Le marché des phonogrammes du commerce et ses intervenants

Le marché des phonogrammes du commerce et ses intervenants

Section 2 – Les phonogrammes réalisés en vue de leur communication directe au public

Ces phonogrammes sont appelés phonogrammes du commerce et constituent le marché le plus important.

§ 1. Le marché des phonogrammes du commerce

Diversité du marché. Sont appelés phonogrammes du commerce les phonogrammes destinés être directement mis à la disposition du public. Cette appellation est avant tout d’ordre économique et n’exclut aucun genre musical (rock, variétés, musique classique, musique du monde, rap, jazz, etc…) y compris celui des musiques originales dès lors que celles-ci sont commercialisées1. Cette diversité n’est qu’apparente.

Malgré un tassement sensible depuis l’émergence de sites internet du type Napster, le marché mondial du phonogramme représentait en 2000 près de 40 milliards d’euros selon les statistiques de l’IFPI. Or 75 % de ce marché est contrôlé par cinq groupes multinationaux :

BMG, EMI Music, Universal, Warner et Sony Music. Ces sociétés ou majors présentent toutes les mêmes caractéristiques : elles relèvent de vastes groupes multimédias diversifiés (cinéma, audiovisuel, livres, presse), font appel aux marchés financiers (leurs actions sont cotées en Bourse) et sont présentes sur les cinq continents par l’intermédiaire de nombreuses filiales. En outre elles cumulent les fonctions de producteur, d’éditeur et surtout de distributeur. Ces majors proposent toute la gamme de l’offre musicale, y compris des genres ‘‘minoritaires’’ tels le jazz ou la musique classique1, car ils assurent toutefois des ‘‘fonds de catalogue’’ à longue durée de vie et aux ventes régulières, tout en apportant une image culturelle valorisante au groupe qui en est détenteur2. Cependant malgré les quelques 200 000 références mondiales, force est de constater la domination sans partage, dans les musiques populaires, de la culture anglo-saxonne3.

1 Deux musiques originales de film sont ainsi classées parmi les albums les plus vendus au monde : Saturday Night Fever (30 millions de copies) et Bodyguard (17 millions de copies). Concernant les musiques originales publicitaires, il est désormais courant qu’une marque sonorise ses spots publicitaires par des musiques originales destinées par la suite à connaître une commercialisation (Orangina et La Lambada dans les années 1980, Coca- Cola et le remix Chihuahua durant l’été 2003).

Evolution du marché. Le marché du phonogramme est une cible privilégiée des contrefacteurs. Entre 1982 et 1995, le manque à gagner pour l’industrie du disque est passé de 690 000 euros à 1,75 million d’euros ce qui représente une multiplication par quatre du nombre de copies illicites. Selon l’IFPI, les zones géographiques les plus sensibles en matière de piratage phonographique sont l’Inde, la Chine et la Russie où sont apparus ces dernières années une nouvelle forme de piratage, appelée ‘‘piratage total’’ et consistant en une copie servile de façon à ressembler en tout point à l’original4. Malgré cela le marché du phonogramme reste important.

En 2000 le marché mondial représentait près de 3,8 milliards de supports dont 74 % des ventes proviennent de seulement cinq pays (Etats-Unis, Japon, Grande-Bretagne, Allemagne et France). En France, 154 millions de phonogrammes ont été vendus en 2000, dont environ 114 millions d’albums et 36 millions de singles5. Sans surprise, 96 % de ces ventes sont partagées entre les cinq majors.

1 Soit 3 % et 8 % du chiffre d’affaire mondial.

2 Ainsi, parmi les cinq majors mondiales, seule Warner ne disposait pas jusqu’en 1992 d’un label classique. Cette lacune a depuis été comblée avec le rachat simultané d’Erato (France) et de Teldec (Allemagne), deux sociétés indépendantes qui ont été fondues en une division Warner Classics.

3 D’ANGELO (M.), « Qui contrôle la musique ? L’impitoyable industrie du disque », Le Monde diplomatique, juin 1998, p. 24.

4 Sur ce point : VERRECCHIA (J.), « Le piratage informatique », Légicom, janvier 1997, n° 13, p. 67

5 En France, les albums les plus vendus en 2002 (disque de diamant soit 1 000 000 exemplaires vendus) sont : L5 (L5), Chansons pour les pieds (Jean-Jacques Goldman), Marcher dans le sable (Gérald de Palmas), Yannick Noah (Yannick Noah), Chambre avec vue (Henri Salvador), No Angel (Dido) et The Definitive Simon and Garfunkel (Simon & Garfunkel).

Les singles les plus vendus au cours de la même année (disque de diamant soit 750 000 exemplaires) : It’s raining men (Geri Halliwell), Stach Stach (Bratisla Boys) et Whenever Wherever (Shakira). Au niveau mondial, l’album le plus vendu de tous les temps serait Thriller (Mickael Jackson) selon le Guiness Book des Records.

§ 2. Les intervenants

Envisageons dans un premier temps, les différents intervenants économiques de ce marché. Les développements ci-dessous concernent bien évidemment les autres types de phonogrammes qui ne sont pas directement l’objet de notre étude (phonogrammes de musique originale, phonogrammes de musique d’illustration).

Nous utiliserons par la suite, au cours de notre exposé, cette appellation ‘‘d’intervenants’’ pour désigner l’ensemble des auteurs, artistes-interprètes, producteurs, et plus largement tout cessionnaire de droits relatifs à l’exploitation d’une œuvre musicale.

Les auteurs. Le Code de la propriété intellectuelle ne comporte pas de définition de la notion d’auteur. L’article L. 111-1 du Code assimile cependant l’auteur et le créateur. Pourtant si on admet une dissemblance entre la notion d’œuvre et de création (cf. supra), ne sera considéré comme auteur au sens de la propriété littéraire et artistique, que le créateur d’une œuvre (une création originale).

En matière musicale, la qualité d’auteur échoit aux personnes ayant créé une structure musicale, combinaison de sonorités présentant un aspect musical et résultant de la présence d’un ou plusieurs éléments classiques de la musique (mélodie, harmonie, rythme).

L’œuvre musicale sera une œuvre de collaboration1 lorsque plusieurs personnes ont concouru à son élaboration, ce qui est fréquemment le cas en présence d’une œuvre musicale incluant des paroles.

Dès lors, les coauteurs exerceront leurs droits sur l’œuvre (cf. Chap. 3, p. 29) d’un commun accord, une exploitation individuelle de l’apport de chacun demeurant possible pour les textes par le parolier et pour la musique par le compositeur, à la condition que cela ne nuise pas à l’exploitation commune2.

En tout état de cause, l’article L. 113-1 du Code de la propriété littéraire et artistique pose une présomption simple de paternité de l’œuvre au bénéfice de la personne sous le nom de laquelle elle est divulguée. Dans certains cas, afin d’éviter une paralysie dans l’exercice des droits d’auteur, la paternité de l’œuvre est attribué à une seule personne, par exemple le leader d’un groupe.

1 Art. L. 113-2 CPI : « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ».

2 Art. L. 113-3 : « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer. Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune. »

Rappelons que l’utilisation d’une musique du commerce pour sonoriser une œuvre audiovisuelle ne confère pas aux auteurs de la création musicale, la qualité d’auteurs de l’œuvre audiovisuelle. La présomption de l’article L. 133-7 du Code de la propriété littéraire et artistique ne joue qu’en faveur de « l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre ».

Les orchestrateurs et arrangeurs. Le rôle de ces personnes consiste en l’adaptation d’une composition musicale à d’autres instruments que ceux pour laquelle elle a été créée1. Cette définition pourrait assimiler les notions d’arrangement et d’orchestration alors que dans la réalité il s’agit de deux étapes distinctes.

L’orchestration intervient bien souvent au stade de la création : c’est l’art de faire jouer par plusieurs instruments en mariant leur timbre une même mélodie ou une harmonie. L’orchestrateur n’intervient donc pas sur une œuvre première mais participe à l’élaboration de celle-ci. A l’inverse, l’arrangeur intervient le plus souvent une fois l’œuvre divulguée, afin qu’elle puisse être exécutée par un ensemble orchestral moindre ou au contraire plus important ou dans une autre tonalité lorsqu’un interprète n’a pas le même timbre que l’interprète de l’œuvre première.

De cette distinction découle que le premier peut se voir reconnaître la qualité de co-auteur d’une œuvre de collaboration (même si cela est rarement le cas2) tandis que les seconds seront certainement auteurs d’une œuvre dérivée aux termes de l’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle. Sont considérés comme des arrangeurs les DJ auteurs de remix d’une chanson.

Les artistes-interprètes. Ils ont acquis une place prépondérante depuis l’avènement du phonogramme. Au XIXe siècle, les œuvres musicales étaient diffusées, à l’instar des œuvres littéraires, sur support papier sous forme de partitions. Aujourd’hui, les phonogrammes permettent de commercialiser une œuvre et avant tout une interprétation. Conscients de cette évolution, les législateurs ont accordé aux artistes interprètes des droits voisins du droit d’auteur que nous étudierons plus tard.

1 L’article 68 du règlement général de la SACEM évoque, plus qu’une adaptation, une « transformation […] par l’adjonction d’un apport musical ».

2 En effet, les usages veulent que quand bien même l’œuvre musicale est conçue dès l’origine comme une musique orchestrale, est considéré comme auteur le créateur de la mélodie, de l’harmonie et du rythme.

La convention de Rome prévoit une définition non exhaustive du statut d’artiste-interprète1, reprise par le Code de la propriété intellectuelle, qui vise « la personne qui chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes »2.

Cette définition, qui peut être rapprochée de celle du Code du travail3, n’est pas exempte de critiques4 et recouvre un large éventail de situations. Dans le monde disparate des artistes-interprètes se côtoient les stars et les ‘‘intermittents du spectacle’’.

En outre, certains artistes-interprètes de phonogrammes du commerce, cumulent la qualité d’auteur et celle d’interprète5 tandis que la plupart sont attachés à un producteur, le temps de la réalisation d’une œuvre.

Le producteur. Il s’agit de la personne « physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence de son »6. Son rôle est avant tout financier, c’est lui qui loue le studio d’enregistrement et rémunère les musiciens et les techniciens par exemple.

La référence à l’initiative et à la responsabilité faite dans le législateur français empêche tout amalgame entre le producteur et un simple technicien ou un réalisateur7. Une fois l’enregistrement terminé le producteur devient généralement propriétaire de celui-ci, qualifié de master. Cet enregistrement matriciel permet ensuite une duplication et une commercialisation des copies.

1 L’article 9 de la Convention prévoyant que « tout état contractant peut, par sa législation nationale, étendre la protection prévue […] à des artistes qui n’exécutent pas des œuvres littéraires ou artistiques ».

2 Art. L. 212-1 CPI.

3 Art L. 762-1 du Code du travail, alinéa 3, « Sont considérés comme artistes du spectacle, notamment l’artiste lyrique, l’artiste dramatique, l’artiste chorégraphique, l’artiste de variété, le musicien, le chansonnier l’artiste de complément, le chef d’orchestre, l’arrangeur-orchestrateur et, pour l’exécution matérielle de sa conception artistique, le metteur en scène. »

4 Selon le professeur Gautier « il eût suffi d’écrire ‘‘personnes intermédiaires interprétant l’œuvre d’autrui, à destination du public’’, ce qui eut couvert tout le monde » y compris les danseurs, que les rédacteurs de l’article L. 212-1 CPI semblent avoir oublié (ils figurent en revanche dans l’article 3 de la Convention de Rome). En outre d’aucuns regrettent que cet article suggère que les numéros de variétés, de cirques ou de marionnettes ne sont pas des œuvres, pourtant reconnus comme tels par l’article L. 112-2 CPI.

5 Voire également celles d’éditeur et de producteur, cumulant ainsi plusieurs sources de revenus. Ainsi la chanteuse Mylène Farmer, « véritable entreprise à elle toute seule », est à la fois auteur, compositeur, interprète, éditeur et producteur de ses albums, ce qui lui a permis de percevoir près de 10,4 millions d’euros en 2001 notamment grâce aux ventes de sa compilation Les Mots (670 000 exemplaires) et de l’album Gourmandises qu’elle a écrit et produit pour la chanteuse Alizée (600 000 exemplaires). ASSAOUI (M.) et COLLET (V.), « Combien gagnent les stars de la musique », Le Figaro entreprise, 14 janvier 2002, p. 12.

6 Art. L. 213-1, al. 1er CPI.

7 Le cas fut jugé en matière radiophonique, pour un producer autrement dit la personne dont le rôle est de trouver l’idée et le thème des oeuvres musicales appropriées, de la faire réaliser et éventuellement de la présenter mais dont l’initiative, responsabilité et le risque financier demeurait à la charge de Radio-France : TGI Aix-en- Provence, 1ère ch., 13 décembre 1990, Gaz. Pal., 1993, I, somm. p. 63. En matière musicale, il est fréquent de faire appel à un réalisateur qui supervise l’enregistrement ainsi que la cohérence musicale de l’album.

Contrairement à la qualité d’auteur et celle d’artiste-interprète, la reconnaissance du statut de producteur n’implique pas l’existence d’une œuvre, puisque nous l’avons vu, le producteur est la personne à l’origine de la création d’un phonogramme, lequel phonogramme n’étant pas nécessairement une œuvre de l’esprit.

. L’éditeur En pratique, le rôle économique de l’éditeur graphique a fortement décru et l’exploitation d’une œuvre via la commercialisation de partitions ne représente qu’un marché résiduel.

Néanmoins, lors de la création de la SACEM, les éditeurs se virent reconnaître une part égale à celle des auteurs et compositeurs sur les droits issus de la représentation et de reproductions des œuvres dont ils étaient, par usage, cessionnaires des droits en contrepartie d’une rémunération forfaitaire1.

Ils demeurent donc théoriquement titulaires du droit d’autoriser ou d’interdire l’utilisation d’une œuvre, notamment en cas d’insertion de celle-ci dans un message publicitaire.

Le terme d’éditeur recouvre donc dans la pratique une large variété de sociétés qui n’ont souvent que peu de points communs. Parmi celles-ci on trouve des petites structures créées par des auteurs/compositeurs dans le but de conserver ainsi la totalité des redevances qui leurs sont dues, des structures créées par des agences de publicité afin de récupérer une partie des redevances payées par les annonceurs, les filiales des majors, etc… Le rôle de l’éditeur est en réalité un rôle à géométrie variable, dont le contenu dépendra des clauses figurant au contrat d’édition2.

1 « Lors de la constitution de la SACEM, une difficulté s’éleva, qui fut, heureusement, vite aplanie. Il était d’usage que les ouvrages musicaux fussent vendus en toute propriété aux éditeurs. Les compositeurs renonçaient ainsi dans la pratique à leur droit sur l’exécution, droit qu’ils se sentaient incapables à faire respecter. Les éditeurs recueillaient donc seuls les produits de l’édition et ceux de l’exécution publique chaque fois qu’ils en avaient la possibilité.

Pour concilier les intérêts de tous, les éditeurs décidèrent de s’unir aux compositeurs pour partager avec eux les perceptions que la société devait exercer. Ils s’engagèrent donc à apporter les œuvres qui leur appartenaient déjà en pleine propriété ; les ouvrages nouveaux appartenant aux auteurs et compositeurs devant être dorénavant apportés aussi au répertoire de la SACEM. En vertu de l’accord intervenu, ils se réservèrent un tiers des droits devant être la part des auteurs compositeurs » BAUDIN (G.), Le droit des compositeurs de musique sur l’exécution de leurs œuvres en droit français, LGDJ, Paris, 1906, p. 116.

2 BERTRAND (A.), La musique et le droit. De Bach à internet, coll. droit@litec, Litec, Paris, 2002, p. 79.

Les distributeurs. Dernier maillon du processus économique, le secteur de la distribution de disques a connu ces dernières années une évolution considérable avec la disparition progressive des disquaires au profit des hypermarchés et des grandes surfaces spécialisées (FNAC, Virgin Mégastore). Près de trois quart des ventes de phonogrammes s’effectuent par le biais de ces distributeurs.

1 Le format MP3 est un algorithme de compression capable de diviser par douze un extrait sonore enregistré sur un support classique sans en altérer la qualité sonore. Cet encodage permet de stocker des fichiers musicaux en un minimum d’espace et de les télécharger plus rapidement. D’autres formats, permettant une meilleure compression sont apparus : MP3 Pro et WMA. Napster est un logiciel organisant une interconnexion des ordinateurs grâce à un serveur central et permettant ainsi un échange de fichiers gratuits. Suite à la fermeture du site en été 2001, des logiciels similaires ont été mis à disposition des internautes (Gnutella, Aimster). BERTRAND (A.), op. cit., p. 184 ; ABDI (N.), « L’onde de choc du MP3 », Libération, 10 juin 2000, www.liberation.fr.

Autre tendance majeure récente : la distribution via internet avec des sites de vente à distance (fnac.com, amazon.com…) et, afin de contrer ‘‘l’effet Napster’’ et de mieux contrôler les possibilités offertes par les nouveaux formats de fichiers1, l’émergence de plates-formes de musique en ligne permettant le téléchargement de fichiers musicaux ou downloading (Musicnet, Pressplay).

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