La responsabilité de déterminer le statut de poids problématique

La responsabilité de déterminer le statut de poids problématique

6.2.3 Un continuum de responsabilisation

L’intervention qui recherchait la normalisation du poids s’est considérablement complexifiée. D’abord, elle est le fait de l’individu qui se croit hors-norme. Puis, avec la rationalisation de la mesure du poids hors-norme, cette détermination s’est professionnalisée, elle s’est médicalisée.

Avec l’acquisition du statut de maladie, puis d’épidémie et de pandémie, la responsabilité de déterminer le statut de poids problématique appartient dorénavant aux professionnels de la question et aux gouvernements qu’ils conseillent.

La responsabilisation progressive s’observe aussi au niveau du site où l’intervention doit avoir lieu. Initialement, elle ne regarde que l’individu. Puis le site de l’intervention s’élargit pour inclure les proches, la famille, les milieux de vie, les aliments et les activités physiques et ainsi de suite. La responsabilisation n’est plus individuelle, elle devient collective.

L’évolution de la responsabilisation se voit aussi dans le type d’intervention. Bien que le poids hors-norme puisse résulter d’un dérèglement pathologique, il est généralement décrit comme la conséquence d’un acte, d’une volonté individuelle et par un encadrement social inadéquat, attribuable notamment aux parents.

L’intervention prend alors un caractère disciplinaire qui se caractérise notamment par l’émergence du concept des conditions nécessaires pour l’individu de faire les bons choix : éducation, formation, accès, environnement favorable. Il sera alors question d’« acquisition de saines habitudes alimentaires » et de « programme d’activité physique » (Chagnon-Decelles D 1997; Corporation professionnelle des médecins du Québec 1988; Gélinas M. D. 1987). À cela, pourra s’ajouter la « thérapie de groupe » afin de soutenir le moral des personnes qui cherchent à régulariser leur poids (Chagnon-Decelles D 1997; Gélinas M. D. 1987; Gélinas M. D. 1991). Ces différentes interventions perfectionnent « les aptitudes indispensables à la vie.

[…] Elles permettent aux gens d’exercer un plus grand contrôle sur leur propre santé et de faire des choix favorables à celle-ci » (OMS 1986). Pour « lutter efficacement contre l’obésité, il faudra faire en même temps l’éducation des jeunes et des familles »143.

La recherche du poids normal est nécessairement tributaire de cette notion de faire les bons choix et que ceux-ci soient accessibles et valorisés socialement. Cette capacité à faire les bons choix est une forme de responsabilisation de l’individu, mais aussi de son milieu et des institutions qui s’y trouvent.

La plus récente édition du Guide alimentaire canadien s’inscrit dans la continuité de ce concept. À sa dernière page, il est écrit : « Bien manger et être actif comportent de nombreux avantages : une meilleure santé globale; une sensation de bien-être et une diminution du risque de maladie; une meilleure apparence; un poids santé; un regain d’énergie; un renforcement des muscles et des os » (Santé Canada 2007a).

En d’autres mots, le sujet moral aura une discipline de vie conforme à ces grands principes.

Pour y arriver, « Les individus constituent la principale ressource sanitaire à […] soutenir » et à qui « donner les moyens de demeurer en bonne santé » (OMS 1986). Néanmoins, cette action devrait avoir lieu « sous les conseils d’éducateurs et de communicateurs » (Santé Canada 2007, 1998). La sanction normalisante est certes l’affaire des professionnels de la santé, mais pas de manière exclusive.

Le virage vers le social

Ainsi, le « dressage » ne peut plus se limiter qu’au seul individu. « On reconnaît les limites de l’intervention centrée sur la personne » (Ministère de la santé et des services sociaux du Québec 1997). Les autorités médicales du pays émettront des réserves quant à l’efficacité de l’intervention centrée sur l’acquisition de saines habitudes alimentaires et sur un programme d’activité physique (Douketis JD et al 1999).

Le dressage ne peut plus se faire par l’individu seul ou par le professionnel de la santé. Il s’élargit à l’entourage. Pour cela, il faudra « vérifier la présence d’un appui social, que ce soit l’implication du conjoint, des membres de la famille, des séances de counseling en groupe » (Chagnon-Decelles D 1997; Gélinas M. D. 1987; Gélinas M. D. 1991).

Le dressage nécessite « désormais la contribution de nombreux acteurs gouvernementaux, communautaires, associatifs et individuels » (Ministère de la Santé et des services sociaux du Québec 2006). L’obésité est « devenue une responsabilité collective »144.

Le dressage par la responsabilisation s’étend de telle sorte qu’il pourra être plus facile pour les individus en « dressage » de mettre en oeuvre leurs aptitudes acquises et ainsi de faire les bons choix. Ainsi, « une solide fondation dans un milieu apportant son soutien, l’information, les aptitudes et les possibilités » (OMS

1986) permettra de faire des choix sains. Plus encore, « la modification des environnements ne peut être envisagée sans la mise en œuvre de réglementations, de législations et de politiques publiques favorables à l’adoption et au maintien de saines habitudes de vie » (Ministère de la Santé et des services sociaux du Québec 2003). Pour ce faire, on développera des Stratégies pancanadiennes intégrées en matière des modes de vie sains (Santé Canada 2005).

Mieux encore, il y aura un Plan d’action gouvernemental de promotion des saines habitudes de vie et de prévention des problèmes reliés au poids (Ministère de la Santé et des services sociaux du Québec 2006) qui mobilisera sept ministères et agences gouvernementales. La responsabilité de créer ces conditions nécessaires est clairement attribuée « aux gouvernements, aux organisations sociales et aux entreprises »145.

Tout ce dressage des individus, des institutions et des milieux semble devenu nécessaire afin de retrouver quelque chose qui se serait perdu en conséquence de quoi l’anomalie aurait pris la juste place de la norme. N’est-il pas question de surexposition à la malbouffe, d’ère de la malbouffe, en opposition à la bonne bouffe? Face à cette menace, il faut donc « revenir à de saines habitudes alimentaires »146 et « retrouver le goût de cuisiner »147. Bref, c’est « toute une rééducation qui est nécessaire » 148.

On parlera alors de l’importance de la normalisation du lien à l’alimentation, de la correction des comportements alimentaires, de l’amélioration des habiletés et des connaissances en matière de préparation des aliments et l’augmentation du niveau d’activité physique et le développement de meilleures relations interpersonnelles. On mentionnera qu’il faut de permettre aux personnes de reprendre du pouvoir sur leurs choix et sur leurs vies (Chagnon-Decelles D. 2000a).

Ce type d’intervention, dite lifestyle par l’AMC, prévoit le recours à la thérapie cognitivo- behaviorale par un psychologue ou un psychiatre (Canadian Medical Association 2006). Si l’éducation est toujours au cœur de toutes les interventions, elle s’accompagne dorénavant d’une forme de reprogrammation.

Si tout cet effort d’apprentissage intensif, multiplié, plusieurs fois répété ne suffit plus, la reprogrammation peut maintenant aller plus loin. Elle peut maintenant s’inscrire dans la chair. Bien qu’encore peu pratiqué, le dressage des individus obèses pour qu’ils deviennent des sujets moraux pourra passer par la pharmacothérapie et la chirurgie. Depuis 2006, avec ses normes de pratiques cliniques (Canadian Medical Association 2006), l’Association médicale canadienne montre une ouverture vers le recours à celles-ci.

À l’évidence, le poids fait l’objet d’une sanction normalisante qui s’inscrit aussi sur un continuum qui peut être qualifié de la responsabilisation. Mais ce continuum se déploie sur deux axes. Le premier axe regroupe d’un côté, la responsabilisation qui s’exprime au niveau de l’individu et de l’autre, celle qui s’exprime au niveau de l’organisation sociale. Le second axe de ce continuum permet de faire une distinction entre, d’un côté, l’acteur de l’intervention et de l’autre, le site de l’intervention.

146 Morin M. 2002/05/29. L’ABC de l’obésité. La Tribune:Page A 10

147 de la Sablonnière J. 2004/10/09. Jacinthe Coté décortique les causes de l’obésité. Le Quotidien:Page 41

148 Lortie M-C. 2006/04/10. Épidémie d’obésité. Guérir les âmes avant l’assiette. La Presse:Actuel 2

Ainsi, l’individu pourra être acteur de sa propre responsabilisation. Grâce à la correction, à l’apprentissage et au dressage, l’individu apprend à faire des bons choix et à les mettre en œuvre. L’individu pourra devenir le site de l’intervention. Le remodelage sera subordonné à une autorité, celui des professionnels de la santé. Il interviendra dans la chair, pour que puisse s’exprimer le bon choix.

Ii en va de même pour l’organisation sociale. D’un côté, l’organisation sociale, donc les institutions qui la composent, est moteur du changement. Puis, de l’autre côté, ces institutions de l’organisation sociale sont les cibles de l’intervention menée par les autorités gouvernementales. On comprendra ici que l’action, loin d’être volontaire, relève plus de la nature politique ou législative à laquelle l’organisation sociale sera soumise.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Discours des autorités de santé au Québec et la gestion du poids
Université 🏫: Université de Montréal - Faculté des études supérieures et postdoctorales – sociologie
Auteur·trice·s 🎓:
Paul-Guy Duhamel, Dt.P.

Paul-Guy Duhamel, Dt.P.
Année de soutenance 📅: Mémoire en vue de l’obtention du grade de Maîtrise en sociologie - 2010/01/11
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