Stratégie de coopération interfirme, Industrie pétrolière

Stratégie de coopération interfirme, Industrie pétrolière

II. …A la coopération interfirme

*** Une introduction à la coopération interfirme

Avant d’aborder une étude de la coopération, il semble intéressant d’apprécier le phénomène. En effet, la coopération interfirme a toujours existé; ce qui semble intéressant ces dernières décennies c’est l’ampleur qu’a pu prendre le nombre d’accords noués. Ces accords concernent tout le monde tant la diversité des formes de partenariat est impressionnante. Marity et Smiley [1983] discernaient 3 types d’accords : accords de long terme, joint venture et consortium. Cependant cette classification est loin de refléter la diversité; la notion de joint venture est très générale et confond des accords aussi bien informel que des entreprises conjointes. Pour établir une typologie adéquate, il faut prendre en compte la forme de l’accord mais il faut aussi prendre en compte la nature des motivations des accords; La préoccupation est économique certes, mais elle est aussi technique, commerciale, et politique. Ces préoccupations se manifestent dans toutes les industries, et dans toute la firme. Des services à l’alimentation en passant par l’énergie (voir Annexe C), mais aussi de la recherche et développement à la distribution. Le tableau de répartition suivant illustre le propos :

Objectifs visés par la  coopérationPourcentage
Recherche et développement sans production5.5%
Fabrication seule1.2%
Fabrication et commercialisation34.5%
Recherche et développement, fabrication et commercialisation17.2%

Glais, 1996, p.43. La question à se poser maintenant est de savoir comment analyser ce phénomène. Les entreprises liées par un accord de coopération créent un lien de transaction privilégié qui se distinguent des échanges du marché concurrentiel. Les alliances créent artificiellement de nouveaux marchés, dans le sens où ils sont basés sur des accords de long terme et ils excluent d’autres types de biens; les marchés sont domestiqués (domesticated market). L’objectif est d’éliminer les problèmes d’un jeu à somme nulle, rencontré avec la concurrence classique, et que la théorie des jeux a bien modélisé. Les problèmes d’un jeu à somme nulle viennent de l’incertitude, des coûts de transaction et donc de l’incapacité à coordonner des efforts. Dans l’industrie pétrolière, la coopération existe depuis très longtemps et ce phénomène apparaît bien dans les statistiques. Pour être plus précis dans le secteur de l’énergie et de la pétrochimie, qui concernent directement l’industrie pétrolière cela représente des chiffres non négligeables : en pourcentage de tous les accords tous secteurs confondus (1444 firmes étudiées entre 1970 et 1982) :

StadesEnergieChimie
Recherche et développement65%8%
Production29%58%
Distribution1%1%
Marketing2%2%
Autres3%3%

Porter, Fuller et Rawlinson, 1985, Coalition and Global Strategies, Harvard Business School. Toutefois, aujourd’hui ce pourcentage est bien moindre comme le montre un rapport de la KPMG (voir Annexe). Cela ne signifie pas qu’il y ait moins d’accords de recherche et développement dans le secteur énergie, bien au contraire car l’exploration et la production se fait aujourd’hui exclusivement par la coopération; cela signifie en fait que beaucoup d’autres secteurs ont adopté l’organisation coopérative de l’industrie énergétique. Ce qu’il faut comprendre dans un accord de coopération, c’est l’ambiguïté liée à l’appartenance à aucun modèle transactionnel classique où seule la firme ou le marché sont reconnus comme forme distincte d’organisation; ce qu’il faut aussi comprendre c’est le paradoxe apparent du besoin de s’allier avec des ennemis. Que recherche finalement les acteurs dans un accord de coopération ? S’agit-il d’un avantage concurrentiel, d’une recherche d’efficacité, ou d’une nécessité technologique ?

*** L’apport de la théorie des jeux

Le poids respectif de chacun des comportements varie de façon importante d’un secteur à un autre; cela va dépendre des mentalités, des cultures, des normes, des traditions, du degré de développement, et de la centralisation du système économique. Il existe également des facteurs spécifiques comme l’importance du futur par rapport au présent, le nombre d’acteurs en présence mais aussi la réputation. La coopération va également dépendre des garanties qu’auront les participants pour maintenir les accords passés en rendant crédible les mesures possibles de rétorsion. Il faut citer enfin les règles de déontologie et une attitude éthique basée sur le respect de la réciprocité et de l’équité qui vont conduire à promouvoir le bien être de chacun. Ceci amène à considérer la fonction de la firme et à dépasser la simple affectation des ressources pour se poser la question de la manière d’en créer de nouvelles. Cela amène à parler de la technologie qui va permettre de créer de nouvelles opportunités. Cela passe par une réflexion sur l’organisation interne des firmes qui vont devoir être en adéquation avec tous les problèmes cités en première section. Dans le cadre de la firme A, coopérer ne fait pas partie de la culture de l’entreprise, et la mise en place de lien est difficile. L’organisation de type M permet cette coopération mais seulement à travers l’entreprise conjointe. En effet, on peut envisager de détenir une division en commun (difficile avec une organisation U), mais pour le développement de contrat de long terme l’organisation M ne possède pas le même avantage qu’une firme de type J. Ainsi les avantages de la coopération sont indéniables comme le montre Axelrod [1992, p.20]. Il propose un cadre pour analyser la coopération interfirme à travers la théorie des jeux et le dilemme du prisonnier  :

Firme 1 Firme 2Options
CoopèreNe coopère pas
OptionsCoopère(3,3)(0,5)
Ne coopère pas(5,0)(1,1)

Il s’agit ici d’un jeu à information parfaite et complète; chacun sait à quoi il doit s’attendre, et chacun sait ce que l’autre joueur fait. Les 2 firmes ont chacune 2 possibilités : coopérer ou non. Si les 2 firmes coopèrent de manière pleine et parfaite, la situation est symétrique; elles vont dégager une quasi-rente relationnelle [Aoki, 1988, p.218], supposée identique pour chacun des joueurs. Si seule une des 2 firmes coopère la situation devient asymétrique; la firme qui ne coopère pas est considérée comme une firme tricheuse qui utilise son partenaire pour obtenir les fruits de la coopération sans en subir les coûts. L’autre firme est considérée comme naïve, et s’est clairement fait avoir. Si les 2 firmes ne coopèrent pas ou si chacune, soit ne décident pas de prendre part au projet et dans ce cas elles ne perdent qu’une opportunité, soit elles décident de prendre part au projet mais trichent toutes les 2 et subissent dans ce cas en plus le prix de l’investissement. Il serait préférable pour les 2 joueurs de coopérer tous les 2 s’ils veulent maximiser leur profit joint. Cette situation naît de plusieurs phénomènes de synergies :

  • – la réduction de la duplication de l’effort et la rationalisation des investissements,
  • – la réduction du risque,
  • – les économies d’échelle liées à la sous-additivité des coûts,
  • – la mise en commun de connaissances et de savoir-faire.

La solution coopérative n’est toutefois pas un équilibre de Nash et cela ne constitue par conséquent pas une solution au jeu. Un équilibre de Nash apparaît très clairement à un niveau agressif puisque les acteurs n’ont pas intérêt à coopérer, car si l’un coopère l’autre est davantage inciter à ne pas le faire. Le problème réside dans le conflit d’intérêt et l’information asymétrique, quant aux intentions des joueurs avant que le jeu ne commence. De plus, il s’agit d’une analyse où le joueur ne considère que le présent et ne joue qu’une seule fois. L’horizon temporel est très important car si l’on considère ce jeu répété un nombre indéfini de fois la solution coopérative est envisageable. Toutefois la solution coopérative est une solution instable qu’il va falloir stabiliser en créant ce que Ricketts [1987] appelle une structure incitative. La passerelle entre les 2 est une approche intéressante mise en avant par Baudry [1995] qui utilise le travail sur l’analyse de la relation salariale. Le schéma d’analyse d’économies des coûts de transaction peut ainsi être élargi par la théorie de l’agence qui peut apporter des éclaircissements sur les problèmes d’opportunisme et donc de confiance. Il s’agit de l’atmosphère qui enveloppe le système et qui va être essentielle dans l’instauration d’une confiance entre les partenaires lors de la négociation. Cette confiance va passer par la réduction des incertitudes. Avec l’évolution de la coopération, le climat de confiance prend une certaine importance. Si ce climat de confiance n’existe pas il va exister des coûts d’agence. Toutefois, l’incertitude ne va jamais être totalement éliminée et les accords passés ne peuvent donc pas être entièrement basés sur la confiance et l’effort va aussi se porter sur la surveillance du partenaire. Ces rapports peuvent encore une fois être très bien représentés par la théorie des jeux et le dilemme du prisonnier. Le problème vient de la solution de coopération qui est Pareto-optimale alors que l’équilibre de Nash ne l’est pas. La solution de ce jeu est donc une stratégie faiblement dominante. L’équilibre souhaitable est un équilibre où chaque firme coopérerait. Toutefois dans l’état actuel du jeu cela n’est pas possible.

*** Vers un jeu coopératif

** L’apport de la théorie des incitations

La question de l’équilibre optimal à atteindre est en fait le cœur du problème car c’est à cette seule condition qu’il y a coopération bénéfique pour l’ensemble des joueurs. Il faut donc réfléchir à des structures de coordination différentes grâce à la théorie des incitations. L’idée est que si l’on ne peut pas obliger un agent à se comporter d’une certaine façon; on peut l’y inciter en jouant sur les paiements qu’il faut modifier artificiellement en :

  • – allongeant la durée des contrats,
  • – organisant différemment la relation principal/agent.

Dans le premier cas, il s’agit de comprendre que les joueurs sont amenés à se rencontrer à plusieurs reprises dans leur vie; le changement de cet horizon temporel est essentiel. Dans le second cas, il s’agit de voir les relations qu’entretiennent les acteurs et de considérer qu’avant tout accord il peut y avoir des négociations et ce qu’on appelle des cheap talk, sorte de conversations informelles qui ont lieu avant la négociation de l’accord et permettent aux firmes de beaucoup en apprendre l’une sur l’autre. Il s’agit de se mettre d’accord sur un projet et de faire en sorte de mettre le meilleur du sien pour que la relation réussisse. Il faut que les partenaires aient confiance l’un envers l’autre pour tirer au maximum profit de la relation. Cependant a priori les choses ne peuvent pas se faire simplement; il faut préparer la relation ex-ante pour mettre en place une structure organisationnelle sans faille. Il va s’agir de redéfinir les taches en jouant sur les complémentarités et la division du travail pour arriver à un effet de synergie maximale. En échange le principal va s’engager dans le long terme en garantissant une relation sur une période suffisamment longue pour pouvoir amortir les investissements. Il va s’agir de passer d’un jeu non répété, à un jeu répété indéfiniment (en fait tel que chacun pense que cela sera le cas) pour arriver à la solution coopérative. Il faut passer d’une relation d’autorité agressive, c’est à dire non coopérative à une relation incitative de partenariat, c’est à dire coopérative. Stratégie de coopération interfirme, Industrie pétrolière La solution nous est donnée par la théorie des jeux qui nous indique que c’est le temps ou la valeur donnée au temps qui va pousser à coopérer. En fait, le nœud du problème va se trouver dans la confiance entre les partenaires que va céller le contrat. La confiance réduit l’incertitude car en faisant confiance on suppose un faible risque de tricherie. La confiance permet donc de nouer des contrats entre les individus et de savoir que ces contrats seront très probablement honorés. L’autorité permet aussi de s’assurer de la tenue des termes du contrat mais il ne permet pas de s’assurer des moyens mis en œuvre et surtout ne garantit pas la reconduction du contrat. La confiance n’a certes pas de valeur juridique mais elle a une valeur morale certainement plus forte. Surtout si les agents ont intérêt à poursuivre leur collaboration. De plus la confiance peut faire face à des situations non prévues par un contrat. Alors que l’autorité favorise l’opportunisme, la confiance favorise la relation de long terme et donc la reconduction des accords qui n’est possible que si tout le monde est satisfait dans le passé. L’essence des accords de coopération est le fait que les parties acceptent un certain degré d’obligation et donc fournissent en contre partie un certain degré de garantie quant à leur conduite future. Richardson [1972, p.886] Ainsi dans le cadre de marché concerté, la coordination modifie les comportements et l’interdépendance des firmes. Le marché concerté produit un lieu privilégié pour modifier les règles de la compétition [Garette, 1989]. Il s’agit ainsi de la notion de confiance qui favorise la genèse des accords de coopération. Les entreprises décident d’organiser des marchés concertés parce qu’il existe à la fois un climat de confiance limitant les comportements opportunistes, et les interdépendances difficilement contournables. Ainsi, pour expliquer les faillites du marché, Williamson [1975] évoque divers arguments dont celui de l’atmosphère. L’atmosphère est un point de convergence entre facteurs humains et facteurs environnementaux. En matière de coopération l’atmosphère favorable à la transaction a été principalement attribuée à la confiance qui existe entre les partenaires lors de la négociation de l’accord. Cette confiance est étroitement liée à l’incertitude qui si elle n’est pas trop grande permettra de réaliser des anticipations acceptables quant aux issues de la coopération. La coopération est ainsi un compromis entre 2 partenaires qui réalisent une transaction difficile compte tenu de la spécificité de leurs actifs. Cette transaction n’est possible que s’il existe une confiance entre les partenaires. Avec l’évolution de la coopération, le climat de confiance prend toute son importance. S’il n’existe pas, l’accord de coopération peut engendrer des coûts d’agences [Jensen et Meckling, 1976].

** L’apport de la théorie de l’agence

La stabilité de la coopération est menacée de façon permanente. Le but dans la participation peut parfois être caché et peut se révéler être une façon de s’emparer d’informations de concurrents innovateurs, et de freiner le développement d’un domaine technologique. Il s’agit du problème d’asymétrie de l’information avec hasard moral et sélection adverse. Ces accords affectent également les entreprises concurrentes en limitant l’accès à certaines informations et à certains segments de marché. Ces firmes exclues de l’accord sont alors susceptibles de compromettre cet accord. Dans ce contexte l’incertitude sera toujours présente et la confiance ne suffira donc pas. Les agents vont chercher à profiter de failles du contrat pour maximiser leur utilité. Pour limiter ces failles, les agents vont devoir faire face à des coûts d’agence :

  • – coûts de surveillance,
  • – coûts d’obligation,
  • – coûts d’opportunité.

Ces difficultés relèvent du degré de confiance instauré entre les partenaires. Le manque de confiance va minimiser le bénéfice de la coopération. Il faut que chacun des acteurs ait intérêt à coopérer. Cette approche peut être analyser grâce à la théorie des jeux, et au dilemme du prisonnier.

Firme 1 Firme 2Options
ConfianceMéfiance
OptionsConfiance(r,r)(s,t)
Méfiance(t,s)(p,p)

Cette matrice montre que les revenus qui peuvent être tirés du climat de confiance sont loin d’être identiques selon l’attitude des agents. La situation la plus souhaitable est celle de confiance mutuelle alors que la situation de méfiance mutuelle est elle très pénalisante. L’équilibre qui se détache n’est pas un équilibre optimal; en effet si l’accord se termine en fin de première période, où est l’incitation à coopérer puisqu’il est préférable de faire cavalier seul. La situation se perdure tant que l’accord est limité dans le temps, par un phénomène de récurrence à rebours : comme il n’y a pas d’incitation à coopérer à la dernière période il n’y a pas plus d’incitation à coopérer aux périodes précédentes. Ainsi, si les joueurs ne limitent pas leur collaboration dans le temps, l’équilibre devient satisfaisant. Il s’agit de la prise en compte du futur ou plus précisément de la valeur accordée au futur par rapport à la valeur accordée au présent : il s’agit de coopérer c’est à dire d’avoir confiance aujourd’hui par crainte de perdre des profits dans le futur. Jarillo et Ricart [1987, pp.82-91] ont modélisé cette importance du futur; soit k la probabilité que le jeu continu. Ils montrent qu’il y aura coopération si la perte potentielle est supérieure à l’incitation à ne pas coopérer : Sachant que l’on appelle r la récompense pour la coopération p la punition a la défection mutuelle
t la tentation à la défection
s la sanction du naïf
où s>p>r>t
On a k(r-p)>(1-k)(t-r) k>(t-r)/(t-p)
Dans notre exemple avec r=1, p=-1 et t=2 on a k>1/3. Cela signifie qu’il n’y a que 33% de chance pour que le jeu continu c’est à dire que la coopération soit un succès, ce n’est certes pas beaucoup mais il existe des moyens pour augmenter ce pourcentage. La confiance est un facteur très important dans la coopération. L’attitude de chaque partenaire est particulièrement importante pour permettre une stabilité de l’accord. Si l’un essaie de dévier son comportement c’est l’ensemble de l’accord qui peut être remis en cause car l’autre agent répondra à cette déviation. Il s’agit d’une interdépendance situationnelle qui engendre un dilemme entre se confier et se méfier; cela va résulter de la crainte de l’hégémonie de l’autre mais aussi de l’attrait de la coopération et de la prime à l’hégémonie. Ceci permet de voir que la confiance va servir de catalyseur à la communication et à la relation. La confiance apparaît comme une source d’énergie potentielle alors que la méfiance va apparaître comme une barrière à cette potentialité. L’instabilité va pouvoir être réduite par diverses structures ou situations mises en place. Il s’agit des contrats ou des cadres institutionnels établis par les Etats, ou aussi des incitations fournies par les autorités publiques. Cela ne l’éliminera pas mais cela oblige à arbitrer entre risque à partager et incitation à mettre en place. Les alliances dans l’industrie pétrolière Mémoire réalisé dans le cadre du DEA D’Economie Industrielle Université de Rennes 1 ________________________________ Soient les hypothèses standards de la théorie des jeux : rationalité des agents, indépendances des joueurs … Ce jeu peut se jouer à plus de 3 joueurs, mais pour faciliter l’analyse nous limitons ce nombre à 2.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les alliances dans l'industrie pétrolière
Université 🏫: Université de Rennes 1 - Mémoire de DEA
Auteur·trice·s 🎓:
Tapio POTEAU

Tapio POTEAU
Année de soutenance 📅: Mémoire réalisé dans le cadre du DEA D’Economie Industrielle - 1997-2003
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