Emergence – Rationalisation d’un métier, professionnaliser ou tayloriser

Université Paris-Est Créteil UPEC – Paris 12

DEA Sciences de Gestion « Management & Stratégie » de l’Université Paris Val de Marne et de l’Ecole Centrale Paris.

France Télécom

De l’émergence à la rationalisation d’un métier : professionnaliser ou tayloriser ?

Le cas des webmestres de l’intranet de France Télécom.

Sylvain BUREAU

Sous la direction de :

Monsieur Pierre-Jean Benghozi

Centre de Recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique

et Monsieur le Professeur Bernard Forgues

Institut de Recherche en Gestion de l’Université Paris 12

Session septembre 2003

Remerciements 

Je tiens à remercier en premier lieu mes deux directeurs de recherche Pierre-Jean Benghozi et Bernard Forgues. Pierre-Jean Benghozi m’a fait confiance alors qu’il n’était pas membre de l’équipe pédagogique du DEA et son expérience dans le domaine des intranets, couplée aux conseils d’Emmanuelle Vaast, m’a permis de gagner un temps précieux dans la réalisation de ce mémoire. Bernard Forgues a accepté cette co-tutelle par pragmatisme, son calme et son optimisme m’auront permis de garder le cap lors de l’élaboration de ce travail.

L’aide de ces deux chercheurs fut centrale mais elle n’aurait servi à rien sans la gentillesse de l’ensemble des salariés de France Télécom que j’ai rencontrés. Bien entendu, je tiens à souligner la liberté que m’a accordé ma responsable à France Télécom, Andrée Kintzinger. L’équipe de consultants avec qui j’ai effectué mon observation participante a également toujours accepté ma position bancale d’apprenti chercheur et de stagiaire.

Ils m’ont soutenu dans toutes mes démarches et m’ont permis d’obtenir de nombreux contacts en interne qui ont nettement enrichi le propos. Je ne vais pas énumérer les différents noms des consultants mais je tiens à remercier tout particulièrement Pascale Debaecker qui m’a recruté et qui a dirigé mon travail de stagiaire au quotidien. Merci à mon collègue stagiaire, Jocelyn Prévot, ancien élève du DEA qui m’a rassuré et aidé dans ma tâche. Enfin, un grand merci à toutes les personnes qui ont bien voulu m’accorder un peu de temps pour réaliser les entretiens.

De nombreuses personnes de mon entourage ont également accepté de m’écouter discuter de ce mémoire pendant plusieurs mois. Ces échanges furent toujours bénéfiques et il serait injuste de ne pas souligner la collaboration informelle de Jérôme Billé, élève du DEA, de Corine, qui a toujours eu la patience de m’entendre et de me redonner confiance et de toute ma famille qui a compris l’importance d’un tel travail.

Introduction

Avec le développement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (1) les entreprises ont pu proposer des offres innovantes. Le commerce en ligne en est un des exemples les plus célèbres (S.P. Bradley et R.L. Nolon, 1999). Ces technologies ont également eu un impact sur le fonctionnement des systèmes de gestion des organisations (M.E. Porter, 2001). Les NTIC diminuent le coût des échanges de données et d’informations.

L’exemple des ERP (Entreprise Ressource Planning), des EDI (Echanges de Données Informatisés) ou plus simplement des messageries électroniques souligne toute la portée potentielle de ces outils pour coordonner les activités dans les organisations. Certains ont considéré que les impacts étaient tels que l’on assistait à l’émergence d’une « nouvelle économie » (2)  ou d’une « Net économie » (3). Plusieurs éléments, mis en évidence par D. Cohen, caractérisent cette économie des NTIC. Parmi ces éléments, il indique notamment que la valeur serait « dans le savoir-faire » et dépendrait entre autre de « travailleurs du savoir » (4).

L’expansion de l’utilisation des NTIC conduit plus concrètement à l’apparition de nouvelles compétences. Cette évolution amène selon certains à une déstabilisation du marché du travail : la demande de travail serait supérieure à l’offre. Pour la France, l’EITO, European Information, Technology Observatory, « évalue la pénurie à 180 000 travailleurs en 2000 et à environ 220 000 en 2003 (EITO, 2001) » (F. Pichault, B. Rorive, et M. Zune, 2001, p. 4).

Ces estimations ont été remises en cause (C.M. Veneri, 1999) et avec le retournement de la conjoncture, les nouveaux métiers de la Net économie ont tous été affectés. Il semble que les statistiques ont effectivement surévalué le déséquilibre. Quoiqu’il en soit, le trait commun à l’ensemble de ces analyses réside dans la constatation de l’émergence de nouvelles compétences en lien avec l’évolution technologique. Le défi que doivent relever les organisations est d’intégrer au mieux ces compétences pour améliorer leurs performances.

Le cas des intranets est à ce titre assez significatif des problèmes posés et des modes de régulation choisis par les entreprises pour gérer ces changements technologiques. Présentés comme une solution organisationnelle qui facilite les échanges et la communication interne, l’utilisation des intranets a connu à la fin des années 90 une expansion très nette. Cet « outil indispensable » (5) pour le système d’information (6) d’une entreprise, n’a semble-t-il pas tenu toutes ses promesses.

Bien souvent mis en place par mimétisme, « dans la pratique, les entreprises rencontrent des difficultés à développer une stratégie globale définissant l’articulation » (R. Hederlé, et W. Romieux, 1998, p. 89) entre les différentes fonctionnalités de l’outil. Une des raisons avancées pour expliquer ce problème de pilotage est la nouveauté des compétences nécessaires pour installer et développer un tel réseau. Illustration de cette situation, l’apparition de nouveaux métiers.

Le plus célèbre d’entre eux est sans doute le métier de webmaster ou de webmestre (7). Ce métier est d’abord apparu côté Internet avant de se propager à l’intranet. « Le titre « Webmaster » désigne généralement une personne qui travaille sur le contenu du Web. Mais lorsque vous examinez ce que les webmasters font réellement, il existe un grand nombre de définitions différentes » (S. Spainhour, et R. Eckstein, 2000, p. 4).

Suivant les ouvrages destinés aux professionnels, le champ des domaines de compétences varie, mais le point commun de toutes ces définitions est sans aucun doute l’étendue de ce champ. De façon schématique, « sur un site Web, les responsabilités sont généralement réparties en quatre groupes : les responsables du contenu travaillent sur les données elles-mêmes (…), les graphistes créent les images et définissent l’aspect général du site (…), les programmeurs écrivent les applications (…) en vue de leur intégration dans le site Web (…), les administrateurs s’assurent en tous temps du bon fonctionnement et des performances du serveur » (S. Spainhour, et R. Eckstein, 2000, p. 4-5).

A l’intérieur de ces quatre grands domaines existent une multitude d’activités : la conception qui demande les compétences d’un chef de projet, la réalisation et l’entretien technique qui implique la connaissance de plusieurs langages informatiques (le HTML (8) étant le plus connu), la gestion des bases de données, l’administration du réseau et de sa sécurité, le travail de maquettage, et de design, la maîtrise de nouveaux médias (comme le Flash, la vidéo, la photo numérique), l’écriture de pages Web qui requiert des qualités rédactionnelles assez spécifiques, le suivi statistique avec l’analyse de la fréquentation du site, un travail lié à l’interactivité avec les utilisateurs pour faire vivre les forums, un travail de veille technologique, ou encore de commercial dans le cas du e-commerce.

Nous demandons au lecteur de bien vouloir excuser cette longue liste mais elle doit permettre de pointer l’étendue des compétences requises pour être « un webmestre complet », qu’il travaille dans l’Internet ou l’intranet (9).

Dans les faits, ce « webmaster type » est plutôt rare. « Profils variés, rémunérations allant du simple au double, compétences disparates : le métier de webmaster tel qu’il apparaît dans les offres d’emploi est plutôt flou » (R. Carlier, 2000, p. 13). Face à cette hétérogénéité des situations, quelle définition est-il possible de donner à ce métier ?

(1) Nous utiliserons pour la suite, NTIC, définit comme des technologies qui « regroupent l’ensemble des techniques qui contribuent à numériser et digitaliser l’information, à la traiter, à la stocker et à la mettre à la disposition d’un – ou de plusieurs – utilisateur(s) ». (Y. Chatelain, T. Grange, L. Roche, 1999, p. 88). Nous englobons sous cette appellation les outils techniques tels que l’Internet, la messagerie électronique, les sites et forums de l’intranet, et les outils de groupeware (Cf. définition p.22) et de workflow (Cf. définition p.22 ).

(2) Le terme est d’origine journalistique, l’expression remonte à Kelly, un journaliste américain en 1998. La nouvelle économie se base sur le développement du secteur des TIC, parmi lesquelles trois secteurs sont reconnus par les nomenclatures comptables nationales (l’informatique, l’électronique et les télécommunications). En 2000, ils représentaient 6,3 % du PIB en France.

(3) La « Net économie » est plus restrictif que le terme de « Nouvelle économie » puisqu’il désigne « l’émergence de ce nouveau mode de production né de l’utilisation massive d’Internet » (A. Muller, 2001, p. 3). Cette économie ne représentait en décembre 2000 que « 0,4 % du commerce mondial » (J.M. Engelhard, 2000, p. 28).

(4) Eléments qui caractérisent l’économie des NTIC selon Daniel Cohen : « Coûts de fabrication et de distribution faibles, tandis que les coûts de conception sont très élevés. La valeur est dans le savoir-faire (…) les coûts de reproduction devenant négligeables. (…) Un autre élément de la nouvelle économie tient à la dématérialisation des valeurs de l’entreprise : les brevets innovants (…), « les travailleurs du savoir » (…). D’autre part, le marché des NTIC est un système économique à rendement d’échelle croissant marqué par une configuration monopolistique (…). Enfin, les entreprises incarnant la nouvelle économie se distinguent par une organisation managériale et sociale basée sur l’actionnariat des salariés et des managers. » (aderRHis, SIRH de Marrakech 2001, p. 16).

(5) « Outil indispensable, l’intranet ne comble pas vraiment les attentes des salariés ». Titre d’un article de O1 Informatique, N°1710, 07.02.03, p. 33.

(6) Nous le définirons comme « un ensemble organisé de ressources : matériel, logiciel, personnel, données, procédures permettant d’acquérir, de traiter, de stocker, de communiquer des informations (sous formes de données, textes, images, sons, etc.) dans des organisations » (R. Reix, 2002, p. 75).

(7) Le terme de « webmestre » sera toujours utilisé dans ce travail. Le terme de « webmaster » apparaît également mais au sein de citations.

(8) HTML : langage de marquage hypertexte, il est considéré comme « l’espéranto du Web » (L. Schmeiser, 1999, p. 81).

(9) Certains domaines n’existent pas au niveau de l’intranet. C’est le cas de l’e-commerce en particulier.

(10) Nous assimilons pour le moment profession et métier, nous préciserons ces termes dans la partie 6 de ce travail.

(11) Nous préciserons le terme de professionnalisation dans la partie 5.

(12) « L’efficience est le fait de maximiser la quantité obtenue de produits ou de service à partir d’une quantité donnée de ressources (…) l’efficacité est le fait de réaliser les objectifs et les finalités poursuivis » (H. Bouquin, 1986, p. 51).

(13) Nous préciserons le terme de taylorisation dans la partie 4.

Plusieurs professionnels considèrent que s’il « existe certainement autant de définitions du métier qu’il existe de webmasters. (…) les métiers ont pris forme, les fonctions se sont définies (…) La profession de webmaster a mûri, s’est affinée, affirmée même » (P. Lacroix, 2003, p. 1). Ce dernier constat, fait en 2003, est à comparer avec une autre observation faite cette fois en 2000 : « une certaine presse utilise largement le terme de webmaster pour désigner toute personne qui fait des sites, et les particuliers en tête.

Ces webmasters, vous l’aurez compris, n’en sont pas vraiment (parlons plutôt de créateur de pages Web, allons jusqu’à webmasters en herbe à la rigueur…) mais peuvent le devenir s’ils en font une profession (…) le propos est ici de parler de métier, pas de loisir » (R. Carlier, 2000, p. 250). Entre ces deux propositions, un phénomène aurait favorisé la reconnaissance de ce métier. Pourtant, pour définir un métier il faut pouvoir indiquer « la portée de l’activité considérée et la qualité de la formation requise pour son exercice » (F.L. Closon, 1955, in G. Latreille, 1980, p. 14). Or, pour le cas des webmestres cette définition est toujours extrêmement difficile à proposer dans des termes précis.

De plus en plus, « il semblerait que la tendance, qui se dessine soit la fin du terme webmaster à titre professionnel, qu’il ne devienne réservé qu’à un aspect amateur, ou à terme très généraliste, pour simplifier une entité anonyme qui se cache derrière un site Web (…).

L’intranaute va écrire au webmaster mais son mail sera re- routé soit vers le responsable éditorial, soit vers le commercial, soit vers le support technique… Dans ses fonctions évoquées plus haut, le terme a donc tendance à devenir obsolète, et à disparaître au profit de terme précis (intégrateur, développeur…) ou de terme censé être glorieux (directeur technique).

Webmaster risque donc de devenir un terme générique (…) Le webmaster va être éditorial, technique, intégrateur, graphiste selon sa spécialité » (R. Carlier, 2000, p. 253). Cette prospective, réalisée en 2000, semble aujourd’hui se confirmer avec l’apparition de nombreux autres métiers qui se substituent au terme générique de webmestre.

Il est question de développeurs de site, de webdesigners (responsable de l’image du site), d’infographistes (spécialiste du graphisme), d’ergonomes (étudie les conditions d’interfaces optimales), de webjournalistes, d’animateurs de forums de discussion, etc.

Le webmestre, élément incontournable pour tout site du Web, semble laisser la place à d’autres intervenants. Ce métier serait-il donc mort né ? Le terme de métier n’a pas de définition très stabilisée mais nous pouvons considérer qu’il s’agit de « « dénominations par lesquelles des personnes sont susceptibles de déclarer leur activité à l’occasion d’un recensement par exemple » (…) elles indiquent déjà une certaine identification de la personne elle-même avec son activité. (…) ce sont les « occupations habituelles dont on peut tirer ses moyens d’existence » (définition Larousse) dans la mesure où elles se sont structurées en groupes plus ou moins discernables et cohérents, groupes dont les membres souhaitent se distinguer des « amateurs » exerçant à l’occasion une activité analogue (définition des « professionnels » dans le même Larousse) » (G. Latreille, 1980, p. 14-15).

Cette définition est intéressante pour notre cas car elle permet de mettre en son cœur la perception des individus sur leur activité et de prendre en compte la vision de la société sur cette même activité. Le métier n’existe pas en raison de la présence de spécificités intrinsèques mais parce qu’il est socialement reconnu.

Par ailleurs et pour compléter la définition du terme de métier, il est utile de noter que « comme l’affirme (…) Geneviève Latreille, une profession (10) ne peut naître qu’en trouvant le moyen d’apporter des compétences opératoires en réponse à une demande sociale ou marchande » (R. Sainsaulieu, p. 18, in M. Legrand, J.F. Guillaume, et D. Vrancken, 1995). L’émergence des webmestres fut ainsi liée au besoin de gérer un nombre sans cesse croissant de sites. La disparition du terme de webmestre signifierait donc que ce groupe est incapable de répondre à la demande du marché en maintenant cette identité générique.

Pourtant, il est possible de distinguer deux tendances majeures qui laissent à penser qu’un processus de professionnalisation (11) se met en place. La première tendance réside dans la formalisation des compétences. L’apparition de différents termes désignant des spécialistes, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, ou le développement des formations de webmestres avec des écoles spécifiques, traduisent ce point.

Même si le webmestre reste un terme générique assez flou, la gamme des compétences auquel il renvoie est de mieux en mieux connue et précisée. La deuxième tendance, liée à la première, tient à la volonté, affichée par de nombreux webmestres, d’améliorer la reconnaissance associée à leur activité.

Ces webmestres essaient de favoriser une évolution qui permette à ce métier « de passer à un stade plus professionnel, à savoir s’organiser en structures, se définir et s’encadrer (que ce soit par une association, un syndicat professionnel ou autre chose) » (R. Carlier, 2000, p. 256). Cette analyse rapide du marché du travail des webmestres semble indiquer qu’une professionnalisation est en cours, or l’étude de la gestion des intranets menée au sein des entreprises apparaît quelque peu contradictoire avec cette première conclusion.

Au départ, les webmestres étaient très indépendants dans leur travail en raison notamment de leur rôle d’innovateurs et du manque de compétences des différentes hiérarchies, puis la situation s’est progressivement clarifiée et stabilisée.

Dans une conjoncture globalement défavorable, les managers ont alors commencé à rationaliser cette activité pour essayer de la rendre plus efficiente et efficace (12). Cette rationalisation semble conduire à une spécialisation des tâches et à une standardisation des processus. Certains considèrent que cette évolution s’apparente à une forme moderne de taylorisation (13) qui menace de disparition le terme, voire l’activité de webmestre.

Si ces deux constats sont un peu rapides, il reste que l’impact ne sera pas le même suivant l’orientation à venir. Le devenir des webmestres est bien sûr questionné mais d’autres aspects sont aussi à prendre en compte. En effet, suivant les changements qui vont se produire, les fonctionnalités mais aussi les coût de fonctionnement des intranets vont fortement évoluer. Pour mieux envisager ces enjeux, nous pourrions dire en simplifiant à l’extrême, qu’un intranet géré par un ensemble de professionnels ne peut avoir les mêmes objectifs qu’un intranet totalement automatisé dont la maintenance est assurée par quelques techniciens.

En raison du peu de poids des organisations professionnelles sur ce marché du travail, c’est essentiellement l’évolution de la gestion des intranets menées par les managers au sein des entreprises qui risque d’être déterminant.

Ces différentes remarques nous conduisent alors à nous demander dans quelle mesure l’évolution de la gestion des intranets favorise ou non la professionnalisation de l’activité des webmestres ?

Pour répondre à cette question, une observation participante (14) fut réalisée à France Télécom. Le cas de cette entreprise est particulièrement éclairant pour étudier ce phénomène d’émergence et de rationalisation du métier des webmestres. France Télécom, 6ème entreprise française en terme de chiffre d’affaires, présente dans plus de 65 pays, totalisant près de 111 millions de clients et employant environ 206 200 salariés avait pour objectif de devenir la « Net Compagnie française ».

Ainsi, Michel Bon, ancien PDG de France Télécom écrivait dans la préface du livre La cyber-entreprise (J. Champeaux et C. Bret, 2000) que « l’Intranet est un fantastique accélérateur de la prise de décision » et «  qu’il transforme en profondeur les modes de management » (…) « France Télécom, la Net Compagnie française » doit être prête pour appréhender le monde des NTIC, « monde nouveau qui va terriblement décoiffer ».

De façon caricaturale, il semble que l’intranet de France Télécom, Intranoo (15), était un des outils clés de la stratégie de la « Net Compagnie », une « vitrine (16) » de l’entreprise. L’important n’était pas le coût de l’outil, ni sa bonne gestion mais d’abord et avant tout son développement.

En conséquence, créé en 1996 avec une dizaine de sites, il en compte aujourd’hui plus d’un millier. La qualité du réseau est très hétérogène : presque autant d’ergonomies que de sites, une multiplication des technologies, et des contenus touffus et pas toujours fiables. Avant même le changement de direction, il devenait essentiel de rationaliser la gestion de l’intranet.

Pour favoriser cette évolution, plusieurs projets ont été mis en place : élaboration d’un portail, outils de publication en ligne et labellisation des sites (17). Certains de ces projets, comme la mise en place d’un portail, n’ont pas été maintenus en raison des mesures de réduction des coûts imposée par la nouvelle équipe, dirigée par Thierry Breton.

Hier présentée comme une « Net Compagnie », France Télécom est aujourd’hui considérée comme une des entreprises les plus endettées du monde. Il semble que le changement dans la gestion de l’intranet suit d’une certaine façon cette même évolution dialectique, avec au départ une période d’émergence, de foisonnement de sites, puis une période de rationalisation où la gestion redevient plus « traditionnelle » avec la construction d’indicateurs de performance notamment.

Cette nouvelle logique au sein de France Télécom impacte fortement l’activité des webmestres. Au départ très autonomes, les webmestres voient leur activité de plus en plus gérée par les managers avec l’apparition de règles de contrôle et l’émission de normes et de standards.

En dehors de la discussion portant sur le choix du terrain, la mise en place de l’étude de cas semble cohérente pour analyser un phénomène récent de moins de 10 ans. En effet, « le milieu d’interconnaissance le plus adapté à l’enquête de terrain aujourd’hui reste les milieux professionnels peu connus, méconnus, ceux-là même qu’Everett Hughes conseillait à ses étudiants d’enquêter » (S. Beaud, F. Weber, 1997, p. 10). « Les recherches qui relèvent le plus directement du programme de Hughes reposent presque toutes sur un travail de terrain approfondi, comprenant en général observation in situ et entretiens auprès de populations de taille limitée : telle catégorie de travailleurs dans une entreprise, telle situation de travail ou tel métier » (J.M. Chapoulie, in E.C. Hughes, 1996, p. 39-40).

C’est avec cette perspective que le travail de recueil des données empiriques fut réalisé, comme l’indique la première partie de ce document. Après cette description des éléments de méthode, nous préciserons en quoi il est utile d’appréhender l’évolution de l’activité des webmestres à partir de la littérature du changement technologique.

Nous verrons que le phénomène étudié relève d’un processus classique avec un découpage en deux phases, émergence puis rationalisation, mais qu’il est nécessaire de prendre en compte les spécificités de l’outil intranet et du contexte de France Télécom pour mieux évaluer les facteurs qui ont impacté la trajectoire de la gestion de l’intranet. Les causes du passage de l’émergence à la rationalisation seront tout particulièrement précisées dans cette partie.

Le reste du développement suit la temporalité du phénomène. La partie trois vise à décrire la population des webmestres en étudiant plus spécifiquement la phase d’émergence de cette activité. Cette partie permet de mieux connaître la population des webmestres mais aussi les relations entretenues entre cette population et le reste de l’organisation.

Une fois le bilan de la situation des webmestres de France Télécom réalisé, la partie 4 clarifie les modalités de la mise en œuvre de la rationalisation de la gestion de l’intranet de France Télécom en utilisant la grille théorique de F.W. Taylor. Cette analyse doit ensuite favoriser une meilleure compréhension des effets de la rationalisation de la gestion de l’intranet sur l’activité des webmestres. La partie 5 conclue alors sur l’impact de cette rationalisation et tente de déterminer s’il s’agit ou non d’une professionnalisation. Les effets de cette gestion sur les fonctionnalités de l’outil seront également envisagés.

La conclusion synthétise les apports estimés de cette étude et les limites qu’il est nécessaire de prendre en compte pour utiliser les résultats. Une proposition pour se servir de ce travail lors d’une future recherche est également indiquée.

I. Méthodologie

Cette recherche a respecté la remarque d’E. Morin selon laquelle « la méthode ne peut se former que pendant la recherche ; elle ne peut se dégager et se formuler qu’après, au moment où le terme redevient un nouveau point de départ, cette fois doté de méthode. Nietzsche le savait : « les méthodes viennent à la fin » (L’Antéchrist) » (E. Morin, 1977, p. 22). Le fondement du propos d’E. Morin n’est pas ici discuté.

L’objectif est simplement de souligner que la méthode est venue au fil de l’avancée des travaux. La première raison de cette situation est liée à une méconnaissance du travail de recherche au moment de l’immersion sur le terrain. En effet, le stage effectué chez France Télécom a débuté dès le mois d’août 2002 au sein de Net@too, structure rattachée à la direction du système d’information. Créée en 2000, elle fonctionne par projets et elle « vise à assurer la transversalité et la mutualisation des savoirs et des compétences NTIC à l’intérieur du groupe » (18).

Le but de cette entité est de promouvoir « l’e-transformation rapidement et totalement »(19). Après avoir intégré une équipe dont le rôle est de réguler l’Intranet de l’entreprise, la mission consistait à :

  •  communiquer sur la mise en place d’un label (20) auprès des webmestres de sites intranet ;
  •  labelliser les sites qui remplissaient les 40 critères éditoriaux et techniques ;
  •  communiquer sur un outil standardisé de publication en ligne, intitulé coquille inStranet (21), auprès des webmestres de sites intranet de Directions Régionales ;
  •  élaborer le plan de classement de l’information des sites intranet de la Direction Comptable avec la collaboration des webmestres de ces sites.

Pendant les deux premiers mois, le poste était occupé à temps plein. Durant cette période de nombreux éléments sur l’intranet de France Télécom et plus largement sur l’ensemble de cette entreprise furent collectés.

Avec les cours de méthodologie, un apprentissage sur les différentes méthodes de recherche existantes et sur les diverses postures épistémologiques possibles a pu commencer. Cet apprentissage a progressivement permis de faire émerger des concepts méthodologiques.

1.1. Etude de cas et observation participante

Ce travail est une étude de cas, définie comme « une enquête empirique qui permet d’examiner un phénomène contemporain dans son contexte » (R.K. Yin, 1994, p. 13). L’étude du phénomène dans le contexte est d’autant plus nécessaire que « les frontières entre le phénomène et le contexte ne sont pas facilement distinguables » (ibid., p. 13).

Cette étude de cas, fut réalisée dans une seule entreprise, France Télécom. Le fait de ne retenir qu’un seul cas est évidemment lié à des contraintes pratiques mais pas seulement. Le cas retenu est très spécifique et d’un intérêt intrinsèque. Comme nous aurons l’occasion de le souligner dans ce travail, France Télécom est une des plus grandes entreprises françaises et elle a mis en place un des intranets les plus importants en terme de nombre de sites.

Le large déploiement de l’outil a conduit à l’émergence de très nombreux webmestres. Tous ces éléments nous permettent d’avoir une base d’analyse riche et variée pour notre étude. Ceci étant, la perspective retenue est d’élargir le champ à d’autres entreprises lors d’un travail ultérieur. Ce travail est donc d’abord exploratoire.

L’accès au terrain fut rendu possible grâce à une observation participante. Le procédé de ce type de recherche « consiste pour un observateur à occuper un rôle organisationnel prédéfini à partir duquel il va recueillir des matériaux en vue d’une analyse ultérieure » (A. Bouchikhi, 1988). Le rôle occupé n’impliquait, comme nous l’avons vu dans le paragraphe ci-dessus, une quelconque utilisation du travail de recherche proprement dit.

Il y avait une séparation très nette entre la fonction opérationnelle assumée en tant que stagiaire et le travail de collecte de documents et de réalisation des entretiens. Ce travail ne relève absolument pas de la recherche-action car à aucun moment l’analyse devait permettre de transformer les pratiques observées. Selon M. Liu, la recherche-action est une méthode qui implique les étapes suivantes :

  •  recueil des données ;
  •  analyse des données ;
  •  formulation des problèmes à partir de des données analysées ;
  •  recherche de solutions ;
  •  évaluation des solutions ;
  •  choix d’une solution ;
  •  mise en œuvre de la solution retenue ;
  •  suivi et correction » (M. Liu, 1997, p. 73)

Si les trois premières étapes furent mises en oeuvre, les autres n’ont pas été pas abordées et aucune solution opérationnelle précise n’est véritablement proposée dans ce document. Même si les conditions n’étaient pas propices à une parfaite extériorité, cette caractéristique a toujours été recherchée. De l’interactivité a eu lieu avec l’objet de recherche mais cette interactivité ne fut jamais le résultat du travail de recherche. A titre d’illustration, il n’y a eu pratiquement aucune discussion sur la réalisation de ce mémoire avec la responsable, les collègues et l’ensemble des relations de travail à France Télécom.

I.1. Une méthode qualitative

Cette recherche est qualitative car « elle tente de se rapprocher de la façon naturelle d’apprendre des êtres humains en observant, écoutant, parlant des phénomènes pour mieux les comprendre et rendre la compréhension explicite » (A. Langley, 2001). Concrètement, les données recueillies sont essentiellement des documents de travail, des notes prises lors des 17 entretiens réalisés, des mails ou encore des études internes sur l’évolution des métiers de l’intranet et des NTIC. L’ensemble de ces données et des modalités de traitement seront précisées dans la partie ci-après.

Par ailleurs, une approche holistique a été adoptée dans le sens où cette recherche doit permettre de prendre en compte le contexte. La lecture de la presse et de documents internes portant sur l’évolution globale de France Télécom ont permis de mieux comprendre dans quelles conditions se sont fait le déploiement et le développement de l’intranet de l’entreprise. Pour exemple, la restructuration actuellement en cours a été prise en compte car elle impacte l’ensemble du groupe, y compris la gestion de l’intranet et l’activité des webmestres.

Enfin, cette recherche s’attache essentiellement à analyser les processus qui sont à l’œuvre et elle adoptera « une structure de présentation chronologique » (R.K. Yin, 1994, p. 139) de façon à bien mettre en évidence les différentes séquences causales. Ce travail se focalisera donc sur l’étude de France Télécom avec une démarche longitudinale qui permet de retracer l’évolution des processus de gestion au cours du développement de l’intranet depuis sa création en 1996 jusqu’à nos jours. La lecture de la revue de l’entité qui a géré l’intranet depuis son origine a notamment permis d’avoir cette vision processuelle.

Ces remarques d’ordre général faites, il est utile de décrire plus précisément comment les données ont été recueillies et analysées.

1.2. Recueil et analyse des données

L’immersion sur le terrain sur une période de onze mois (22) a permis de recueillir une masse d’informations importante issue de différentes sources. R. Yin, en distingue six principales (1994, p. 80) : la documentation diverse, les archives, les entretiens, l’observation directe, l’observation participante et les artefacts physiques. Seule l’observation directe n’a pas été utilisée pour étudier la gestion des intranets et l’activité des webmestres.

Nous allons détailler les différentes sources et le mode de traitement des données recueillies.

I.3.1. Observation participante

Le travail réalisé lors du stage a conduit à de multiples contacts avec de très nombreux webmestres. En effet, la communication sur le label puis la labellisation des sites ont nécessité des échanges de mails mais aussi des conversations téléphoniques avec plus de 150 webmestres de France Télécom (23).

De ces échanges, une quarantaine de mails reçus ou envoyés lors des relations entretenues avec les webmestres ou leur manager ont été conservés car ils semblaient pertinents au regard de la réalisation de ce mémoire (24). Tout au long de ce travail des citations issues de ces mails sont d’ailleurs présentées. De plus, des notes ont été prises lors des discussions téléphoniques et plus largement lors des diverses conversations tenues avec les collègues de travail de Net@too.

Ces notes ont notamment permis de souligner les différents problèmes opérationnels rencontrés dans la démarche de labellisation. Enfin lors de chaque réunion formelle (25), tout était noté sous la forme de compte-rendu.

La réalisation de ce stage a également permis l’accès à une large documentation.

I.3.2. Documentation diverse et archives

Près de 600 pages de documents concernant le travail au sein de Net@too, mais aussi dans d’autres entités, si les documents concernaient la gestion de l’Intranet ou s’ils se rattachaient à des sujets qui pouvaient avoir un impact sur cette gestion (programme de réduction des coûts, orientation stratégique, etc.), ont été étudiées. Parmi ces documents, nous listons notamment :

  •  les présentations des programmes de réduction de coûts au niveau du groupe ;
  •  les présentations des projets de Net@too et le guide des 7 chartes de l’intranet de France Télécom de 86 pages ;
  •  une étude de l’Institut des métiers de France Télécom sur l’évolution des métiers de l’Internet et du multimédia réalisée en 2000 de 121 page ;
  •  la revue mensuelle Net BD, depuis sa création en août 1997 jusqu’à sa disparition en 2000 (feuillet de quatre pages par revue) ;
  •  les résultats d’un sondage en ligne réalisé par Net@too auprès de la communauté des webmestres de France Télécom.

Pour chacun de ces documents, disponibles pour la plupart sur l’intranet de France Télécom ou fournis par des collègues de travail, une analyse de contenu fut réalisée. Cette analyse a permis de mettre en avant la place accordée à certains concepts liés à la notion de taylorisation (standardisation des processus, homogénéisation, chaîne de publication, etc.), à la notion de professionnalisation (professionnels, spécialistes, reconnaissance des pairs, communauté de webmestres, etc.) ou encore à des aspects plus novateurs (transversalité, réseau, flexibilité, etc.). Aucun comptage précis des occurrences de certains termes n’a été entrepris en raison de la très grande diversité des sources.

Ce travail a plus eu pour objectif de confronter les documents entre eux et d’obtenir une vue assez large de la situation de l’entreprise, de l’évolution de la gestion de l’intranet de France Télécom et de la transformation de l’activité des webmestres. Le sondage réalisé par Net@too est sur ce dernier point quelque peu atypique au regard des autres documents. Il permet en effet de mieux quantifier certains phénomènes décrits par ailleurs. Ce sondage a obtenu 278 réponses ce qui représente un échantillon important (26) et globalement représentatif (27). Ces données furent toujours rapprochées de celles recueillies lors des entretiens.

(14) Terme défini dans la partie qui suit.

(15) Intranoo est le nom donné à l’intranet de France Télécom.

(16) Ce terme est issu du titre suivant : « Intranoo, vitrine de France Télécom », recueilli dans la revue interne « Net BD » de décembre 1998 (revue de la Branche Développement).

(17) Les différents projets en cours sont présentés en annexe.

(18) Phrase issue d’un document de présentation de Net@too.

(19) Idem.

(20) Nous donnerons des précisions sur ce label dans la partie 2.

(21) Nous donnerons des précisions sur cette coquille inStranet dans la partie 2.

(22) Deux mois à temps plein puis une journée par semaine à compter de la mi-octobre.

(23) Le travail réalisé lors du stage a permis de labelliser 105 sites et d’être en relation direct avec les webmestres de ces sites.

(24) Pour être tout à fait précis, tous les mails concernant la restructuration de l’entreprise (fusion d’entités, de sites intranet, changement de poste d’un webmestre, etc.), la rationalisation de l’intranet (propos de managers sur la diminution du nombre de sites par exemple) ou encore portant sur le label ou la coquille inStranet (prises de position favorables ou pas des webmestres ou de managers sur ces projets) ont été conservés.

(25) Quatre réunions majeures peuvent être signalées : une réunion avec les responsables de l’intranet de la Direction Régionale de Paris, une réunion avec les responsables de l’intranet d’Orange France, une réunion avec l’équipe projet de la coquille inStranet où un représentant de France Télécom Formation et deux personnes responsables des déploiements des projets informatiques de France Télécom étaient présents et enfin, une grande journée de réunion organisée par Net@too réunissant près de 200 « acteurs de l’intranet » où plusieurs chefs de projet ont présenté leurs travaux et où le directeur de la Direction du Système d’Information a fait un discours.

(26) Il représente au moins un tiers des webmestres.

I.3.3. Artefact physique : navigation sur l’intranet de France Télécom

Une navigation à la fois large, liée à la mission pendant le stage, mais aussi plus précise, pour rechercher certaines informations spécifiques (sites RH, site de Net@too, site de l’Ecole des Webmestres (28), etc.) fut réalisée sur l’intranet de France Télécom. Cette navigation a permis, comme nous l’avons déjà indiqué, de recueillir des documents mais aussi et surtout de visualiser le produit de la gestion de l’intranet et du travail des webmestres.

Cette navigation a notamment illustré les conclusions de certains consultants selon lesquelles l’intranet de France Télécom est foisonnant. Cette utilisation de l’intranet a également permis de considérer les sites des webmestres interrogés et d’aborder avec plus de recul le contenu des réponses fournies lors des entretiens. Dans de nombreuses situations (29), il est assez difficile de visualiser facilement et rapidement le résultat du travail réalisé par la personne interrogée. Dans le cas des webmestres, une navigation d’une heure suffit amplement pour avoir une idée précise de la qualité du site. Alors que France Télécom est une entreprise implantée dans la France entière, une simple navigation à partir d’un poste connecté au réseau interne permet de considérer le travail de l’ensemble des acteurs de l’intranet.

I.3.4. 17 entretiens semi-directifs

Lors du premier entretien, qui a eu lieu le 8 avril 2003, le contexte était déjà bien connu. Cette connaissance du terrain a permis un ciblage des 17 personnes interrogées (30). Parmi elles, 6 ne sont pas des webmestres. Ces six personnes ont été choisies pour différentes raisons. La première motivation de la sélection de ces personnes est la volonté d’obtenir des informations sur l’évolution du métier des webmestres.

Trois personnes participant au groupe de travail sur l’évolution des métiers de l’intranet et des NTIC furent donc retenues. C’est le cas de la responsable de l’Ecole des Webmestres, du Directeur adjoint des RH de Wanadoo et d’un responsable RH chargé d’élaborer le référentiel métiers compétences du groupe France Télécom. Par ailleurs, pour apporter des éléments à l’analyse processuelle, un chef de projet de Net@too qui était déjà responsable du déploiement de l’intranet dès sa création fut interrogé. Un formateur de l’Ecole des Webmestres fut également rencontré pour mieux connaître le contenu et la mise en œuvre pratique des formations des webmestres.

Enfin, un entretien avec un chercheur de France Télécom Recherche et Développement, sociologue des usages a été réalisé. Cet entretien a permis de prendre en compte, même si ce fut de façon parcellaire, le point de vue des utilisateurs. Cet entretien ayant entre autre conduit à la lecture d’études réalisées par ce chercheur sur les usages de l’intranet.

Pour les entretiens réalisés avec les 11 webmestres, l’échantillon est composé de :

  •  huit webmestres de la région Ile-de-France qui sont webmestres dans des Unités Opérationnelles de Directions Régionales ;
  •  un webmestre situé dans une Direction Régionale ;
  •  deux webmestres d’Unités Opérationnelles situées à la Direction Régionale de Lyon.

Les webmestres de Lyon ont été choisis car ils sont les seuls webmestres travaillant actuellement avec la coquille inStranet DR. Il faut cependant préciser que trois autres webmestres connaissent l’outil inStranet. Ainsi, deux d’entre eux travaillent dans une DR pilote sur l’inStranet. Cependant, l’état d’avancement du projet est faible et ils n’y participent pas. Un autre webmestre a été par le passé dans cette même DR pilote et il connaît donc assez bien les problématiques liés à cet outil.

Nous avons choisi de sélectionner les neuf webmestres de la région Ile-de-France de façon à avoir des personnes situées dans différents types d’UO (unité réseau, agence entreprise, unité service client…), avec des sites de qualités disparates (ayant obtenu le label Gold ou pas…). Nous avons préféré nous limiter à des webmestres situés en DR car les situations sont toujours très proches du point de vue de leur statut et de leur position dans l’organisation. Cette modalité de sélection de l’échantillon doit nous permettre d’éviter les principaux facteurs explicatifs rivaux. Par contre, il nous a semblé plus riche de voir si les différences de qualité et de catégorie d’UO avaient une influence sur les réponses.

Pour l’ensemble des entretiens, aucun enregistrement ne fut effectué afin d’éviter l’autocensure des acteurs interrogés. Ce choix est lié à la position occupée dans l’entreprise, connue des personnes interrogées. Chaque entretien a commencé par une introduction permettant de présenter ses objectifs et ses modalités : « Je réalise cet entretien en tant qu’étudiant du DEA Management et Stratégie de l’université de Paris 12 et de l’Ecole Centrale de Paris. Les données recueillies seront utilisées en vue de réaliser un mémoire de DEA qui a pour thème la gestion des intranets. Votre témoignage restera anonyme.

La durée de l’entretien devrait être d’une heure environ. Vous aurez un retour de cet entretien et vous pourrez alors donner votre avis sur le traitement de votre témoignage (31) ». Les entretiens ont eu lieu dans les locaux des personnes interrogées. Tous se sont déroulés sans la présence de collègues sauf pour un entretien qui a eu lieu, faute de local disponible, avec une autre personne. Nous précisons toutefois que cette tierce personne n’avait pas de relation hiérarchique avec l’interviewé. Les prises de notes furent retranscrites dans les 24 heures. Les entretiens concernant les webmestres ont été synthétisés et les six autres ont été traités de façon à faire ressortir certains éléments nouveaux mais aussi à confronter les différentes données recueillies. De nombreux verbatims, issus de ces entretiens, ont été présentés dans ce document pour illustrer et conforter les arguments avancés ou les préciser.

1.2.5. Triangulation des données

Pour limiter les erreurs d’analyse, une triangulation des données fut réalisée. « L’idée est d’attaquer un problème formalisé selon deux angles complémentaires dont le jeu différentiel sera source d’apprentissages » (P. Baumard, J. Ibert, 1999, p. 101). Cette triangulation a essentiellement conduit à confronter des données primaires et secondaires (32) :

navigation sur l’intranet de France Télécom

Objet de la recherche

Données primaires :

1. entretiens semi-directifs ;

2. observation participante…

Données secondaires :

1. documentation diverse ;

2. archives ;

3. navigation sur l’intranet …

Schéma inspiré P. Baumard et J. Ibert, 1999.

La même démarche fut adoptée pour croiser des données très qualitatives avec des données plus quantitatives. Les résultats du sondage en ligne réalisé par Net@too à partir des 278 réponses fut ainsi comparer avec les résultats obtenus à partir des 17 entretiens semi-directifs. Si des différences sont apparues, elles ont toujours été signalées et interprétées.

1.3. Induction ou déduction ?

La méthode utilisée fut composée de plusieurs phases. Il est possible de rapprocher certaines phases de cette recherche de méthodes clairement identifiées. La première partie de ce travail s’assimile à une méthode inductive.

Les données recueillies sur le terrain ont permis de faire émerger des concepts et plus particulièrement d’indiquer l’intérêt de recourir à certaines théories ou courants de recherche déjà existants (taylorisme, sociologie des professions, littérature sur le changement organisationnel et technologique, théories sur l’innovation, etc.). L’étude de cette littérature a ensuite permis d’envisager certaines conjectures qui furent mises à l’épreuve de faits. Cette deuxième phase se rapproche d’une méthode hypothético-déductive mais il faut bien noter qu’aucune hypothèse précise n’a été avancée en raison du caractère exploratoire de cette recherche.

(27) Les différentes catégories de webmestres y sont représentés (diversité des niveaux hiérarchiques et diversité des entités d’origine).

(28) Des détails sur cette école interne à France Télécom seront donnés par la suite.

(29) Dans le cas des grandes organisations où la division du travail est forte ou dans le cas de la production de certains services notamment (cas des métiers intellectuels notamment).

(30) Cf. les grilles d’entretien en annexe. Pour l’entretien réalisé avec le chercheur, aucune grille n’avait été définie préalablement.

(31) Ce dernier point n’a pas pu être réalisé pour le moment car le mémoire n’a pas encore été visé par la responsable de stage de France Télécom.

(32) « Les données secondaires n’ont pas été recueillies pour répondre aux besoins spécifiques du chercheur (…). Archives, notes, rapports, documents, règles et procédures écrites, modes d’emploi, revues de presse, etc., voici une liste non exhaustive » (P. Baumard et al., 1999, p. 251) de données secondaires.

Le schéma de la page suivante permet de visualiser la progression de la recherche.

L’oscillation entre éléments empiriques et théoriques

image002a 1

L’oscillation entre éléments empiriques et théoriques

Emergence de concepts, intérêt de la mobilisation de théories préexistantes.

Revue de la littérature sur le thème des TIC

Revue de la littérature sur les concepts de rationalisation, taylorisation, bureaucratisation, et professionnalisation

Croisement des différents concepts (taylorisation /professionnalisation en particulier) et croisement des concepts avec les éléments empiriques

Réalisation du stage :

Temps plein : Actions de communication pour augmenter le nombre de candidats à la labellisation Gold et interaction avec les webmestres déjà inscrits dans la démarche du label pour amener les sites au respect des 40 critères.

Observation participante :

Une journée par semaine : Poursuite du travail de labellisation des sites et actions de communication auprès des webmestres sur le projet de coquille inStranet.

Observation participante :

Une journée par semaine : Poursuite du travail de labellisation, des actions de communication pour le projet de coquille inStranet et élaboration d’un plan de classement des sites de la Direction comptable.

17 entretiens semi-directifs : En dehors de ce temps de travail dédié au stage, réalisation de 15 entretiens sur l’Ile de France et de 2 entretiens à Lyon.

Introduction
1. Méthodologie
1.1. Etude de cas et observation participante
1.1. Une méthode qualitative
1.2. Recueil et analyse des données
1.2.1. Observation participante
1.2.2. Documentation diverse et archives
1.2.3. Artefact physique : navigation sur l’intranet de France Télécom
1.2.4. 17 entretiens semi-directifs
1.2.5. Triangulation des données
1.3. Induction ou déduction ?
2. L’évolution historique de l’intranet FT : de  l’émergence à la rationalisation
2.1. Une évolution technologique classique
2.1. Les singularités technologiques et contextuelles, quels impacts ?
2.1.1. Les spécificités de l’intranet impliquent-ils une évolution particulière de sa gestion ?
2.1.2. Une innovation radicale qui appelle une nouvelle gestion ?
2.1.3. Un outil difficile à caractériser qui complexifie sa gestion
2.1.4. Le contexte de FT comme amplificateur de l’émergence et de la rationalisation ?
2.2. Le passage de l’émergence à la rationalisation : une évolution qui s’est imposée
2.2.1. Une évolution poussée par la technologie
2.2.2. Une évolution imposée par les managers
3. L’émergence d’une population : les webmestres
3.1. A la base de l’émergence : une nouvelle technologie et de nouveaux outils
3.1.1. L’intranet : un concept générique pour de multiples outils
3.1.2. Le besoin de nouvelles compétences
3.2. Le management : un moteur de l’émergence
3.2.1. La culture de la décentralisation ou la culture de l’hétérogénéité
3.2.2. L’organisation des sites et la gestion de l’intranet
3.3. La population des webmestres : quelle émergence et quelle réalité aujourd’hui ?
3.3.1. Quelles qualifications pour ces nouveaux venus du Web ?
3.3.2. Les webmestres : des généralistes du Web ?3.3.3. Les webmestres et l’organisation : des acteurs isolés ?
4. Etude de la rationalisation de l’intranet FT à travers la théorie de F.W. Taylor
4.1. Pourquoi recourir à la théorie de F.W. Taylor ?
4.2. Séparer conception et exécution pour dépasser l’empirisme
4.3. La politique d’incitation et de rémunération : créer un cercle vertueux ?
4.4. Les modalités de contrôle : s’assurer que l’exécuté est conforme au prescrit
4.5. Les mêmes effets attendus ?
4.5.1. Similitudes : hausse de la productivité et de la qualité
4.5.2. Différences : baisse de la production et de l’emploi
5. La rationalisation, source de professionnalisation pour les webmestres ?
5.1. Définition des concepts de profession et de professionnalisation
5.1.1. Webmestre, une profession ?
5.1.2. La professionnalisation des webmestres ?
5.2. Nouveaux webmestres et nouvelles fonctionnalités de l’intranet ?
5.2.1. Des webmestres spécialisés pour des fonctionnalités standardisées ?
5.2.2. Des webmestres spécialistes pour des fonctionnalités personnalisées ?
Conclusion générale

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Emergence – Rationalisation d’un métier, professionnaliser ou tayloriser
Université 🏫: Université Paris-Est Créteil UPEC – Paris 12
Auteur·trice·s 🎓:
Sylvain BUREAU

Sylvain BUREAU
Année de soutenance 📅: DEA Sciences de Gestion « Management & Stratégie » de l’Université Paris Val de Marne et de l’Ecole Centrale Paris - septembre 2003
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