L’émergence des communautés de lecteurs en ligne

L’émergence des communautés de lecteurs en ligne

1. L’émergence des communautés de lecteurs en ligne

Les réseaux sociaux dédiés au livre sont des sites communautaires relativement récents. « Relativement » car si le premier d’entre eux en termes d’ancienneté et de membres inscrits, Library Thing1, n’a été créé qu’en 2005, ces six années représentent une ancienneté conséquente à l’échelle du Web social. À titre de comparaison, le réseau Facebook a été créé en 2004, et n’a été ouvert qu’à partir de 2006 à l’ensemble des possesseurs d’une adresse électronique valide.

Le partage communautaire autour de la lecture a donc fait son apparition dès l’essor de ce que l’on appelle le Web 2.0, dont le concept est de « valoriser l’utilisateur et ses relations avec les autres »2. En d’autres termes, l’internaute n’est plus seulement un utilisateur de la toile, il participe désormais à la création de contenus au sein de sites gérés par des administrateurs tiers lui laissant la possibilité de s’exprimer.

Il peut dès lors sembler incongru d’évoquer une « nouvelle tendance » en évoquant la lecture sociale. Celle-ci s’est plutôt développée, et a surtout été théorisée.

Le premier site communautaire francophone axé sur la lecture apparait en 2007 : il s’agit de Babelio3. Il a depuis été suivi par de nombreux sites fédérateurs d’une communauté ouverte et active – nous ne prendrons de fait pas en compte les divers sites et blogs qui, même s’ils sont suivis par un grand nombre d’internautes, ne sont tenus que par un ou quelques rédacteurs. Sans vouloir prétendre à l’exhaustivité et en ne prenant pas en compte pour l’instant la question des instigateurs, nous pouvons distinguer en France :

• des sites communautaires généralistes qui, sur le modèle de Babelio, offrent à leurs membres la possibilité de se créer un profil de lecteur et donnent accès à un ensemble d’outils d’échange, de critique et d’actualités autour des livres, quel qu’en soit leur genre. C’est par exemple le cas de BookNode, Goodreads, Lecteurs, Libfly, Livr@ddict, My Boox ou encore Viabooks1.

Signalons le cas particulier de Sens critique qui, bien que ne se consacrant pas exclusivement à la lecture, propose des outils de lecture sociales pour les livres (cette dénomination regroupant les romans, essais et nouvelles) et bandes dessinées2 ;

• des sites communautaires aux outils semblables mais dédiés à un genre littéraire voire à une série ou un univers, comme Actu SF pour la science-fiction, Le cafard cosmique pour l’ensemble des littératures de l’imaginaire, Lecture Academy pour les livres fantastiques jeunesse ou encore le forum ABFA, regroupant les adeptes de l’auteure Laurell K. Hamilton et plus particulièrement sa série Anita Blake3.

Nous pouvons au passage noter que ce sont les littératures de l’imaginaire qui semblent avoir la plus forte capacité à mobiliser de telles communautés ;

• des réseaux plus axés sur l’aspect créatif (mais non exclusivement), permettant aux auteurs désirant se faire connaitre de proposer leurs écrits à la communauté afin d’améliorer leurs textes en tenant compte des critiques émises, le but étant bien évidemment de se faire publier par un éditeur à l’issue de cette démarche. Telle est l’ambition affichée par We love words ou encore YouScribe par exemple4 ;

• enfin, nous pouvons également citer le cas des éditeurs mettant à disposition de leurs lecteurs des forums de discussion depuis le site Internet de leur maison. Citons les cas particulièrement aboutis des éditeurs de guides de voyage du Routard ou de Lonely Planet5.

Ce panorama de communautés de lecteurs en ligne étant établi, nous pouvons nous demander quelles sont les fonctionnalités mises à disposition des lecteurs-internautes. Pour cela, nous utiliserons l’angle des actions permises par ces outils.

Partager. Précisons d’ores-et-déjà ce terme pour le différencier d’une autre action sur laquelle nous reviendrons par la suite, celle de l’échange direct entre les membres d’une communauté. Par « partager » nous entendrons ici la mise à disposition à tous d’informations n’engendrant pas nécessairement une conversation. L’outil principal de cette action est naturellement le « profil » des membres, sur le modèle des réseaux sociaux généralistes, mais bien évidemment axé sur la lecture. Quelles sont alors les informations présentes dans ces profils ?

Dans le cas de Babelio, qui aujourd’hui propose les outils les plus complets sur le marché francophone, les membres fournissent tout d’abord des informations personnelles classiques, largement utilisées dans le cas des réseaux sociaux en général : nom, prénom, ville et pays d’origine, site ou blog personnel éventuel, photographie ou avatar. Vient ensuite un « descriptif libre », permettant à chacun de rédiger un court texte de présentation.

À partir de cette étape, c’est l’identité en tant que lecteur qui est abordée. Car les deux questions commentant ce descriptif libre sont « qui suis-je ? » mais surtout « que lis-je ? ». De même, l’internaute nouveau membre est invité à préciser quel type de lecteur il est entre « auteur/écrivain », « lecteur », « éditeur », « bouquiniste », « libraire », « bibliothécaire » ou « autre ».

De fait, nous pouvons noter que les administrateurs du site s’intéressent et cherchent à connaître les professionnels du livre présents sur le réseau, intérêt d’autant plus vif qu’il se traduit par une association avec ces derniers dans le cas précis de l’opération « Masse critique », que nous étudierons par la suite. Enfin, la rubrique « Mes livres » : l’internaute est invité à monter sa « bibliothèque virtuelle », afin de la présenter à l’ensemble des utilisateurs du réseau.

Une option permet toutefois de la rendre privée, de manière à ce qu’elle ne soit visible que par les seuls « amis », tout comme le contenu d’un mur Facebook peut être accessible à ses seuls amis voire à certains d’entre eux uniquement par exemple.

Les livres mis en avant, dont les fiches sont rédigées par les Babeliothécaires, « membres qui enrichissent et classent le contenu bibliographique sur Babelio »1, génèrent des nuages d’auteurs et d’étiquettes (tags) apparaissant sur le profil.

Le profil des membres de Babelio est dont clairement un profil de « lecteur ». Le principe est simple : dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. En consultant le profil d’un membre, chacun a ainsi un aperçu de sa personnalité lectoriale en un écran grâce aux nuages, qui permettent par le système des différents corps de police de déterminer rapidement les thèmes et auteurs récurrents des titres lus.

Il y a donc un partage d’informations, en l’occurrence les goûts en matière de lecture. La plupart des autres réseaux évoqués permettent de créer des profils sur ce modèle, même si l’on peut affirmer qu’à ce jour aucun ne met à disposition des outils aussi nombreux et développés.

Par exemple, les membres du réseau Viabooks voient apparaitre sur leurs profils, en plus de leurs pseudonyme, avatar et éventuellement une citation emblématique choisie pour illustrer leur passion des livres, leur « actualité », c’est-à-dire leurs dernières contributions sur le site, leur bibliothèque virtuelle (« Ses livres ») aux sein desquelles les livres peuvent être classés dans différentes « étagères », des extraits qu’ils ont eux-mêmes saisis, leur liste d’amis, ainsi que leurs « écrits », c’est-à-dire des biographies et citations, « avis », « commentaires », « questionnaires » auxquels ils ont répondus, « auteurs » dont ils sont fans, « vidéos » qu’ils ont postées pour donner un avis sur un livre ou transmettre une information liée à un événement littéraire, et enfin les « groupes » auxquels ils participent.

Ici encore, tout est centré sur le livre, c’est bel et bien une identité de lecteur qui est construite et mise en avant.

Des informations analogues sont fournies pour les autres réseaux évoqués précédemment, souvent de manière plus resserrée, avec généralement les livres lus, les auteurs favoris, les critiques, les amis quand le site le permet et éventuellement les centres d’intérêt.

Les sites spécialisés comme Actu SF ou Le cafard cosmique se distinguent des autres par la quasi absence de définition d’un profil, les membres de la communauté n’en ayant un que sur les forums de discussions et ne comportant pas plus d’informations que sur d’autres forums généralistes. Des réseaux comme Youscribe ou We love words enfin, mettent bien évidemment à l’honneur les « publications » de leurs membres sur leurs profils.

L’activité de partage d’informations, dont le but est finalement de se présenter ou du moins de mettre en scène l’image que l’on veut donner de soi, permet aux lecteurs inscrits sur ces réseaux de présenter leurs goûts, mais aussi et surtout de découvrir des ouvrages susceptibles de les intéresser. Car de ce partage naît l’une des activités centrales de la communauté de lecteurs : celle de l’échange.

Échanger. Si les internautes prennent la peine de se dévoiler, littérairement parlant, c’est bel et bien afin de pouvoir interagir avec d’autres à propos de leurs lectures. Ces échanges peuvent porter sur les livres en eux-mêmes, mais aussi sur des auteurs, des univers ou même des sujets plus généraux dans le cadre des forums.

Comment les internautes interagissent-ils sur ces sites ? Plusieurs outils sont mis à leur disposition, avec en premier lieu les forums de discussions. Ces derniers peuvent constituer un élément fédérateur des communautés en ligne car ils permettent des échanges directs et avec un grand nombre d’internautes.

Si pour certains sites réseaux de taille conséquente, comme LibraryThing, Babelio ou Libfly, les forums (très actifs) ne représentent qu’une fonctionnalité parmi beaucoup d’autres, pour des sites de plus petite taille mais tout aussi actifs à leur échelle, cela peut représenter l’essentiel de l’activité.

Parmi les exemples précédemment cités, c’est notamment le cas du site ABFA qui, vu le sujet très spécialisé à l’origine de la communauté, fonctionne principalement autour de ces espaces de discussions spontanées.

Celles-ci sont classées au sein de ces espaces en « catégories », ces dernières comportant plusieurs « topics » (sujet/discussion). Les internautes y échangent autour d’un genre, d’un auteur, d’une création littéraire soumise à la critique par l’un des membres, du réseau en question, de l’actualité littéraire… ou encore de sujets n’ayant pas trait à la lecture, au sein de catégories qui leur sont dédiées (« discussions générales » par exemple).

Certaines maisons d’édition ont elles-mêmes créé des forums pour permettre à leurs lecteurs d’avoir à leur disposition un espace d’expression. Le secteur des guides de voyage s’y prête particulièrement bien : citons à nouveau le cas des forums mis en place par les éditions du Routard et Lonely Planet, déjà évoqués lors de l’établissement d’une typologie des communautés de lecteurs en ligne.

Les internautes, particulièrement fidèles à la marque dans ce secteur en raison des valeurs véhiculées par chaque maison d’édition, y trouvent ainsi un complément pertinent aux guides et applications numériques des éditeurs, dans la mesure où il s’agit de renseignements, témoignages ou conseils de voyageurs lambdas, « comme eux » pourrait-on dire, et non de professionnels comme les rédacteurs des guides.

Les éditions du Routard proposent ainsi un forum organisé par destination, chacune étant ensuite sous-catégorisée par thèmes (« Hébergements, hôtels », « Activités et visites », « Transport », « Voyage en famille »…), là ou Lonely Planet distingue dès la page d’accueil du forum des catégories distinctes : « Autour du voyage », « Destinations », « Par thèmes » (avec par exemple « Écotourisme », « Partir avec des enfants », « Voyage et handicap »…) et « LP » (Lonely Planet).

Et le succès est au rendez-vous : si le Routard ne livre pas ses statistiques, Lonely Planet affiche par exemple fièrement ses 69 467 membres, 35 029 discussions et 155 916 messages postés1.

Ces deux exemples témoignent donc de l’intérêt que peuvent trouver les éditeurs à fédérer eux-mêmes une communauté, dans le but de fidéliser un lectorat à leur marque, en veillant toutefois à prendre en compte les spécificités de chaque secteur comme nous le verrons plus en détail par la suite.

Néanmoins, au sein des communautés étudiées, plusieurs ne mettent pas à disposition de leurs membres ces forums de discussions : Lecteurs, le site communautaire d’Orange, Viabooks ou encore We love words pour ne pas tous les citer ne disposent pas d’un espace de ce genre.

Dans le cas du dernier réseau, cela peut sembler particulièrement incongru lorsque l’on sait que le but est de soumettre ses textes à la critique des autres membres. Outil pourtant relativement simple à intégrer (nombre de forums sont tenus par des internautes n’ayant pas de compétences informatiques particulières grâce à des plateformes permettant de les créer), les forums de discussion ne semblent donc pas être la norme.

Plusieurs motivations à un tel choix peuvent être mises en avant, avec en premier lieu l’aspect chronophage de ces espaces, qui nécessitent un ou plusieurs modérateurs pour surveiller les contenus qui y sont échangés.

Une autre explication pourrait venir des « modèles » Facebook ou Twitter, qui ne mettent pas à disposition de leurs membres ces outils. Mais les sites communautaires dédiés aux livres ne regroupent que rarement des individus se connaissant dans d’autres circonstances, ce qui constitue une différence fondamentale avec un réseau comme Facebook ou Copains d’avant par exemple.

Il peut donc sembler dommage que les forums de discussions ne soient pas aussi systématiques, dans la mesure où ils permettent une convivialité spontanée autour du livre et des échanges qui ne sauraient voir le jour dans un autre contexte, le hasard de la navigation sur les forums, pondéré par l’établissement des catégories, s’opposant ici à la recherche volontaire d’informations pour les autres fonctionnalités.

Certains sites proposent cependant à leurs membres, en contrepartie ou en complément, de rejoindre des groupes de discussions autour d’un sujet précis. L’aspect de dialogue est de ce fait présent, même s’il est plus limité en raison d’un thème clairement défini qui fonde l’identité du groupe en question. Les « groupes » de Viabooks se créent ainsi entre autres autour d’un genre, d’un auteur, mais aussi d’une librairie ou encore d’une bibliothèque.

Autre exemple, ceux de Library Thing, sur les lectures du moment ou les œuvres non fictives. Dernier exemple, les « clubs » de We love words, qui réunissent des membres autour de sujets variés parmi lesquels « Jean Genet », « Écrire pour Internet » ou encore « Qu’est-ce qu’un artiste ? ».

Selon leur organisation, ses groupes se rapprochent plus ou moins du modèle d’un forum de discussions, mais d’une part nécessitent de demander à rejoindre le groupe avant de pouvoir y poster, et d’autre part cela ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble des échanges. En contrepartie, les membres sont réunis par centres d’intérêt, ce qui leur offre de pouvoir dialoguer avec des individus qui a priori les partagent, permettant ainsi d’éviter les messages hors propos, le « flood » pour reprendre la terminologie des forums de discussions.

Autre outil d’échange, aussi simple qu’efficace : la messagerie. La plupart des réseaux étudiés permettent aux membres de s’envoyer des messages entre eux, y compris sur les forums de discussions où l’on parle de « mp » (messages privés), indépendamment de l’adresse électronique qui leur a permis de s’inscrire sur le site. Ces messages s’envoient entre « amis » ou autres termes utilisés pour désigner les membres qui se sont liés par une démarche volontaire.

Notons toutefois que ceux-ci prêtent plus à des conversations privées sur des sujets divers qu’à des échanges autour du livre, même si bien évidemment ceux-ci sont tout à fait possible. Cela dépend notamment des motivations qui ont poussé deux membres à devenirs amis et des liens qu’ils entretiennent via le réseau : relation amicale au sens premier du terme, suite à des conversations sur un forum par exemple, ou bien affinité lectoriale, découverte par le biais des bibliothèques virtuelles que les membres construisent.

Certains sites ont d’ailleurs mis en place des outils permettant d’identifier les lecteurs dont on est proche. Sachant que « trouver des conseils de lecture » est l’activité principale que les répondants au questionnaire sur la lecture sociale ont déclaré pratiquer, avec 116 réponses sur 166 participants, et que 53 ont par ailleurs affirmé utiliser ces sites communautaires pour « faire de nouvelles rencontres en fonction de (leurs) centres d’intérêt »1, un tel outil peut s’avérer être un argument de poids pour attirer de nouveaux membres.

Babelio par exemple, propose à ses membres qui ont fiché au moins trente livres une liste de « lecteurs proches » en fonction des livres présents dans les bibliothèques virtuelles respectives, un indice de proximité étant de plus attribué à chacun d’entre eux en fonction du nombre de livres déclarés en commun. De même, le site BookNode propose une liste de « Booknautes voisins » sur le même principe, les membres de ce réseau pouvant également poster sur un « mur personnel de commentaires » sur le modèle d’un autre réseau social bien connu.

L’intérêt de la mise en place d’algorithmes permettant de tels rapprochements entre les membres a un double intérêt : il permet à ces derniers de rencontrer sans même avoir à les chercher d’autres internautes partageant leurs goûts littéraires, et donc de pouvoir tisser une relation privilégiée d’échanges de points de vue et de conseils quant aux lectures passées ou potentielles, la messagerie privée étant ici un outil parfaitement adéquat.

Mais cela permet également au site initiateur de densifier son réseau et surtout d’en accroitre son interactivité en impulsant lui-même des connexions entre les différents membres, ce qui permet de le rendre plus vivant et donc plus attrayant, tout en améliorant son référencement naturel sur les moteurs de recherche.

L’échange apparait donc comme la clé de voûte des communautés de lecteurs en ligne. Partager ses informations, ses goûts, peut sembler réducteur s’il n’y a pas de retour de tiers : la notion de « social » qui qualifie ces sites et réseaux ne serait pas justifiée s’il n’y avait des interactions entre les membres. D’autant plus que d’autre sites et blogs renseignent largement les internautes qui ne seraient qu’à la recherche d’informations et actualités littéraires. Outre les activités déjà présentées, le commentaire, s’il est développé, apparait comme un aspect important de la vie de ces réseaux.

Commenter. Le commentaire des ouvrages lus s’inscrit dans la lignée du partage et de l’échange mais va au-delà. Nous nous intéressons ici aux critiques rédigées par les membres des sites communautaires, parfois appelées « commentaires » ou « chroniques ».

Certains sites permettent également de donner une note en guise ou en complément de la critique. En les rédigeant, les internautes ne partagent plus seulement les ouvrages qu’ils ont lus mais explicitent de manière détaillée leur opinion sur un ouvrage ou un auteur.

Il est intéressant de constater qu’à la question à choix unique sur l’activité principale exercée par les internautes sur les réseaux sociaux du livre dont ils sont membres, une majorité des réponses (50,6 % précisément) correspondait à la lecture (environ 30 %) et à la rédaction de critiques (environ 20 %), devant les « conseils et discussions entre amis » et la « participation aux forums de discussion », qui cumulaient pour leur part près de 32 % des opinions exprimées1.

La démarche n’est pas la même que dans le cas du simple partage des livres lus. En rédigeant et soumettant une critique, l’internaute membre de la communauté poursuit un double objectif que les deux premières actions décrites ne sauraient contenter.

Tout d’abord, il se pose en lecteur que nous pourrions qualifier de « légitime », en se prêtant à un exercice à l’origine professionnel, bien que le développement de la toile ait fortement remis en cause l’antagonisme entre « professionnels » et « amateurs ». Plus un membre rédige de critiques, plus son influence au sein du réseau peut être reconnue. Ainsi, il peut atteindre le second objectif, celui de se poser comme un prescripteur.

Si l’échange laissait deviner cet aspect de prescription, le commentaire le renforce grâce à ce ton professionnel. Les membres rédigeant ces critiques entendent donc avoir une influence sur les choix de ceux qui les lisent, d’autant plus que, contrairement à une activité similaire sur un site ou un blog personnel, les forums, groupes ou messageries permettent de prolonger la simple exposition du point de vue en permettant aux autres membres de réagir aisément.

Cette pratique peut – et devrait – par ailleurs susciter l’intérêt des éditeurs. Certains l’ont d’ailleurs bien compris comme nous le verrons par la suite avec l’exemple de l’opération « Masse critique » mise en place par Babelio, car le pire pour un livre n’est pas forcément une mauvaise critique, mais le silence.

Un livre dont on ne parle pas a en effet peu de chance de trouver son public, tandis qu’un livre ayant reçu une mauvaise critique peut au contraire, au vu de son sujet, son auteur, etc., éveiller la curiosité d’un autre lecteur qui pourrait se trouver en désaccord avec le premier commentaire. À l’heure du Web 2.0 et de la stratégie du « buzz », il est donc essentiel que les livres trouvent leur place au sein du cyber espace.

Enfin, dernier aspect que nous aborderons pour clore ce rapide tour d’horizon des activités des sites communautaires axés sur le livre et la lecture : celui que nous nommerons de manière très académique la veille informationnelle.

Suivre l’actualité littéraire. Car bien évidemment, un site où des milliers de personnes se réunissent pour partager, échanger et commenter autour de l’univers du livre est une source intarissable d’informations pour quiconque souhaite se tenir à jour dans ce domaine.

C’est d’ailleurs une activité occupant une place importante dans les déclarations des internautes ayant participé au sondage en ligne, puisque 97 des 166 participants ont indiqué utiliser les réseaux sociaux du livre pour se « tenir au courant de l’actualité littéraire », soit près de 58,5 % d’entre eux, ce qui fait de cette activité la deuxième la plus plébiscitée après la volonté de trouver des conseils de lecture1.

Ici encore, il serait long et peu pertinent de détailler sous quelle forme se présente cette actualité sur chacun des sites étudiés ; néanmoins, quelques exemples permettent de saisir la réalité de cette pratique.

Sur Babelio tout d’abord, en dehors des informations présentées sur le forum de discussions, les actualités prennent principalement la forme d’entretiens avec des auteurs ou acteurs du monde du livre retranscrits, ainsi que des vidéos présentant des entretiens filmés.

Ces informations sont présentes dès la page d’accueil du site. Cependant si les derniers entretiens sont immédiatement visibles sur une colonne à droite, il est nécessaire de scroller vers le bas pour pouvoir découvrir les vidéos.

Lorsque l’on est membre du site, ces informations apparaissent directement dans un accueil personnalisé et sont filtrées en fonction des livres et auteurs présents dans la bibliothèque virtuelle, ce qui permet à chacun d’avoir directement une veille personnalisée en lien avec ses lectures. Sur le réseau d’Orange Lecteurs, les informations prennent également la forme d’interview filmées.

Sur Viabooks, un onglet « Magazine » sur la page d’accueil indique la rubrique des actualités : l’appellation n’est d’ailleurs pas anodine, c’est effectivement une information organisée et hiérarchisée qui est présentée au lecteur, avec une série de rubriques : « On en parle », « On interviewe », « On décrypte »1… Les articles peuvent par ailleurs être notés et commentés par les membres du réseau, et des sondages leurs sont également proposés.

Sur les sites et réseaux plus spécialisés, les actualités présentées le sont en conséquence également. Sur Lecture Academy par exemple, où le public visé est plutôt adolescent, les informations données2 concernent bien évidemment la littérature de jeunesse pour cette tranche d’âge mais aussi les films ou émissions télévisuelles à leur destination, notamment ceux issus d’une œuvre littéraire, comme la série Twilight par exemple.

Dans le cadre de sites très spécialisés, tels Le cafard cosmique ou Actu SF, qui se présentent respectivement comme les sites de « l’actualité des littératures de l’imaginaire » et de « l’actualité de la science-fiction », l’information est au cœur de la démarche éditoriale.

Il n’y a d’ailleurs pas d’espaces membres en tant que tels, les membres n’existant réellement en tant que tel que sur les forums. De ce fait, les actualités y sont omniprésentes dès la page d’accueil, et les dossiers et articles y sont très développés.

Cela tient à l’esprit même de ces sites, qui se présentent comme des communautés d’amateurs spécialisés. Toutefois, dans le cadre du Cafard cosmique, la page d’accueil présente principalement des critiques d’ouvrages, les internautes devant utiliser le menu horizontal en haut de page pour se diriger vers les « interviews » ou « dossiers », là où Actu SF y montre une vue d’ensemble de différentes rubriques d’information.

Notons enfin une fonctionnalité un peu différente de la pure actualité littéraire que proposent certains sites, parmi lesquels Babelio et Lecture Academy par exemple, à savoir la lecture d’extraits. Cette dernière constitue bien un média d’informations qui permet de faire découvrir les nouveautés, de manière très complète puisque les internautes ont réellement l’occasion de découvrir le style d’un auteur et la trame d’un contenu qu’il propose.

Toutefois, ce qui est généralement nommé « feuilletage en ligne » par les éditeurs ne concerne pas forcément que les nouveautés, mais également des ouvrages de fonds : l’idée d’« actualité » est alors à relativiser.

Nous pouvons préciser dès à présent que cette pratique nécessite bien évidemment une collaboration de la part des éditeurs, sauf bien sûr lorsque le site est lui- même géré par une structure éditoriale, puisque les ouvrages proposés sont pour la plupart sous droits. Cela laisse donc préfigurer un aspect de ce qui est le cœur de notre sujet, c’est- à-dire la place des maisons d’édition au sein de ces réseaux sociaux du livre.

La notion de « communautés de lecteurs en ligne » recouvre donc un ensemble de réalités diverses se structurant en fonction de leur thème ou objectif. Les fonctionnalités y sont plus ou moins développées, ce qui, plus que des limites de développement, informatique peut témoigner de choix éditoriaux, comme la mise en avant de l’aspect général ou au contraire d’un contenu pointu à destination de lecteurs spécialistes par exemple.

Mais ces sites et réseaux se différencient également en raison des organismes qui en sont à l’origine, comme nous avons d’ores et déjà pu l’entrevoir, et du discours qui en découle.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le Livre en réseau. Quel rôle pour l’éditeur à l’heure de la « lecture sociale » ?
Université 🏫: Université Paris 13 – Villetaneuse
Auteur·trice·s 🎓:
Nicolas Simon

Nicolas Simon
Année de soutenance 📅:
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