’organisation sous lequel les pratiques Responsible Care sont incorporées.

Par ailleurs, l’étude de Howard, Nash et Ehrenfel (2000) montre que les employés n’ont pas reçu de formation spécifique sur les pratiques de Responsible Care mais suivent déjà des formations HSE. Cependant, le Responsible Care a permis d’améliorer les relations avec les communautés locales. De plus, la participation de la haute direction s’est focalisée sur les relations externes : le Responsible Care sert de moyen de communication.

Pour le troisième groupe, le Responsible Care est un outil d’amélioration des fonctions de HSE. En effet, la mise en œuvre de ce programme s’est prolongée au-delà des fonctions HSE, des fonctions de fabrication et s’est généralisée aux chefs de produits, aux concepteurs et au personnel de vente. En plus des audits et de la documentation, les compagnies ont installé de nouveaux systèmes de mesure de la performance environnementale.

Certaines fonctions de l’entreprise (personnel administratif, personnel de vente et personnel des sites industriels) ont suivi des formations formelles. La performance des directeurs Responsible Care ainsi que de leur personnel compte dans leur évaluation salariale.

Enfin, la dernière catégorie accorde une grande importance au Responsible Care et l’utilise couramment. Les entreprises de cette catégorie considèrent le Responsible Care comme «une nouvelle manière de pensée » qui exige un engagement à long terme. Des ressources importantes sont allouées au pilotage du Responsible Care et la haute direction joue un rôle actif dans son contrôle.

Certaines entreprises ont crée des comités de pilotage avec l’affectation d’un responsable à chaque code de pratique de management. Des réunions trimestrielles sont organisées avec les présidents des entreprises. Dans ce groupe, le Responsible Care a un impact réel sur le fonctionnement des entreprises car c’est un facteur important pour la conception des produits et pour la prise de décision.

En nous appuyons sur les recherches de Howard, Nash et Ehrenfel (2000), nous pouvons dire que les pratiques des entreprises diffèrent selon l’importance accordée au rôle du Responsible Care. Ces pratiques dépendent des stratégies des entreprises. Pour certaines, il s’agit d’un moyen de communicat

ion, un moyen de gérer leur réputation, pour d’autres c’est un moyen de réduire les risques pour la société, une nouvelle manière de pensée, une éthique. Les travaux de Olivier (1991) sur l’institutionnalisation soutiennent que les entreprises répondent stratégiquement aux pressions institutionnelles et que leurs réponses reflètent leurs intérêts.

Les concepts d’image et d’identité organisationnelles, définis par Dutton et Dukerich (1991), influencent les actions des entreprises et guident leur choix dans la détermination de leurs réponses stratégiques face aux pressions institutionnelles. L’image organisationnelle rend compte des impressions que les autres ont de l’organisation.

Tandis que l’identité organisationnelle renvoie aux expériences que les membres ont de l’organisation ainsi qu’à leurs croyances à son égard. Ces concepts sont de puissants moyens de créer une impression durable c’est pour cette raison que les dirigeants des entreprises chimiques les intègrent dans leurs stratégies de réponse et tentent de les influencer. Ainsi, pour améliorer leur image, les entreprises chimiques choisissent des approches semblables lorsque leurs actions sont visibles de l’extérieur (Howard, Nash et Ehrenfeld, 2000).

Pour ces auteurs, l’image organisationnelle est l’élément clé qui expliquent une convergence des pratiques du Responsible Care (code de communauté, code de distribution). Lorsque les pratiques des entreprises ne sont plus visibles de l’extérieur ou ont peu d’influence sur leur réputation, les entreprises utilisent différents mécanismes pour mettre en œuvre les codes de pratiques (code de santé, sécurité des salariés, code de prévention de la pollution etc.). Ces mécanismes dépendent des intérêts personnels, des valeurs, des croyances et de manière générale de la culture de chaque entreprise.

La culture organisationnelle est définie par Harrison et Beyer (1993) et citée par Mary Jo Hatch (2000) de la manière suivante :

« Les cultures sont des phénomènes collectifs qui incorporent les réponses des personnes aux incertitudes et au chaos qui sont inévitables dans l’expérience humaine. Ces réponses appartiennent à l’une des deux principales catégories : la première est la substance d’une culture partagée et chargée émotionnellement, bref des systèmes de croyances que nous appelons idéologies ; la seconde est constituée par les formes culturelles, c’est-à-dire des entités observables, y compris des actions par lesquelles les membres d’une culture expriment, affirment et communiquent la substance de leur culture à un autre. »

La revue de la littérature sur les divergences de pratiques en matière de Responsible Care nous fournit quelques explications pour comprendre les différences de comportements des entreprises chimiques face à l’adoption du Responsible Care. La théorie néo-institutionnelle et la théorie des dépendances des ressources nous servent de base pour notre recherche.

En effet, la combinaison de ces deux théories permet de comprendre les divergences et les similitudes dans les pratiques de gestion du Responsible Care. Les résultats obtenus lors de cette recherche permettent d’enrichir ces théories dans la cadre de la problématique du Responsible Care en sciences de gestion.

Théorie de la dépendance des ressources fut principalement développée par Jeffrey Pfeffer et Gérald Salancik en 1978. Leur ouvrage s’intitule The External Control of Organisations (cité par Mary Jo Hatch, 2000).

Systèmes de gestion HSE : ce sont des ensembles structurés de mesures prises ou préconisées pour gérer la sécurité, la protection de l’environnement, la santé des travailleurs. Ils doivent permettre de garantir l’obtention des résultats et leur amélioration continue. Il existe plusieurs systèmes de gestion HSE : le système OGP (Oil and Gas Producer Association, anciennement Forum Exploration et Production) de l’industrie pétrolière ; le système ISO 14001 (environnement) est le premier système qui ait fait l’objet d’une normalisation internationale ; la spécification OHSAS 18001 (sécurité et santé au travail) s’appuie sur les mêmes sources originales que la norme ISO 14001; le système EMAS (Eco Management and Audit System) établit par l’Union Européenne pour codifier l’approche des entreprises à la protection de l’environnement ; le système Responsible Care (Industrie chimique) ; le code ISM (International Safety Management) développé et publié en 1996 par l’IMO (Internationale Maritime Organisation), pour la gestion de la sécurité des navires.

Pour avoir plus d’informations sur l’apport de cette recherche pour ces théories, reportons nous au chapitre discussion. Mais avant d’exposer nos résultats, il convient de présenter la méthodologie utilisée pour notre recherche.

 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Master Recherche Sciences de Gestion (DEA)
Université 🏫: IAE de Poitiers – Université de Poitiers
Auteur·trice·s 🎓:
Angèle DOHOU

Angèle DOHOU
Année de soutenance 📅:
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