Les technologies de l’information dans l’économie sénégalaise

Les technologies de l’information dans l’économie
Les technologies de l’information et de la communication constituent à la fois une branche d’activité industrielle et un facteur de production parmi les plus importants pour les autres secteurs d’activités. En 1996, le chiffre d’affaires des télécommunications représentait 2,6% du PIB, faisant du Sénégal un pays dans lequel ce secteur a atteint un niveau de développement élevé par rapport aux autres branches de l’économie, puisque ce pourcentage varie de 1,7% à 2,8% dans la plupart des pays industrialisés ou en voie d’industrialisation.147 L’objectif du gouvernement est de porter la contribution du secteur des télécommunications au PIB à 3,5% en l’an 2000.148
En 1998, la SONATEL a réalisé un chiffre d’affaires de 90 695 milliards de francs CFA et obtenu un bénéfice net après impôt de 36 246 milliards de francs CFA, en progression de 21% par rapport à 1997.149 Pour l’année 1999, le chiffre d’affaires devrait atteindre les 100 milliards de francs CFA et le bénéfice net après impôt s’élever à 40 milliards de francs CFA.150 La téléphonie cellulaire, dont le développement est assez spectaculaire, représente à elle seule 10 à 12 milliards du chiffre d’affaires de la SONATEL.151 Les résultats du premier semestre 1999 indiquent une progression du chiffre d’affaires de 16% par rapport au premier semestre 1998 et une augmentation similaire du bénéfice net.152
S’agissant plus particulièrement des télécentres, en 1995, une première étude montrait qu’ils employaient plus de 4 000 personnes, avaient un chiffre d’affaires annuel de 9,2 milliards de francs CFA et contribuaient pour 5,5% au chiffre d’affaires de la SONATEL.153 On estime que les télécentres ont permis de créer plus de 10 000 emplois entre 1992 et 1998 et en 1998, ils représentaient entre 12 et 15% du chiffre d’affaires de la SONATEL.154 Généralement appréciée en termes positifs, l’expérience des télécentres est par contre dénoncée par Pathé Diagne comme relevant d’“un scénario de communication du pauvre” car ne générant que des ”emplois précaires et à faible revenu”.155
Le niveau des investissements s’est considérablement accru puisqu’il est passé de 25 milliards de francs CFA avant la privatisation, à 48 milliards en 1998, et le chiffre de 62 milliards est prévu pour la période 1999–2001.156 Rien qu’en septembre 1999, la SONATEL a investi 4 milliards de francs CFA pour rénover son réseau Alizé dans la région de Dakar et elle envisage d’ouvrir un chantier à Tambacounda qui lui permettra également de couvrir le Mali.157 Par ailleurs, en novembre 1999, la SONATEL a lancé un emprunt obligataire de 12 milliards de francs CFA, remboursable sur cinq ans avec un taux d’intérêt de 7%, pour financer ses futurs investissements.158 De son côté, Sentel, le second opérateur de téléphonie mobile investira 23 millions de dollars EU (environ 13,8 milliards de francs CFA) pour bâtir son réseau entre 1999 et le début de l’an 2000.159 Au total, selon le Ministère de l’économie, des finances et du plan, le taux de croissance dans le secteur des télécommunications était estimé à 9,5% en juin 1999 contre 6% pour l’ensemble de l’économie.160
Dans le secteur de l’import-export, depuis octobre 1998 le Trade Point Sénégal offre un service d’information commerciale, dénommé Infocom, qui s’appuie sur Internet pour présenter chaque jour plusieurs centaines d’opportunités d’affaires.161 Avec l’aide du CRDI, il a entamé, depuis juillet 1999, la décentralisation de ses activités avec la création d’antennes locales dans les régions de Thiès et Saint-Louis pour faciliter l’accès des opérateurs économiques basés dans ces zones aux informations commerciales et aux marchés virtuels. De plus, Orbus 2000, le service de facilitation, mettant notamment en œuvre un système de dédouanement électronique, est partiellement opérationnel depuis le début de l’année 2000. D’ici 2003, les objectifs du Trade Point Sénégal sont de réduire de 75% les coûts administratifs des opérations du commerce extérieur, de diminuer de 70% les délais de traitement des opérations et de réduire les délais de dédouanement à 15 minutes contre 6 à 10 jours à l’heure actuelle.162
Dans les autres secteurs de l’économie, les dirigeants d’entreprise prennent progressivement conscience de l’importance des technologies de l’information et de la communication. Si les grandes sociétés sont généralement informatisées, les petites et moyennes entreprises qui étaient en marge de cette dynamique s’équipent de plus en plus en micros-ordinateurs à des fins bureautiques. La grande majorité des entreprises n’a pas encore accès à Internet et celle qui ont franchi le pas se contentent, pour l’essentiel, d’utiliser le courrier électronique ou de faire leur promotion à travers des pages Web relativement statiques.163 Dans le domaine des transports, l’année 1999 a vu l’apparition d’une société de radios-taxis à Dakar. La place croissante occupée par les technologies de l’information et de la communication dans l’économie pose cependant le problème de la formation des ressources humaines et plus particulièrement celui de l’adéquation formation-emploi. En effet, les nouvelles technologies font émerger de nouveaux métiers, soit par la modernisation de métiers existants, soit par la création de métiers totalement nouveaux qui impliquent la mise en place de nouvelles formations.164
De son côté, l’Observatoire de l’industrie diffuse toute une série de données de base sur la situation des entreprises industrielles qui permettent de suivre l’évolution de leurs performances à l’aide d’indicateurs sur la situation de l’emploi, les soldes de gestion, la production, les facteurs de production, les investissements, les importations et exportations, etc.165 Enfin, il faut noter que l’utilisation des technologies de l’information et de la communication n’est pas l’apanage du secteur dit “moderne”. Le téléphone cellulaire a ainsi rencontré un grand succès auprès des opérateurs économiques du secteur informel, qu’il s’agisse des commerçants ou des petits artisans. De même, de plus en plus nombreux sont les commerçants qui recourent au service du Trade Point, utilisent le courrier électronique ou naviguent sur Internet pour rechercher des opportunités d’affaires.
Les technologies de l’information et la gouvernance
Si l’Etat a joué un rôle déterminant dans la définition et la mise en œuvre d’une politique dans les secteurs de l’informatique et des télécommunications, il est loin d’être un utilisateur modèle des technologies de l’information et de la communication en matière de gouvernance. En dehors du site Web du gouvernement166 qui est plus une vitrine politique qu’autre chose, les applications qui intéressent le citoyen et surtout qui lui permettent de bénéficier d’une administration plus performante et plus transparente sont quasi inexistantes.
De manière à faire face à la dégradation de certains documents importants, notamment les registres d’état civil, la Délégation à l’informatique a initié dans les années 90, au centre d’état- civil de Rufisque, un important projet d’archivage électronique sur disque optique numérique. Entrant dans le cadre de la politique de modernisation des grands registres de l’Etat, les objectifs de ce projet expérimental consistaient à:
• stopper la dégradation des registres de l’état civil;
• améliorer la qualité du service public;
• valoriser le travail du personnel.
Dans une seconde phase, il était prévu la délivrance d’actes au niveau des bureaux d’état civil puis la généralisation du projet à l’échelle nationale en dotant toutes les capitales régionales d’un centre d’état civil informatisé à l’image de la commune de Rufisque et en équipant le Centre national d’état civil d’un système lui permettant de centraliser toutes les données d’état civil.167 Cependant, en dehors d’un projet similaire conduit par la commune de Dakar, l’informatisation de l’état civil n’a pas fait l’objet de la généralisation prévue. De plus, dans le cas de Rufisque comme dans celui de Dakar, c’est surtout dans un but de conservation des données que les technologies de l’information et de la communication ont été utilisées et non avec l’objectif d’améliorer la confection des documents d’état civil, puisque ceux-ci sont toujours délivrés manuellement dans des conditions déplorables (déficit chronique d’imprimés, lenteur des délais de délivrance, etc.) qui favorisent les trafics en tous genres.
Jusqu’à ce jour, l’utilisation la plus remarquable des technologies de l’information et de la communication au service de la gouvernance est sans aucun doute leur introduction dans le processus électoral. En effet, dès les élections législatives de décembre 1996, les partis d’opposition mirent si fortement en cause la fiabilité du fichier électoral que le Ministère de l’intérieur décida de le rendre accessible sur Internet.168 Toute personne inscrite sur les listes électorales pouvait ainsi vérifier qu’elle avait bien été enregistrée et savoir dans quel bureau de vote elle devait se rendre le jour des élections. Certes positive, cette mesure fut surtout exploitée par les partis politiques et les médias qui purent effectuer des vérifications à grande échelle et déceler certaines anomalies. Cependant, compte tenu du faible nombre de Sénégalais ayant accès à Internet et en l’absence de points de consultation publics, la grande majorité des citoyens ne put bénéficier de cette innovation. Par contre, cette initiative fut fortement critiquée par les immigrés. En effet, le fichier électoral mentionnait non seulement l’identité de l’électeur mais également sa filiation et l’une des conséquences imprévues de sa mise sur Internet fut de susciter la colère des immigrés clandestins qui virent dans cet outil un moyen pour les services de polices des pays dans lesquels ils se trouvaient de connaître leur véritable identité. Face à la multiplication des protestations, le Ministère de l’intérieur décida finalement de limiter l’accès aux seules données relatives à l’électeur.
L’expérience a été renouvelée pour l’élection présidentielle de février 2000 et l’Observatoire national des élections (ONEL) s’est également doté d’un site Web à cette occasion.169 De leurs côté, les formations politiques ne sont pas restées en marge du phénomène puisque, pour la première fois dans l’histoire électorale du Sénégal, les partis politiques tels que And Jëf-PADS170 et le PS171, les structures de soutien comme la Coalition Alternance 2000172 ainsi que les candidats Abdou Diouf173 et Abdoulaye Wade174 ont mené campagne sur Internet. Au final, les TIC ont joué un rôle non néligeable dans ces élections qui ont conduit, pour la première fois depuis 40 ans, à une alternance à la tête de l’Etat. Les radios privées émettant en FM ont su mettre à profit l’éclosion du téléphone portable pour assurer une couverture inédite du scrutin grâce, notamment, à une médiatisation quasi instantanée de tous les événements à l’échelle de l’ensemble du pays. La fusion de la radio et du téléphone cellulaire a donné une autre dimension au débat politique et a permis de mener une supervision populaire du processus électoral. Les principales radios privées ont déployé des centaines de correspondants, armés de leurs téléphones portables, prompts à relater le moindre événement tout en donnant la parole aux Sénégalais qui pouvaient par ailleurs, à travers les milliers de télécentres, informer de ce qui se passait jusque dans les coins les plus reculés du pays. Les Sénégalais de l’étranger n’ont pas été en reste qui ont, via Internet, suivi les débats organisés par les radios, lu les comptes rendus fait par les journaux et surtout innové en organisant une “marche bleue sur le Net” qui a consisté à se connecter en masse sur un site “chat” et à envoyer régulièrement des messages (pancartes) pour confirmer leur présence dans une marche virtuelle organisée en soutien au candidat Abdoulaye Wade qui lui organisait des “marches bleues” dans les villes du Sénégal qu’il visitait. La diffusion quasi instantanée des résultats du dépouillement des bureaux de vote a fait que deux heures après la clôture du scrutin, les Sénégalais connaissaient le score officieux réalisé par chacun des candidats, ce qui interdisait, par là-même, toute tentative de manipulation du résultat du scrutin par les autorités. Cette utilisation des TIC au service de la transparence, de la régularité et de la sincérité du processus électoral a ouvert la voie à une forme de cyber-citoyenneté dans un environnement ou on l’attendait le moins, celui d’un pays du tiers-monde ou seule une minorité a accès à Internet. Mieux, cette expérience démontre clairement que les TIC sont en mesure de répondre aux aspirations populaires, à condition qu’elles soient sciemment utilisées dans le cadre d’applications visant à résoudre les problèmes politiques, économiques, culturels ou sociaux du plus grand nombre.
Malheureusement, les collectivités locales ignorent globalement ce que les technologies de l’information et de la communication peuvent leur apporter dans leur fonctionnement interne comme dans l’exercice des nouvelles compétences qui leur ont été transférées dans le cadre du processus de décentralisation. Aujourd’hui, seuls la Mairie de Dakar175, la ville de Rufisque176, les conseils régionaux de Diourbel177, Louga178, Ziguinchor179 et Tambacounda180 et la communauté rurale de Ngoundane181 sont présents sur le Web. En fait, il s’agit essentiellement de plaquettes de présentation électroniques qui proposent de l’information à caractère institutionnel sur la collectivité locale (textes législatifs et réglementaires, organes, fonctions, coopération décentralisée, etc.) et font la promotion…de leurs responsables politiques!
Il existe cependant des initiatives visant à développer des applications utiles aux collectivités locales. Ainsi, dans le cadre de la stratégie Acacia Sénégal, la Société africaine d’éducation et de formation pour le développement (SAFEFOD), qui est une ONG visant à la promotion des valeurs démocratiques, a développé des applications portant sur la gestion des collectivités locales, la gestion du budget et l’état civil, la confection de divers imprimés, etc. Ces applications sont actuellement testées dans les locaux de la SAFEFOD avant de faire l’objet de tests sur le terrain en vue d’une éventuelle généralisation. La SAFEFOD a également en projet un “observatoire de la gouvernance locale” et possède un site Web 182 et un serveur vocal qui, à terme, fournira de l’information sur la décentralisation et les collectivités locales en français, en anglais, en wolof, en puular, en soninké, en diola, en seereer et en mandinka.183 Dès 1997, la SAFEFOD avait attiré l’attention des élus locaux sur les opportunités offertes par les systèmes d’information géographiques (SIG) pour la gestion des collectivités locales.184
De son côté, en mai 1999, l’antenne de Dakar de l’Institut Panos, en collaboration avec Sud FM, des journaux de la presse régionale185 et une demi-douzaine de partenaires,186 a lancé le projet d’un “Réseau d’information Internet sur la décentralisation et le développement local” (RESIDEL).187 Les objectifs principaux de ce projet visent à:
• expérimenter l’utilisation combinée d’Internet, de la radio et de la presse écrite pour mettre en place un système d’information susceptible d’aider au décloisonnement de l’information entre la capitale, les collectivités rurales et les villes secondaires;
• contribuer, au niveau des collectivités décentralisées, au renforcement des capacités des médias locaux et des organisations participant au projet et à l’appropriation d’Internet et de la radio;
• assurer la production, le partage et la diffusion, au niveau local, national et international, de contenus d’informations relatifs à la décentralisation et au développement local via la radio, Internet et la presse écrite;
• instaurer un dialogue au niveau national entre les différents acteurs de la décentralisation et du développement local via Internet.
Globalement le bilan qui peut être tiré de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication au service de la gouvernance, tant par le pouvoir central que par les collectivités locales, est qu’aucun service ni information pratique ne sont offerts de manière à éviter les déplacements inutiles, assurer une certaine transparence dans la gestion ou encore accroître la participation des citoyens. Certes, le nombre d’internautes est extrêmement faible et dans un pays où la démocratie “classique” est encore balbutiante, il n’est pas question d’envisager une quelconque “démocratie électronique”. Cependant, les possibilités offertes par Internet sont prioritairement mises au service du pouvoir central ou local plutôt qu’au service de la démocratie et plus simplement du citoyen.
Lire le mémoire complet ==> (Les TIC et le développement social au Sénégal)
Mémoire de fin d’études – Technologie et société Document du programme no. 1
Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social

  1. TIC au Sénégal : Les initiatives de la coopération internationale

 

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