Les organismes de gestion collective des droits artistes belges

Deuxième partie
Section seconde : Quelle protection efficace pour le droit d’auteur à l’ère numérique ?
Après avoir porté l’attention sur les infracteurs, qu’ils soient potentiels ou avérés, et les facteurs qui les motivent à attenter au droit d’auteur et aux droits voisins, après avoir exposé les théories susceptibles d’approcher le passage à l’acte et d’expliquer la relative valeur dissuasive des sanctions en la matière, il est utile, pour compléter notre panorama de s’arrêter quelques instants sur le dernier maillon de la chaîne : les organismes qui sont chargés de faire respecter la législation applicable au droit d’auteur (A.-). Au fond, nous pensons qu’une part importante de la valeur dissuasive reconnue ou non aux sanctions est due à leurs actions (ou, du moins, devrait l’être).
Car la question n’est pas foncièrement de remettre en cause l’existence intrinsèque du droit d’auteur ni son utilité ; souvent, c’est la façon dont la protection légale est mise en œuvre qui est déconcertante pour certains, attentatoire à la liberté individuelle pour d’autres. Mais accorder la protection à un créateur pour le fruit de son travail est un principe qui est généralement accepté et qui ne souffre que de peu de critiques. A.C. Renouard le rappelait déjà au XIXème siècle : “on peut, et l’on doit, discuter beaucoup sur la nature et l’étendue du droit des auteurs. Mais nier qu’ils aient un droit à tirer profit de leurs travaux, ce serait nier la lumière. Nous ne nous arrêtons pas à démontrer une vérité manifeste” 1. Cette seconde section nous mènera donc également à discuter des stratégies de prévention applicables au droit d’auteur afin d’en assurer le respect (B.-). Nous avons en effet le sentiment que l’accent doit être porté sur les moyens prophylactiques susceptibles d’atténuer la fréquence du passage à l’acte délictueux en la matière, ce qui permettrait une compréhension améliorée des enjeux et assurer une protection renforcée du droit d’auteur, sans spécialement que celle-ci soit plus répressive ; elle se révélerait simplement mieux ajustée à la problématique.
A.- Les organismes chargés d’assurer la protection du droit d’auteur en matière musicale
La présentation de ce chapitre et les organismes choisis pour illustrer notre préoccupation relèvent de la subjectivité ; d’autres instances auraient pu figurer au rang des sociétés de gestion collective des droits (§1) ou des organismes luttant contre la piraterie à un niveau mondial (§2). Il nous apparaît toutefois que les deux institutions dont il va être question peuvent valablement être prises en exemple pour illustrer la matière, et plus spécialement pour étayer notre propos.
§1.Les organismes nationaux de gestion collective des droits d’auteur ou voisins (– la SABAM)
a. Notion de gestion collective – Raison d’être
Il n’existe pas de réelle définition légale de la gestion collective. On peut toutefois convenir qu’il y a gestion collective “dès lors qu’il y a centralisation de la gestion des droits et que l’utilisateur dispose d’un seul interlocuteur – la société de gestion collective – pour obtenir les droits et payer la rémunération pour un usage déterminé” 2 ; la gestion collective est donc un mode particulier d’exercice des prérogatives reconnues à l’auteur et aux titulaires de droits voisins. Organisées par la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins (chapitre sept), les sociétés de gestion ont pour vocation de gérer les droits d’auteur et les droits voisins au nom de leur titulaire. Plus exactement, le titulaire cède à la société de gestion ses droits dont elle assurera le respect…
“La gestion collective s’est imposée, au fil du temps, comme une nécessité pratique en raison de l’exploitation des œuvres par une quantité sans cesse croissante d’utilisateurs. Il devenait difficile, sinon impossible, aux ayants droit de contrôler l’utilisation des œuvres ou prestations et de négocier avec les utilisateurs. Ce dernier phénomène d’abord sensible dans le domaine musical a fini par gagner tous les autres domaines sous l’effet de l’explosion des techniques de diffusion” 3. Aujourd’hui, l’avènement de la radiodiffusion, des cassettes audio et des disques vinyles puis compacts, a rendu la gestion par l’auteur même de ses droits malaisée, voire illusoire. L’élargissement de l’accès à la musique et des techniques en facilitant le relais (qu’il s’agisse des émetteurs-récepteurs ou des supports de reproduction), sans même parler du raz-de-marée causé par l’Internet 4 ni de l’instauration de rémunérations pour des modes d’exploitation tels que la copie privée, ont conduit les sociétés de gestion à jouer un rôle croissant dans la gestion des droits, au titre de “partenaires obligés”, selon l’expression de J.Debrulle 5.
b. Une société de gestion collective parmi d’autres 6 : la SABAM – Aperçu général
Pour subjectif qu’il soit, le choix n’en est pas pour autant innocent : la SABAM (acronyme de “Société des Auteurs Belge[s]!-Belgische Auteurs Maatschappij”) est sans conteste la société de gestion collective la plus importante et la plus exposée en Belgique ; d’autre part, c’est elle qui s’occupe de la perception des droits pour les auteurs d’œuvres musicales. Nous avertissons cependant le lecteur que la SABAM est évoquée à titre illustratif, et qu’elle ne détient aucune exclusivité ; ainsi, par exemple, les griefs qu’elle supporte sont également reprochés aux autres sociétés de gestion. Nous allons y revenir 7.
La SABAM est une société civile privée, une Société Coopérative à Responsabilité Limitée (S.C.R.L.) plus exactement ; elle n’est donc pas un organe étatique. Sa mission est de “gérer, percevoir et répartir les droits de ses membres” 8. En pratique, la SABAM contrôle, sur le territoire national, les diverses formes d’utilisation de son répertoire, de façon réactive et proactive 9.
De façon réactive, la SABAM reçoit les demandes d’utilisation du répertoire par les organismes de radiodiffusion, les organisateurs de concerts, ou toute personne respectueuse de la législation et qui souhaite diffuser publiquement des œuvres musicales ; l’autorisation se conclut par des contrats de nature différente (demande ponctuelle, forfait annuel…) dont les montants varient en fonction du temps de diffusion et de l’aire de l’endroit où aura lieu la diffusion ou l’exécution publique.
De façon plus proactive, la SABAM, grâce à ses bureaux de perception répartis sur l’ensemble du territoire national, traque les utilisations frauduleuses des œuvres musicales de son répertoire. Des agents assermentés ont pour mission de veiller à ce que la diffusion de musique lors d’événements musicaux (soirées, concerts…) ait reçu l’assentiment de la SABAM, ce qui signifie que les organisateurs aient versé à cette dernière la contribution demandée en contrepartie de l’autorisation de diffuser.
c. Rôle de la SABAM – Justes rémunérations ou tarifications aléatoires ? Conséquences sur le respect de la loi
Nous pouvons affirmer sans prendre énormément de risques que le mode de fonctionnement de la SABAM, ainsi que les grilles de redevances, sont troubles, voire opaques ; de plus, à n’en pas douter, la SABAM profite essentiellement aux auteurs de renom. Un exemple concret sera plus éloquent qu’un discours de principe : le 1er juin 1999, le Conseil d’Administration de la SABAM instaurait une contribution annuelle “afin de couvrir les frais de gestion propres aux associés” 10. Le mode de prélèvement est le suivant : si l’auteur ou l’artiste est suffisamment connu pour bénéficier d’une rémunération par la SABAM, celle-ci déduit d’office de la répartition la contribution annuelle due. Par contre, l’artiste qui n’a pas la chance de figurer dans le classement de tête des ventes de CD ou de places de concert est contraint de payer lui-même sa contribution annuelle ; dans l’hypothèse où l’enregistrement des œuvres a pour seul objectif leur protection contre le plagiat ou l’emprunt éhonté, le déposant se voit forcé de payer, sous peine d’exclusion, un service que la SABAM ne lui assure que partiellement, puisqu’elle ne vérifie pas, lors du dépôt, le recouvrement possible d’œuvres, sauf flagrance. Pire, pour respecter le règlement de la SABAM en cas de concert, l’artiste peu renommé doit déclarer les œuvres qui font l’objet de la prestation. La SABAM est censée lui rétrocéder une partie des droits sous forme de rémunération, ce qui n’arrive qu’au-delà d’un certain seuil de prestations (et surtout, de rentrées financières). Autant dire que les groupes qui cherchent à se faire connaître ou qui débutent manifestent fréquemment de l’incompréhension face au fait de devoir payer pour être autorisés à exécuter leurs propres compositions !
D’aucuns argueront que, d’une part, le dépôt ou l’enregistrement n’est pas un préalable obligatoire à la reconnaissance du droit d’auteur, ce que nous avons d’ailleurs expliqués précédemment 11 et que, d’autre part, le dépôt peut avoir lieu auprès d’une autre société de gestion ou être authentifié par acte notarial. Nous répondrons que, face à de jeunes auteurs-compositeurs, la SABAM assume pleinement sa position, qui est celle d’un monopole de fait, sur les œuvres musicales issues d’artistes belges : il fut un temps où il n’était pas facile de faire admettre à la SABAM que le dépôt n’était pas obligatoire, pas plus qu’il ne l’était à son bureau d’enregistrement. Si l’évolution récente semble clarifier quelque peu la situation de la protection des œuvres 12 , la clarté de fonctionnement de l’institution n’est pas encore de mise ; de nombreux autres exemples en témoignent 13.
Partant de cette observation, nous pouvons expliquer que ce manque de transparence ait été dénoncé à maintes reprises, aussi bien par les ayants droit ou les organisateurs de manifestations musicales, que par certains juristes ou spécialistes du droit d’auteur. Si nous partageons ce constat, nous ne nous prononcerons pas davantage sur ce volet du problème ; nous nous limiterons à souligner, eu égard au propos qui suit, que la transparence constitue sans nul doute un atout majeur pour juguler les débats actuels autour des questions posées par les nouvelles technologies et tenter d’y apporter une solution constructive qui ne lèse ni les auteurs, ni le public, ni leurs intermédiaires.
Ce qui importe pour notre étude, c’est de bien percevoir l’influence qu’une société de gestion exerce sur le respect du droit d’auteur. En détenant une indéniable position monopolistique de fait, la SABAM symbolise l’instance omnipotente du droit d’auteur ; il ressort en effet de notre propre expérience d’auteur-compositeur que c’est au travers de cette seule organisation que sont fréquemment ressenties les prérogatives octroyées à l’auteur et à l’artiste, les dispositions législatives relatives au droit d’auteur et les sanctions en la matière. C’est dire que le rôle de la SABAM et l’image qu’elle donne de ses activités revêtent une importance capitale pour la bonne compréhension des droits des auteurs et artistes et pour la lutte contre leurs violations. Or, il semble que certains procédés utilisés en matière de perceptions de redevances ne soient pas des plus limpides, nous l’avons dit 14.
A force de répéter que “le droit d’auteur est le salaire de l’auteur” 15 , la SABAM détourne, à l’instar de bon nombre d’options législatives, le droit d’auteur de ses racines fondatrices. L’objet n’est pas de discuter de cette déviation mais de souligner l’effet pervers qui naît de cette focalisation sur l’optique strictement économique du droit d’auteur. Il nous semble en réalité plausible de croire que, puisque le point de vue des représentants du droit d’auteur aux yeux du public est financier, alors les atteintes aux prérogatives de l’auteur sont également réduites à une dimension économique, à un calcul coûts-avantages ; ceci plaiderait potentiellement en faveur des motivations avancées à la section précédente, et validerait les hypothèses susceptibles d’orienter le passage à l’acte.

Voy. supra, Première partie, B.- Attributs du droit d’auteur – Absence de formalité préalable à la protection de l’œuvre. Voy. le site mis à jour de la SABAM (http://www.sabam.be/) qui explique dans certaines sous-sections que le dépôt de l’œuvre auprès d’une société de gestion n’est pas obligatoire (cliquer la loi protège et dépôt d’œuvres, notamment).

Les griefs à l’encontre du fonctionnement de la SABAM et des frais administratifs trop élevés des sociétés de gestion nous ont été rapportés au cours de notre entretien avec J. Collin, M. Ledoux et J.-M. Parent, tous trois responsables du café-concert LaZone, à Liège (voy. l’article significatif de ces auteurs : “La SABAM et le droit d’auteur – Faits, méfaits et forfaits”, 2000, disponible en ligne : http://www.users.skynet.be/lazone/sabam/sabamhome.html). A. Masset a aussi souligné le fonctionnement pour le moins obscur des sociétés de gestion lors de notre entretien du 12 mars 2001. J.Debrulle signale également cette réalité (DEBRULLE!J., op.cit., p.383).
Voy. COLLIN J., LEDOUX M., PARENT J.-M., “La SABAM et le droit d’auteur – Faits, méfaits et forfaits”, précité, plus spécialement dernière page.
Leitmotiv de la SABAM que l’on retrouve dans presque toutes ses publications.
d. Évolution due à la nouvelle loi : le contrôle des sociétés de gestion
“Des arguments fondamentaux militaient en faveur d’une surveillance accrue de l’activité des sociétés de gestion collective : l’importance des montants en jeu, la position monopolistique de fait sinon de droit des sociétés, le besoin de transparence dans le chef tant des affiliés que des utilisateurs” 16. Pour ces raisons, la loi du 30 juin 1994 a instauré un triple contrôle des sociétés de gestion : “pour exercer leur activité, les sociétés doivent faire l’objet d’une autorisation par arrêté ministériel, le retrait de l’agrément étant ultérieurement possible (art.67) ; les sociétés sont, à l’instar des sociétés anonymes, surveillées par un commissaire- réviseur (art.68) ; enfin, un délégué est désigné par le ministre [de la Justice] auprès de chaque société afin de veiller à l’application de la loi et des statuts (art.76)” 17. Ce dernier a été institué le 1er février 1999, en application de l’arrêté royal du 7 janvier 1998 pris en exécution de la loi du 30 juin 1994, pour faire partie du Service de contrôle des sociétés de gestion de droits d’auteur ou de droits voisins, dont la mission “consiste à veiller à ce que les sociétés de gestion de droits d’auteur ou de droits voisins respectent la loi ainsi que leurs statuts, règlements, tarifs et modalités de perception et de répartition” 18. Pour ce faire, un rapport annuel d’activités du Service de contrôle est publié 19.
Par ces mécanismes, les sociétés de gestion sont à présent tenues à une certaine rigueur dans leurs opérations et à un niveau de clarté de fonctionnement qui devrait être amélioré. Par ailleurs, ce 6 juin 2001, le Service de contrôle a donné son avis à l’assemblée générale de la SABAM concernant certaines propositions de modification des statuts et du règlement général de cette dernière, ce qui confirme la volonté de regard extérieur porté aux sociétés de gestion 20. C’est pourquoi l’instauration du délégué du Ministre de la Justice ne peut être que soutenue. Il s’agit là d’un moyen de contrôle qui peut, à terme, permettre d’assainir la situation des sociétés de gestion, tant du point de vue de leur fonctionnement interne que de la manière dont elles sont perçues par les intervenants du droit d’auteur, et plus largement, par le public qui peut, tôt ou tard, avoir à traiter avec ces sociétés.
Lire le mémoire complet ==> (Piratage et contrefaçon : Approche socio-criminologique des violations au droit d’auteur et aux droits voisins en matière musicale)
Travail de fin d’études en vue de l’obtention du diplôme de licencié en criminologie
Université de Liège – Faculté de Droit – École de Criminologie Jean Constant

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