Les marques de vêtements : imitation ou distinction ?

Les marques de vêtements : imitation ou distinction ?

(3) Les Marques : imitation ou distinction ?

La publicité ne cesse d’envahir de nouveaux espaces : salons, manifestations sportives, films, tee-shirts, le nom des marques s’affichent partout dans l’environnement quotidien des adolescents. Les collégiens mettent les marques sur un piédestal  avec 50 % des sondés estimant que: «la marque est un logo que l’on aime montrer et un repère qui aide à se décider plus rapidement». Pour 56% elle motive l’achat.

Les adolescents interrogés sont tous très au fait des marques et de leur côté, capables d’en citer une quinzaine au long de l’entretien, désignent avant tout leurs vêtements spontanément par les Marques (Converse, Vans) qui sont passées dans leur langage courant, elles sont désormais descriptives des objets comme le fut Frigidaire. Beaucoup d’adolescents interviewés font ainsi un fort usage d’antonomases.

Le système des marques est devenu une composante importante du jeu social, par le biais duquel les individus échangent des signes et des codes dans le cadre d’une communication non verbale. En se livrant à ce jeu social – se choisir un style, arborer des marques- l’adolescent satisfait l’un des besoins essentiels de l’être humain : raconter des histoires à soi et aux autres.

Ainsi que l’a souligné le philosophe Paul Ricoeur, l’identité est inséparable d’une mise en récit. Face à la progression de la logomania (dénoncée par Naomi Klein dans No logo en 2000), ces « marquages » permettent à ceux qui les portent de concilier volonté de distinction et désir d’appartenance. Soulignons l’ambivalence du consommateur qui accorde de l’importance à l’individualisation et à la fois recherche du lien.

Alors que le marketing fait l’apologie de la différentiation, l’emprise exercée par les marques viserait in fine à réduire toute différence. Pour B. Heilbrunn, « il s’agit donc, sous le sceau de la séduction, de marquer l’autre (au sens physique et symbolique que recouvre le terme de marque) comme pour en nier l’altérité et le ramener à la fonction et au statut d’objet entièrement assimilable.

C’est pourquoi il ne faut plus hésiter à parler d’une fascisation des marques au sens où ce système est fondé sur des procédés tels que l’héroïsation du consommateur, l’illusion permanente de l’abondance et du choix et le sentiment d’appartenance à une communauté ».

L’apparition d’enseignes plutôt bon marché mais riches en pièces tendance comme H&M ou Zara a facilité les expérimentations stylistiques des adolescents et adolescentes. Leur politique prix est en concordance avec les stratégies des adolescentes qui privilégient la quantité à la qualité (Bourdieu, 1979). Avec l’achat de petites pièces, les fameux « hauts », non seulement elles ont l’occasion d’exercer plus souvent leur choix, mais elles se font plaisir plus souvent. Citées de nombreuses fois lors des interviews, ces marques sont très appréciées et leur grande diffusion, leur pluralisme démocratique contribue à renforcer le sentiment d’imitation.

Les marques de sport

85% des jeunes de 8 à 19 ans portent des marques de sport. Les marques représentent des totems du monde et les groupes de consommateurs fédérés autour de ces totems agissent comme les tribus des sociétés traditionnelles. Rappelons qu ‘un totem est pour Freud un « objet matériel auquel le sauvage témoigne un respect superstitieux parce qu’il croit qu’entre sa propre personne et chaque chose de cette espèce, il existe une relation tout à fait particulière ».

La marque peut être investie d’un fort affect en ce qu’elle donne le sentiment d’appartenir à une communauté de consommateurs.

Ainsi, Adidas est la première marque prescrite par les jeunes garçons et la troisième par les jeunes filles. En revanche les critères d’achat sont également différents puisque les filles recherchent le look, des vêtements prêts du corps, alors que les garçons sont très attachés à la marque et la présence du logo.

Dans un classement plus large englobant tous les secteurs de l’alimentaire aux nouvelles technologies, Adidas est la 9ème marque préférée des jeunes, 62% des 15-24 ans s’en sentant proches cette année.

Au-delà d’un slogan moins injonctif que celui de Nike, respectivement « Nothing is impossible » et « Just do it », au-delà des stars avec lesquelles elle signe des contrats et qui idéalisent l’ordinaire de la marchandise, Adidas est préféré à Nike pour son image, pour la sophistication de ses produits et pour ses couleurs par les adolescents interviewés.

« Adidas : y a du style, plus que Nike, c’est plus varié. L’image est plus moderne que Nike, les modèles sont plus sophistiqués. y a plus de critères : 3 bandelettes, la peau de crocodile, plus de détails différents sur les baskets. J’aime Adidas, je suis plus en reflet avec leur image. » (Vincent, 3ème, 15 ans, Neuilly)

À l’inverse, les marques pointues, au statut confidentiel ou présentant certains traits d’originalité, permettent de se distinguer et crée un esprit communautaire, de bande, tribal. Pour Bernard Cova, le produit ou le lieu de service deviennent les supports de la recherche de lien et d’agrégation néo-tribale, le lien importe plus que le bien, c’est l’appartenance à la tribu de consommateurs qui importe.

Ceci est souligné par David, skater, qui se refuse à prendre les chaussures de skate « mainstream », les Vans connues des skaters et non-skaters, pour préférer une marque d’initiés et renforcer les liens au sein de sa bande. Pour Maffesoli, ce secret partagé est le ciment du groupe, il le conforte.

« Quand j’ai commencé à m’affirmer, on a eu une vraie bande. On est une quinzaine au lycée à s’habiller dans le même style. Je n’ai jamais porté de Vans (chaussures de skate). Y a que notre bande qui avait des chaussures de marques de skate comme Ethnie, Circa, c’était pour se définir par rapport aux autres. Vu que je faisais du skate, je connaissais les marques de planche. Ça ne peut être connu que par des gens qui font du skate. » (David, 1ère, 16 ans, 93 Gagny)

La distinction se fait également par l’argent, par l’accès à des marques onéreuses, luxueuses. La mode se prête idéalement à la consommation ostentatoire, décrite par Veblen en 1899 dans La société de loisirs, comme mécanisme de différenciation sociale. Elle est, selon Veblen, l’illustration parfaite de la « culture pécuniaire », où un objet tire sa beauté de son prix, créant de la distanciation par rapport aux autres et pouvant s’accompagner de considération. Vincent et Edouard sont ainsi très fiers de leurs pantalons Evisu, Armani et Yves Saint Laurent.

« J’aime bien Armani, c’est pour les trucs festifs. Ils ont du goût, dans l’originalité et le style de la coupe, ils ont tout bon. J’ai des ceintures et des pantalons et une chemise. » (Edouard, 3ème, 15 ans, Neuilly)

Eliacheff C et Heinich N., Mèrezs-Filles, une relation à trois, Albin Michel, 2002

McCracken G., « Who is the Celebrity Endorser ? Cultural Foundations of the Endorsement Process », Journal of Consumer research, v.16, décembre 1989, p 310-

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Consojunior enquête auprès de 1524 collégiens de 11 à 15 ans

Ricoeur P., Temps et récits, Seuil, 1991

Heilbrunn B., entretien dans le Monde du 23/04/04 : Du fascisme des marques.

Djeun’s wear 2007

Freud S., Totem et tabou., Gallimard, 1993, p 231

Source : Ipsos – Global Life Stages- 2008

Cova B., Alternatives marketing,Dunod, 2001

Au final, il existe une forte tension entre la pression des pairs qui pousse au conformisme et la recherche d’authenticité qui conduit à la distinction.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Modes vestimentaires chez les adolescents
Université 🏫: Université Paris-Descartes – Paris V - Faculté des sciences humaines et sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche Master 2 - JUIN 2008
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