La répression ou les conséquences pénales du suicide

La répression ou les conséquences pénales du suicide

Titre premier : l’apparente liberté du suicide 

Le droit ne dit mot, ou presque de la mort volontaire. Cependant, il ne faut pas croire qu’il s’en désintéresse. On pourrait croire que comme le droit n’incrimine pas spécifiquement le suicide, chacun est libre de se tuer.

Actuellement, aucune action judiciaire n’est engagée contre quelqu’un qui s’est donné la mort ou qui a tenté de le faire.

Pourquoi ? Parce que punir un mort ne sert à rien. Certes, mais encore. Parce que le droit reconnaît qu’il est de la liberté de chacun de mettre un terme à sa vie quand le moment semble venu.

La liberté s’entend d’une situation garantie par le droit, c’est l’exercice sans entrave d’une faculté72.

C’est l’apparente neutralité du droit face au suicide qui fait penser que le suicide est devenu une liberté. Cette neutralité vient du fait qu’avec le temps le suicide n’a plus été réprimé pénalement et que même en droit civil, il commence à ne plus être envisagé comme une faute.

Pourtant, l’exercice de cette prétendue liberté n’est pas sans incidence sur l’ordre social et moral de la société.

La mort volontaire trouble l’ordre et a des répercussions aussi bien en droit pénal qu’en droit civil. Le droit n’a pas toujours traité le suicide de la même manière, et les solutions juridiques actuelles sont le fruit d’une longue évolution.

C’est pourquoi si le suicide n’est plus, aujourd’hui, juridiquement punissable, nous étudierons en premier lieu comment cette dépénalisation a vu le jour (chapitre I).

Dans un second temps, nous nous attacherons non plus à la répression mais à la réparation du suicide et de ses conséquences (chapitre II).

Chapitre I. La répression ou les conséquences pénales du suicide

Le suicide, ou homicide de soi, pourrait par définition intéresser le droit pénal. Le droit pénal dresse une liste de comportements répréhensibles et punis juridiquement. Le fait de se donner la mort trouble dans une certaine mesure l’ordre de la société.

Dans ce premier chapitre nous étudierons la répression du suicide en partant de l’évolution historique (section 1) pour ensuite évoquer les origines directes de notre actuelle législation (section 2).

Section 1. La répression dans l’histoire

L’histoire fait évoluer les mœurs et les mentalités. Elle fait également évoluer le droit.

C’est pourquoi la position face à la répression du suicide a changé avec le temps. Ces changements s’étalerons depuis l’antiquité (§1) jusqu’à la veille de la Révolution française (§2).

§ 1. L’Antiquité

La question du suicide existe depuis toujours. En étudiant la position de l’antiquité face à la répression du suicide, nous remontons aux plus anciennes civilisations, cette période historique s’écoulant des premiers temps à la chute de l’Empire romain.

L’Antiquité offre un certain nombre de suicide, comme par exemple le suicide des grecs Pythagore et Socrate et des romains Cicéron et Virgile.

Nous choisissons d’étudier plus particulièrement ces deux civilisations. Nous envisagerons la position de Rome (A) avant d’étudier comment les Grecs appréhendaient la question (B).

A. Le droit romain et le suicide

Notre droit actuel est directement inspiré du droit romain, c’est pourquoi nous nous proposons d’étudier de quelle manière les romains appréhendaient le suicide. A cet égard nous tenons à mentionner le très beau travail accompli par Yolande Grisé dans son ouvrage, issue de sa thèse, Le suicide dans la Rome antique.

Contrairement à ce que nous aurions pu croire, l’antiquité romaine n’est pas particulièrement hostile au suicide. A Rome, le suicide ne pose pas d’autre problème juridique que celui du sort des biens du défunt, même si la position romaine va évoluer avec le temps.

Sous la République le suicide semble resté impuni. Deux types de suicide sont à mentionner : le suicide choisi avant un procès et le suicide imposé.

Au premier siècle avant J.-C. un texte prévoit que, dans le cas d’une action judiciaire pour réprimer un crime, la mort volontaire d’un accusé suspendait la procédure en cours et éteignait les conséquences pénales73. A Rome, lorsqu’une personne était accusée, elle encourait comme peine, entre autre, la confiscation de ses biens.

C’est pour cela que certaines personnes préféraient se tuer pour ne pas subir cette peine.

Il apparaît que pour confisquer les biens d’une personne il fallait un jugement contre elle, et que si elle s’était donnée la mort avant que le jugement ne soit rendu, la confiscation ne pouvait pas avoir lieu.

Le suicide semble être assimilé « à la mort naturelle »74 car il a les mêmes conséquences. Les biens du défunt, suicidé, ne sont pas confisqués par l’Etat et la famille peut hériter de manière normale, le testament du suicidé restant valable.

De plus, un texte de Tacite montre bien qu’au début de l’Empire le suicide était un moyen d’échapper à la condamnation et à la confiscation des biens et ainsi de sauver sa famille.

« Ce qui expliquait l’empressement à se donner la mort, c’était la crainte des bourreaux ; comme les condamnés, outre la confiscation de leurs biens, étaient privés de sépulture, mais que ceux qui se donnaient la mort savaient que leur testament serait respecté, il valait la peine de hâter sa mort »75.

Le suicide permettait de pouvoir transmettre l’héritage à la famille du suicidé. Pourtant certains autres textes relatent des cas de suicide où les biens étaient quand même saisis.

Ceci n’est pas contradictoire et trouve une explication, non dans le fait que les romains faisaient preuve d’arbitraire76 dans leur condamnation, mais dans le fait que pour être « salvateur » le suicide devait remplir certaines conditions.

Pour empêcher la condamnation, le suicide doit intervenir avant l’ouverture de l’action pénale.

C’est parce que l’action pénale n’a pas été ouverte que la confiscation des biens ne peut avoir lieu. Pour cette raison, le suicide qui intervient après que la procédure ait commencé n’a pas d’influence sur la sentence.

Ceci explique que « l’on cherchait tant à les77 retenir en ce monde jusqu’à leur comparution forcée »78 car « c’était là l’unique moyen d’assurer légalement la confiscation de leurs biens »79.

Outre le suicide avant un procès, il existait un autre type de suicide, le suicide imposé. Cette expression doit être comprise dans le contexte romain et ne doit pas être envisagée avec notre connaissance actuelle du suicide80.

Le liberum mortis arbitrium, nom légal du suicide imposé, est une sorte d’aménagement de la peine capitale. « Le condamné évitait la décapitation ou l’exécution publique (…) et des funérailles rituelles étaient accordées à sa dépouille mortelle »81.

Citons l’exemple de Sénèque qui, ayant reçu l’ordre de mourir, fut condamné à boire la ciguë82.

Non seulement le suicide n’était pas puni en droit romain sous la République mais il semblait encouragé, puisqu’il pouvait remplacer la peine capitale et procurer des avantages religieux et patrimoniaux en cas de procès83.

76 Mme Grisé l’explique par le fait que si arbitraire il y avait, Tacite ne se serait pas privé d’en faire état pour ajouter au discrédit d’un régime qu’il dénonçait, GRISE (Y.), op. cit., p. 253.

77 Le terme «Les» renvoie aux accusés.

78 GRISÉ (Y.), op. cit., p. 254.

79 Ibid.

80 Actuellement obliger une personne à mettre fin à ses jours est réprimé.

81 GRISÉ (Y.), op. cit., p. 257.

82Sénèque but vainement la ciguë, car il n’avait pas suffisamment de chaleur vitale, de plus le poison aurait été inopérant car mal conservé. GRISE (Y.), op. cit., p. 110, note n° 131 et p. 257.

83 GRISÉ (Y.), op. cit., p. 258

Au IIème siècle la législation romaine va établir une sorte de hiérarchie entre les suicides, par rapport d’une part, aux raisons qui les ont motivés, et d’autre part à la qualité sociale du suicidé. Tout d’abord, chez les hommes libres, la loi tolère certains motifs de suicide84.

Le dégoût de la vie, la douleur physique, le deuil d’un être cher, la folie étaient des raisons valables de se suicider85.

Le suicide avant un procès ne permet plus de passer outre la confiscation des biens. L’Etat aurait perdu beaucoup d’argent en admettant ce suicide comme mode d’extinction de l’action pénale.

« Le suicide calculé du prévenu fut considéré comme un aveu de culpabilité »86 et ne fait plus « échec à la confiscation des biens »87.

Cette mesure n’était pas une mesure de répression du suicide mais seulement une mesure fiscale visant à empêcher le suicide « frauduleux ». Si le suicidaire n’était pas mort, aucune sanction n’était prise contre lui, il voyait ses biens confisqués car c’était là l’application de la peine à laquelle il avait été condamné88.

Par contre, le suicide était fortement réprimé chez les militaires, car il était considéré comme une tentative de désertion. Le soldat engageant toute sa personne au service de l’armée ne pouvait pas disposer de son corps89.

C’est pour cela que même la tentative était punie pour les militaires.

Enfin chez les esclaves, il ne semble pas que le suicide soit prohibé. Une loi reconnaît aux esclaves le droit de disposer de leur vie90.

Le maître ne peut rien faire contre le suicide de son esclave. Les raisons de cette absence de répression du suicide des esclaves résident dans le fait que l’Etat ne trouve pas intérêt à cette répression.

Ceci car les esclaves ne possédaient rien, et n’étaient pas capables de tester91.

Le suicide d’un esclave ne pose pas de problème sauf peut être en cas de tentative, car le maître conservant son droit de correction pouvait punir l’esclave si cela lui semblait être nécessaire92.

Ainsi à Rome l’opinion, globalement plutôt favorable, par rapport au suicide évolua au cours du temps et suivant la condition sociale du suicidé. Mais cette position se durcira.

B. Les Grecs et le suicide

On note chez les Grecs plusieurs tendances contradictoires. Qu’ils soient pour ou contre ou d’opinion plus mitigée, les Grecs s’intéressent au suicide. D’un côté Aristote condamne le suicide qui est pour lui un acte de lâcheté.

« Il assimile le suicidé à un soldat déserteur »93. D’une manière générale, les pythagoriciens sont contre le fait de se donner la mort. Deux raisons sont avancées pour justifier cette position.

Tout d’abord, « l’âme doit effectuer son expiation jusqu’au bout »94 et le suicide pourrait rompre l’harmonie des rapports numériques régissant l’association de l’âme et du corps.

Ceci n’a tout de même pas empêché Pythagore de se suicider, il « se serait laisser mourir de faim par lassitude de la vie »95.

Pour Platon, la sépulture publique doit être refusée à « celui qui se sera tué lui-même qui, de force, frustre la destinée du lot qui est le sien »96, le suicidé devra être enterré « dans un lieu isolé, sans aucune stèle »97.

D’un autre côté, il semble que si Platon ne se prononce pas en faveur de la mort volontaire, il admet certaines exceptions98.

L’enterrement anonyme n’est pas appliqué à celui qui s’est tué « par un arrêt émanant de la Cité ni par les souffrances aiguës d’un mal accidentel à l’assaut duquel il ne peut échapper, ni non plus parce que le sort qui lui est fait est d’une ignominie sans issue et invivable »99.

Pour finir, un courant radicalement opposé reconnaît le droit à l’individu de se tuer. Ce courant est représenté par les cyniques, les épicuriens et les stoïciens. Sénèque de justifier ce droit : « le sage vit autant qu’il doit et non autant qu’il peut.

S’il est en butte à des ennuis qui troublent sa tranquillité, il se libère (…) La vie te plaît ? Vis. Elle ne te plaît pas ? Tu peux retourner d’où tu es venu… »100.

Cette pluralité d’opinion a des conséquences sur le droit.

Certaines cités, comme Athènes, Spartes ou Thèbes prévoient des sanctions contre les suicidés d’autres non, même si la pratique semble indulgente quant à l’application des peines101. Si les Grecs ont tous une opinion sur la question de la mort volontaire, c’est peut être parce que la Grèce va connaître des suicides » légendaires «.

Citons en exemple, le cas de Socrate condamné par la cité athénienne à boire la ciguë. Ceci a été assimilé au suicide, comme pour Sénèque à Rome.

L’antiquité a donc eu une position plutôt «favorable» au suicide. Cette position s’est durcie au fil du temps.

Au troisième siècle, « le suicide sans raison valable peut-être suivi de sanctions, et celui qui épouse une veuve de suicidé sera puni d’infamie »102.

D’une manière progressive, l’hostilité au suicide va prendre place dans le droit vers la fin de l’Antiquité. Cette hostilité va continuer à se développer dans l’ancien droit français, notamment avec la position de l’Eglise.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le droit face à la mort volontaire
Université 🏫: Université De Lille Ii-Droit Et Sante - Mémoire pour le DEA de droit social, mention droit de la santé
Auteur·trice·s 🎓:
Aude Mullier

Aude Mullier
Année de soutenance 📅:
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