Intégration des salles de rédaction – Presse en ligne française

3.2 Intégration des salles de rédaction

Une seconde piste pour la presse serait de chercher à réaliser les mêmes missions en ligne que celles qu’elle proposait déjà sur le papier, à savoir être la source principale d’information du consommateur, ce qui revient à vouloir empêcher son éparpillement et éviter la fragmentation des audiences déjà constituées. Cette stratégie se matérialise dans l’intégration totale des salles de rédactions, les journalistes ne travaillant alors plus en fonction du support. Cette tactique permet de faire jouer des synergies entre web et print (1), mais elle ne saurait être une solution générique pour toutes les organisations (2).

3.2.1 Synergies et économies d’échelles

Au fur et à mesure de leur développement, la plupart des groupes de presse ayant évolués vers internet se sont retrouvé, par choix ou par défaut, avec deux départements distincts s’occupant du web et du papier. La quasi-totalité des fonctions se trouve donc dédoublée, si bien qu’une réorganisation, partielle ou totale, peut amener à réaliser des économies en prenant appui sur les avantages de la presse sur internet.
La philosophie de l’intégration a été développée au travers du programme Newsplex de l’Ifra, une organisation regroupant plus de 3000 titres de presse de par le monde et qui a été parmi les premiers à chercher à se défaire du support pour se concentrer sur le contenu. Ce projet a été concrétisé en 2002 avec la création d’une première salle de rédaction intégrée à l’université de Caroline du Sud, puis l’ouverture d’une seconde, en Europe, à Darmstadt, toutes deux régulièrement visitées par les décideurs des groupes de presse. Le Newsplex définit sa « philosophie » comme « la construction d’une relation fondée sur l’interaction et la communication avec l’audience », « le rapprochement entre la marque et l’audience », « l’enrichissement de l’art journalistique » et « la production de contenus polyvalents », que Pietre Kok, éditeur du néerlandais De Volkskrant, résume comme « la création d’un journal en ligne publiant quotidiennement une version imprimée » (Luft, 2006).
L’intégration ne peut toutefois être dictée par un impératif de réduction des coûts (Covington, 2006). Les synergies espérées ne se matérialisent que rarement, d’une part, et la mise en place d’une salle de rédaction intégrée nécessite l’installation de nouvelles technologie, la formation du personnel et autant d’autres opérations coûteuses qui en font une décision de long-terme et non pas une mesure visant à améliorer le résultat à court-terme en supprimant la rédaction web.
Les journaux cherchent ainsi, en intégrant leurs opérations, à offrir les mêmes bénéfices au consommateur en ligne que sur le papier. Cette stratégie peut fonctionner pour les titres capables de dominer la concurrence sur l’ensemble de son offre, mais ne permettra pas à un titre de fidéliser des consommateurs capables de trouver de meilleures sources d’informations. A titre d’exemple, la direction du Monde n’a que peu à gagner en formant ses journalistes sportifs aux techniques du web et en les faisant travailler en temps réel puisque l’actualité sportive sera, quoi qu’il arrive, mieux servie par le site de L’Equipe, suivant la logique de fragmentation évoquée plus haut.
Le groupe Edipresse, en Suisse, a néanmoins fait le choix d’une intégration totale et tend à transformer l’éditeur en un producteur de contenu sur les deux plateformes (Raphaël, 2006b). L’entreprise s’est réorganisée autour d’un serveur internet regroupant la totalité des contenus produits et accessible de n’importe où. L’agrégation d’information, qui reste le travail des journalistes de terrain, peut ainsi être séparée de l’édition et de la mise en forme, qui peut alors être confiée à des professionnels du multimédia ou de la presse. Parallèlement, cette réorganisation permet à Edipresse de se spécialiser dans la diffusion des contenus sur internet. Le groupe a ainsi créé le métier d’ « animateur de site », qui remplace le webmaster et qui se charge d’organiser les points de diffusions en ligne, mission confiée ailleurs à différents journalistes d’astreinte sur un site. La réorganisation géographique de la salle de rédaction en cercles concentriques (voir en annexe) supprime ainsi toute division par support de diffusion et permet d’organiser les différents services en pétales en fonction de leur proximité à l’actualité autour d’un centre multimédia où les décisions les plus urgentes sont prises.
En France, la tendance va également vers une plus forte intégration, même si aucun titre n’a encore franchi le pas de salles de rédaction communes au web et au papier (Lévy & Signouret, 2006).
Parallèlement aux tentatives d’intégration du côté rédactionnel, dont on a vu qu’elles ne pouvaient pas viser à réduire les coûts de production, les éditeurs cherchent à rationnaliser leurs départements commerciaux. L’intégration des équipes commerciales facilite en effet la création d’offres couplées aux annonceurs dès lors que l’ensemble des commerciaux est formé à la vente de produits en ligne. La vision du management est néanmoins fondamentale pour garantir le succès de l’intégration des commerciaux. En effet, les opérations internet ne représentent qu’entre 10% et 20% des revenus publicitaires d’un titre, si bien qu’il faut convaincre et inciter les commerciaux à insister sur la vente d’espaces en ligne, même si les sommes engagées semblent dérisoires par rapport à celles du papier. Les stratégies d’intégration commencent en général par ce côté de l’industrie, comme le montrent les succès du New York Times (Glaser, 2005b).

3.2.2 Une stratégie aux buts spécifiques

La stratégie qui sous-tend cette fusion des rédactions web et papier reste le désir de fournir les mêmes services sur l’écran et sur le papier. Toutefois, peu de titres peuvent prétendre être aussi compétitifs hors-ligne, où ils n’ont qu’une poignée de concurrents, et en ligne, où ils en ont une infinité. Dès lors, l’intégration totale apparait comme une solution inappropriée pour la majorité des rédactions, d’autant plus que cette démarche n’est pas dépourvue d’ambigüités.
Les rédactions ayant déjà franchi l’étape du bi-média, où les journalistes produisent à la fois pour le papier et pour le web, ont pu tirer les conséquences d’une organisation intégrée, même partiellement. Libération a ainsi fait les frais d’une politique inappropriée, qui cherchait à transformer le mode de fonctionnement du journal avec un budget limité à deux millions d’euros, et qui s’est soldé par un échec cinglant dont le point d’orgue fut la grève de novembre 2005. L’une des principales raisons de ce fiasco est à chercher dans le manque de préparation au niveau des ressources humaines, puisque les journalistes n’ont jamais considéré l’écriture pour internet comme une partie intégrante de leur contrat et que leurs deux missions (print et web) se sont superposées au lieu de se compléter, ce qui s’est traduit par une surcharge de travail et non par une évolution de leur métier (Bruno, 2006).
L’étude des politiques d’intégration en cours à Londres permet de mieux cerner les limites de ce concept. La synthèse des décisions prises par le Times, le Telegraph, le Mirror et le Sun montre que l’intégration n’est totale que dans une minorité de cas, les titres préférant en général améliorer les relations entre les personnels web et print, suivant la stratégie décrite dans les paragraphes précédents, et ne fusionnent que des sections spécifiques (Hopperton, 2007). Le Times et le Sun n’ont ainsi intégré que leurs départements les plus populaires, sur lesquels leur supériorité est acquise sur le web comme sur le papier.
Par ailleurs, l’intégration ne représente pas la meilleure stratégie pour un groupe de presse. Pour Clark Gilbert (2002), professeur associé à la Harvard Business School, une organisation ne pourrait pas évoluer simultanément dans deux modèles aussi différents que ceux du papier et du web tant que le premier reste viable (ou, dans le cas français, tant que celui-ci continue à trouver des financements), si bien que les deux supports de diffusion doivent rester aussi séparés que possible tout en intensifiant les interactions, de manière à préserver la culture des deux entités sans porter préjudice à la qualité des contenus produits. Pour Gilbert en effet, les interfaces issues des stratégies d’intégration « détruisent presque à chaque fois la nouvelle entreprise. » En effet, l’intégration peut résulter en un copiage des méthodes de la rédaction papier en ligne, réduisant à néant les bénéfices éventuels en termes d’évolution des pratiques journalistiques (Boczkowski, 2004:174).
L’étude des stratégies visant à intégrer les salles de rédaction et les services commerciaux montre donc que la recherche de synergies à court-terme est illusoire, d’autant plus que peu de titres sont en mesure de pouvoir donner un sens à la diffusion en ligne des contenus pour chacune de leurs sections papier.
Lire le mémoire complet ==> (Quelle place pour la presse en ligne à l’heure du Web 2.0 ?)
Mémoire de fin d’études
Institut d’études politiques de Lille, section Economie et Finance

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