La licence légale : enjeu de la sonorisation audiovisuelle

La licence légale : enjeu de la sonorisation audiovisuelle

TITRE SECOND

LA LICENCE LEGALE : ENJEU DE LA SONORISATION AUDIOVISUELLE

Propos liminaires. Allant à l’encontre de la jurisprudence antérieure qui reconnaissait aux artistes-interprètes un succédané de droit d’auteur, non encore appelé droits voisins, la loi du 3 juillet 1985, dite loi Lang (du nom du ministre de la Culture de l’époque) instaure pour la première fois en France un système de licence légale privant de l’exercice de leur droit exclusif que le texte reconnaît par ailleurs aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes, en contrepartie d’une rémunération qualifié d’équitable.

Les artistes- interprètes ne s’en plaindront pas forcément, préférant souvent être titulaires d’un droit à rémunération plutôt que de revendiquer un droit exclusif qu’ils n’ont pas d’autre solution, dans la pratique, de céder au producteur. Pareillement, les producteurs n’étaient pas forcément capables également de faire face aux multiples négociations que supposait une gestion individuelle des droits qu’ils détenaient.

La loi impose donc un système de gestion collective qui n’est pas sans rappeler celui en vigueur en matière de droit d’auteur, bien que leur genèse soit différente1, et réalise ainsi un compromis entre les intérêts des uns (en reconnaissant un droit exclusif aux auxiliaires de la création), les impératifs des autres (un formalisme moindre pour les utilisateurs des phonogrammes) et les appréhensions des auteurs (qui craignaient d’affronter la concurrence d’autres titulaires de droits. Le droit à rémunération est dès lors apparu comme la solution idéale pour ne pas trop mécontenter les protagonistes2. Elle répond également à des considérations économiques, notamment en matière de compétitivité des sociétés audiovisuelles sur le marché mondial des médias3.

Plan. Nous étudierons tout d’abord le système mis en place depuis 1985 avant d’examiner sa remise en question par une catégorie des protagonistes de ce système. Nous nous interrogerons enfin sur la pérennité de la licence légale.

Chapitre 1. Le système de licence légale mis en place. Chapitre 2. Enjeux et conflits de la licence légale. Chapitre 3. L’avenir de la licence légale.

1 Rappelons qu’à l’origine, l’existence de sociétés de perception et de répartition des droits d’auteur est factuelle tandis que celle de la société de perception et de répartition de la rémunération équitable (la SPRE) résulte de l’article 23 de la loi de 1985 (art. L. 214-5 CPI).

2 LUCAS (A.) et LUCAS (H.-J.), Traité de la propriété littéraire et artistique, Litec, Paris, 2e éd., 2001, p. 664.

3 Cf. La licence légale de l’article L. 214-1, p. 63.

Chapitre 1. Le système de licence légale mis en place

Bien que ne transposant pas les dispositions de la Convention de Rome du 26 octobre 19611, la loi du 3 juillet 1985 s’inspire très largement de ce texte. Elle poursuit en tout cas le même but : reconnaître aux artistes-interprètes et aux producteurs un moyen de protection efficace des droits sui generis, à l’orée du droit d’auteur en leur assurant une exploitation sereine de l’objet phonographique à l’élaboration duquel ils ont participé.

Néanmoins, ces textes à finalité ouvertement économique (puisque les droits qu’ils reconnaissent sont la contrepartie du préjudice subi par l’exploitation de leur contribution2) ne doivent pas pour autant paralyser par la reconnaissance de monopole de droits nouveaux, la diffusion des œuvres qu’ils veulent faciliter.

Justifications du système de la licence légale. La mise en place d’un tel système se justifie par l’avènement d’une ‘‘culture de masse’’ ou d’une démocratisation culturelle. Comme le note B. Edelman, le public revendique une sorte de ‘‘droit acquis’’ d’accès à la culture. « Tout se passe comme si la loi reconnaissait un ‘‘droit à la culture’’, de même qu’en matière de brevet il existe un ‘‘droit au progrès’’.

Il s’agit ici d’une mutation tout à fait intéressante de la circulation culturelle »3. Ne nous y trompons pas. Si le système de licence légale décomplexe l’accès le plus large à la culture, sa mise en place répond avant tout à des considérations mercantiles. Ainsi a-t-il « paru normal, en effet, de ne pas soumettre à l’autorisation de chaque artiste l’utilisation de sa prestation par la radio, ce qui soumettrait les radiodiffuseurs à de lourdes contraintes »4.

Le législateur français (mais également les rédacteurs des textes internationaux précurseurs que nous étudierons plus loin), conscient des enjeux économiques de la communication veut permettre une plus grande compétitivité des entreprises culturelles et plus particulièrement audiovisuelles au sein du marché européen voire mondial. La poursuite de cet objectif passe par une simplification de l’exercice des droits attachés aux biens culturels de ce marché de la communication.

1 La convention de Rome fut ratifiée par la France par le décret 88-234 du 9 mars 1988, avec réserves à propos des articles 5 et 12.

2 Il s’agit en effet « de rattraper le temps perdu, en donnant aux ayants-droit de la création – auteurs, artistes, et producteurs – les moyens juridiques de dominer les conséquences dommageables ou incertaines des évolutions techniques modernes ». Projet de loi, Doc. Ass. nat. n° 2169, annexé au procès-verbal de la séance du 4 juin 1984, p. 2, cité par EDELMAN (B.), « Commentaire de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins », Actualité législative Dalloz, numéro spécial hors série, 1987.

3 EDELMAN (B.), « Commentaire de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits voisins », Actualité législative Dalloz, numéro spécial hors série, 1987.

4 RICHARD (A.), Rapport n° 2235 fait au nom de la commission des lois, annexé au procès verbal de la séance du 26 juin 1984. Ci-après : Rapport Richard.

Expropriation des droits voisins. Au même titre que la présomption de cession des droits d’exploitation aux producteurs1 ou le recours à la gestion collective que la loi du 3 juillet 1985 étend, le système de la licence légale en matière de phonogrammes du commerce vide d’une partie de leur contenu les droits reconnus aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes au profit d’autres producteurs culturels (essentiellement : les entreprises audiovisuelles). Ces dernières peuvent de cette façon accéder plus facilement à la matière première de leur programme : la musique.

C’est tout le paradoxe de cette loi – et des textes internationaux relatifs aux droits voisins – qui créée une nouvelle catégorie de droits pour immédiatement priver partiellement ses titulaires de leur libre exercice2.

Paradoxe revendiqué par les rédacteurs de la loi qui, au cours des discussions parlementaires au Sénat, résument ainsi les objectifs poursuivis : « Le projet a trois buts : favoriser la diffusion, rémunérer équitablement celle-ci et lutter contre les actions de producteurs pirates. C’est pourquoi le droit qu’il accorde aux producteurs de phonogrammes comme aux artistes-interprètes leur est aussitôt repris. Leur droit d’autoriser et d’interdire se mue dans la plupart des cas en un droit à rémunération »3

1 La présomption de cession de droits des auteurs au producteur d’une œuvre audiovisuelle prévue par la loi du 11 mars 1957 est étendue par la loi de 1985 qui instaure une cession similaire au profit du producteur publicitaire et reconnaît à l’entrepreneur d’un logiciel la qualité d’auteur présumé.

2 En vérité, les textes s’appliquant aux droits voisins visent avant tout à assurer une protection proche du droit d’auteur et notamment de l’action en contrefaçon aux producteurs en contrepartie de leurs investissements financiers.

Ne pouvant logiquement accorder une telle protection au titre de droits voisins du droit d’auteur sans en faire bénéficier les catégories d’intervenants dont la consanguinité avec les auteurs est la plus évidente (les artistes-interprètes et dans une moindre mesure leur producteur), ces textes résolvent le problème en affirmant le monopole de ces intervenants sur leur contribution dans un premier temps, puis en mettant en place différents cas d’expropriation (cession de droits, licence légale…) au profit des utilisateurs (les producteurs audiovisuels).

3 Cité par DE VIGAN (H.), « L’avenir incertain de la licence légale : étude des dernières jurisprudences en la matière », Lettres du droit, in Article, www.lettresdudroit.com.

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