Le parasitisme par rattachement indiscret à l’entreprise notoire

Le parasitisme par rattachement indiscret à l’entreprise notoire

B) Le parasitisme par rattachement indiscret à l’entreprise notoire concurrente

Une nuance fut en effet introduite dans la catégorie fondamentale du parasitisme de la notoriété d’autrui, nuance qui consiste pour le concurrent à « se placer dans le sillage de la renommée d’un tiers et à profiter indirectement des retombées de celle-ci, sans chercher réellement à s’approprier le nom d’autrui, donné comme référence de qualité, (comme) une espèce de caution morale » 57.

Est ainsi défini le « rattachement indiscret » qu’il est possible de classer en quatre grandes rubriques selon qu’il s’exerce sans qu’une confusion entre l’entreprise parasitée et le parasite soit recherchée par celui-ci (1) ou qu’il réside dans le mécanisme des références (2), dans le parasitisme d’un réseau de distribution (3) ou dans le mécanisme parasitaire des pratiques d’appel (4).

1) Le parasitisme de la notoriété d’une entreprise concurrente sans recherche de confusion

Le parasite, en effet, peut parfaitement se rendre coupable d’actes de concurrence déloyale ou parasitaire et donc engager sa responsabilité quand bien même il n’aurait point cherché à créer dans l’esprit de la clientèle une confusion entre lui-même et son concurrent.

Ainsi la Cour de cassation est-elle venue admettre le fait que le parasite ne cherche pas nécessairement à créer une confusion entre son entreprise ou ses produits et l’entreprise ou les produits de son concurrent en déduisant par exemple de la pose d’une étiquette « Imitation Vuitton » sur les produits de maroquinerie en cause la volonté de l’auteur de démarquer sa production de celle de son concurrent 58 mais aussi et surtout en censurant les juges du fond lorsqu’ils rejettent une demande fondée sur la concurrence parasitaire au motif qu’il n’existerait « aucun risque de confusion ».

57 Le Tourneau (P.), J. Cl. Concurrence – Consommation, réf. précitées, spéc. n° 22.

58 CA Paris (4ème ch.) 21 Fév. 1989, SA Louis Vuitton c/ SARL Paris Lots et a., D. 1993, Somm. p. 115, obs. Burst J.-J.

En effet, l’autonomie de la notion de « concurrence parasitaire » par rapport à la concurrence déloyale par confusion, dissociation qui – donc – résulte de ce que le parasite peut ne pas rechercher la confusion avec l’entreprise notoire concurrente, résulte parfaitement de l’arrêt rendu le 27 Juin 1995 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation à propos du détournement de la notoriété du célèbre chocolatier Lindt par la reproduction quasi servile – dans le catalogue de la société concurrente – du motif utilisé par Lindt pour l’ornement de ses conditionnements.

Ainsi la Chambre commerciale estima-t-elle que la seule constatation qu’il n’existait aucun risque de confusion pour un consommateur d’attention moyenne entre les deux dessins ne suffisait pas à écarter le grief de concurrence déloyale formé par Lindt à l’encontre de son concurrent dès lors qu’était invoqué, outre le risque de confusion, le comportement parasitaire de ce dernier, résultant à la fois de la notoriété, auprès de la clientèle, du conditionnement adopté par Lindt et de la volonté manifestée par l’autre de se placer dans son sillage 59.

Ainsi est-il admis que le parasite puisse agir sans intention de nuire et cherche simplement, selon l’expression d’Yves Saint-Gal, à « vivre en parasite dans le sillage » d’un tiers concurrent.

Nous choisirons ici de citer, parmi une jurisprudence très abondante, l’un des arrêts les plus connus, arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 4 Mars 1986 dans lequel fut sanctionnée la concurrence parasitaire ayant consisté, pour une société fabricante de sacs, à se rapprocher le plus possible, au niveau des couleurs, des sacs commercialisés par un concurrent des plus notoire – en l’occurrence la très célèbre société Vuitton – de manière à « profiter du renom et du succès remporté » par cette marque.

Ainsi les juges ont-ils – alors même qu’aucune véritable confusion ne semblait avoir été recherchée et même être possible, l’imitation se limitant en effet aux seules couleurs – retenu, simplement parce que celles-ci étaient proches, la concurrence parasitaire :

« Dès lors que l’imitation d’une marque déposée par un tiers a permis à l’imitateur, en dépit de l’absence de similitude des produits, de profiter par parasitisme, non seulement de la qualité du dessin créé par le propriétaire de la marque imitée, mais encore de la grande renommée de celui-ci en provoquant chez le client, par l’impact d’un décor évocateur de produits réputés, un réflexe favorable, il convient de dire qu’en sus de l’imitation et de l’usage de la marque, ce professionnel s’est rendu coupable d’agissements parasitaires dont il peut être demandé réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code civil » 60.

S’attachant davantage au fait de bénéficier, selon l’expression consacrée, du « courant d’achats » créé par le concurrent en cause, la Cour d’appel de Paris a dans le même sens décidé que l’emploi du slogan « le nouveau nom de l’Espace » à titre de publicité du véhicule Prairie, compte tenu de la notoriété du véhicule concerné, constituait « une manœuvre dont le but manifeste est de profiter de l’impact dont la marque ‘‘Espace » bénéficie auprès des acquéreurs potentiels de véhicules monocorps ».

En effet, la société automobile fautive, en se plaçant dans le sillage de la célèbre société Renault « pour tirer profit d’une position acquise sur le marché par ce constructeur », a commis un acte de concurrence parasitaire alors même que tout risque de confusion était écarté, la Cour ayant pris soin de relever que ce slogan ne laissait pas entendre au « consommateur raisonnable » qu’il allait – en acquérant le véhicule objet de la publicité – acquérir celui dénommé « Espace » 61.

De même en a-t-il été jugé à propos de la commercialisation par une société de barres chocolatées baptisées « Metra » dans un format, un poids ainsi qu’un style de sachet similaires au conditionnement des barres chocolatées de la célèbre marque « Mars », les juges ayant ici sanctionné le seul fait de « tenter de profiter du succès de son concurrent » et ce alors même que les deux produits – ne serait-ce que par leurs appellations – ne pouvaient être confondus 62, ainsi qu’à propos d’un parfumeur ayant élaboré – pour « se placer dans le sillage » d’un parfum notoirement connu – une fragrance similaire à celle dudit parfum… 63

Le parasitisme par rattachement indiscret trouve en effet dans le secteur de la parfumerie l’un de ses principaux « terrains de jeu », pouvant – quant au parfum lui-même 64- résulter selon les espèces de l’imitation de la « couleur du jus » – auquel cas l’acte relève véritablement de la recherche de confusion et non du rattachement indiscret – ou de l’imitation de la « fragrance » qui, elle, participe vraiment de la volonté du parfumeur parasite de s’inspirer des « effluves à succès » mises au point par l’entreprise parasitée.

59 Cass. Com. 27 Juin 1995, Soc. Lindt et Sprungli c/ Soc. Chocolaterie Cantalou – Cémoi, D. 1996, Somm. p. 251 et s., obs. Izorche M.-L.

60 – CA Versailles 4 Mars 1986, SARL Eurobag c/ SA Vuitton, D. 1987, Somm. p. 59, obs. Burst J.-J. – Dans le même sens : CA Paris (3ème ch.) 10 Mars 1999, SA Kenzo Parfums et SA Fleurus Boutique c/ SA Groupe André et SNC Compagnie de la chaussure, Petites Affiches 21 Mars 2000, Jur. p. 18 et s., obs. Reboul N. : fut sanctionnée l’association artificielle ayant consisté à faire usage de boîtes de chaussures reproduisant le modèle d’emballages ainsi que les caractères utilisés par la célèbre société Kenzo pour le conditionnement de ses parfums, le rapport de concurrence résultant de ce que cette dernière société commercialise également des chaussures.

61 CA Versailles (14ème ch.) 10 Mars 1995, Régie Nationale des Usines Renault c/ Soc. Richard Nissan et a., D. 1996, Jur. p. 489, note Picod Y.

62 CA Paris 17 Mai 1993, P.I.B.D. 1993, n° 550, III, 522.

63 TGI Paris (3ème ch.) 14 Déc. 1994, P.I.B.D. 1995, III, 196 ; Cass. Com. 18 Avril 2000, RD intell. n° 116, Oct. 2000, p. 29.

64 …car nous verrons en effet par la suite que le parasitisme en matière de parfumerie peut revêtir d’autres formes…

2) La pratique parasitaire des références

Un principe est posé en vertu duquel un nom commercial, une marque…ne peut être utilisé – sans l’autorisation de son titulaire – à titre de référence.

Ainsi M. Toporkoff estime-t- il que la technique des références constitue une imitation par « similitude intellectuelle » destinée à créer dans l’esprit de la clientèle des « associations d’idées » 66. Différentes méthodes peuvent être recensées.

a – L’utilisation des termes « formule, façon, système, imitation, genre ou méthode »

Le Code de la Propriété intellectuelle, en l’article L. 713-2 a., vient interdire l’usage de la marque d’autrui et ce, quand bien même y seraient adjoints des mots tels que « formule, façon, système, imitation, genre ou méthode », précision faite que cette liste n’est de toute évidence pas limitative.

Ainsi par exemple la Cour d’appel de Paris a-t-elle pu décider le 4 Mars 1993, à propos de la référence à une célèbre marque de chaussures, qu’une société – par l’apposition sur un panonceau de présentation d’un certain modèle de chaussures de la mention « Style Bensimon », panonceau exposé en vitrine, – s’est rendue coupable d’un acte de concurrence parasitaire, ayant visiblement cherché « à utiliser la notoriété des chaussures Bensimon pour capter une partie de la clientèle » d’une société concurrente 67.

b – La référence par d’anciens collaborateurs à la ‘‘maison » à laquelle ils étaient précédemment liés

L’un des cas les plus classiques de concurrence parasitaire consiste, dans le domaine de la distribution automobile, en l’utilisation – par un vendeur de voitures ou garagiste – de la marque d’un constructeur automobile dont il n’est pourtant pas ou plus l’agent ou le concessionnaire, et ce en se présentant comme étant « spécialiste » ou « ancien concessionnaire » de la marque en question 68.

La pratique parasitaire des références: nom, marque - La marque d'un constructeur automobile

S’il y a donc rattachement indiscret à se dire par exemple « spécialiste Volkswagen »69 ou « spécialiste BMW »70, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est toutefois venue dans un arrêt du 17 Décembre 1991 remettre en cause le fondement même de la notion de « rattachement indiscret » en exigeant en effet la preuve d’une « confusion préjudiciable » et ce, alors que le principe veut que le parasite – par le rattachement indiscret qu’il opère – ne cherche nullement la confusion entre lui-même et le parasité, espérant simplement bénéficier d’éventuelles « retombées » : la Cour, en effet, énonce que « L’utilisation par un ancien concessionnaire de l’expression « spécialiste de la marque » de son ancien concessionnaire ne constitue ni un usage illicite de marque, ni un acte de concurrence déloyale en l’absence de preuve d’une confusion préjudiciable »71.

Ainsi, pour M. Ferrier – commentateur de l’arrêt – la Cour de cassation, « entre l’intérêt pour l’ex-concessionnaire de se prévaloir de la compétence qu’il a acquise au cours de son passage dans le réseau et l’intérêt pour le concédant de protéger sa marque contre toute utilisation parasitaire », « tranche, conformément à sa jurisprudence hostile à toute protection de la marque, contre l’utilisation qui peut en être faite sans contrefaçon par un tiers, en estimant que le fait pour un ex-concessionnaire qui possédait une expérience réelle pour les voitures de la marque du concédant de se présenter comme spécialiste de cette marque ne constituait pas un usage illicite de la marque ni n’était susceptible de créer en soi une confusion dans l’esprit de la clientèle.

Il appartient donc au concédant de rapporter à l’encontre de l’ex-concessionnaire la preuve d’un usage déloyal ou d’une confusion dommageable ».

Il peut de même être intéressant de citer, parce qu’il intervient dans un secteur d’activité totalement différent, l’arrêt aux termes duquel « ne constitue pas un rattachement indiscret le fait de mentionner l’appartenance à une école, en l’occurrence de danse, et de se référer à l’acquisition de connaissances et à l’enseignement d’un professeur, alors que la qualité d’ancien élève ou d’ancien professeur est le fruit de longues années passées dans le même établissement et s’acquiert dans la perspective de transmettre à d’autres la compétence acquise » : la Cour d’appel de Versailles refuse en effet de voir un acte de parasitisme dans le seul fait, pour un professeur de danse, de faire référence dans sa publicité à l’école qui l’a formé et dont il est aujourd’hui un « concurrent » 72.

c – L’usage de termes notoirement connus

La notion de « termes » est certes extrêmement floue mais peut se rapporter à des cas bien concrets.

Ainsi peut être cité le comportement parasitaire ayant consisté, pour l’organisateur d’un spectacle, à le dénommer « Les chœurs de l’Armée rouge » de manière à entretenir la confusion avec le spectacle des célèbres « chœurs et danses de l’Armée rouge » et bénéficier ainsi du renom acquis à travers le monde par cette compagnie concurrente 73.

De même fut sanctionné le « choix » du terme « Bolchoï » effectué par des artistes soviétiques n’appartenant pourtant nullement à ce célèbre théâtre pour la désignation d’un spectacle dansé de patinage, la Cour d’appel de Paris ayant en effet vu dans le choix de cette dénomination la volonté de ces artistes de créer, dans l’esprit du public, une confusion évidente avec les spectacles chorégraphiques habituellement produits par la célèbre compagnie 74.

Le rattachement indiscret à l’entreprise concurrente a également pu être établi dans le domaine particulier de l’édition musicale, à travers l’utilisation de l’appellation d’une célèbre musique de film.

En effet, alors que Vladimir Cosma avait créé – pour la bande originale du film « Diva » – une œuvre composite à partir d’un célèbre air d’opéra italien tombé dans le domaine public, la société Polygram avait commercialisé un double CD intitulé « Palmarès du cinéma » dont la jaquette mentionnait qu’y figuraient « les plus belles musiques de films ».

Si, ainsi que le relèvera la Cour, « tout concourait [donc] à faire penser que les musiques enregistrées étaient les bandes originales des films », l’enregistrement litigieux figurant dans le CD n’était en réalité pas celui de la bande originale mais celui du célèbre air d’opéra italien dont M. Cosma avait écrit l’arrangement pour composer la partition musicale du film Diva, inscrite à la SACEM sous ce titre « Diva » : ayant qui plus est relevé que ce titre était mentionné « au dos du coffret en caractère gras et large avec seulement en dessous, en petits caractères et entre parenthèses, l’indication « Catalani : La Wally », la Cour d’appel de Paris considéra donc que la société Polygram avait commis une faute « s’apparentant à un acte de parasitisme », la présentation trompeuse du disque traduisant selon elle « la volonté délibérée de la société Polygram de s’emparer de la notoriété conférée à la partition de Catalani par l’arrangement de M. Cosma, afin de distribuer le CD à un large public pour lequel la musique faisait partie intégrante du film » 75.

Par extension, pourrait également être cité au titre de l’usage de termes notoirement connus le cas particulier et difficilement classable du parasitisme du code d’accès à un kiosque télématique.

S’il n’est en effet ni un signe distinctif, ni une marque protégée, la jurisprudence vient cependant protéger contre toute usurpation un tel code d’accès en tant que « moyen technique d’exploitation d’une activité commerciale ».

Aussi la Cour d’appel de Paris est-elle venue voir dans la création et l’exploitation commerciale d’un code d’accès similaire à celui d’ores et déjà exploité par un concurrent un fait parasitaire, le rattachement indiscret résultant de ce que le parasite trouve ainsi le moyen « de s’insérer dans une activité commerciale existante et similaire » et « d’en profiter à ses dépens » 76.

d – L’implantation de son commerce à proximité d’un concurrent

Le rattachement indiscret peut également résulter de la seule installation par le parasite de son commerce dans la même localité qu’un concurrent, le parasitisme étant d’autant plus fort que le nom de cette localité se trouve être lié à la qualité du produit commercialisé par ce dernier.

Doit inévitablement ici être citée la jurisprudence « Baccarat » dont ont eu à connaître la Cour d’appel de Nancy et la Cour de cassation : la Chambre commerciale, en effet, est dans cette affaire venue approuver la Cour d’appel de Nancy d’avoir condamné pour « activité parasitaire » une cristallerie au paiement de dommages et intérêts aux motifs que celle-ci, en installant son usine à proximité de Baccarat et en fixant son siège social à Baccarat même, qui plus est à peu de distance du magasin d’usine de la Compagnie des cristalleries de Baccarat ainsi qu’en ouvrant au même lieu un magasin, « a entendu, ne serait-ce qu’inconsciemment sans intention de nuire à la Compagnie et de la concurrencer, profiter de la renommée dont celle-ci a fait bénéficier la ville de Baccarat en tant que cité cristallière »77.

La jurisprudence, néanmoins, semble fluctuante sur ce point.

En effet, alors que la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger en 1974 que constituait un acte de concurrence parasitaire le fait pour une entreprise de s’installer dans les locaux anciennement occupés par une autre entreprise avec le même objet, la même enseigne et le même papier commercial 78, cette même Chambre est en revanche venue déclarer en 1983 que le commerçant qui, sans participer à une foire, tire néanmoins profit de celle-ci en annonçant à ses clients qu’il leur offre – du fait de l’économie réalisée par sa non-participation à cette manifestation – ses produits à des prix défiant toute concurrence pendant toute la durée de ladite foire ne se rend nullement coupable de parasitisme, ne faisant en effet « qu’user du droit dont dispose tout commerçant dans un système de libre-concurrence » et ce, dès lors qu’une foire-exposition a pour fonction de créer une incitation dynamique « dont peut bénéficier l’ensemble du commerce local » 79.

De même encore peut-on légitimement s’étonner de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 4 Mars 1982 dans lequel la Cour avait eu à connaître des agissements de la société Céline, société qui avait adopté une politique d’implantation pour le moins parasitaire consistant en effet à installer prioritairement ses différents points de vente dans des villes où s’était d’ores et déjà implantée la prestigieuse société Hermès.

Or, la Cour d’appel de Paris refusa, contre toute attente, de prononcer la condamnation de la société Céline, ayant en effet estimé que « Le simple fait pour une entreprise d’ouvrir des magasins dans les mêmes villes que celles où son concurrent avait lui-même des points de vente et d’introduire dans sa gamme des produits identiques aux siens n’était pas constitutif de concurrence parasitaire »80.

e – La technique des tableaux de concordance

Nous retrouvons donc ici le secteur spécifique de la parfumerie au sein duquel l’inspiration des parasites est décidément sans limites…

Un principe a en effet été établi par les tribunaux, lequel consiste à dire que celui qui, dans le secteur particulier de la parfumerie dont les marques jouissent en effet d’une assez grande notoriété, vend des produits non authentiques – lesquels sont d’ailleurs généralement de mauvaise qualité – en établissant une concordance entre ceux-ci et des produits de grande marque, tente alors d’exploiter la notoriété de ces marques de telle sorte qu’il vient en affaiblir le pouvoir distinctif et doit donc être condamné sur le fondement du parasitisme.

Ainsi la jurisprudence vient-elle non seulement sanctionner la mention, à titre de comparatif, de marques connues dans des tableaux de concordance mais aussi sanctionner les simples références aux noms commerciaux ou dénominations sociales des entreprises titulaires de celles-ci, pratique qui donc est avant tout spécifique du secteur de la parfumerie.

Peut être cité, parmi une jurisprudence assez peu fournie, l’arrêt de principe en la matière, lequel fut rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 Décembre 1985.

Dans cette espèce en effet, la Cour de cassation, après avoir constaté que la référence à la marque de parfum Amazone constituait un support publicitaire et un important argument de vente pour les parfums Romain d’Honville et que le tableau de concordance provoquait une confusion dans l’esprit de l’acheteur entre les senteurs de ces parfums, puis après avoir relevé que le produit de parfumerie en cause était présenté comme la réplique d’un autre produit de parfumerie de marque notoirement connue et que cette présentation avait pour effet de remplacer au moment de la vente le produit de grande marque que souhaitait le client par un autre produit, a dès lors approuvé la Cour d’appel d’avoir condamné le titulaire de la marque « Romain d’Honville » pour des actes de concurrence parasitaire ayant ici pris la forme des infractions d’usage illicite et d’usurpation de marque ainsi que de celle de substitution frauduleuse de produit 81.

3) L’usage des pratiques d’appel

Ces pratiques que sont d’une part la technique du prix d’appel (a) et d’autre part celle de la marque d’appel (b) constituent une hypothèse classique de « rattachement indiscret ».

a – La technique de la marque d’appel

La pratique de la marque d’appel consiste pour un commerçant à faire usage d’une marque connue, apposée sur la vitrine de son magasin ou mise en avant sur un quelconque document publicitaire, afin de favoriser la vente d’articles d’une autre marque : la jurisprudence en effet est plus précisément venue définir cette pratique comme consistant « à faire de la publicité pour un produit d’une marque déterminée que le commerçant ne détient en réalité qu’en faible quantité, ce qui lui permet d’attirer la clientèle et de lui vendre les produits d’une autre marque » 82.

Or, si cette pratique peut être aujourd’hui sanctionnée par les tribunaux répressifs au titre de l’utilisation sans autorisation de la marque d’autrui 83 – et donc comme étant constitutive d’une contrefaçon de marque – ou de la publicité fausse ou de nature à induire en erreur, la pratique de la marque d’appel peut aussi et surtout être sanctionnée au titre de la concurrence déloyale ou parasitaire comme en témoigne l’arrêt rendu en 1985 par la Cour d’appel de Lyon dans lequel fut condamné pour contrefaçon et concurrence parasitaire le revendeur qui, dans la mesure où il faisait usage dans le cadre de son activité de bons de commande portant la marque « Levi’s » alors même qu’il ne commercialisait pas les produits de cette marque, avait – selon la Cour – « spéculé sur la notoriété de la marque Levi’s »84.

A cette pratique de la marque d’appel, est par ailleurs souvent combinée celle du prix d’appel…

b – La technique du prix d’appel

Le « prix d’appel » est un procédé commercial qui consiste à effectuer une importante publicité sur un faible nombre de produits généralement de marque réputée et vendus à très bas prix et ce, alors que l’auteur de cette pratique sait ne pas disposer d’un stock suffisant pour satisfaire à l’ensemble des ventes susceptibles d’être engendrées par une telle publicité, espérant donc – car là réside, pour le commerçant, l’ « intérêt » d’une telle pratique – que les clients attirés par la publicité soient conduits à acquérir d’autres produits vendus, eux, au prix « fort ».

Si elle ne fait en tant que tel l’objet d’aucun texte répressif, la technique du prix d’appel peut néanmoins être condamnée comme étant constitutive du délit de vente à perte ou comme étant constitutive d’une publicité mensongère, laquelle laisse en effet croire à la disponibilité de stocks qui sont en réalité inexistants.

De même la victime d’une telle pratique peut-elle agir à l’encontre de son auteur par le biais de l’action en concurrence déloyale ou parasitaire. Fut ainsi jugée constitutive d’un acte de parasitisme la technique ayant consisté pour un hypermarché à faire figurer dans son catalogue publicitaire, parmi les promotions, des chaussures de marque « Ted Lapidus » à un prix très avantageux alors qu’il n’en détenait en réalité en réserve que…quatre paires 85.

M. Le Tourneau cite par ailleurs l’exemple d’un arrêt venu condamner une habile manœuvre parasitaire qui, tout en s’apparentant fortement à une pratique d’appel, ne pouvait être qualifiée ainsi : la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en effet, est venue dans un arrêt du 21 Juin 1994 décidé qu’ « Après avoir relevé qu’une société vendait des vêtements pour enfants revêtus d’une marque à des prix très inférieurs aux prix pratiqués, en faisant une promotion dans la vitrine située à proximité d’un magasin vendant dans des conditions normales les produits licitement revêtus de la marque du promoteur du réseau de distribution sélective, une cour d’appel peut décider que ce comportement parasitaire manifeste une volonté de parasitisme constituant une faute de concurrence déloyale »86.

Si la proximité géographique d’ores et déjà évoquée avec la jurisprudence Baccarat fut donc ici prise en considération pour établir le comportement parasitaire du commerçant, cet arrêt peut également être analysé comme la sanction d’un acte de parasitisme du réseau de distribution sélective en cause, hypothèse qu’il nous faut à présent envisager.

4) Le parasitisme des réseaux de distribution

Un principe doit ici être posé en vertu duquel le parasitisme des réseaux de distribution exclusive n’est nullement sanctionné par la jurisprudence car il n’est en effet pas possible – la protection territoriale absolue de la zone d’exclusivité étant prohibée et les importations parallèles licites – d’interdire à un tiers distributeur non exclusif d’acquérir des produits contractuels pour les revendre à l’intérieur du territoire concédé.

En effet, s’il ne peut en aucun cas contraindre le fournisseur tenu d’une obligation d’exclusivité à l’approvisionner, le tiers distributeur non exclusif peut en revanche parfaitement – et sans se rendre, ce faisant, coupable de concurrence déloyale ou parasitaire – s’approvisionner auprès d’un fournisseur non lié par l’accord d’exclusivité en cause ou même s’approvisionner en dehors du territoire concédé pour revendre ensuite, sur ce territoire, la gamme de produits couverte par l’obligation d’exclusivité.

La jurisprudence applicable au parasitisme des réseaux de distribution sélective, en revanche, fut consacrée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans une série d’arrêts rendus le 27 Octobre 1992.

S’ils viennent d’abord confirmer le principe général d’ores et déjà posé par la Cour de cassation dès 1988 87 en vertu duquel « le seul fait d’avoir commercialisé un produit relevant d’un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même, indépendamment de tout autre élément, un acte de concurrence déloyale susceptible d’entraîner la mise en jeu de la responsabilité du distributeur tiers au réseau », les arrêts de 1992 – sans remettre en cause le principe d’irresponsabilité du distributeur hors réseau – viennent cependant préciser la nuance introduite par la Cour dès 1988 lorsqu’elle prenait soin de préciser « …indépendamment de tout autre élément… ».

Ainsi, s’il est toujours vrai que « le (seul) fait, (pour un distributeur hors réseau), de commercialiser des produits relevant d’un réseau de distribution sélective ne constitue pas en lui-même un acte fautif » 88, les conditions dans lesquelles l’acquisition et / ou la revente de ces produits s’est effectuée peuvent toutefois conduire à la mise en jeu de sa responsabilité extracontractuelle : la commission d’une faute, en effet, est (logiquement) nécessaire, les tribunaux opérant donc une distinction entre la faute commise à l’occasion de l’approvisionnement en produits (a) et celle commise lors de la commercialisation de ces produits (b).

a – Dans le cadre de l’approvisionnement en produits

Une série d’arrêts rendus en 1988 et 1989 sont venus poser le principe selon lequel « Un intermédiaire non agréé dans un réseau de distribution sélective commet une faute en tentant d’obtenir d’un distributeur agréé, en violation d’un contrat le liant au réseau, la vente de produits commercialisés selon ce mode de distribution » 89 : ainsi était-il admis que « s’approvisionner auprès d’un membre du réseau méconnaissant ainsi ses obligations constituait une faute, conformément au principe général qu’est fautif celui qui aide autrui à violer ses engagements contractuels » 90.

Cependant, l’administration de la preuve de la faute du distributeur parallèle – en ce qu’il s’est en effet rendu complice de l’inexécution de l’obligation contractuelle imputable à un distributeur sélectionné – était extrêmement rigoureuse pour le promoteur du réseau tenu d’identifier le distributeur agréé qui avait fourni le tiers distributeur parallèle pour que la responsabilité de ce dernier puisse être engagée.

Ainsi est-ce au stade de la preuve que le revirement est intervenu, la Cour estimant désormais que le refus du distributeur hors réseau de faire connaître ses sources d’approvisionnement et donc « de justifier la provenance des marchandises » 91 suffit à révéler le caractère illicite de celui-ci et permet donc de retenir à sa charge un acte de concurrence parasitaire : le silence du tiers sur sa source d’approvisionnement est donc coupable car il est dans ce cas présumé avoir acquis les produits litigieux d’un distributeur sélectionné et s’être rendu complice de la faute contractuelle de ce dernier, sa responsabilité pouvant donc être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.

b – Dans le cadre de la revente des produits

Si donc le seul fait de commercialiser de tels produits « ne constitue pas en lui-même un acte fautif », la jurisprudence a en revanche déduit de la non soumission du tiers aux règles applicables au sein du réseau ainsi que de l’appropriation par celui-ci des efforts publicitaires du réseau des faits distincts de parasitisme, l’affaire « Léonidas » en constituant un bel exemple.

En effet, avant de sanctionner le fait de mettre en vente des produits litigieux dans un conditionnement comportant la mention usurpée « Les produits Léonidas ne peuvent être vendus que par un revendeur dûment autorisé à cet effet » dans la mesure où cette mention était « de nature à favoriser la vente et à faire croire à la clientèle que le vendeur a la qualité de distributeur agréé » 92, la Cour d’appel de Paris est venue confirmer la tendance amorcée en 1992 par la Cour de cassation en posant le principe selon lequel :

« Si le seul fait de s’immiscer dans la distribution de produits de marque réservés par le fabricant à des distributeurs agréés ne constitue pas en soi une faute, le fait pour une société qui n’est pas au nombre des distributeurs du réseau de commercialiser des produits sans être soumise aux contraintes habituelles des revendeurs agréés et de bénéficier en outre de la valeur publicitaire de la marque pour développer sa propre commercialisation est une attitude caractéristique du parasitisme » 93.

92 Dans le même sens : Cass. Com. 27 Oct. 1992, 1° SA Etabl. Goguet et a. c/ Soc. des Parfums Rochas, D. 1992, Jur. p. 505 et s. et 2° SA Etabl. Goguet c/ SA des Parfums Christian Dior, D. 1992, I.R. p. 274 ; Cass. Com. 9 Avril 1996, Soc. Angdis c/ SA des Parfums Christian Dior et a., D. Aff. 1996, p. 681.

93 CA Paris (4ème ch.) 7 Juin 1995, Gaz. Pal. 1996, I, Somm. p. 145.

Dans un sens voisin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue le 18 Octobre 1994 souligner que si le fait pour un revendeur de s’approvisionner sur un marché parallèle ne constituait pas en soi une faute, le parasitisme résultait néanmoins de ce que les produits litigieux étaient vendus dans des magasins proposant au public des articles bas de gamme ou des produits sans rapport avec ceux en cause et de ce que le personnel n’avait « ni les connaissances, ni les compétences que tout consommateur est en droit d’attendre du vendeur d’un produit d’une certaine notoriété […] », autant d’éléments portant atteinte à la renommée du réseau 94…

94 – Cass. Com. 18 Oct. 1994, SA Time and diamonds c/ SA Monting, D. 1995, Somm. p. 261, obs. Serra Y. ; D. 1996, Jur. p. 311 et s., note Krimmer I. ; D. 1997, Somm. p. 61 et s. – Sur pourvoi de : CA Paris (5ème ch.) 2 Oct. 1992, SA Time and diamonds et a. c/ SA Compagnie générale de l’horlogerie et a., D. 1993, I.R. p. 28

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Le parasitisme économique : passe, présent et avenir
Université 🏫: Université Lille 2 - Droit et santé - Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur PETIT Sébastien

Monsieur PETIT Sébastien
Année de soutenance 📅: Mémoire - D.E.A. Droit Des Contrats Option Droit Des Affaires - 2001-2002
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