L’éducation parentale autour d’autonomie et de règles

L’éducation parentale autour d’autonomie et de règles

II. L’éducation parentale au travers de la présentation de soi de l’adolescent

Les relations entre parents et enfants ont fortement évolué en une génération. Les adultes ayant connu les mouvements d’émancipation liés à Mai 68 dans leur jeunesse, ont été soucieux, en devenant parents, de changer de modèle éducatif, d’abandonner celui de l’autorité au profit de celui du contrat, du respect des normes dictées par les adultes à celui de l’expression et de la valorisation des individualités.

L’éducation est désormais centrée sur le développement des potentialités de l’enfant. Pour F. de Singly, ce nouveau principe normatif « rend possible l’individualisation de l’individu contemporain » et « crée les conditions pour que l’enfant participe à la formation de sa propre identité ».

Avec l’émergence de l’adolescence, le futur consommateur apparaît et s’affirme. Plaisir partagé de l’achat, transactions, négociations, désaccords… l’enjeu de la consommation devient significatif dans les relations de l’adolescent avec ses parents et participe de la construction identitaire.

La culture « Jeune » a pour fonction de créer la distance nécessaire entre les générations afin que les plus jeunes puissent vivre à certains moments, dans leur monde qui ne se confond pas avec l’univers parental. Les vêtements sont parmi les attributs les plus visibles de cette culture. La consommation vestimentaire des adolescents révèle la tension classique entre le processus d’émancipation au travers de choix personnels et le maintien du lien de dépendance économique.

A. L’éducation autour d’autonomie et de règles

Comment l’adolescent se distancie-t-il, s’émancipe-t-il de ses parents ? Au travers de ses pratiques vestimentaires au quotidien et lors d’occasions plus exceptionnelles et des négociations qu’il mène en vue de l’acquisition de tel ou tel vêtement.

Nous appréhenderons l’éducation sous l’angle des valeurs transmises et sous l’angle de la consommation (les réticences, les interdits, les récompenses, les punitions et les sanctions). Le temps est loin où les parents imposaient à leurs enfants les vêtements de leur choix, pull de laine et velours côtelé. Les parents cherchent à permettre à l’enfant de devenir lui-même, de s’épanouir en tant qu’individu.

Pour F. de Singly, le modèle éducatif se transforme profondément et tend idéalement à proposer un environnement favorable pour que le jeune puisse, par essais et erreurs, affirmer et apprendre la propre définition de son existence.

L’éducation par la transmission se retrouve donc concurrencée, dans la famille et à l’école, par le primat de l’expérience personnelle. Dans les Adonaissants, F. de Singly précise que « l’éducation ne consiste pas à seulement intérioriser les règles de la vie sociale et morale, elle doit avant tout faire attention à développer la nature spécifique de chaque personne. » L’autonomie existe au sein de règles et dans le maintien d’un lien de dépendance économique et spatial. Ce sont les parents qui définissent et défendent le cadre : les frontières entre le permis et l’interdit, entre l’interdit strict et l’interdit toléré.

1. Le prescrit, le permis, les réticences et l’interdit

Face à des mères, voire des pères qui partagent les mêmes goûts, le champ du permis semble très large.

« Y a pas trop de différence sur les vêtements. Papa et maman aiment bien ce que je porte. » (Mathilde,1ère, 16 ans, Asnières)

Cela peut même aller pour Mathilde jusqu’au prêt de vêtements « les hauts, les pulls », marque d’une vraie complicité intergénérationnelle.

Dans le cadre de ce corpus, les prescriptions parentales sont rares et limitées au stage professionnel ou à l’inflexion du look choisi par Maïmouna souhaité par sa mère. Vincent est conscient des normes vestimentaires professionnelles et a accepté la recommandation de sa mère qui sinon le laisse très libre. La mère de Maîmouna cherche, aux dires de sa fille, à faire évoluer son style vers plus de féminité et lui achète sans elle des jupes.

Maïmouna peine à s’accepter en tant que femme et à quitter sa dimension identitaire de fille-garçon ou garçon manqué qu’elle s’est choisie durant son enfance, entourée de ses trois frères. Elle consent à porter des ballerines ou des jupes uniquement pour des raisons d’affect. Les prescriptions parentales, dans les cas présents, sont suivies occasionnellement, elles ne modifient pas pour autant l’identité construite par l’adolescent auprès de ses pairs.

« Elle veut que je porte des sandales, des ballerines. Les ballerines, ça fait mal aux pieds. J’ai des jupes mais je ne les mets jamais. C’est maman qui me les a achetées, j’étais pas là. Des fois je les mets quand il fait chaud, quand elle insiste. Il faudrait que j’arrête de mettre des pulls, que je mette des tee-shirts, c’est le désir de maman. » (Maimouna, 3ème, 14 ans, 93 Epinay-sur-seine)

Mais les réticences existent, elles portent sur des marqueurs de féminité comme les talons dont l’âge de l’accès est sujet à des tensions et modulable selon les lieux (interdiction à l’école, mais pas dans les soirées pour Philippine).

Cette résistance peut venir des mères qui peuvent percevoir leur fille comme une menace pour leur image qu’elles se refusent à voir vieillir et ainsi préférer retarder le « devenir-femme » de leur fille.

La rivalité mère-fille et le déni d’accès à la féminité ont été analysés par la sociologue Nathalie Heinrich. Lorsqu’une petite fille devient pubère, elle fait basculer sa mère du côté de celle qui bientôt sera grand-mère et sa grand-mère du côté de celle qui bientôt sera morte. Il y a une sorte de tension dans les positions liées à l’évolution des âges de la vie, tension qui montre bien comment les femmes se trouvent dans une position de rivalité les unes par rapport aux autres.

« Peut-être les talons au départ. C’était pour aller dans les rallyes en 4ème, j’avais 13 ans. J’étais avec Maman et Audrey dans la boutique, elle voyait toutes les chaussures, ce fut difficile de trouver la paire qui convenait à elle et à moi. Après pour les rallyes, c’était OK. » (Mathilde,1ère, 16 ans, Asnières)

A contrario, les mères peuvent refuser à leurs filles des chaussures trop masculines comme à Maïmouna et Laurence.

« Je voulais avoir des chaussures de skate encore plus grosses que des Van’s (chaussures de skate très masculines) en 3ème. Maman n’a pas voulu. » (Laurence, 1ère, 17 ans, Perpignan)

Quant aux interdits, ils semblent se limiter à une norme sociale : l’aspect vulgaire pour Mathilde ou pour Philippine, c’est un interdit qu’elles ne peuvent négocier. Cela devient une source de tension si les parents considèrent comme vulgaire un des vêtements emblématiques des jeunes, notamment des collégiens, comme le sweatshirt. Les normes parentales viennent ici s’opposer à la norme des pairs.

Sont alors en jeu des questions identitaires de jeunes, de revendication à une classe d’âge et d’affect. La zone vestimentaire n’est pas un territoire personnel où Philippine apprend l’autonomie, mais un territoire contrôlé par ses parents. En pratiquant ces dépassements, elle s’aperçoit qu’elle a du pouvoir et aussi des limites, ce qui constitue une des modalités de l’apprentissage de l’autonomie (de Singly, 2006).

« Les sources de tension portent sur les habits. Parfois, ils ne veulent que je ressemble à des pouffiasses, ils veulent que j’aie bon genre. Maman et Papa n’aiment pas du tout les sweats, si j’en mets tous les jours, ils ne supportent pas. »

(Philippine, 3ème, 14 ans, Paris)

Les pères peuvent instaurer des interdits « le pantalon baggy qui donne une mauvaise image aux professeurs ». Cela peut mener jusqu’à l’affrontement entre la sévérité du père qui surveille les devoirs et les tenues, et le désir d’émancipation du garçon qui cherche à aller voir ailleurs pour s’engager dans la vie au niveau de sa propre génération. À travers ce processus conflictuel et inégal, ce sont les exigences d’émancipation de l’individu, créatrices de nouveaux liens sociaux qui se manifestent.

« À la période de l’adolescence, quand j’avais 13 ans, ils ne voulaient pas de baggys, de pantalons larges, ni de trous dans les pantalons. On se faisait engueuler. Une fois, Papa a découpé un baggy, il y a un an, il l’a transformé en short. C’était un pantalon de la marque America, il valait 70€. Il nous l’a interdit pendant une petite période. » (Dan, 2nde, 15 ans, 93 Gagny)

Le cadre est élaboré par les parents : les frontières entre le permis et l’interdit, entre l’interdit strict et l’interdit toléré, sont définies et défendues par les parents. Braver les interdits est pour l’adolescent un moyen de construire son identité face à ses parents et ces bravades sont des symptômes mêmes de l’adolescence, à l’instar de David.

De Singly F., Les uns avec les autres, Armand Colin, 2003, p 139

de Singly F., La cause de l’enfant in Enfants adultes vers une égalité de statut, Universalis, 2004 p 7-10

de Singly F., Les Adonaissants, Armand Colin, 2006, p 21-23

« À l’adolescence, on s’affirme, c’est déjà une grande chose. On a besoin de plus en plus d’indiquer qu’on est quelqu’un, on est obligé de faire contre les parents. » (David, 1ère, 16 ans, 93 Gagny)

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Modes vestimentaires chez les adolescents
Université 🏫: Université Paris-Descartes – Paris V - Faculté des sciences humaines et sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche Master 2 - JUIN 2008
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