La prescription au cœur de la lecture sociale

La prescription au cœur de la lecture sociale

2. La prescription au cœur de la lecture sociale

Un livre dont on ne parle pas est un livre qui a peu de chances de rencontrer son public. Et pourtant il semble difficile d’assurer la communication de chaque nouveauté lorsque l’on sait que des dizaines de milliers de nouveaux titres sortent chaque année.

La critique professionnelle joue naturellement un rôle important dans la recommandation et donc indirectement la prescription d’ouvrages, mais aussi limité, vu le faible pourcentage d’ouvrages dont elle est en mesure de parler d’un point de vue purement technique.

Celle-ci a toutefois été secondée et relayée par le développement exponentiel des blogs offrant des contenus analogues, dont la légitimité du contenu et l’importance du réseau sont néanmoins très variables de l’un à l’autre.

En revanche le bouche-à-oreille, cumulé au rôle non négligeable de l’important réseau français de libraires, peut faire émerger des best sellers « surprises ». Ainsi tout au long de l’année 2007, L’élégance du hérisson de Muriel Barbery, qui n’avait fait l’objet d’aucun lancement particulier, a vu ses ventes progresser régulièrement puis de manière de plus en plus soutenue, ce principalement grâce au prix des libraires et surtout à l’important bouche-à-oreille dont a bénéficié le livre.

Plus proche de nous, l’Indignez-vous ! de Stéphane Hessel a également créé la surprise en atteignant des ventes jamais imaginées au moment de sa parution, au point de devenir un véritable phénomène de société au sujet duquel même les personnalités politiques se sont senties obligées de donner leur avis.

Cependant, il est difficile pour ne pas dire impossible qu’une maison d’édition puisse provoquer elle-même ce genre de phénomène, qui par essence échappe à tout contrôle et à toute impulsion.

Mais les règles de la vie « réelle » ne sont pas celles de la vie « virtuelle », car le public n’est pas aléatoire dans le cadre de communautés en ligne réunies autour de centres d’intérêt communs, en l’occurrence le livre et la lecture pour ce qui nous intéresse. Internet constituant la terre promise du « buzz », les éditeurs ont alors à leur disposition un outil permettant de lancer un titre, une collection, une série, etc., auprès d’un public très ciblé qu’ils connaissent, comme nous l’avons expliqué auparavant. Cette connaissance leur a alors permis de mesurer la potentialité de communiquer autour de ces nouveautés.

De plus, comme nous l’annoncions dans la première partie, certaines communautés de lecteurs que nous avons qualifiées « d’indépendantes » collaborent avec les professionnels dans le cadre d’opérations visant également à promouvoir des nouveautés, en invitant les membres du réseau à y participer notamment par le biais de leurs critiques.

Les maisons d’édition ont donc encore une fois tout intérêt à occuper ces espaces où la plupart des membres s’inscrivent pour y trouver des recommandations et idées de lecture.

Du bouche-à-oreille vers l’écran-à-écran. Imaginons un éditeur arrivant dans un lieu de vente de livres, quelle qu’en soit la nature, et aller vers les clients un par un pour leur parler de ses nouveautés.

Difficile à imaginer tellement la situation peut paraître farfelue. Jusqu’à l’arrivée des technologies numériques interactives, les seuls endroits où un éditeur pouvait éventuellement vanter directement les mérites de son catalogue auprès d’un public étaient les rencontres type Salon du livre de Paris ou Festival d’Angoulême. Les sites communautaires changent radicalement la donne.

Dans ces cas de figure, il peut sembler normal voire souhaitable que les maisons d’édition parlent directement de leurs ouvrages aux membres du réseau, à condition, rappelons, le que cela ne prenne pas la forme d’une campagne publicitaire trop agressive, comme le précisent les internautes hostiles à la présence des maisons d’édition sur les réseaux dédiés au livre lors du sondage reproduit en annexe.

Cela signifie que si un éditeur souhaite mettre en avant un ou plusieurs titres en dehors des opérations mises en place par certains des sites communautaires, la communication doit être adaptée au type de site, sans bandeaux publicitaires ou mailings, généralement peu appréciés des internautes.

Certes il est toujours possible de se faire passer pour un membre lambda dans le cadre des réseaux dédiés, mais outre la malhonnêteté de la stratégie, son efficacité serait bien moindre que dans le cas d’une structure assumant son identité mais se pliant aux règles du réseau.

Comme nous l’avons indiqué un peu plus tôt, l’enjeu pour un éditeur est de profiter de la viralité de la communication permise par l’effet de réseau afin de faire se rencontrer les livres qu’il édite et leurs lecteurs, en provoquant lui-même un « bouche-à-oreille virtuel » grâce à des stratégies ludiques et encore une fois interactives.

Il s’agit donc de créer un « buzz orchestré », qui se distingue des buzz spontanés dont la logique est semblable à celle du bouche-à-oreille, et d’inciter les internautes à transmettre l’information présentée à leurs propres contacts.

Nous avons d’ores-et-déjà évoqué l’organisation d’un concours par exemple. Dans le cadre des réseaux spécialisés décrits au cours de la première partie, nous pouvons également imaginer que les éditeurs interviennent sur les forums de discussions lorsqu’il y en a, dans un cadre défini avec les administrateurs du site.

Mais le Web 2.0 force les acteurs économiques dont les maisons d’édition à se renouveler et à être inventifs, afin de mettre en place des actions en accord avec l’image de la maison et celle des réseaux sociaux. La pratique émergente des bandes-annonces littéraires en est un exemple, comme celle de Chaos à Quinquéniac, ou l’extraordinaire aventure d’une boule de gomme1 d’Éric Betend et Géraud Bournet, paru aux éditions Chemins de tr@verse. En revanche, si l’initiative est intéressante, l’impact est ici encore difficile à mesurer.

Dans le cas cité nous pouvons regretter qu’une vidéo de ce genre ne soit pas relayée sur la page Facebook de la maison par exemple, ce qui est pourtant très simple à réaliser grâce aux raccourcis présents sur les différents sites de partage de vidéos permettant d’insérer la vidéo sur un réseau social. Il est par ailleurs primordial que de telles réalisations soient créées en lien avec l’auteur.

Le site de micro-blogging Twitter, de par le format des 140 caractères qu’il impose, offre moins de possibilités promotionnelles que son aîné Facebook, même si des opérations innovantes peuvent être entreprises, comme le fait de distiller des extraits sous forme de tweets. En ce qui concerne le réseau de Mark Zuckerberg, la diversité des outils (profils, pages fan, application, etc.) permet de mener des actions plus variées.

Si nous revenons aux pages fan, déjà largement évoquées pour les collections ou séries, nous pouvons par exemple prendre le cas singulier de la page « Le livre qui fait un buzz sur Facebook »2, qui a réuni un peu plus de 700 fans en un mois.

Celle-ci est en réalité une initiative des éditions Pocket. Cette page au titre accrocheur et mystérieux avait pour but de présenter un nouveau titre, en installant une sorte de suspens avant de le dévoiler. Les éditeurs ont également la possibilité de développer des applications, comme l’ont fait les éditions Milan pour assurer la promotion de leur collection Kokeshi.

Toutefois, il s’agit plus ici d’un « plus-produit », comme cela peut se faire dans les lieux de vente physiques. Enfin, les maisons d’édition ont avec Facebook la possibilité de créer des faux profils pour les personnages de leurs romans, même s’il est important de rappeler que cette pratique est normalement interdite selon les conditions d’utilisation du site.

Le personnage d’Angèle Rouvatier1 constitue un des exemples les plus marquants de cette stratégie. Héroïne issu du roman Boomerang de Tatiana de Rosnay, paru aux éditions Héloïse d’Ormesson, Angèle dispose d’un profil rempli avec toutes les informations issues du livre, comme son lieu de travail, son parcours étudiant et professionnel, sa ville, ses centres d’intérêt, etc., mais aussi son mari et quelques amis cités dans le roman, disposant également d’un profil mais privé, de manière à ne pas avoir à tous les remplir.

Et le succès est au rendez-vous : plus de 3 300 internautes sont amis avec le personnage fictif, qui poste régulièrement sur sa (fausse) vie et interagit avec les autres internautes.

Ces différents exemples démontrent l’étendue des actions qu’un éditeur peut mettre en place pour fédérer, entretenir ou s’insérer au sein d’une communauté de lecteurs, de manière à ce que ces derniers relaient leurs informations. Le but final est bien évidemment d’asseoir l’image de la marque et d’engendrer un bouche-à-oreille facteur de prescription.

Comme nous le précisions, il est important que le support de communication soit pris en compte et que la maison s’y adapte, cette condition étant la clé d’une campagne. Chaque modèle n’est évidemment pas reproductible à l’infini, un niveau de saturation pouvant être atteint si la même action se multiplie déraisonnablement, du moins pour les plus audacieuses comme les faux-profils.

Les pages fan elles, restent un modèle relativement stable, soumis tout de même aux évolutions de la politique de Facebook. L’efficacité de ces stratégies, perceptible par le nombre de fans ou amis, repose donc sur la capacité à mobiliser à une échelle la plus large possible les contacts de ses contacts.

Pour cela il faut donc créer un événement fort à l’origine, afin de susciter l’envie des premiers internautes touchés de relayer à leur tour l’information, pour arriver à réussir cette stratégie du « buzz orchestré ».

Les maisons d’édition ont donc su s’adapter aux évolutions induites par l’émergence du Web social qui touchent inévitablement nombre de leurs lecteurs, même si cette démarche est très inégale d’une structure à l’autre. Si nous nous intéressons maintenant plus particulièrement aux réseaux sociaux dédiés au livre, nous pouvons observer que les stratégies diffèrent de celles orchestrées sur les réseaux généralistes, et se font pour l’instant en partenariat et même à l’initiative des sites où elles ont lieu.

Les sites communautaires dédiés au livre, nouveaux acteurs de la promotion. Nous étudierons à travers ce point les outils mis en place sur les réseaux sociaux de lecteurs en partenariat avec les maisons d’édition pour promouvoir les livres de ces dernières.

Les exemples des opérations « Masse Critique » sur Babelio et « Un livre, une critique » sur Livr@ddict, ainsi que le programme de publicité proposé par Libfly aux éditeurs illustrent en effet les possibilités de mise en place conjointe entre un éditeur et un réseau social pour faire parler des livres par le biais de la critique des membres de la communauté.

La première opération sera la plus détaillée, dans la mesure où comme nous l’avons signalé Babelio comptabilise plus de 30 000 membres et 4 millions de visiteurs uniques par mois, et propose de ce fait aux éditeurs l’audience la plus large pour ce genre de site. D’autres types d’accord entre éditeurs et sites communautaires axés sur le livre permettent également la promotion de ce dernier, comme la mise à disposition d’extraits en ligne.

Intéressons-nous tout d’abord aux actions de promotion utilisant la critique des membres, avec en premier lieu la « Masse Critique » de Babelio. L’opération est ainsi présentée sur le site qui en est à l’origine : « Recevez chez vous gracieusement des livres et faites en votre critique publique, bonne ou mauvaise, comme bon vous semblera. Il n’y a rien d’autre à comprendre : un livre en l’échange d’une critique, c’est aussi simple que ça. »1.

La participation est ouverte à tous les membres du site, à la condition toutefois qu’ils aient déjà rédigé des critiques auparavant. Pas question donc que des membres profitent de l’occasion juste pour récupérer des livres gratuitement, sans s’être auparavant investis dans la vie du site.

Concrètement, les membres souhaitant participer à « Masse Critique » sélectionnent les titres sur lesquels ils souhaiteraient rédiger une critique parmi une liste de livres fournis par les maisons d’édition partenaires, le nombre de titres étant de ce fait variable d’une fois sur l’autre ; une fois les candidatures déposées, les « gagnants », c’est-à-dire ceux qui pourront effectivement recevoir gratuitement les livres, sont tirés au sort.

Ces derniers s’engagent alors à lire l’ouvrage qui leur est transmis par un éditeur via Babelio et à rédiger une critique qui doit être publiée sur le site dans le mois, qu’elle soit positive ou négative. Ils autorisent par ailleurs « Babelio, l’éditeur du livre et son auteur à réutiliser des extraits ou l’intégralité de leur critique de façon non exclusive, notamment à des fins éditoriales ou promotionnelles.

Ces réutilisations éventuelles s’accompagneront d’une identification de l’auteur, à minima par son prénom et sa ville de résidence »1. Cette précision confère à l’opération un caractère officiel pour Babelio, qui renforce son statut professionnalisant collaborant avec les éditeurs tout en restant indépendant, tandis que les participants, outre le gain matériel du livre, y trouvent un aspect gratifiant reconnaissant la qualité de leur analyse en cas de reprise effective de la critique, même si au final ils ne toucheront d’autre rémunération que le livre.

Les éditeurs ont été nombreux à être séduits par cette initiative, qui fêtait sa 12e édition le 18 avril dernier : First, JC Lattès, In Octavo, Les Carnets de l’Info, Plon, les Presses de la Renaissance, Le Seuil, Gaïa, Heloïse d’Ormesson, Fleuve Noir, Zulma, Harlequin, le Livre de Poche, Points Seuil, Rouergue Jeunesse, Robert Laffont, Belfond, Flammarion ou encore Autrement font partie des dizaines de maisons d’édition qui ont choisi de prendre part à cette aventure, ce qui montre la diversité des ouvrages susceptibles d’y être proposés2.

Le 23 mai dernier, Babelio a part ailleurs mis en place une opération « Masse Critique » consacrée à la bande dessinée et au manga, regroupant 98 titres et à laquelle ont entre autres pris part Delcourt, Casterman, Glénat, Dupuis, Dargaud, Soleil, Les Humanoïdes Associés, Futuropolis, Ego comme X ou encore La boîte à bulles. Certains éditeurs de bande dessinée participaient néanmoins aux précédentes éditions de « Masse Critique », mais cette opération était la première à se consacrer exclusivement au 9e Art.

Cet aspect est d’autant plus important que ce secteur a connu d’importantes évolutions liées aux technologies numériques ces dernières années, avec notamment l’essor des bédéblogs et l’arrivée des tablettes multimédia comme supports de lecture.

Le principe de l’opération du point de vue des membres étant posé, intéressons nous désormais à l’organisation en ce qui concerne les éditeurs participant à l’opération. Le site communautaire leur propose avec cette opération de donner une visibilité à leurs nouveaux titres, aspect fondamental pour qu’un livre puisse espérer trouver son public comme nous l’avons déjà signalé.

Car ces critiques permettent aux livres dont il est question d’être référencés sur les moteurs de recherche, surtout dans le cas des ouvrages peu médiatiques n’ayant pas forcément la chance d’être traités par les médias traditionnels. De plus, le site s’appuie sur un réseau de 400 blogueurs susceptibles de relayer ces critiques1.

Babelio propose deux types de services, l’un gratuit, l’autre payant. Dans le premier cas, l’opération concerne une multiplicité d’éditeurs, et de fait aucune publicité n’est faite, hormis pour l’opération en elle-même. La date est imposée, coordination des différentes maisons oblige, et ces dernières ne peuvent pas envoyer plus de cinq exemplaires par titre.

L’expédition est à la charge de l’éditeur, qui reçoit à l’issue du programme la liste des critiques. Le service payant quant à lui, s’inscrit au-delà de l’opération « Masse Critique » en elle-même, dont elle ne porte d’ailleurs plus le nom malgré un principe semblable, puisque l’effet de « masse » n’y est pas aussi important. Le coût est défini par devis.

Dans ce cas de figure, le programme ne concerne qu’un seul éditeur, qui dispose de ce fait de bannières dédiées sur le site et d’une newsletter propre à son opération. La maison est libre de choisir la date de lancement de l’opération, de manière à inscrire cette dernière au sein d’une campagne promotionnelle globale et ainsi d’en augmenter l’impact.

L’éditeur peut par ailleurs transmettre jusqu’à cinquante exemplaires par titre, qui sont expédiés par l’éditeur ou par Babelio selon le devis établi. Enfin, une fois le programme terminé, la maison reçoit une note d’analyse détaillée fournie par le réseau social en plus de la liste des critiques.

1 Ces données ainsi que les suivantes concernant le détail des versions gratuites et payantes du service sont issues du mémoire de MBA Marketing et Commerce sur Internet de Patricia Gendrey, sous la direction de Vincent Montet, Quelle stratégie numérique pour les éditeurs de livres ?, 2010, p. 71.

Ces deux systèmes fournissent donc aux maisons d’édition un nouveau moyen de promouvoir leurs livres, d’autant plus que dans le premier cas le coût de l’opération se résume aux exemplaires gratuits et aux frais d’envois, comme cela se fait déjà dans le cadre des envois à la presse. Mais à la différence de ces derniers, les éditeurs sont ici assurés d’avoir une critique et donc d’accroître la visibilité du ou des titres concernés.

Le simple fait de participer à « Masse Critique » le permet d’ailleurs, puisque tous les membres intéressés pour participer à cette opération consultent de manière plus ou moins approfondie la liste des ouvrages proposés et sont de fait tenus au courant de la sortie prochaine de titres dont le résumé a pu éveiller leur curiosité.

Par ailleurs, les membres de Babelio étant reliés à leurs « amis » par affinités littéraires, le fait de poster une critique visible depuis le profil du membre la rend visible par l’ensemble de son réseau, qui est a priori susceptible d’être intéressé par l’ouvrage puisque le membre initial partage ses goûts. De plus, si la critique est élogieuse, l’éditeur touche alors directement et de manière très efficace un public potentiel.

Dans le cas de la version payante, les avantages sont évidemment encore plus palpables pour les éditeurs, dont la visibilité est renforcée grâce aux outils cités qui viennent en renfort des seules critiques. Le caractère exclusif de l’opération se fait de plus au bénéfice de la marque qui n’est plus noyée au milieu de ses concurrents et dont le catalogue des nouveautés est plus mis en avant.

Les internautes n’ont plus l’image de titres éparpillés mais bel et bien d’une production globale, mettant de fait en avant l’image et la ligne éditoriale de la maison. Cet aspect est d’ailleurs renforcé par l’inscription de la démarche au sein d’une campagne de lancement plus générale, la possibilité de se servir par la suite des critiques des internautes étant bien évidemment un atout supplémentaire dans le cadre de celle-ci.

Enfin, même si cette opération est payante, elle permet aux éditeurs d’avoir un retour qualitatif sur leurs derniers ouvrages parus avec l’ensemble des critiques et en plus une analyse globale.

Or les cabinets fournissant des études marketing qualitatives analogues appliquent des tarifs élevés : le choix de privilégier une opération telle que « Masse Critique », y compris dans sa version gratuite d’ailleurs, peut alors être préféré à des études commandées qui pourraient s’avérer plus coûteuses. Dans le cadre des cabinets, les rapports sont toutefois rendus en amont et non en aval de la publication : tout dépend alors du secteur concerné.

Deuxième exemple, très proche, celui de « Un livre, une critique », mis en place par le site communautaire Livr@ddict. Ce dernier, créé en septembre 2009, enregistrait au bout d’un an 10 000 visiteurs uniques par mois1, plus de 1 200 membres inscrits et un forum actif comportant plusieurs milliers de topics2.

Le principe de l’opération est le même que pour « Masse critique » : les membres peuvent recevoir un exemplaire gratuit d’un titre proposé sur le site et doivent rédiger une critique en contrepartie.

Les modalités diffèrent cependant : la critique doit être publiée sur le blog personnel du membre à condition qu’il remplisse les conditions nécessaires, notamment en termes d’ancienneté, de nombre de livres chroniqués et de visibilité d’une catégorie « Lecture », ou bien sur le blog du réseau3.

Pas de tirage au sort ni d’opération de grande envergure disséminées tout au long de l’année, dans le cas de Livr@ddict, une liste des ouvrages disponibles est publiée tous les vendredis à 20h, et ce sont les membres les plus rapides qui gagnent le droit de recevoir un livre en échange de leur commentaire.

L’opération se déroule par le biais du forum, traité au cours de la première partie, au sein d’une catégorie « Les partenariats », elle-même divisée en deux sous-catégories « Suivis partes » et « Partenariats proposés ».

À la fin du mois de juin 2011, cette dernière comprenait près de 300 sujets de discussions et environ 2 000 messages, preuve du succès de la démarche au vu du nombre d’opérations proposées depuis le mois d’octobre 2010, chaque sujet étant consacré à une édition de « Un livre, une critique » ou à un concours organisé avec une maison d’édition.

Ici encore les éditeurs se sont montrés enthousiastes vis-à-vis de la démarche : Folio, Robert Laffont, Acropole, Pré aux clercs, J’ai lu, Belfond, Le livre de poche ou encore J.-C. Lattès font ainsi partie des maisons ayant participé à l’opération au cours des mois de mai et juin 2011. Nous pouvons remarquer que si le nombre total d’éditeurs participant à l’opération est moins élevé que sur Babelio, sans doute

du fait de la moins grande audience du site, ceux y participant sur Livr@ddict le font en revanche régulièrement, certains depuis le lancement du principe en octobre 20091. Et les retours sont positifs, comme le prouve l’un des messages postés dans le topic consacré aux « Impression des éditeurs sur les partes » : « Bonjour Jessica [membre de la «Livr@ddict team»].

Les critiques sont dans l’ensemble bien construites et argumentées. C’est tout à fait l’esprit que nous recherchons. Je vous invite à continuer ainsi, et vous félicite dès à présent pour le travail accompli sur votre site qui, il faut le dire, est vraiment chouette. Bravo ! Thomas, Le Livre de Poche »2.

Ce que nous pourrions appeler l’amateurisme éclairé des membres du réseau semble donc convaincre les structures éditoriales, qui en cherchant à déclencher un phénomène de prescription par le biais de l’effet réseau s’offrent par la même occasion une publicité ciblée et gratifiante à faible coût.

Tout comme Babelio et sa « Masse Critique », les administrateurs de Livr@addict utilisent le forum de discussion pour encadrer les opérations qu’ils mènent avec les éditeurs, comme nous l’avons vu avec la sous-catégorie « Suivi Partes », où les internautes peuvent poser leurs questions, laisser des messages de remerciements ou encore confirmer la bonne réception ou non de l’ouvrage sur lequel ils doivent écrire.

C’est également au sein de cette partie que figurent le fonctionnement et le règlement des partenariats. Les messages qui ont été postés à la suite de ce dernier mettent toutefois en avant les risques et abus qui peuvent parfois intervenir dans le cadre de ces opérations.

Les administrateurs ont en effet pris la peine de rappeler que les membres pouvant postuler pour recevoir un ouvrage devaient s’être investis dans la vie du site et non demander des exemplaires gratuits dès le jour de leur inscription, que les éditeurs ne pouvaient pas renvoyer un nombre infini d’exemplaires et donc qu’à la suite de trop nombreuses demandes les livres ne serait pas renvoyés en cas de déclaration de non réception, ou encore que la politesse étaient un minimum auquel les participants devraient se conformer dans leurs prises de contacts, qui se doivent de passer par le site et non directement avec les éditeurs3.

Ces rappels à l’ordre montrent bien les risques qui existent à sortir du réseau des professionnels voire des blogueurs amateurs influents, certains internautes ne respectant pas les règles du jeu.

Dernier exemple reposant sur la critique des membres : celui du programme de publicité proposé par le site Libfly1. Le principe est ici différent des deux cas déjà étudiés. Par la terminologie employée tout d’abord, celle de « campagne publicitaire » ou « campagne web », d’« affinité avec la cible », de « performances media » ou encore de « taux de clic ». L’opération ne s’adresse de fait pas directement aux membres mais uniquement aux structures éditoriales, Libfly faisant le lien entre les deux.

Celle-ci n’est par ailleurs pas ouverte à tous : concernant l’envoi d’exemplaires gratuits contre critique avant la publication, le site a établi « une sélection de [ses] membres, (bloggeurs et bibliothécaires) pour faire connaitre auprès des plus gros lecteurs [les] nouveautés [de l’éditeur] et [le] rendre plus visible sur Internet »2.

La logique n’est donc pas la même : dans ce cas précis, il n’est pas question de créer un évènement sur l’ensemble du réseau par le biais d’une participation large, mais d’en utiliser quelques uns, professionnels ou amateurs reconnus, afin qu’ils mobilisent leurs propres réseaux en dehors du site communautaire, l’opération ne s’adressant naturellement qu’à une maison à la fois.

Cette démarche laisse toutefois des questions en suspens. Qu’en est-il des critiques négatives, sachant que l’éditeur achète ce service ? Au moment de la sortie du ou des titres, Libfly mène par ailleurs bel et bien une campagne promotionnelle utilisant espaces publicitaires, contenus audio ou vidéo, organisation d’un tchat, etc. Nous sommes donc ici en présence d’un organisme qui se présente comme un acteur de poids dans la promotion du livre et propose de ce fait des services payants non plus organisés avec les membres du réseau, mais uniquement à destination de ces derniers.

Dans un cas comme celui-ci, ils ne prennent en effet pas part à la mise en valeur des nouveautés mais y assistent, ce qui s’apparente plus aux stratégies promotionnelles classiques qu’aux modèles innovants ancrés dans les réseaux sociaux que nous évoquions précédemment.

De plus, ce modèle constitue clairement une matérialisation des craintes exprimées quant au « matraquage publicitaire », la question de l’indépendance des contenus pouvant être ici remise en cause alors que les contenus émanant de l’ensemble des membres dans les deux cas précédents échappaient en grande partie à ce reproche.

Enfin, comme nous l’annoncions en introduction de cette sous-partie, les éditeurs disposent d’un autre moyen pour promouvoir leurs titres sur les réseaux sociaux dédiés au livre, qu’ils soient nouveaux ou issus du fonds : celui de la mise en ligne d’extraits, consultables depuis les sites communautaires.

Et le procédé n’est pas si développé, puisqu’il nécessite l’autorisation de l’éditeur, mais aussi de l’ensemble des ayants-droits, avec en premier lieu le ou les auteurs des œuvres proposées. Cette démarche implique alors négociations et clauses juridiques aux contrats.

Babelio propose ainsi les premiers chapitres de nombreuses œuvres1, y compris en bande dessinée2. Libfly offre quant à lui une approche originale pour découvrir les contenus des œuvres, en proposant des extraits lus par les auteurs3 ou par des comédiens4.

Proposer des extraits en ligne est une pratique qui tend toutefois à se développer même au-delà de ces réseaux, notamment sur des sites marchands comme Amazon, Fnac.com ou encore Izneo pour la bande dessinée par exemple.

Cette pratique, si elle peut sembler tout à fait pertinente en termes de promotion, voire même souhaitable à l’heure où le numérique redessine la chaîne du livre, nécessite néanmoins une coordination entre les différents acteurs qui reste à l’heure actuelle source de tensions, tant pour les aspects financiers que créatifs, comme la question du choix des extraits à mettre en avant.

Le choix de Babelio de ne présenter que des premiers chapitres peut ne pas être pertinent pour certaines œuvres par exemple. Les extraits en ligne, s’ils offrent aux auteurs et éditeurs de présenter leur œuvre en valorisant réellement le contenu et non le discours autour du livre, demeurent donc des outils à modeler pour en accroitre l’efficacité et satisfaire tous les acteurs, de l’auteur au lecteur.

L’émergence des communautés de lecteurs en ligne est donc pour les maisons d’édition une occasion de réinventer de nouveaux modèles de promotion du livre au plus près de leur public, voire avec eux. D’où l’importance pour celles-ci d’être présentes sur Internet, qui loin des idées reçues n’est pas une activité en opposition avec la lecture.

Ces éléments étant posés, nous pouvons à présent nous demander comment les différents aspects de la « lecture sociale » que nous avons abordés jusqu’à présent peuvent être intégrés à la source au sein d’un modèle éditorial en renouveau.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le Livre en réseau. Quel rôle pour l’éditeur à l’heure de la « lecture sociale » ?
Université 🏫: Université Paris 13 – Villetaneuse
Auteur·trice·s 🎓:
Nicolas Simon

Nicolas Simon
Année de soutenance 📅:
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