1.2.2 La réforme au Royaume-Uni
Dans la mouvance du changement organisationnel, les réformes de la fonction publique au Royaume-Uni représentent un modèle de référence ambitieux du 20ème siècle et inspirent beaucoup de pays de l’OCDE, notamment les pays anglo-saxons. À cet égard, le professeur Frédéric F.Ridley, de l’université de Liverpool (dans Dufour et Pâquet, 1997 : 58) précisait en août 1995, dans un exposé que:
« L’approche britannique a comme caractéristique intéressante de ne pas être conçue spécialement pour concrétiser les politiques d’un gouvernement conservateur. Elle peut également constituer un modèle pouvant tout aussi servir les fins d’efficacité d’un gouvernement social- démocrate. En fait, l’efficacité n’est pas reliée à l’idéologie d’un gouvernement. Les réformes des administrations publiques sont devenues une question universelle, notamment en raison des effets paralysants de la crise des finances publiques sur l’État ».
L’année 1988 annonce le début formel de ce processus de modernisation sous les directives de la Première ministre Thatcher, allant de la privatisation des organismes publics devenus déficitaires à la création d’organismes autonomes (agences) chargés de la prestation de services à la population, des services qui auparavant, étaient assurés par les ministères du gouvernement. Ainsi, la démarche a été inspirée tant par un souci de modernisation des méthodes de gestion que par une volonté de changer les statuts.
1.2.2.1 La création des organismes autonomes
«L’agence correspond à la philosophie qui consiste à accorder plus d’autonomie à un service moyennant plus de responsabilité (ce qui la rapproche des centres de responsabilité français) » (Trosa, 1995 : 68).
On compte 63% des fonctionnaires qui travaillent désormais au sein de 110 nouvelles agences (Dufour et Pâquet, 1997). Il s’agit d’une transformation radicale des structures touchant au rôle du gouvernement et à ses modes d’actions qui se sont traduits dans certains pays au même titre que la Grande Bretagne, notamment la France, par une remise en cause assez générale, en préconisant à la fois moins d’activisme et plus de performance (Koening, 1997). Par contre, ce même auteur affirme que « le nouveau rôle de l’État n’est pas nécessairement de faire moins, mais surtout de faire autrement et mieux ».
Ainsi, on parle de plus en plus de la réduction du rôle de l’État pour concrétiser les mutations actuelles. De son coté, le professeur Ridley (1995) affirme dans son exposé qu’il n’y a presque plus un seul service public qui ne soit pas susceptible d’être confié à un organisme autonome ou même donné à contrat au secteur privé. Si certains auteurs paraissent contre ce mouvement de « l’État réduit », d’autres comme Hood et Jackson, 1991 (dans Dufour et Pâquet, 1997) sont en sa faveur en préconisant « moins d’État, mieux d’État ».
Suite à cette réforme, les frontières traditionnelles entre le secteur public et le secteur privé se trouvent modifiées : « Cette révolution managérielle a redéfini les frontières entre les secteurs privé et public en même temps qu’elle modifiait le secteur public par l’introduction de modèle et de méthode provenant du milieu des affaires » (les Metcalfe (1993), cité par Dufour et Pâquet 1997 : 61).
Cependant, ce mouvement est révélateur d’une contradiction importante dans la mesure où l’approche client met l’accent à la fois sur la compétition entre les agences et entre celles-ci et le secteur privé pour répondre aux besoins et aux attentes des citoyens ainsi que l’équité et l’égalité des citoyens face à l’administration. Il s’agit en fait d’un paradoxe naissant de deux logiques contradictoires dont nous avons déjà fait allusion plus haut : la logique de l’entreprise vs la logique de l’État. De leur côté, Dufour et Pâquet (1997 : 58) avancent un passage intéressant montrant les enjeux futurs de ces agences :
« Ainsi, une partie importante du gouvernement, celle qui assure des services à la population, se retrouve dans une situation semblable à toute autre organisation pouvant potentiellement dispenser des services. Le secteur public devient donc régi par des critères de productivité et d’efficience semblable à ceux du secteur privé. Précisons que les conditions de travail de personnel sont désormais déterminées au sein même des organisations, non plus au niveau central, et que la notion de sécurité d’emploi n’existe pas dans les agences. Cette situation fait maintenant en sorte que la fonction publique, avec le statut particulier qui y était associé, se trouve en profonde mutation.»
Toutefois, l’objectif du gouvernement britannique à travers ces agences est l’introduction d’un système de compétition afin d’assurer des services de qualité, répondant aux besoins des citoyens, et ce, au meilleur coût possible. Cependant, il est fort probable qu’à long terme, ce système se transforme en monopole ou oligopole de services publics dont la substitution n’est même pas possible pour les citoyens.
Bien que le modèle britannique prévoit la présence du gouvernement en matière d’orientation et de détermination budgétaire, la gestion et l’administration de programme relèvent de la responsabilité de ces agences allant jusqu’au dispensateur de services auprès de la clientèle.
1.2.2.2 La charte du citoyen
De ce que nous venons de voir, il découle que la nouvelle philosophie de gestion adoptée par le gouvernement britannique comme ailleurs, est axée sur la gestion par résultats afin de rendre le secteur public plus performant, en s’appuyant sur l’efficacité et le service à la clientèle. Ainsi, le citoyen a pris une place particulière dans le modèle britannique qui l’a doté d’outils lui permettant d’obtenir des résultats en tant que client, consommateur de services publics.
« Les délais d’attente pour les examens de permis de conduire sont passés de 13 à moins de 6 semaines et le bureau des passeports peut maintenant traiter une demande en sept jour au lieu de vingt-quatre auparavant » (Mackenny, 1995, cité par Dufour et Pâquet, 1997 : 61).
En effet, le Premier ministre Major a instauré la charte des citoyens donnant naissance à plusieurs chartes sectorielles (santé, éducation, douane, emploi, etc) (Dufour et Pâquet, 1997). Ces documents définissent des objectifs et des engagements très précis, souvent chiffrés en matière de qualité des services auxquels la population peut s’attendre. C’est en se basant sur le jugement de cette dernière que le gouvernement évalue sa performance :
« Chaque organisation doit, chaque année, consulter sa clientèle, adapter ses services afin de répondre aux besoins exprimés et faire rapport sur les progrès accomplis» (Dufour et Pâquet, 1997 : 62).
1.2.2.3 La privatisation
La privatisation anglaise fut très à la mode au cours des années 80 et a servi de modèle pour d’autres pays, notamment le Canada (Bernier et Fortin, 1997, Bernier et Dubois, 1998). D’ailleurs, la Grande-Bretagne possédait de nombreuses entreprises publiques qui pesaient trop sur le budget de l’État. Et leurs privatisations apparaissaient comme un remède pour les sociétés et l’État. En effet, comme le montre la conviction de Margaret Thatcher, le secteur privé est supérieur au secteur public (Bernier et Dubois, 1998). Une telle solution radicale, inspirée du néo-libéralisme, semble à l’origine d’une nouvelle orientation des actions gouvernementales. Ainsi, l’idéologie répandue au cours des deux dernières décennies par les défenseurs de la privatisation est que le secteur privé rendra plus efficaces et plus efficientes les entreprises publiques que leur appartenance au secteur public rend déficitaires ou peu rentables (Bernier et Fortin, 1997).
Cette révolution thatcherienne concernant la privatisation s’inscrit dans le cadre de l’État réduit appelé mouvement de désengagement ou de désinvestissement de l’État (Hafsi et Jorgensen,1992). L’idée est d’alléger le déficit des finances publiques, et donc d’aider le gouvernement à mieux agir en tant que facilitateur et incitateur.
«L’État unitaire, hiérarchique et bureaucratique devient peu à peu incapable de gérer tant de complexité ; et plus il cherche à renforcer un pouvoir qui lui échappe, plus il se rend vulnérable, car plus il agit, plus il génère de demandes » (Crozier 1992, cité par Koenig, 1997 : 14).
Que ce soit la création des agences ou le processus de privatisation, les deux ont marqué l’histoire du succès de la nouvelle orientation du gouvernement britannique, du moins à court terme.
Toutefois, ces deux réformes ne représentent qu’une partie de l’ensemble des réformes entamées depuis les années 80. Dans cette perspective, nous allons présenter le résumé des réformes et transformations au sein de l’appareil étatique britannique dans un ordre chronologique tel qu’il est présenté par Dufour et Pâquet (1997 : 60).
1.2.2.4 Évolution chronologique de la réforme britannique
1986: Introduction des budgets globaux de fonctionnement.
1987: Accords à long terme sur la flexibilité des rémunérations. Introduction de la rémunération liée à la performance.
1988: Initiative «Next Steps» visant à promouvoir la création d’agences exécutives administrées par les directeurs généraux.
1989: Introduction, dans 21 domaines, de mesures d’assouplissement de l’administration du personnel, des rémunérations des indemnités touchant les ministères et les agences.
1989/1990: Mesures visant à améliorer la formation des cadres supérieurs. Introduction de nouvelles structures et de nouveaux cadres de fixation des rémunérations. Mesures d’assouplissement de procédures de recrutement, de perfectionnement des cadres et de formation.
1990: Lancement de programme de promotion de l’égalité des chances.
1991: Le trésor public publie une liste de 40 mesures d’assouplissement de la gestion du personnel, des traitements et des indemnités au profit des ministères et des agences. Présentation du livre blanc portant sur la charte des citoyens et sur l’établissement de la compétition en vue d’améliorer la qualité des services.
1992: Négociation de nouveaux accords de rémunération plus souples. La loi relative à la gestion dans la fonction publique prévoit une délégation des ressources humaines au profit des gestionnaires opérationnels. Mise à jour de l’opération «Next steps».
1993: Promulgation d’un nouveau code de gestion de la fonction publique.
1994: Délégation aux agences des pouvoirs de négociation des rémunérations. Adoption de la loi visant la déréglementation et l’attribution des contrats de services. Présentation d’un important rapport du comité parlementaire du trésor et de la fonction publique sur l’avenir de la fonction publique.
1995: Présentation au parlement d’un rapport du Premier ministre sur les orientations gouvernementales en matière de réformes de la fonction publique.
Toutefois, il faut mentionner que le processus de réformes en cours au Royaume-Uni se fonde sur un consensus au niveau des parlementaires et des citoyens, qui amène le gouvernement à poursuivre son chemin et à appliquer sa réforme de façon plus systématique.
En conclusion à la modernisation britannique selon Trosa, (1995 : 90) les réformes tournent autour des axes suivants :
. La privatisation des sociétés d’État.
. La décentralisation au sein des ministères
. La redéfinition des responsabilités.
. La marge de manœuvre pour les prestations de services sans interférence permanente du politique ou des centrales.
Il soulève que la modernisation britannique est beaucoup plus occupée par la réduction du rôle et de la taille de l’État ainsi que sur une certaine privatisation de l’administration publique. À l’opposé, la France veut confirmer la place et le rôle de l’État et réaffirmer son attachement aux assises de la sociale démocratie (La forte, 1998).
Lire le mémoire complet ==> (Gestion du changement dans l’administration publique en vue de sa modernisation)
Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de maître ès sciences (M. Sc.) – Sciences de la gestion
Université de MONTREAL – Ecole des hautes études commerciales affiliée

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Université 🏫: Université de MONTREAL - Ecole des hautes études commerciales affiliée
Auteur·trice·s 🎓:
Hayat BEN SAID

Hayat BEN SAID
Année de soutenance 📅: Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de maître ès sciences (M. Sc.) - Avril 2006
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