La condamnation du parasitisme soumise à conditions

La condamnation du parasitisme soumise à conditions

b – Une condamnation soumise à conditions

Le détournement de la notoriété d’un concurrent par l’exploitation injustifiée de la notoriété de ses emballages, étiquettes…, c’est à dire plus généralement de la présentation originale qu’il a su donner à ses produits, suppose logiquement – selon les termes employés en doctrine – l’existence d’un « caractère distinctif » 154 ainsi que d’un « référentiel » dans l’esprit du public, ce qui a pu conduire la jurisprudence à exiger – pour assurer la protection du conditionnement ou de la forme d’un produit 155 – que soient préalablement établies par l’entreprise demanderesse « les caractéristiques qui lui confère sa singularité et en font un signe de ralliement pour la clientèle » 156.

Parce que le but recherché par l’entreprise parasite est de détourner à son seul profit le référentiel « acquis » par le consommateur pour tel ou tel type de produit, les tribunaux s’attacheront dès lors à apprécier le risque de confusion qui en résulte de la manière la plus traditionnelle qui soit, c’est à dire – selon la formule traditionnellement reprise en jurisprudence – par rapport au « consommateur moyennement avisé n’ayant pas simultanément les deux produits sous les yeux » 157.

Par ailleurs, les différents cas d’espèce précédemment envisagés auront permis de constater que les tribunaux, dans le cadre de leur appréciation du risque de confusion, s’attachent davantage à l’ « impression d’ensemble » qu’aux détails : ainsi la Cour d’appel de Paris, dans le dernier cas cité 158, a-t-elle pu énoncer qu’il convient, pour déterminer le risque de confusion, « de procéder à un examen global des emballages (ou étiquettes…) en comparaison et de dégager l’impression d’ensemble que chacun procure » de telle sorte qu’il conviendra – si les éléments en comparaison présentent davantage de différences que de similitudes et si aucun risque de confusion n’existe donc – de rejeter toute accusation de parasitisme…car un autre principe doit encore être dégagé.

154 Entre autres, CA Douai 1er Mars 1962, Ann. Propr. Ind. 1964, p. 72, CA Paris 9 Mai 1985, R.I.P.I.A. 1985, p.225. Ce caractère distinctif peut résulter de « la nouveauté tant du produit que de la forme de son emballage » (CA Paris 21 Mai 1987, R.D.P.I. 1987, n° 13, p. 169), de l’existence d’ « une création propre et originale » dans le sens de « non banal » et non dans celui qui lui est donné par le droit de la propriété intellectuelle (CA Paris 22 Oct. 1987, P.I.B.D. 1988, n° 431, III, 170).

155 …et, par hypothèse, en l’absence de tout droit privatif au titre de la législation relative aux dessins et modèles.

156 CA Paris (4ème ch.) 7 Janv. 1988, Dior c/ J. Couturier, Ann. Propr. Ind. 1989, p. 271.

157 Un parallèle peut ici être établi avec le « bon père de famille » bien connu des civilistes…

En effet, alors que l’acte contrefaisant – par le biais de la méthode analytique – s’apprécie traditionnellement en fonction des ressemblances et non des différences, l’acte parasitaire – lui – s’apprécie d’abord en fonction des différences en vertu de ce souci sans cesse croissant de privilégier et donc de croire (sans doute trop naïvement, surtout dans le cadre de stricts rapports concurrentiels…) en la bonne foi des opérateurs économiques.

c – L’existence de faits justificatifs

L’image pénale, en effet, nous apparaît juste dans la mesure où les ressemblances ou similitudes constatées dans la présentation donnée aux produits sont non seulement susceptibles d’être justifiées par diverses contraintes ou données fonctionnelles (1°) mais aussi de l’être en raison de l’existence de normes professionnelles ou de standards à respecter impérativement (2°).

1° – L’existence de contraintes ou de données fonctionnelles

Une jurisprudence s’est établie en vertu de laquelle sont justifiées et donc non sanctionnables les similitudes qui, constatées dans la présentation externe d’un produit, sont cependant imposées par divers impératifs techniques à l’image, notamment, de la forme de pots de yaourt « commandée par des données fonctionnelles inhérentes aux évolutions de la technique » 159 ou de barquettes « imposée par la dimension des steaks à y contenir » 160 mais aussi de la présentation de cahiers de vacances « dictée par le contenu des programmes » à respecter 161 ou, selon un exemple bien connu, de la présentation et de la typographie de magazines de télévision au sein desquels « la liste et les intitulés des émissions à mentionner sont obligatoirement les mêmes » 162…

158 CA Paris (4ème ch.) 7 Janv. 1988, Dior c/ J. Couturier, réf. précitées.

159 CA Paris (4ème ch.) 26 Nov. 1982, Soc. Sodima c/ Chambourcy, P.I.B.D. 1983, III, 78.

160 CA Paris (4ème ch.) 22 Fév. 1989, Soc. Ise c/ Soc. Omni Pac, Cah. Droits d’auteur 1989, n° 20, p. 15.

161 CA Paris (1ère ch.) 9 Nov. 1988, Soc. Guérault c/ Soc. Nathan, D. 1989, I.R. p. 294.

162 Trib. Com. Paris 1er Mars 1988, Soc. Hachette c/ Soc. EDI, P.A. 25 Mai 1988, p. 28.

L’argument fut en revanche rejeté s’agissant de la similarité de flacons de shampooing, la Cour d’appel de Toulouse ayant très finement relevé que « Les ressemblances relevées ne sont pas la conséquence nécessaire de la nature du produit conditionné car, en matière de conditionnement en carton, les techniques actuelles, tant de la cartonnerie que de l’imprimerie, permettent la réalisation d’une infinité de formes, de graphismes et de couleurs et ouvrent donc de très larges possibilités pour éviter toute ressemblance avec un conditionnement concurrent » 163.

Au titre des contraintes ou données fonctionnelles, doit encore être cité le fait justificatif pour le moins original qui fut mis en exergue par la Cour d’appel de Versailles le 16 Janvier 1997, à savoir celui…des « tendances du moment ».

En effet, les faits de l’espèce avaient notamment révélé qu’une société commercialisant des meubles et des biens d’équipement et de décoration pour la maison sous l’enseigne Fly avait entrepris de modifier la présentation de son catalogue afin d’ « adopter un style très proche » de celui diffusé par la société Habitat concurrente puisque commercialisant le même type de biens : alors qu’elle s’estimait confrontée au parasitisme de la première société, la société Habitat s’est étonnamment vue opposer – sur ce point – par la Cour d’appel l’argument selon lequel l’une comme l’autre s’étaient – pour la présentation de leur catalogue annuel – « inspirées des modes et tendances du moment » et n’avaient par là même fait que se soumettre aux « considérations techniques » imposées par ce type de présentation, ce qui conduisait donc à écarter tout effort créatif prétendument fourni par la société Habitat 164.

2° – L’existence de normes professionnelles ou de standards

Si les normes peuvent être définies comme les spécifications techniques adoptées par un organisme de normalisation dont le plus connu est sans nul doute l’Association Française de Normalisation (AFNOR), les standards – eux – sont, selon M.Bertrand, « des spécifications techniques qui soit sont adoptées d’un commun accord par les professionnels, soit s’imposent de facto à l’ensemble des industriels de par leur utilisation par le leader du marché »165.

Ainsi, si elle admet la similitude dans la forme de produits ou de conditionnements lorsque celle-ci « répond à une politique commerciale de normalisation des produits qui ne (peut) être considérée comme une pratique déloyale constitutive d’une faute » 166, la jurisprudence – en revanche – sanctionne le parasitisme qui consiste à reproduire « non seulement…les parties fonctionnelles, où les similitudes sont rendues nécessaires par l’application des normes standard et de moyens ou procédés techniques, mais encore…les parties et les formes non fonctionnelles et même simplement décoratives…manifestant une volonté de créer une confusion inévitable pour une clientèle même avertie » …

163 CA Toulouse (2ème ch.) 20 Mai 1987, Soc. Farbec c/ Soc. PFC, P.I.B.D. 1987, III, 455.

164 CA Versailles 16 Janv. 1997, SA Habitat France c/ SA d’exploitation Rapp SER, D. Aff. 1997, n° 18, Chron. p. 565 et s. ; JCP éd. Ent. 1997, I, Pan. Actu. n° 398, p. 143.

165 Bertrand (A.), cité par M. Marcellin (Y.) in Le droit français de la propriété intellectuelle, Cedat 1999, Huitième partie – Chap. second : La concurrence déloyale par parasitisme économique, p. 792 et s.

166 Cass. Com. 7 Mars 1989, Soc. Allibert c/ Soc. Craemer, P.I.B.D. 1989, III, 461.

Le problème se pose toutefois plus particulièrement lorsque les normes adoptées par l’entreprise leader sur le marché du produit considéré sont copiées sans son autorisation – et donc purement et simplement parasitées – par la concurrence, étant ici plus particulièrement visée la délicate question des produits dits « compatibles » d’ores et déjà étudiée et sur laquelle nous ne reviendrons donc pas.

Au delà d’une simple imitation, l’usurpation portant sur le produit d’un concurrent peut plus gravement encore consister en une reproduction ou « copie » servile dudit produit.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le parasitisme économique : passe, présent et avenir
Université 🏫: Université Lille 2 - Droit et santé - Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur PETIT Sébastien

Monsieur PETIT Sébastien
Année de soutenance 📅: Mémoire - D.E.A. Droit Des Contrats Option Droit Des Affaires - 2001-2002
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