L’impact du risque de développement dans la communauté européenne

3. Le risque de développement dans le cadre de la Directive du Conseil européen nº 85/347/C.E.E du 25 juillet 1985
a. L’impact du risque de développement dans la communauté européenne
Maria Parra Lucan, citée par Marcelo Junqueira Calixto388, constate que les avant-projets de directives, datés de 1974, de 1975 et de 1976, ne prévoyaient pas le risque de développement comme cause d’exonération de la responsabilité. En effet, il n’a été accepté qu’en 1979 par la Commission des affaires juridiques du parlement européen, après un vote serré389. La proposition formulée par la Commission économique et monétaire du parlement a été vivement contestée par la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la protection du consommateur.
Une autre auteure espagnole, également mentionnée par Marcelo Calixto390, souligne que lors de l’élaboration de la Directive 85/374, les pays membres se sont partagés en deux groupes. Le premier, formé de la Belgique, du Danemark, de la France, de la Grèce, de l’Irlande et du Luxembourg, prétendait que les risques de développement devaient être supportés par le fabricant, compte tenu que celui-ci avait la possibilité de répartir le coût de cette responsabilité sur le prix du produit en partageant donc le fardeau avec la société. À l’opposé, le groupe constitué de l’Italie, des Pays-Bas et du Royaume-Uni soutenait l’exonération du fabricant en cas de risque de développement, au motif qu’une telle défense favorisait la croissance de l’industrie européenne, particulièrement s’agissant de produits de haute technologie.
Considérant les controverses sur le sujet et les différentes traditions juridiques en cause, la directive a autorisé les États membres à déroger à l’alinéa (e) de l’article 7391. Pour ce faire, ils doivent toutefois suivre une procédure précise392. Cette dernière consiste d’abord à transmettre à la Commission des communautés européennes le texte concernant l’exclusion envisagée. Celle-ci en informe alors les autres États membres. L’État concerné a neuf mois à compter de l’information de la Commission pour adopter la mesure qui exclut le risque de développement, sauf si la Commission elle-même a « soumis au Conseil une proposition de modification de la directive portant sur la matière visée »393.
Par ailleurs, l’exonération de la responsabilité pour risque de développement du fabricant implantée par la Directive l’a été provisoirement. En effet, la directive a été fixée pour une période d’essai de dix ans à partir de sa notification, date à laquelle « un rapport sur l’incidence pour la protection des consommateurs et le fonctionnement du marché commun de l’application faite par les tribunaux » devait être soumise au Conseil dans le but de décider de l’abrogation ou de la manière d’interpréter l’article 7(e)394.
En 1995, lors de la présentation du premier rapport sur l’application de la directive, la Commission des communautés européennes a constaté que la défense du risque de développement avait été adoptée jusque-là par le Royaume-Uni, l’Italie, le Danemark, les Pays-Bas, l’Irlande, l’Autriche, la Belgique, le Portugal, la Suède, la Grèce, l’Allemagne et l’Espagne. Une observation s’impose toutefois quant à ces deux derniers pays. En Allemagne, cette cause d’exonération ne s’applique pas aux produits pharmaceutiques395, et en Espagne, en plus des médicaments, les aliments et les produits alimentaires pour la consommation humaine396 ne sont pas non plus soumis à cette défense. En outre, la Commission a observé que la Finlande et le Luxembourg étaient les seuls à écarter totalement le risque de développement comme moyens de défense397.

392 Id., art. 15, paragraphe 2.

393 Id..
394 Id., art. 15, paragraphe 3.
395 Medicinal products Act, préc., note 2.
396 Loi no 22/1994, art. 6 (3). Ley de responsabilidad de productos.
397 Commission des communautés européennes, Premier rapport concernant l’application de la directive du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (85/374 CEE), Bruxelles, 1995. Site [En ligne] http://ec.europa.eu/enterprise/regulation/goods/docs/liability/com-95-617/ com-95-617_fr.pdf (Page consultée le 16 mai 2009).
La Commission a également conclu qu’étant donné que l’application de la directive constituait un processus lent398, il aurait été inopportun de proposer à cette époque-là des modifications, puisqu’elle n’avait pas encore de données suffisantes permettant d’analyser son impact. Toutefois, elle s’est engagée à continuer à surveiller l’application et les effets de la directive399, ce qui a d’ailleurs été réellement fait.
En se basant sur la conclusion du premier rapport et sur les événements postérieurs , notamment l’épidémie de l’encéphalopathie spongiforme bovine, aussi connue comme la maladie de la vache folle400, la Commission des communautés européennes a publié, en 1999, un Livre vert401. Dans ce livre, la Commission a lancé une consultation publique sur la responsabilité du producteur dont l’objectif était d’obtenir des informations précises sur l’application de la Directive 85/374 et sur son impact sur les victimes et les secteurs économiques concernés. Cela a été demandé afin de lui permettre d’analyser la nécessité de proposer une réforme de cette directive dans les domaines suivants : la charge de la preuve, le risque de développement, les limites financières, les délais de prescription, l’obligation de contracter une assurance, la transparence dans l’application des règles, la responsabilité du fournisseur402, les produits couverts403, les dommages couverts404 et l’accès à la justice.

398 Le rapport présente aussi l’état de transposition de la Directive 85/374 dans les États membres, dans lesquels on vérifie que le Royaume-Uni a été le premier État à transposer les normes de la directive à son droit interne (Consumer Protection Act 1987, Part I, et Consumer Protection Order 1987).

399 Id., p. 2.
400 Suite à la crise de la « vache folle », le Conseil européen, par le biais de la Directive 1999/34, a modifié la Directive 85/374, en révoquant l’exclusion des matières premières agricoles et des produits de la chasse du concept de produit (art. 2).
401 Commission des communautés européennes, Livre vert : La responsabilité civile du fait des produits défectueux, Bruxelles, 1999. Site [En ligne] http://ec.europa.eu/enterprise/regulation/goods/docs/liability/1999-greenpaper/com1999-396_fr.pdf (Page consultée le 16 mai 2009).
402 La question posée dans le Livre vert est celle de savoir si la directive devrait « être applicable à tout professionnel de la chaîne de commercialisation du produit lorsque son activité a touché les caractéristiques de sécurité d’un produit mis sur le marché », Id., question 16, p. 28.
En ce qui a trait au risque de développement, la Commission a invité les États concernés à lui transmettre des informations précises sur la transposition de cette exonération, afin d’évaluer objectivement deux points précis : i) si la dérogation de la défense avait eu pour effet de décourager les innovations scientifiques et technologiques (particulièrement dans le secteur pharmaceutique) ; ii) la possibilité d’assurer ce type de risques.
À cet égard, la Commission a posé les questions suivantes :
11. Disposez-vous de données sur l’application réelle de la cause d’exonération en cas de « risques de développement » (article 7, point e) de la directive) ?
Avez-vous des données sur les coûts additionnels spécifiques supportés par les industries des pays où le producteur est responsable des risques de développement ?
Estimez-vous que le producteur devrait être responsable en cas de « risques de développement » ?
Est-ce que les dommages causés par des risques de développement devraient être pris en charge par la société dans son ensemble (par la voie d’un fonds d’indemnisation soutenu par des revenus publics) et/ou par le secteur productif concerné (par la voie d’un fonds auquel les membres du secteur sont appelés à participer)405 ?
En réponse à la consultation, la Commission a reçu des commentaires non seulement de la part des États membres, mais également des industries concernées et des organismes représentatifs des intérêts des consommateurs406. En se basant sur les avis reçus, la Commission a élaboré un deuxième rapport sur l’application de la directive407.

403 La directive devrait-elle être étendue aux biens immobiliers ? Id., question 17, p. 28.

404 Le débat concerne la responsabilité du producteur des dommages extrapatrimoniaux et des biens d’usage professionnel. Id. question 18, p. 29.
405 Id., question 19, p. 23.
406 Pour plus de détails, voir Réponses au Livre vert sur la responsabilité civile des producteurs. Site [En ligne] http://ec.europa.eu/enterprise/regulation/goods/liability/replies_fr.htm (Page consultée le 19 mai 2009).
407 Commission des communautés européennes, Rapport de la Commission concernant la mise en œuvre de la directive 85/374 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, Bruxelles,
2001. Site [En ligne]. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2000:0893:FIN:FR:PDF (Page consultée le 16 mai 2009). (Page consultée le 16 mai 2009).
La Commission a souligné, dans ce deuxième rapport, que les entreprises et les organisations de consommateurs avaient encore des avis divergents sur le sujet408. Pour les premières, refuser la défense du risque de développement entraverait le progrès scientifique, surtout dans le secteur pharmaceutique409. La responsabilité du fabricant aurait comme effet d’augmenter les risques pour la santé et la sécurité des consommateurs. D’après eux, considérant que la responsabilité du fabricant peut être engagée même si celui-ci utilise les connaissances les plus avancées, l’investissement en recherche pourrait également diminuer410.
Pour les organisations de consommateurs, celui qui bénéficie d’une activité dangereuse devrait être tenu responsable du préjudice causé par cette activité. Ces organismes critiquent l’adoption de l’exclusion en regrettant que la directive ait choisi l’approche économique au détriment de la protection des consommateurs. À titre d’exemple, prenons la réponse envoyée par l’Institut national de consommation (INC), situé à Paris. L’institut regrette le choix du législateur français qui a transposé, en 1998, l’exonération au Code civil français. Il ajoute qu’en maintenant cette défense, il sera judicieux d’inclure dans le texte de la directive l’obligation de suivi du fabricant sur les produits qui présentent un risque pour les consommateurs411.
Par ailleurs, la Commission a également analysé la législation des États membres dans lesquels le fabricant est responsable, totalement ou partiellement, des risques de développement412. Elle a cependant constaté qu’il n’existait malheureusement pas à l’époque de données suffisantes permettant de vérifier l’impact réel de la reconnaissance de la responsabilité du risque de développement sur l’industrie et sur les compagnies d’assurances.

408 Le rapport rapporte également l’avis des compagnies d’assurances, qui ont souligné le fait qu’étant donné que les risques de développement sont imprévisibles et inconnus, il devient difficile de déterminer le montant de la prime et, par conséquent, la tendance consisterait à les exclure des assurances. Id., p. 18.

409 Selon le rapport, le secteur pharmaceutique juge que la prise en charge par le fabricant du risque de développement pourrait avoir un grand impact sur le développement de médicaments destinés au traitement de maladies rares, aussi connus comme « médicaments orphelins », compte tenu du fait que l’expérimentation clinique y est limitée à un petit groupe de patients, ce qui augmente les risques pour le développeur. Id., p.18.
410 Id., p. 18.
411 Institut national de consommation, Livre vert, responsabilité du fait des produits défectueux, Éléments de réflexions, Paris, p. 2. Site [En ligne]. http://ec.europa.eu/enterprise/regulation/goods/docs/liability/1999-greenpaper-replies/037.pdf (Page consultée le 19 mai 2009).
En effet, à l’exception de la Finlande, aucun pays n’a mené de recherche détaillée portant sur les jugements nationaux en la matière. De plus, dans le cas de la Finlande, le ministère de la Justice a remarqué que jusqu’à 1999, aucune affaire concernant le sujet n’avait été enregistrée, ce qui témoigne de la nouveauté de la question. Par ailleurs, on a observé que les primes d’assurances ont augmenté, même si les coûts supplémentaires qui en découlent seraient négligeables. Ainsi, en se basant sur ces données, le gouvernement finlandais est d’avis qu’il n’y avait aucune raison valable d’imposer aux consommateurs ce genre de risque413.
Bref, la Commission a conclu que, dans l’ensemble, la situation était semblable à celle qui existait lors de l’élaboration du premier rapport. Selon le document, les renseignements acquis n’étaient pas suffisants pour justifier une modification de la directive, puisque toute modification devrait être basée sur des faits objectifs414. C’est pourquoi aucune réforme n’a été proposée.
Cinq ans plus tard, un troisième rapport415 a été élaboré en tenant compte du résultat de deux études réalisées à la demande de la Commission : le Rapport Lovells416 et le Rapport de la Fondazione Rosselli417. Il importe de souligner que ce dernier rapport avait pour objectif exclusif d’analyser l’impact économique de la défense du risque de développement.

412 C’est-à-dire la Finlande, le Luxembourg, l’Espagne, la France et l’Allemagne.
413 Commission des communautés européennes, préc., note 407, p. 19.
414 Pour plus de détails, voir Commission des communautés européennes, préc., note 407, p. 30-38.
415 Commission des communautés européennes. Troisième rapport concernant l’application de la Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, modifié par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 1999, Bruxelles, 2006. Site [En ligne] http://ec.europa.eu/enterprise/regulation/goods/docs/liability/com-2006-496/com_2006_0496_fr.pdf (Page consultée le 19 mai 2009). Il s’agit du dernier rapport présenté par la Commission.
416 Lovells, La responsabilité du fait des produits dans l’Union européenne, Rapport à l’intention de l’Union européenne, 2003. Site [En ligne] http://ec.europa.eu/enterprise/regulation/goods/docs/liability/studies/lovells-study_fr.pdf (Page consultée le 19 mai 2009)

D’après la Fondazione Rosselli, l’exclusion de la responsabilité du risque de développement constitue un important facteur d’équilibre entre l’incitation aux innovations et les intérêts des consommateurs. La fondation prétend que l’exclusion de cette défense augmenterait le coût de l’innovation et, par conséquent, diminuerait la compétitivité des petites et moyennes entreprises, créant un monopole des grands fabricants, ce qui à long terme aurait des conséquences sur les consommateurs418.
Dans son rapport, la fondation s’est montrée davantage préoccupée par l’harmonisation des droits octroyés et des recours disponibles pour les consommateurs en cas de préjudice découlant du fait des produits. L’étude a conclu que le fait que la défense du risque de développement soit optionnelle419 contribuait à cette disparité de traitement. C’est pourquoi la recommandation de la fondation à la Commission allait dans le sens que si cette dernière décidait de maintenir l’article 7 (e) de la directive, il fallait enlever l’option de l’article 15 (b)420.
Compte tenu des études ci-haut mentionnées, la Commission a présenté ses conclusions dans le sens des rapports précédents, c’est-à-dire en jugeant non nécessaire la réforme de la directive421. En outre, le rapport souligne qu’il existe déjà des moyens qui peuvent être employés pour harmoniser l’interprétation des notions juridiques de la directive et éviter des solutions contradictoires. Il s’agit des éléments suivants: la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, le pouvoir de contrôle de la Commission qui permet l’examen des dispositions nationales de transposition ainsi que d’engager des procédures d’infraction en cas d’application incorrecte, et finalement le suivi par les groupes de travail422.

417 Fondazione Rosselli, Analysis of the economics impacts of the development risk clause as provided by Directive 84/374/EEC on liability of defective products, Turin, 2004. Site [En ligne] http://ec.europa.eu/enterprise/regulation/goods/docs/liability/2004-06-dev-risk-clause-study_en.pdf (Page consultée le 19 mai 2009).
418 Id., p. 129-138.
419 Directive 85/374, préc., note 224, art. 15.
420 Id.
421Commission des communautés européennes, préc., note 415, p. 12

Malgré le désaccord des organismes de défense du consommateur, il semble donc que l’exclusion de la responsabilité pour le risque de développement continuera d’être appliquée, au gré des pays membres, dans la Communauté européenne, au moins jusqu’à ce qu’on ait des éléments suffisants pour évaluer l’impact réel de cette défense sur l’économie, la santé et la sécurité du public.
b) Le déséquilibre relativement au niveau de protection entre les États de la communauté
Comme nous l’avons vu, il existe un déséquilibre entre les pays membres de la communauté européenne en ce qui a trait au niveau de protection. Par conséquent, dans certains États, le consommateur est davantage protégé que dans certains d’autres, ce qui violerait, l’esprit de la directive, qui est justement d’harmoniser les règles entre les membres de la communauté423.
En outre, cette divergence de traitement a un impact négatif dans l’équilibre économique de la communauté, puisqu’elle peut influencer le choix du fabricant au moment de s’installer. Or, si un pays présente un régime de responsabilité moins rigoureux que d’autres, il est raisonnable de penser qu’il attirera plus d’industries que celui qui a mis en place un système de responsabilité plus exigeant.
Afin d’illustrer les discordances entre les législations des États communautaires à l’égard de la protection offerte aux consommateurs, analysons brièvement l’option faite par la France, l’Allemagne et le Luxembourg.
i. La France
En France, l’exonération de la responsabilité basée sur le risque de développement a généré de vifs débats entre les représentants des consommateurs et les défenseurs des intérêts industriels. Pour les premiers, l’adoption d’une telle exonération constituait un recul pour la protection des victimes, alors que pour les deuxièmes le refus d’intégrer la défense du risque de développement constituait un facteur négatif pour l’industrie française face aux autres puissances industrielles européennes qui l’ont adoptée424.
La défense du risque de développement n’a été incluse dans le Code civil425 français qu’en 1998426, c’est-à-dire dix ans après la date fixée par la directive427. Par contre, la loi a prévu une exception à l’application de la défense : « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci428 ».
Selon des auteurs français429, le législateur avait d’abord l’intention d’exclure les médicaments de la défense. Cependant, afin de préserver les capacités de recherche des laboratoires, il a changé d’avis. Concernant l’exception créée à l’article 1386-12, les auteurs manifestent leur désaccord en soulignant qu’il n’y a pas de raison valable de privilégier la protection de certaines victimes.
Il importe de souligner que la version originale de l’article 1386-12 prévoyait, au deuxième alinéa, un délai de déchéance. Le fabricant perdait alors son droit d’invoquer la défense du risque de développement si « en présence d’un défaut qui s’est révélé dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n’a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables430 ». Néanmoins, l’alinéa a été supprimé en 2004431

424 G. VINEY et P. JOURDAIN, préc., note 334, p. 262-264, 854-902. ; P. OUDOT, préc., note 378, p. 17.
425 C. civ., article 1386-11, alinéa 4o.
426 Loi n° 98-389 du 19 mai 1998, art. 1.
427 Directive 85/374, préc., note, 224, art. 19, alinéa 1.
428 C. civ., article 1386-12. Comme exemple d’élément du corps humain, citons le sang. En fait, cette exception est inspirée de l’affaire du sang contaminé par le VIH distribué par le Centre national de Transfusion sanguine à des hémophiles.
429 G. VINEY et P. JOURDAIN, préc., note 334

ii. L’Allemagne
En Allemagne, la directive a été transposée dans la Loi sur la responsabilité du fait des produits432, édictée en 1989 et mise en vigueur le 1er janvier 1990. En ce qui a trait aux causes d’exonération de responsabilité, le paragraphe 1, alinéas 2 et 3 reprend celles énoncées à l’article 7 de la Directive européenne, y compris celle de la défense du risque de développement.
Un auteur433souligne que l’adoption d’une telle défense a été expliquée dans l’exposé des motifs du projet gouvernemental, qui a simplement affirmé : « il n’y a pas eu lieu de déroger à ce principe» 434. Il faut cependant retenir qu’en Allemagne, la responsabilité du fait des médicaments est régie pour une loi particulière435. La coexistence de systèmes de responsabilités spécifiques est reconnue et autorisée par la Directive (art. 13). Ainsi, lorsque l’État membre a déjà mis en place un régime spécial de responsabilité « des actions basées sur ce régime doivent également rester possibles» 436. De cette façon, la Loi sur la responsabilité du fait des produits ne s’applique pas lorsqu’une personne est morte ou que son corps ou sa santé sont affectés437.

430 Nous soulignons.
431 Loi n°2004-1343 du 9 décembre 2004, art. 29.
432 Product Liability Act of 15 December 1989, BGBl I 1989, 2198 (Produkthaftungsgesetz).
433 Ingeborg SCHWENZER, « L’adaptation de la directive communautaire du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux en Allemagne fédérale », dans Revue internationale de droit comparé, vol. 43, no 1, 1991, p. 57 – 74. Site [En ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ridc_0035-3337_1991_num_43_1_2159 (Page consultée le 18 août 2009).
434 Id., p. 64.
435 Medicinal products Act, préc., note 2.
436 Directive 85/374, 13e considérant, préc., note 224.
437 Product Liability Act, préc., note 432, paragraphe 15, alinéa 1.

La loi allemande sur les médicaments, édictée suite à la tragédie de la thalidomide438, est applicable aux médicaments soumis à une autorisation de commercialisation, ce qui exclut les médicaments vétérinaires, homéopathiques et ceux utilisés dans les essais cliniques439. L’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en marché n’est pas envisagé par la loi440, ce qui, selon un auteur, impose une responsabilité par rapport au « risque crée » par ces produits441.
iii. Le Luxembourg
Au Luxembourg, la directive a été transposée, en 1989, dans la loi sur la responsabilité civile du fait de produits défectueux442. À la différence de la majorité des États membres, dont la France et l’Allemagne, le législateur luxembourgeois a utilisé la faculté octroyée par la directive et a choisi de ne pas inclure la défense du risque de développement parmi les causes d’exonération de la responsabilité de l’article 4443.
L’option du Luxembourg s’explique en raison du fait que la force de l’économie luxembourgeoise n’est pas l’industrialisation des produits de consommation, mais bien les services financiers444. Ainsi, la responsabilité du fabricant pour le risque de développement ne lui causerait pas d’impact économique significatif.

438Ingeborg SCHWENZER, préc., note 433, p.60; Stefan LENZE, « German product liability law : between European Directives, American Restatements and common sense », dans Duncan FAIRGRIEVE, Product liability in comparative perspective, New York, Cambridge University Press, 2005, p. 119.
439 S. LENZE, préc., note 438, p. 119.
440 Medicinal products Act, préc., note 2, Section 84 (1).
441 Ingeborg SCHWENZER, préc., note 433, p.60.
442 Loi du 21 avril 1989 relative à la responsabilité civile du fait des produits défectueux, Memorial A no. 25.
443 Pour plus de détails sur la responsabilité civile au Luxembourg, consulter Georges RAVARANI, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 2e édition, Luxembourg, Pasicrisie luxembourgeoise, 2006.
444Information tirée du Portail des statistiques du Luxembourg. Site [En ligne]. http://www.statistiques.public.lu/fr/entreprises/index.html (Page consultée le 21 août 2009).

Les trois exemples ci-dessus démontrent l’absence d’harmonie entre la législation des pays membres de la communauté européenne. En résume, le législateur français a opté pour octroyer plus de protection aux fabricants qu’aux consommateurs, sauf lorsque le dommage résulte d’un élément du corps humain. En Allemagne, par contre, la législation exclut les fabricants des médicaments de l’abri de cette défense. Et, finalement, l’exclusion de la responsabilité fondée sur le risque de développement ne s’applique pas au Luxembourg.
Il appert que les raisons qui mènent un État à adopter des lois plus protectrices ou moins protectrices peuvent être d’ordre économique, comme le Luxembourg, ou encore fondées sur l’expérience de chaque pays, par exemple les accidents de consommations qui ont constitué une source d’inspiration pour la France et l’Allemagne.
c) L’influence de la directive dans les systèmes juridiques brésilien et québécois
Comme nous l’avons mentionné dans un chapitre antérieur, la Directive 84/374 a influencé directement le Code du consommateur brésilien et le Code civil du Québec.
Le législateur brésilien, pour sa part, a adopté la responsabilité stricte comme règle et a admis certaines causes d’exclusions prévues par la directive, à l’exception de la défense du risque de développement, laquelle a par contre été retenue par la loi québécoise.
Il est exact de constater que concernant le risque de développement, la norme brésilienne s’est éloignée de la directive, et que le fabricant sera responsable du dommage causé par son produit, même si l’état des connaissances scientifiques ne lui permettait pas de déceler le défaut du produit. La loi de la protection du consommateur brésilienne accorde donc une protection maximale au consommateur, considérée toujours comme la partie faible de la relation, que ce soit économiquement ou techniquement. Ainsi, c’est au fabricant de supporter les risques de son activité, ce qui se justifie par les bénéfices économiques qu’il en reçoit.
Au Québec, ce moyen de défense est expressément prévu à l’article 1473, al. 2 C.c.Q., qui complète le régime de responsabilité fixé par les articles 1468 et 1469445. Il importe cependant d’ajouter que la loi québécoise comprend une exigence de plus pour que la responsabilité du fabricant soit écartée. Il ne suffit pas de prouver que le défaut était indécelable au moment de sa mise en marché, comme l’exige la directive446. Le fabricant québécois est tenu à un devoir de suivi et doit démontrer « qu’il n’a pas été négligent dans son devoir d’information lorsqu’il a eu connaissance de l’existence de ce défaut »447.

445 Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du Québec, Tome I, Les publications du Québec, 1993.
446 Directive 85/374, préc., note 224, art. 7(e).
447 C.c.Q., art. 1473, alinéa 2.

Lire le mémoire complet ==> (La responsabilité civile de l’industrie pharmaceutique : le risque de développement)
Étude comparative des droits brésilien et québécois
Mémoire présenté à la Faculté de droit en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en droit (LL.M.)
Université de Montréal – Faculté des études supérieures et postdoctorales

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