Les éléments matériels du contrat de société, Droit français

§1) Les éléments matériels du contrat de société

22. – Matériellement, la société se traduit par la poursuite par deux ou plusieurs personnes,d’une entreprise commune (A), nécessitant la mise à disposition de certains moyens pour atteindre cet objectif (B).

A) L’exercice par une pluralité de personnes d ’une entreprise commune

23. – Ce premier élément est en réalité double : nous avons ici choisi de fusionner deux des critères traditionnels du contrat de société – l’exigence d’une pluralité de personnes, ainsi que celle d’un objet social – tant ils nous paraissent indissociables.
En effet, si deux ou plusieurs personnes se réunissent, ce sera toujours dans un but déterminé, et en l’occurrence, l’exercice d’une activité sociale donnée.
24. – Ainsi, la société est traditionnellement considérée comme un groupement. Il en résulterait alors que la première condition quant à sa reconnaissance, soit l’existence d’une pluralité de personnes.
Si cette exigence perdure encore aujourd’hui, elle n’est plus absolue en ce sens que l’article 1832, en son alinéa 2 énonce que la société « peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne. »
25. – Or, bien que la loi ne prévoie une telle possibilité que de manière marginale, force est de constater que le législateur a multiplié les exceptions depuis la loi de 1985 introduisant en droit français l’Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée (EURL). Dans son sillage, ont ainsi été créés l’Entreprise Agricole à Responsabilité Limitée (EARL), la Société par Actions Simplifiée Unipersonnelle (SASU), et la Société Européenne.
Par ailleurs, les professionnels libéraux ont également accès à certaines de ces formes de sociétés, mais adaptées à la spécificité de leur situation, à travers la Société d’Exercice Libéral à Responsabilité Limitée (SELARL) Unipersonnelle, ou la Société d’Exercice Libéral par Actions Simplifiée (SELAS) Unipersonnelle.
L’admission de ces nouveaux types de sociétés a conduit à fragiliser encore davantage la conception contractuelle telle que traditionnellement envisagée de cette institution, en ce que dans ces occurrences, la société ne saurait résulter que d’un acte unilatéral de l’unique associé à son origine.
Il faut également souligner que de telles structures ont induit une relativisation de la théorie du patrimoine d’Aubry et Rau en ce que si dans la rigueur des principes, à chaque patrimoine correspond bien une personne, en réalité, cet associé aura ici purement et simplement réalisé un cloisonnement patrimonial24.
C’est donc de révolution plus que d’évolutions qu’il faudrait parler en la matière, tant l’inscription dans le marbre de la loi de ces formes particulières a bouleversé des principes auparavant fermement ancrés en droit français, dont ceux évoqués ne présentent aucun caractère d’exhaustivité.

24 Il semble aujourd’hui que ce mouvement de remise en cause du principe d’unité du patrimoine ait été mené à son terme à travers l’entrée remarquée en droit français de l’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée, (EIRL), qui permet à celui-ci, conformément aux dispositions de l’article L526-6 alinéa premier du Code de commerce, d’ « affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans la création d’une personne morale »

26. – Néanmoins, on remarquera qu’aucune exception législative n’étant consacrée quant à la société créée de fait, ni quant à la société en participation dont elle emprunte le régime conformément aux dispositions de l’article 1873 du Code civil, celle-ci demeure donc pluripersonnelle.
27. – Une deuxième exigence vient s’y ajouter. En effet, les associés de société doivent poursuivre à travers elle, une « entreprise commune », l’objet social, recouvrant l’ « activité économique exercée par la société »25.
Or, la société créée de fait n’échappe pas à cette condition, quant bien même son caractère informel et l’absence de conscience des associés d’avoir cette qualité en rendraient sa détermination, et a fortiori sa preuve, plus difficile.
28. – Cette solution se justifie par le fait que toute société, quelle que soit sa forme, est orientée vers l’accomplissement d’une activité déterminée, la réalisation d’un but économique, dans le cadre duquel elle pourra seul agir.
En effet, si le principe de spécialité est le corollaire de la personnalité morale, en ce qu’il a vocation à circonscrire la sphère au sein de laquelle la société peut valablement se mouvoir, et ainsi permet de fixer le domaine d’action des dirigeants sociaux orientant son activité, la doctrine s’accorde néanmoins pour admettre une résurgence de ce principe en matière de groupements dépourvus de cette personnalité, en tant que virtualité de la force obligatoire attachée au contrat de société : ainsi, « les parties sont engagées dans les termes de leur accord, et pas au-delà »26.
L’activité érigée à titre d’objet social doit néanmoins présenter certaines qualités pour fonder une société valable.
A ce propos, l’article 1833 nous enseigne que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. » Ainsi, à peine de nullité de la société27, l’objet social doit apparaître conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Mais on ajoute traditionnellement qu’il doit également être déterminé et exprimé dans les statuts du groupement28, ainsi que possible.
29. – Mais, ici encore, la situation particulière de groupement de fait conduit à des dérogations s’agissant de la société créée de fait.
En effet, en premier lieu, les associés n’ayant pas conscience de se trouver dans une telle situation, la reconnaissance de cette société ne saurait être subordonnée au respect des formalités présidant à son immatriculation, et ainsi à la rédaction par les associés de statuts, alors d’autre part qu’il n’est ni envisageable, ni envisagé29 qu’elle soit dotée de la personnalité morale.
L’exigence de détermination ex ante par les associés de l’objet social doit donc être éludée. Sa détermination interviendra ainsi ex post et unilatéralement, à l’initiative du demandeur à l’action visant à établir son existence. Mais il ne faudrait pas en conclure qu’il se voie conférer toute latitude dans cette tâche.
En effet, pèse sur lui la contrainte liée à la réalité factuelle, ainsi qu’à l’impératif de preuve auquel il est assujetti, ceci sous le contrôle du juge, qui vérifiera l’adéquation de cette proposition aux faits portés à sa connaissance, ainsi que la concordance avec les autres caractères requis de licéité et possibilité.
Cela marque encore ici l’importance du juge dans le processus lié à la découverte d’une société créée de fait, conduisant certains auteurs à faire de l’intervention d’un tiers, juge ou arbitre, une des conditions d’existence de cette structure30.
On ne peut qu’approuver cette idée, tant il est vrai que la société créée de fait n’est susceptible d’accéder à la vie juridique que par l’intermédiaire d’un tel tiers.
En revanche, il nous semble contestable d’en faire un « élément constitutif »31 de la société créée de fait, car cette exigence de saisine d’un juge ou arbitre n’est pas de nature à isoler les particularités intrinsèques de ce groupement, du fait qu’elle lui est totalement extérieure.
30. – L’évocation de cette notion dans le cadre de la société créée de fait permet également de mettre en valeur l’hétérogénéité de situations auxquelles elle fait référence.
L’objet social est en effet traditionnellement considéré comme devant être formulé de la manière la plus large possible, afin d’atténuer la rigueur du principe de spécialité et d’offrir à la société ainsi créée les plus larges potentialités d’action, dans une optique de développement de celle-ci sur un plan économique. Néanmoins, même en adoptant une telle formulation, cet objet ne saurait englober toutes les possibilités.
Ainsi, l’activité sociale ne doit en aucun cas aller à l’encontre de ce but tel que formalisé dans les statuts. On est alors conduit à considérer que la société à objet civil qui exercerait une activité essentiellement commerciale doive prendre fin en cette forme sur le fondement de l’article 1844-7 du Code civil, du fait de l’extinction de son objet, pour laisser place à une société créée de fait à objet commercial, l’inverse valant pareillement.
Mais, par contraste, lorsqu’on envisage la société créée de fait en tant que logique autonome, établie indépendamment de l’existence antérieure d’un groupement, en ce qu’il s’agit de porter un regard sur une opération ou un ensemble d’opérations passées, l’objet social sera défini de manière très restrictive.
Cela est lié à ce que sa vocation est uniquement d’englober lesdites opérations, indépendamment de toute volonté d’extension tant cette logique est étrangère à la société créée de fait qui n’a pas vocation à s’inscrire dans le futur32.

29 L’article 1873 du Code Civil s’agissant de la société créée de fait, renvoyant à l’article 1871 s’agissant de la société en participation aux termes duquel « Elle n’est pas une personne morale et n’est pas soumise à publicité. »
30 B. Dondero, Repertoire. Sociétés v° Société créée de fait, Dalloz 2009, n°48.
31 B. Dondero, Répertoire Sociétés préc. n°34.

31. – Enfin, si l’enjeu premier de la détermination de l’objet social de la société a trait à la reconnaissance de celle-ci, un second transparait, relatif à la détermination des règles qui lui seront ensuite applicables.
En effet, si l’article 1873 du Code civil renvoie, à titre de réglementation de la société créée de fait, aux règles régissant la société en participation, dans le chapitre relatif à cette dernière figure l’article 1871-1 selon lequel « A moins qu’une organisation différente n’ait été prévue, les rapports entre associés sont régis, en tant que de raison, soit par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil, soit, si elle a un caractère commercial, par celles applicables aux sociétés en nom collectif ».
La nature de l’activité exercée commandera donc le choix des règles qui régiront les rapports entre associés, avec toutes les difficultés que peuvent engendrer ces analogies33.
Mais, cette entreprise commune ne peut pas valablement être exercée sans la mise à disposition de moyens au bénéfice de la société, qui lui permettront d’atteindre l’objectif que les associés s’assignent, à travers la réalisation d’apports.

32 V. à ce propos, pour une société ayant comme objet social l’édification d’un pavillon : Cass. Civ 1ère, 11 février 1997, Bulletin 1997 I N° 46 p. 30, n°95-13029 ; Pour une société ayant comme objet social l’exploitation d’une auberge : Cass. Com, 8 juillet 2003, n°01-11442.
33 V. à ce propos, F. Deukewer-Défossez, Illusions et dangers du statut des sociétés créées de fait, D.1982, chron. p. 83

Lire le mémoire complet ==> (Gestion d’affaires et société créée de fait, essai de convergence à propos d’un antagonisme)
Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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