Restriction du champ d’application de la licence légale à la télévision

Restriction du champ d’application de la licence légale à la télévision

Section 2 – La restriction du champ d’application de la licence légale à la télévision

Nous connaissons les récriminations des producteurs de phonogrammes du commerce concernant le système actuel de licence légale. S’estimant lésés de leur droit, ces derniers vont très tôt enclencher un contentieux afin de restreindre le champ d’application de la licence légale et recouvrir leur faculté de librement négocier l’utilisation de leur phonogramme.

Selon eux, une distinction devrait être faite entre deux étapes du procédé de radiodiffusion d’un phonogramme du commerce : sa reproduction dans un vidéogramme puis la diffusion de ce vidéogramme.

Si d’un point de vue strictement juridique, cette thèse est défendable, sa pertinence est, d’un point de vue technique, discutable (§ 1). Elle fut en tout cas l’occasion d’un débat juridique particulièrement vif, diffuseurs et producteurs soutenant des opinions antithétiques (§ 2) entre lesquelles la Cour de cassation fut amenée à trancher en 2002 (§ 3). Toutefois la position prétorienne n’est pas claire et ne fait que relancer le débat autour de la question de « l’incorporation » des phonogrammes (§ 4).

§ 1. Les notions, utilisations et procédés en cause

Nous avons vu plus haut que l’article L. 214-1 restreignait le champ d’application du système de la licence légale à deux types d’utilisations. Nous nous étions étonnés de cette rédaction car le reste du Code de la propriété intellectuelle envisage l’étendue et les limites des droits par référence à des actes (la reproduction, la représentation, la divulgation, la fixation…) et non en termes de modalité d’utilisation. La première question qui se pose alors est de savoir quels sont les procédés techniques ou les actes autorisés compris dans ces utilisations, la seconde question est de savoir si de tels actes sont tous couverts par la champ d’application de la licence légale.

Répétons-le, le Code de la propriété intellectuelle envisage de façon restrictive l’application de la licence légale à deux types d’utilisation : la communication directe au public et la radiodiffusion.

L’absence de référence aux notions de reproduction et de représentation. Le droit de la propriété littéraire et artistique raisonne le plus souvent en terme d’actes ou de procédés que le détenteur d’un droit d’auteur ou de droits voisins pourra autoriser ou interdire, souvent à titre exclusif. Ainsi la reproduction est définie par l’article L.122-3 comme « tous procédés […] notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie [etc…] » permettant une fixation et la communication indirecte d’une œuvre au public.

La représentation est quant à elle définie à l’article L.122-2 comme « un procédé quelconque, et notamment 1° par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique […] 2° par télédiffusion » visant une communication directe au public.

L’article L. 214-1 du Code, de façon un peu surprenante, n’envisage pas de procédé mais la communication directe et la radiodiffusion.

L’absence de référence à des procédés. Cette absence n’est qu’apparente. En effet, en matière de communication dans un lieu public, le législateur prend immédiatement le soin de préciser que la licence légale ne concerne que la communication directe, ce qui implicitement renvoie à des procédés de représentation.

De même, si le législateur n’a pas souhaiter étendre le bénéfice de la licence légale aux services interactifs, c’est parce que une telle utilisation permettait que la constitution de « banques de phonogrammes accessibles, à la demande par les usagers »1, ce qui sous-tend que ce n’est pas l’acte de reproduction que le législateur a souhaité interdire (auquel cas, il aurait expressément prévu qu’un tel acte ne pouvait être effectué au titre de la licence légale) mais bien l’utilisation qui en était faite.

Les procédés implicitement autorisés. En choisissant d’autoriser la recours à la licence légale pour certaines utilisations, le législateur a du même coup autorisé que la licence légale s’applique à tous les procédés qu’impliquent ces utilisations.

Ainsi, dans le domaine de l’audiovisuel, les rédacteurs de la loi de 1985 aurait pu choisir de restreindre le champ d’application de la licence légale en visant la télédiffusion, qui est un procédé de représentation. La référence à la radiodiffusion signifie que sera soumis à la licence légale tous les procédés dont la finalité est de permettre une mise à l’antenne d’un phonogramme.

La radiodiffusion peut être envisagée sous un aspect physique ou technique : le terme renvoie alors à la circulation de phénomènes physiques (sons, images…) via des fréquences radioélectriques.

Elle peut également être envisagée sous un aspect économique : il s’agit alors de l’exploitation par des organismes de radiodiffusion qui permettent la communication au public de programmes sonores et/ou visuels. Dès lors, cette communication peut être directe (acte de représentation) ou indirecte (acte de reproduction suivi d’une acte de représentation)1.

Force est de constater que l’occurrence d’une radiodiffusion en tant que communication exclusivement directe est rare. Il s’agirait de la captation brute de sons ou d’images immédiatement émis vers un appareil récepteur.

Or le plus souvent une émission s’accompagne d’éléments préalablement préparés (la prestation d’un présentateur d’un journal télévisé en direct est ponctuée de reportages enregistrés et d’incrustations d’images, de logos, du nom du présentateur…, une émission de ‘‘libre antenne’’ à la radio est accompagnée d’une musique d’ambiance…) et il ne s’agira pas une captation brute.

En outre, les organismes de radiodiffusion diffusent le plus souvent des phonogrammes ou des vidéogrammes, autrement dit des fixations de séquences de sons et/ou d’image2. Ces organismes doivent donc préalablement fixer et partant, reproduire, les programmes en vue de leur diffusion ultérieure.

L’acte de reproduction préalable à une radiodiffusion. La radiodiffusion ou des organismes de radiodiffusion sont définis par les textes afférents comme étant l’émission de programmes destinés à un public, sans porter de distinction selon que ces programmes soient ou non en direct ou qu’ils comportent ou non une reproduction.

Toutefois, le fait que soit envisagée la « composition des programmes »3 indique que la radiodiffusion peut concerner des programmes ‘‘composés’’, préparés préalablement à leur diffusion, autrement dit, que la radiodiffusion peut consister en une communication indirecte. D’ailleurs, la Convention européenne sur la télévision transfrontière révisée du 5 mai 1989 distingue très clairement la transmission et la retransmission qui ont un caractère simultané (acte de communication directe) et la radiodiffusion (acte de communication indirecte).

1 En effet, la notion de communication n’est pas forcément synonyme de représentation puisque le terme est employé indifféremment pour qualifier la représentation (art. L. 122-2 CPI) et la reproduction (art. L. 122-3 CPI). La distinction s’opère selon que le caractère direct ou indirect de cette communication. Nous noterons que, l’art. L. 214-1, 1° est plus restrictif à cet égard que la Convention de Rome dont il s’inspire. Cette dernière est effet évoque « une communication quelconque au public » (art.12) sans préciser si celle-ci est directe (acte de représentation) ou indirecte (acte de reproduction).

2 On affirmerait à tort qu’un organisme de radiodiffusion diffuse forcément des phonogrammes ou des vidéogrammes. Rappelons que ces deux notions désignent une « fixation ». Or dans le cas d’une émission exclusivement en directe, le programme diffusé n’est pas fixé. La fixation pourra éventuellement intervenir à la réception du programme (par magnétoscope, enregistreur, graveur…)

3 Art. 2. Convention Télévision transfrontière du 5 mai 1989 révisée par le protocole STE n° 171 du 1er mars 2002. « c. Radiodiffusion : désigne la personne physique ou morale qui a la responsabilité éditoriale de la composition de services de programmes de télévision destinés à être reçus par le public en général et qui les transmet ou fait transmettre par un tiers dans leur intégralité sans aucune modification »

Art. 1er Dir. 85/552/CEE Télévision sans frontière modifiée du 3 octobre 1989. « […] on entend par : […] b) ‘‘organisme de radiodiffusion télévisuelle’’ la personne physique ou morale qui a la responsabilité éditoriale et la composition des grilles de programmes télévisés ou sens du point a) et qui les transmet ou les fait transmettre par une tierce partie ».

Le fait que la notion de radiodiffusion renvoie au procédé de communication indirecte et implique une opération de reproduction préalable n’est nullement contesté. Tel est le cas pour les programmes que les radiodiffuseurs diffusent, tel est a fortiori le cas des phonogrammes utilisés pour sonoriser ces programmes. Même pour une émission en directe, la sonorisation de celle-ci implique que le phonogramme utilisé soit préalablement numérisé.

La numérisation consiste à fixer le phonogramme dans la mémoire d’une machine capable de ‘‘l’injecter’’ à l’antenne. Cette opération implique que le phonogramme change de support, passant d’un disque, d’une cassette ou de la mémoire d’un ordinateur (pour la musique téléchargée) au disque dur de la machine, et à ce titre peut s’analyser en une reproduction1.

La qualification de cette opération technique préalable en un acte de reproduction n’est pas combattue par les chaînes de télévision. Mais le débat se porte sur la validité de cette reproduction au titre de la licence légale.

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