Libération et les émeutes  2005 : faire parler les jeunes de la vie quotidienne

II. DES JOURNAUX AU TRAITEMENT PLUS SOCIAL : LIBERATION ET L’HUMANITE
A. Libération : l’occasion de faire parler les jeunes de la vie quotidienne
L’importance accordée aux événements par Libération en terme de quantité d’articles, de une et d’espace, est un petit peu plus élevée que pour Le Monde et Le Figaro. En effet, si l’on reste globalement dans le même ordre de grandeur, on note tout de même un nombre un peu plus important d’articles – 227 au total, soit en moyenne neuf articles par éditions344 – et un nombre de pages, au plus fort du traitement des événements, un peu plus conséquent – Libération ira jusqu’à leur consacrer neufs pages et une vingtaine d’articles, le 8 novembre. En revanche, aucun décalage en ce qui concerne le début de la couverture des premiers incidents. Comme pour la majorité des quotidiens de notre corpus, Libération les fait apparaître en une – sous la forme d’un titre en colonne – et leur consacre ses premiers articles dans l’édition du week-end du 29 et 30 octobre. Et dès le 31 octobre, les événements constituent la une principale du quotidien. Sous une photo de la marche silencieuse, qui recouvre quasiment la page entière, est titré « Comment Clichy s’est embrasé ». C’est également à cette date que les articles relatifs aux événements sont transférés de la rubrique « Société » à la rubrique « Événement », placée dans les toutes premières pages du quotidien. Si cette rubrique n’est pas créée spécifiquement pour les émeutes – c’est une rubrique permanente du quotidien – elle sera tout de même gratifiée de qualificatifs. Tour à tour elle sera appelée « Événement – Clichy-sous-Bois », « Événement – Cités» et enfin « Événement – Banlieues», son appellation définitive. Les événements quitteront la rubrique « Événement » le 18 novembre, date à laquelle le nombre d’articles diminue sensiblement.

344 Le nombre d’article au total et le nombre moyen d’article par édition est d’autant plus significatif que sur la période, le journal Libération publiera seulement 24 éditions. En effet, si le quotidien débute la couverture des événements dans son édition du 29 et 30 octobre, comme l’ensemble des autres quotidiens, il sera en grève pendant quatre jours, les 22, 23, 24 et 25 novembre.

a. Les circonstances de la mort de Zyed et Bouna au centre des premiers articles du quotidien
A la suite des premiers incidents à Clichy-sous-Bois, Libération axe bien évidemment son traitement sur les violences et les incendies de voitures qui ont lieu dès les premières. Les circonstances de la mort de Zyed et Bouna dans le transformateur EDF et les incertitudes qui entourent l’affaire font également l’objet de plusieurs articles et cela dès le 31 octobre345. Se rendant sur le terrain, les journalistes tentent de reconstituer les faits et de démêler le vrai du faux dans les versions contradictoires. Et Libération se détachera très rapidement de la version donnée par la police. Karl Laske, le premier journaliste à se rendre à Clichy-sous-Bois après les incidents explique :
« J’y suis allé pour la marche et à ce moment là bon ben j’ai constaté qu’il y avait plein de questions qui se posaient, très précises, que les jeunes posaient. En particulier, bon la première question c’était « que faisaient les jeunes ? » et pourquoi est-ce qu’ils étaient accusés, y compris par le ministre de l’Intérieur à l’époque et le Premier ministre, d’avoir cambriolé un lieu. […] Donc moi, j’ai recueilli des propos et j’ai suivi en fait des proches des trois jeunes impliqués dans leur parcours avec l’avocat. C’est à ce moment-là que j’ai constaté, en allant dans l’après-midi même sur le terrain, que les choses étaient beaucoup plus… étaient complètement différentes que ne le racontait la police. »346
Les suites de l’affaire, notamment l’ouverture de l’instruction judiciaire et la découverte du contenu des enregistrements des échanges radio des policiers présents sur les lieux, aux alentours du 4 novembre, relancera l’intérêt de Libération pour l’affaire. Par ailleurs, le quotidien s’intéressera aux interpellations des « présumés émeutiers »347 qui « sont condamnés à la chaîne. »348
Ces différents aspects du traitement, principalement présents au début de la période, constituent une classe entière, qui représente près de 18% du corpus.
b. Une dimension politique malgré tout assez présente
Si la dimension politique ne constitue pas la particularité du discours et du traitement de Libération, axés davantage sur la réalité sociale des quartiers en difficulté – nous allons le voir –, il n’en reste pas moins qu’elle est présente et dans des proportions quasi-identiques que dans Le Monde et Le Figaro. Cette catégorie, qui regroupe trois classes, représente, dans sa globalité, 27% du corpus. Mais si un rapprochement peut être fait au niveau statistique entre les quotidiens, il n’en est pas de même en ce qui concerne le contenu et le discours produit. En effet, la composition des classes qui constituent cette catégorie plus globale est en beaucoup de points différente et divergente par rapport à celle des deux autres quotidiens.

345 « A Clichy, dans les pas de Bouna et Zyed », 31/10/2005, Libération, Karl Laske ; « Plusieurs versions des faits… », 31/10/2005, Libération, Non signé ; « “Pourquoi ils les ont coursés comme ça?!” », 31/10/2005, Libération, Karl Laske; « Les dérapages de Villepin et Sarkozy », 31/10/2005, Libération, Didier Hassoux
346 Entretien Karl Laske, Libération, journaliste société, 08/07/2008
347 « Les présumés émeutiers condamnés à la chaîne », 08/11/2005, Libération, Dominique Simonnot
348 « Les présumés émeutiers condamnés à la chaîne », art. cit.

La première classe, qui représente 11% des u.c.e classées, renvoie aux acteurs politiques de la majorité, intervenus et présents sur la scène politique au moment des émeutes de 2005. Comme c’est le cas pour les autres journaux, on retrouve principalement Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, Dominique de Villepin et dans une moindre proportion, Azouz Begag et Jean-François Copé349 ainsi que des termes qui leur sont logiquement accolés comme « gouvernement », « droite », « ministre » et plus particulièrement « ministre de l’Intérieur »350. Et à cette classe, qui fait référence au président de la République, aux membres du gouvernement et de la majorité, sont associés les termes d’« insécurité », d’« anticasseurs », de « répression » et de « fermeté » ainsi que le verbe « stigmatiser » et ses déclinaisons, les termes de « délinquant », d’« amalgame » et de « provocation ».351 Il transparait donc de l’étude de la classe, certains thèmes développés par cette partie de la classe politique, certains propos, mais surtout des critiques que le quotidien adresse au gouvernement. En effet, la lecture attentive du corpus de Libération fait apparaître un discours et un positionnement assez critique face aux propos et aux actions du gouvernement et de Nicolas Sarkozy, plus particulièrement352.
A cet égard, cet extrait de l’éditorial de Jean-Marie Thénard est éloquent : « Trois ans après la réélection d’un président surfant sur l’insécurité, le gouvernement décrète le couvre-feu dans les banlieues et ressort la panoplie législative utilisée pendant la guerre d’Algérie. D’aucuns songent même à envoyer l’armée “pacifier” les cités. Belle avancée dans la lutte contre l’insécurité qui confirme que le règne chiraquien est une farce tragique. »353 Les titres de certains articles montrent également que Libération est critique et favorise les discours critiques face aux mesures et aux propos tenus. Ainsi, on peut
lire par exemple dans les pages du quotidien : « Profs sceptiques sur la mesure Villepin » ; « Les couvre-feux, pétards mouillés de Matignon » ; « Sarkozy sous le feu des critiques » ; « L’idée de taper les parents au portefeuille refait surface » ; « État policier ? » ou encore « La droite dégaine sa rengaine sécuritaire »354. Les mesures gouvernementales évoquées dans ces titres et que Libération aborde généralement de manière critique, constituent la seconde classe de cette catégorie politique.
Représentant près de 9% des u.c.e classées, cette classe évoque en premier lieu l’instauration de l’état d’urgence, le couvre-feu, principale mesure rendue possible par la loi de 1955 mais aussi celle permettant de réaliser des perquisitions à toute heure du jour et de la nuit355. Le caractère exceptionnel de cette loi est particulièrement souligné, tout comme le fait que celle-ci avait initialement été créée et appliquée pendant la guerre d’Algérie356. Une autre mesure est abondamment commentée : celle visant à l’expulsion des étrangers ayant participé aux émeutes357.

349 Nicolas Sarkozy : 66 occurrences avec un khi2 de 116 (le plus élevé de la classe) ; Jacques Chirac : 23 occurrences et un khi2 de 81 ; Dominique de Villepin : 33 occurrences et un khi2 de 58 ; Azouz Begag : khi2 de 13 ; Jean-François Copé : khi2 de 48.
350 gouvernement : khi2 de 52 et 34 occurrences ; droite : khi2 de 50 ; ministre : 65 occurrences et un khi2 de 98 ; ministre de l’intérieur : 36 occurrences avec un khi2 de 75.
351 insécurité : khi2 de 57; anticasseur : khi2 de 49 ; répression : khi2 de 37 ; fermeté : khi2 de 32 ; stigmatiser : khi2 de 18 ; délinquant : khi2 de 17 ; amalgame : khi2 de 16 ; provocation : khi2 de 15.
352 Cela explique sûrement sa surreprésentation dans la classe, par rapport aux autres hommes politiques de la majorité présents.
353 « Farce tragique », 08/11/2005, Libération, Jean-Marie Thénard
354 « Profs sceptiques sur la mesure Villepin », 09/11/2005, Libération, Marie-Joëlle Gros
« Les couvre-feux, pétards mouillés de Matignon », 10/11/2005, Libération, Nicole Penicaut
« Sarkozy sous le feu des critiques », 11/11/2005, Libération, Dominique Simonnot
« L’idée de taper les parents au portefeuille refait surface », 15/11/2005, Libération, Blandine Grosjean
« État policier ? », 16/11/2005, Libération, Patrick Sabatier, Éditorial
« La droite dégaine sa rengaine sécuritaire », 29/11/2005, Libération, Emmanuel Davidenkoff, Dominique Simonnot, Jacky Durand et Mathieu Ecoiffier.
355 urgent : 66 occurrences pour un khi2 de 423 (le plus élevé de la classe) ; couvre-feu : khi2 de 61 et 29 occurrences ; perquisition : khi2 de 79.
356 exception : khi2 de 70 ; Algérie : khi2 de 46.
357 expulser et ses dérivés : khi2 de 79.

Mais le traitement politique de Libération ne se limite pas aux réactions, aux actions et aux mesures des membres du gouvernement. En effet, contrairement aux deux précédents quotidiens, les acteurs politiques de l’opposition sont évoqués et font l’objet d’une classe à part entière. Et cette troisième et dernière classe représente 7% des u.c.e classées, soit quasiment autant que la première classe. On retrouve donc associé à cette classe, ce qui n’est le cas dans aucun autre corpus, Jean-Marc Ayrault, alors porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale, François Hollande, Laurent Fabius, Lionel Jospin et Jean-Marie Le Pen358. Aussi, nous le voyons, les représentants du Parti socialiste sont principalement évoqués. Cela se retrouve dans la forte présence du terme « socialiste », qui emporte le plus la constitution de la classe359. Les Verts sont également présents, même si c’est dans une moindre mesure360. Aussi, en raison du statut politique de ces personnes, c’est moins les termes de « ministre » ou de « gouvernement » que l’on retrouve – comme c’est le cas dans la première classe –, mais plutôt ceux de « députés », d’ « Assemblée nationale » et de « parlementaire »361.
Et logiquement, on retrouve associé à cette classe de l’opposition, le terme de « vote » mais plus significatif encore, les verbes « défendre », « dénoncer » et « réagir »362. En effet, la lecture des articles montre que l’opposition et donc principalement le PS fait l’objet d’articles lors de ces réactions critiques des propos et mesures gouvernementales. Le premier article consacré aux réactions du Parti socialiste, titré « Le PS fait feu sur le sarkozysme », est révélateur de cette tendance. En voici un extrait : « Tour à tour, deux ténors, présidentiables putatifs, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, ont pointé les agissements de Sarkozy. Et hier, quatre jours après le début des émeutes, le PS a déploré le “silence assourdissant” de Chirac face aux violences. “Le sarkozysme, ça ne marche pas”, a lancé, martial, Strauss-Kahn, dimanche soir, sur Europe 1. Pour le premier adjoint à la mairie de Sarcelles (Val-d’Oise), la méthode du président de l’UMP “consiste à faire des rodomontades (…), à se contenter de dire qu’on va régler les problèmes et à ne jamais les régler.” »363

358 Jean-Marc Ayrault : khi2 de 120, François Hollande : khi2 : 99, Laurent Fabius : khi2 de 85, Lionel Jospin : khi2 de 31 et Jean-Marie Le Pen : khi2 de 19.
359 socialiste : 38 occurrences avec un khi2 de 373, le plus élevé de la classe.
360 Verts : khi2 de 27.
361 députés : khi2 de 340), Assemblée nationale : khi2 de 136 ; parlementaire : khi2 de 95.
362 vote : khi2 de 54 ; voter : khi2 de 44 ; défendre : khi2 de 51, dénoncer : khi2 de 21 ; réagir : khi2 de 19.

c. Des récits de vie et des témoignages abondants
Si la dimension politique est fortement présente – nous venons de le voir – la spécificité du traitement de Libération se situe davantage dans le fait de privilégier les récits et témoignages sur la vie quotidienne dans les quartiers populaires français ainsi que sur les conditions d’existence pendant les émeutes. En effet, tout au long de la période, le quotidien multiplie les espaces de parole et les articles consacrés aux habitants et aux personnes qui « côtoi[ent] au quotidien la banlieue »364, selon ses propres termes. Ainsi, éducateurs, enseignants, policiers, associatifs, élus locaux, jeunes, urbanistes, animateurs, simples habitants, médiateurs, mères de famille, jeunes filles, sportifs, chômeurs, travailleurs sociaux, militants ou encore émeutiers sont invités à s’exprimer sur la réalité de leur quotidien, sur leurs difficultés, sur leur métier, sur leurs actions, et sur les émeutes. Au total, c’est plus d’une trentaine d’articles qui sont entièrement consacrés à ces récits et sur l’ensemble du corpus, cette classe représente à elle seule 28% des u.c.e. classées. Sont évoqués, en majorité, les problèmes d’emploi, les conditions de travail, les relations de voisinage, les relations avec la police, l’éducation, les relations familiales, les conditions de logement et les raisons de la colère et de la participation des émeutiers dans les violences365. A ce sujet, les propos de Nicolas Sarkozy sont souvent mentionnés et l’on retrouve dans la classe les mots « racaille » et « kärcher » ainsi que l’appellation « Sarko » pour désigner le ministre de l’Intérieur366.
De nombreux extraits d’articles rendent compte de cet aspect du traitement fortement développé par Libération : « “C’est une génération perdue d’enfants qui ne sont pas nés dans le pays d’origine de leurs parents et n’ont pas l’impression de vivre dans leur pays. Toute cette casse, c’est trente ans d’abandon de la jeunesse.” Le propos de ce père de famille d’origine maghrébine, de la cité des 1000-1000 d’Aulnay, peut être répliqué à l’infini. Transports, emploi, éducation, loge
ment, environnement. Tout se passe comme si l’État avait en partie renoncé face à l’ampleur des problèmes. »367 ; «Mais les conditions de vie restent les mêmes.

363 « Le PS fait feu sur le sarkozysme », 01/11/2005, Libération, Pascal Virot
364 « L’autre colère des banlieues », 02/11/2005, Libération, Jacky Durand et Nicole Penicaut
365 quartier : 92 occurrences pour un khi2 de 65 ; cité : 100 occurrences pour un khi2 de 75 (le plus élevé de la classe) ; jeunes : 180 occurrences avec un khi2 de 75 ; flics : khi2 de 39, boulot : khi2 de 24 ; voisin : khi2 de 23 ; bruler : khi2 de 31 et 47 occurrences ; parent : khi2 de 20 ; mère : khi2 de 26 ; père : khi2 de 22 ; habiter : khi2 de 26 ; appartement : khi2 de 20 ; vivre : khi2 de 17 ; trainer : khi2 de 16.
366 racaille : khi2 de 16, kärcher : khi2 : 21, Sarko : khi2 : 19.

Je ne cautionne pas, mais ils pensent qu’il faut casser pour être entendu. Ça ne suffit pas de repeindre les cages d’escalier surtout quand on fait ensuite payer 30 euros de plus par mois.»368 ; « “Il y a trop de contrôles de flics”, pointent les jeunes. “Quand ils arrivent, pour eux on est de la merde, des bougnoules”, affirme Mohamed, 23 ans, en dévoilant une entaille à l’oreille. “On se sent solidaires de ce qui s’est passé en Seine-Saint-Denis”, dit encore Asdin, 28 ans. Ahmed, la quarantaine, qui vient de monter son entreprise, intervient : “Oui, mais nous, on est bien ici. Il faut que ça reste un quartier propre, sans voitures incendiées.” Les plus jeunes acquiescent mais clament leur exaspération. “Je donne encore trois jours aux flics. Si ça ne s’est pas calmé, je vais tout niquer.”»369
Et concernant cette prépondérance des récits de vie et des témoignages, Jacky Durand, chef adjoint du service « Société » du quotidien, considère que cette orientation du traitement correspond à la « préoccupation » du journal Libération :
« Nous, le travail de banlieue on a toujours essayé de privilégier en grande partie l’aspect sociétal et social plutôt que l’aspect fait-diversié. »370
Une vision également partagée par Karl Laske, journaliste société, pour qui :
« Ça me semble correspondre à ce qui a été demandé à un moment donné par Libération, qu’on aille voir ce qui se passe en banlieue, qu’on fasse remonter… […] C’est aussi comme ça qu’on peut lire les événements. Ca me semble un choix… A mon avis, ça correspond à cette position du journal d’aller aussi chercher les questions de fond, chercher aussi les pistes pour solutionner les situations de crise, en amont. Je ne sais pas si ça sert vraiment à quelque chose mais en tout cas c’est une optique qui est plutôt constructive et intéressante. »371

367 « Des cités abandonnées par l’Etat », 07/11/2005, Libération, Olivier Bertrand et Patricia Tourancheau
368 « Violence exponentielle d’Évreux à Pau », 07/11/2005, Libération, Philippe Grangereau, Gilbert Laval, Thomas Calinon, Mathieu Ecoiffier, Karl Laske, Michaël Hajdenberg, Laure Espieu, Christophe Forcari et Pierre Daum
369 « Violence exponentielle d’Évreux à Pau », art. cit.
370 Entretien Jacky Durand, Libération, journaliste et chef adjoint du service « Société », 08/07/2008

d. Un constat des difficultés en matière d’éducation et d’emploi prégnant
Si au travers des témoignages et des récits de vie recueillis auprès des habitants des quartiers difficiles, Libération abordent des thèmes divers – comme nous venons de le voir – certains apparaissent comme plus prégnants dans le discours du quotidien. C’est le cas des problèmes en matière d’éducation et d’emploi qui constituent une classe à part entière et représente près de 17% des u.c.e classées. Sont alors présents dans la classe des termes propres à l’enseignement tout d’abord, comme « collège », « lycée », « élève », « enseigner » ou encore « éducation » et par ailleurs, des termes propres à l’emploi comme « professionnel », « entreprise », « formation » ou « contrat »372. Et c’est principalement au prisme des difficultés et de l’échec que ces thèmes sont abordés, en tout cas bien plus qu’en terme de réussite.373 Ces extraits en témoignent : « Un projet qui voulait conjurer la malédiction des banlieues béton sans avenir et qui a réussi… mais en oubliant sa population. Car Plaine Commune, c’est aussi un taux de chômage de 17%, un nombre d’allocataires du RMI qui a bondi de 14% en un an, la 161e place sur les 162 communautés urbaines pour le revenu fiscal par habitant. »374 ; « jamais les moyens nécessaires n’ont été dégagés pour intégrer les «nouveaux collégiens» qui, dans l’ancien système, auraient été orientés dès 14 ans vers les collèges d’enseignement technique, et qui sont pour la plupart issus de familles ne maîtrisant pas les codes culturels implicites de l’institution. La spirale de l’échec est enclenchée, en dépit de quelques réussites et d’une débauche d’énergie. »375
Mais c’est moins l’échec des élèves, des enseignants, des salariés ou des demandeurs d’emploi qui est pointé que celui des institutions qui n’ont su résoudre les problèmes. Ce qui est mis en avant notamment, ce sont les politiques publiques inadaptées et principalement la dernière en date, le projet de loi pour l’égalité des chances, ainsi que le manque de moyens alloués aux quartiers et aux populations en difficulté. Ainsi, la dimension budgétaire est assez présente. On retrouve le verbe « financer » et ses déclinaisons ainsi que les termes « euro », « budget » ou encore « subvention »376. Le retrait des subventions accordées aux associations est d’ailleurs particulièrement traité. Un article illustre ce traitement critique des politiques publiques menées dans les quartiers. Titré « Politique de la ville : trente ans de traitements d’urgence », il début ainsi : « Besoins de logements, violences à répétitions, c’est à partir de 1975 que les gouvernements commencent à se pencher sur les problèmes urbains. Retour sur trois décennies d’actions menées sans cohérence. »377

372 collège et élève : respectivement 47 et 50 occurrences pour un khi2 identique de 197 (le plus élevés de la classe) ; lycée : khi2 de 43 ; enseigner : khi2 de 137 et 34 occurrences ; éducation : khi2 de 118 et 41 occurrences ; emploi : khi2 de 80 et 30 occurrences ; contrat : khi2 de 83 ; professionnel : khi2 de 73, formation : khi2 de 60 ; entreprise : khi2 de 36.
 373 difficulté : khi2 de 56 et 21 occurrences ; échec : khi2 de 30 et 14 occurrences ; réussite : khi2 de 34 et seulement 9 occurrences.
374 « En Seine-Saint-Denis, des sociétés recrutent, mais pas sur place », 10/11/2005, Libération, Cédric Mathiot
375 « Politique de la ville: trente ans de traitements d’urgence », 08/11/2005, Libération, Tonino Serafini et Patricia Tourancheau
376 financer : khi2 de 45 ; euro : khi2 de 20 ; budget : khi2 de 16) ; subvention : khi2 de 40

e. La discrimination raciale : une thématique particulièrement abordée
Tout comme les problèmes d’emploi et d’enseignement, les problèmes de discrimination raciale font l’objet d’une classe à part entière dans le corpus de Libération. Même si cette classe ne constitue que 10% du corpus, elle n’est en rien négligeable et cela d’autant plus qu’elle n’est présente en tant que telle, dans aucun autre corpus. En effet, Libération porte une attention particulière portée aux problèmes de racisme que peuvent connaître certaines parties de la population des banlieues françaises. Aussi ces thématiques ont été régulièrement abordées par le quotidien sur la période, notamment au travers des témoignages des jeunes de banlieue, mais surtout lors de la publication d’un dossier “spécial” sur les questions de la discrimination ethnique à l’e
mbauche. Intitulé « Discrimination. La gueule du non-emploi »378, il compte huit articles répartis sur près de trois pages et aborde les problèmes concrets de discrimination à l’embauche, la question des statistiques ethniques encore interdites aujourd’hui en France379 ainsi que l’exemple britannique dans leur gestion des communautés ethniques. Aussi, on retrouve logiquement dans la classe le verbe « discriminer » et ses dérivés, terme qui emporte le plus la constitution de la classe, les termes de « racisme », d’« égalité » et d’« inégalité » mais aussi des termes liés à l’identité comme le verbe « immigrer » et ses dérivés, le terme « français », « origine » ainsi que les mots « diversité » et « minorité »380. C’est également dans cette classe qu’est évoquée la question ethnique et l’on retrouve, même si c’est dans une moindre mesure, les termes d’« africain » et de « beur »381.

377 « Politique de la ville: trente ans de traitements d’urgence », 08/11/2005, Libération, Tonino Serafini, Patricia Tourancheau, Brigitte Vital-Durand et Emmanuel Davidenkoff
378 « Discriminations. La gueule du non-emploi », 19/11/2005, Libération, Une
379 La loi du 6 janvier 1978 indique qu’ «il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques».
380 discriminer : 42 occurrences avec un khi2 de 215 (le plus élevé de la classe) ; racisme : khi2 de 72 ; égalité : khi2 de 97 ; inégalité : khi2 de 36 ; immigrer : khi2 de 193 ; français : khi2 de 123 ; origine : khi2 : 131 ; diversité : khi2 de 64 ; minorité : khi2 de 36.
381 ethnique : khi2 de 203 ; africain : khi2 de 25 ; beur : khi2 de 15.

Lire le mémoire complet ==> Les émeutes de l’automne 2005 dans les médias : étude comparée du traitement de cinq quotidiens français
Mémoire de recherche de Master 2 de Science politique
Institut d’Etudes Politiques de Lyon

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