Application de la licence légale et Reproductions du phonogramme

Application de la licence légale et Reproductions du phonogramme

§ 2. Le débat juridique

Deux thèses s’affrontent. Les producteurs estiment que l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle dépouille les ayants-droit de leur faculté de s’opposer à la radiodiffusion de leur phonogramme, uniquement lorsque celle-ci s’effectue, par analogie avec la communication dans un lieu public, par simple représentation. Les chaînes de télévision leur opposent que toute radiodiffusion d’un phonogramme implique nécessairement sa reproduction préalable.

A. Les arguments examinés par les juges

Le recours aux textes internationaux. Nous avons déjà vu que la Convention de Rome et la directive communautaire 92/100/CEE spécifient que la synchronisation de programmes audiovisuels peut être faite à partir d’un phonogramme du commerce ou d’une reproduction de celui-ci.

La Cour de cassation refuse néanmoins de faire prévaloir ces dispositions sur celles de l’article L. 214-1 au motif que ces textes permettent à l’Etat partie de mettre en place un dispositif juridique plus favorable1. Les juges suprêmes estiment que c’est ce que fait la loi du 3 juillet 1985 en ne mentionnant pas que la sonorisation pouvant être faite à partir d’un reproduction du phonogramme utilisé.

1 La Cour d’appel de Paris, dans l’affaire Europe 2 Communications c/ Universal (réf. citées) avait ordonné la réalisation d’un rapport par un expert afin de déterminer si la synchronisation impliquait un acte de reproduction. Il en ressort que la sonorisation (ici pour un duo virtuel) « est réalisée à partir des deux phonogrammes sur le disque optique du système Dyaxis de la société Europe 2, sous forme de fichiers numérisés, lequel est lancé par l’animateur au moyen d’un fichier de commande et de représentation graphique fixé sur le disque dur de l’ordinateur de la société ».

Voilà les producteurs confortés sur un point. De façon plus sous-jacente, les juges de cassation admettent en même temps que si les textes internationaux précisent qu’une reproduction d’un phonogramme peut être utilisée, c’est bien parce qu’une telle reproduction ne découle pas de façon évidente de la notion de radiodiffusion. Interprétant la notion de radiodiffusion comme synonyme de transmission, les juges ne voient en celle-ci qu’un pur acte de représentation.

Application de l’adage Exceptio est strictissimae interpretationis. Partant du présupposé que la radiodiffusion désigne un procédé de communication directe, les producteurs font valoir que l’article L. 214-1 met en place un système dérogatoire au droit commun de la propriété artistique et littéraire selon lequel le droit d’autoriser et d’interdire est un monopole des titulaires de droits.

Comme toute exception, cette dérogation doit s’interpréter strictement : la reproduction n’étant pas expressément visée par le texte, fut-elle un préalable technique indispensable à la radiodiffusion, le champ de la licence légale ne peut lui être étendu.

L’article L. 214-1, interprété strictement, ne concernerait que la diffusion télévisuelle (l’acte de représentation). Les reproductions préalablement réalisées tombent sous le coup des articles L. 212-3 et L. 213-1 du Code et relèvent ainsi du monopole des artistes- interprètes et des producteurs.

En retour, les avocats des chaînes de télévision font valoir l’effet utile de la loi. Ils soulignent le fait qu’une telle interprétation aurait pour conséquence de priver la licence légale de son contenu.

Selon eux, le but poursuivi par le législateur est clair : permettre une utilisation sans contrainte excessive pour les diffuseurs, des phonogrammes publiés à des fins de commerce. Or, établir une distinction entre l’acte de reproduction préalable et la radiodiffusion en vue de laquelle cette reproduction est réalisée revient à priver d’effet les dispositions de l’article L. 214-1.

Dans la mesure où, nous l’avons vu, toute radiodiffusion implique d’un point de vue technique si ce n’est une reproduction au moins une numérisation du phonogramme utilisé (assimilée à une reproduction), soumettre toute reproduction à l’autorisation des ayants-droit, conditionne également la radiodiffusion ultérieure à l’obtention de cette rémunération.

1 « […] les textes internationaux visés ni ne tiennent en échec la faculté laissée aux législations nationales par le directive communautaire du 19 novembre 1992 de prévoir, pour les titulaires de droits voisins du droit d’auteur, des dispositions plus protectrice que celles de son article 8-2, ni n’éludent les articles 12 et 21 de la Convention de Rome, aux termes desquels les producteurs jouissent du droit exclusif et préalable d’autoriser la reproduction directe ou indirecte de leur phonogramme, sans que ces dispositions puissent par ailleurs porter atteinte à la protection dont ils pourraient bénéficier autrement ». Cass. civ. 1ère, 29 janvier 2002, France 2 c/ Sté EMI Records Ldt. UK, Légipresse, avril 2002, n° 190, III, p. 45.

Las, les chaînes de télévision n’ont pas été entendues sur ce point ; les juges délaissent l’approche téléologique suggérée pourtant par une partie de la doctrine1, et interprètent strictement l’article L. 214-1 du Code2.

B. Les arguments non examinés par les juges

La contrepartie personnelle. Le raisonnement avancé par les diffuseurs envisage différemment le débat quant à l’application de la licence légale pour les reproductions.

Reprenant le texte de l’article 214-1 qui dispose que la rémunération équitable « est versée par les personnes qui utilisent les phonogrammes publiés à des fins de commerce dans les conditions mentionnées aux 1° et 2° du présent article » et les télédiffuseurs estiment si la question des contours des procédés de radiodiffusion est sujet à discussion, la rémunération équitable est une redevance qui est payée par des personnes en contrepartie de l’utilisation qu’elles font des phonogrammes.

La chaîne de télévision étant la personne qui s’acquitte du paiement de la rémunération, elle jouit en contrepartie de la possibilité d’utiliser librement les phonogrammes dans la limite de l’activité pour laquelle le bénéfice de la licence légale lui est accordée.

Dans ce raisonnement, la notion de radiodiffusion ne renvoie plus à l’utilisation mais à l’activité de la personne, or l’activité mentionnée au 2° de l’article étant la radiodiffusion, autrement dit l’émission de programmes, pour cette activité, et quel que soit le procédé utilisé, la personne sur laquelle pèse la rémunération doit bénéficier du système de licence légale.

Le caractère privé de la reproduction préalable. Il a été souligné le fait que les articles relatifs au droit exclusif des artistes-interprètes et des producteurs ne concernent que des utilisations publiques de leurs phonogrammes.

Ainsi bien que l’adjectif ne soit pas directement utilisé pour les reproductions, les articles L. 212-3 et 213-1 disent que l’autorisation des ayants-droit est requise pour la « mise à disposition du public » ou la « communication au public [du] phonogramme ». Et d’affirmer que ces articles n’auraient vocation à s’appliquer que lorsque une reproduction à caractère public est en cause.

Cet argument se trouve corroboré par les dispositions de l’article L. 211-3 du Code qui prévoit d’autres exceptions au droit exclusif pour « les reproductions strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective »1, confirmant que les reproductions privées ne sont pas soumises à l’autorisation préalable de leurs ayants-droit.

1 Sur ce point, V. ALLEAUME (Ch.) « La licence légale en quête de sens », Légipresse, avril 2002, n° 190, III, p.

48, soutenant que les juges vont à l’encontre de l’adage Exceptio est strictissimae interpretationis en reconnaissant à l’article L. 213-1 une étendue plus large (en jugeant que celui-ci s’appliquait pour une reproduction préalable à une radiodiffusion) que celle prévue par les textes.

2 Les juges de la Cour d’appel de Versailles ayant répondu « qu’aucune conséquence ne saurait être tirée des travaux préparatoires à la loi du 3 juillet 1985 ». Versailles, 12e ch., sect. 1, 17 janvier 2002, TF1 c/ Universal Music et autres, Légipresse, avril 2002, n° 190, III, p. 47.

Les juges jusqu’à présent, n’ont pas examiné ce point soulevé par les chaînes de télévision. Cela est regrettable car l’argument ne manque pas d’intérêt. Les producteurs objecteraient que la reproduction privée est réalisée à des fins de radiodiffusion publique, ils se heurteraient à leur propre discours consistant à dire que la reproduction préalable et la radiodiffusion sont deux opérations distinctes justifiant ainsi que la licence légale s’applique à l’un de ces actes mais pas à l’autre.

Il ne s’agit pas tant pour les diffuseurs de faire admettre que la reproduction préalable à un caractère privé (même si cette idée n’est pas sans logique) que de souligner l’artificialité d’une césure entre deux actes indissociables d’un même procédé2.

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