Affectio societatis : un élément du contrat de société

B) L’affectio societatis

52. – Il nous faut ici mettre au préalable l’accent sur le fait qu’en tant que contrat spécial, la société se doit de faire référence à une situation spécifique, qui justifie l’instauration de règles idoines, et, ce faisant, les dérogations au droit commun qu’elles induisent.
A ce titre, il faut garder à l’esprit qu’en l’occurrence, loin de l’opposition d’intérêts entre les parties, qui caractérise le plus souvent la matière contractuelle, la société vise à la convergence de l’action des associés autour de l’« entreprise commune », dont la réalisation profitera à tous39.
Or, par cela, force est de constater que la position d’associé présente un certain nombre de particularités sur le plan humain, qui en font la spécificité, constat qui doit recevoir une traduction sur le plan des éléments constitutifs de toute société.
C’est cet aspect qu’a vocation à traduire la notion d’affectio societatis, en tant qu’ultime exigence quant à la validité de la société.
53. – On entend ainsi traditionnellement l’affectio societatis comme une manifestation d’ordre psychologique, définie comme « la volonté des associés de collaborer ensemble, sur un pied d’égalité, au succès de l’entreprise commune »40.
Il s’agit à ce titre d’une notion centrale dans la démarche de caractérisation d’une société, qui, en son absence, ne pourrait constituer qu’une apparence, une société dite « fictive », encourant la nullité41. Par ailleurs, ce caractère devra non seulement exister au moment sa création, mais également se poursuivre tout au long de la vie sociale.
Ce faisant, ce critère permet également de distinguer la société d’autres situations voisines42. Pour autant, derrière cette notion apparemment unitaire, se profile une grande variété de situations, presque aussi variable que la notion de société elle- même.
En effet, cet état d’esprit variera selon le type de société envisagé, et l’engagement corrélatif des associés dans la vie sociale qu’il induit. On peut ici suivre très schématiquement, car c’est au cas par cas que se juge cette exigence, la distinction cardinale entre les sociétés de personnes, et les sociétés de capitaux.
54. – Dans le cadre des premières, la personne de l’associé, prévaut sur sa part dans le capital social, ce qui engendre un investissement important de celui-ci dans la vie sociale, encore accru par les risques qu’il supporte dans ces types de structures où l’associé peut être tenu du passif social au-delà de son apport, donc sur son patrimoine personnel.
C’est ici son état d’esprit, au-delà de tout autre caractère, qui fera l’associé, et à travers lui, la notion d’affectio societatis prendra tout son poids.
55. – Il en va autrement dans les sociétés de capitaux, où la perspective est inversée : c’est l’importance de ses apports, sa place dans le capital social, qui fait revêtir cette qualité à l’associé. La notion d’affectio societatis pourra alors être réduite à sa plus simple expression.
En effet, il est notoire que certains associés de sociétés importantes n’ont en vue, avec l’acquisition de leurs parts sociales, que la réalisation d’un placement financier, et non une quelconque volonté de gestion ou de collaboration43.
Cela montre par ailleurs qu’un autre facteur entre également en jeu, qui est celui de la taille de la société en question. L’affectio societatis sera vraisemblablement davantage présent au sein d’une petite société familiale, que d’une autre structure sans commune mesure avec la première, et faisant appel public à l’épargne.
56. – Entre la prééminence et l’inexistence, où classer le cas de l’associé de société créée de fait ? Le caractère de société à risque illimité, et souvent de taille restreinte, laisse présager, au regard des constats effectués précédemment, de l’importance que ce critère est de nature à revêtir en l’occurrence.
Celle-ci apparaît bien réelle, et l’absence de formalisme, essence de la société créée de fait, conjugué au défaut de conscience des associés de se trouver en une telle situation, en renforcent la portée. Une telle affirmation pourrait, de prime abord, apparaître contradictoire.
En effet, comment exiger une volonté de collaborer à une « entreprise commune », de la part de personnes qui n’ont pas a minima la conscience de se trouver dans une position d’associé ? Néanmoins, la contradiction ne serait qu’apparente, car ici, comme en toute matière, l’office du juge ne pourrait résider que dans l’analyse du comportement des intéressés : à partir de celui-ci, et dès lors qu’il observera que dans les faits, deux ou plusieurs personnes « ont collaboré ensemble, sur un pied d’égalité, au succès d’une entreprisecommune », il en déduira que leur volonté était en ce sens, quant bien même les protagonistes n’auraient pas eu conscience d’œuvrer ainsi dans un cadre social44.
Mais, si cette vision réduit la contradiction, on ne peut pas estimer qu’elle soit totalement annihilée, et nous reviendrons par la suite sur celle-ci. (V. infra n°119 et s.).

43 Ceux-ci étant alors qualifiés de « bailleurs de fonds », par opposition aux « contrôlaires », qui, au sein de la même société, s’impliquent dans la gestion V. à ce propos, M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, op. cit, n° 139.

57. – Pour autant, dans cette optique, l’affectio societatis revêt toute son importance : société informelle et inconnue des intéressés agissant en son sein, le comportement des associés prétendus en apparait le révélateur.
Mais pour que celui-ci opère, encore faut il un référentiel, un étalon qui permettra de certifier que ce comportement traduit l’existence d’une société, et non celui d’une situation proche. C’est l’affectio societatis qui assumera cet office, en tant que pièce maitresse du raisonnement.
Ainsi, dans l’hypothèse récurrente où un époux séparé de biens travaille informellement dans le cadre du fonds de commerce appartenant à son conjoint, puis que le divorce survient, cet époux pourra chercher à établir qu’il existait entre eux une société créée de fait pour l’exploitation dudit fonds.
Or, seul l’affectio societatis permettra de faire le départ entre le simple jeu du droit des régimes matrimoniaux, comprenant la contribution aux charges du mariage instaurée par le régime primaire impératif, et l’application du droit des sociétés à travers la société créée de fait, qui nécessitera une véritable volonté de prendre part à l’activité, au-delà de la simple assistance du conjoint45.
On pourrait ainsi estimer que la collaboration aux charges du mariage implique une dualité d’activités, un époux aidant l’autre, la société créée de fait, en revanche, opérant via l’affectio societatis, une fusion de ces deux activités dans le creuset de l’ « entreprise commune », et marquant donc par cela une certaine unité.
Le prisme de l’affectio societatis éclaire donc le comportement des parties en présence d’un jour particulier, mettant par cela en lumière l’existence d’une société créée de fait.
58. – L’agrégation de l’ensemble de ces éléments pour former la société créée de fait trouve logiquement son écho sur le plan de l’exigence probatoire pesant sur le demandeur à l’action.
En effet, dès lors que celui-ci revêt la qualité de prétendu associé, la Cour de Cassation exige de lui qu’il rapporte la preuve de leur réunion46. Mais, la spécificité inhérente à la situation de société créée de fait justifie des dérogations à la rigueur de ce principe, lorsque la preuve est rapportée par des tiers au contrat.
En effet, n’ayant pas de caractère ostensible en tant que telle, il aurait été déraisonnable d’exiger d’eux de démontrer l’existence de chacun des éléments constitutifs de toute société, sauf à ce que cette exigence leur en interdise de facto l’invocation.
La Cour de Cassation a donc ici assoupli ses exigences, en ne leur imposant que la seule preuve de l’apparence d’une société créée de fait, qui « s’apprécie globalement, indépendamment de la révélation de ces divers éléments »47, cette exception recevant elle même une dérogation, et donc par cela un retour au principe, lorsque le tiers en question est l’administration fiscale48.

44 Et c’est bien en ce sens que la Cour de Cassation se prononce : V. à ce propos, l’arrêt Cass. Com 3 juin 1986 n°85-12118 s’agissant de l’appréciation de l’affectio societatis en matière proche de société en participation.
45 V. à ce propos, l’arrêt Cass. Civ 1ère , 3 dec. 2008, n°07-13043.
46 Cass. Com., 23 juin 2004, Bull. civ., IV n°135, n° 01-10106, ajoutant que «ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres .»
47 Cass. Com. 3 novembre 1988, Bull. civ. IV, n°289.
48 Cass. Com 30 mai 1989 n°87-15446.
59. – La société créée de fait apparaît ainsi, eu égard à l’ensemble de ces considérations, comme un cas d’acte juridique. A ce titre, la gestion d’affaire semble s’y opposer, par sa qualification de fait juridique.

Lire le mémoire complet ==> (Gestion d’affaires et société créée de fait, essai de convergence à propos d’un antagonisme)
Mémoire de fin d’études – Master 2 Contrat et Responsabilité
Université de Savoie Annecy-Chambéry

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