La famille d’un malade d’Alzheimer : les problèmes rencontrés

Chapitre III – Le cadre pratique

I- Les différents problèmes rencontrés par la famille

Lors de mes différents jobs étudiants, j’ai pu rencontrer plusieurs familles consacrant leur temps, leur disponibilité pour prendre en charge leur proche atteint par cette maladie.

C’est ainsi que j’ai pu voir les problèmes rencontrés par les familles. Ici, je relaterai et définirai les différents problèmes dont j’ai connaissance et pour cela j’utiliserai la classification NANDA (North American Nursing Diagnosis Association).

Exemple 1 :

M. L., âgé de 81 ans et ancien général, est atteint d’une démence mixte (maladie d’Alzheimer et démence vasculaire) depuis décembre 2004. Il est entré aux Jardins de la Mémoire en septembre 2005.

Depuis son entrée, son fils aîné vient le voir deux à trois fois par semaine et son épouse lui téléphone régulièrement.

Lorsque j’ai demandé au fils de M. L. pourquoi il avait placé son père en MRS (maison de retraite et de soins), ce dernier m’a répondu :

« Vous savez, mon père est ancien général et il aime bien commander et avoir le dessus sur les situations. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, il ne contrôlait plus rien et il était en proie à des crises ce qui devenait ingérable à la maison autant pour ma mère que pour ses enfants. De plus la maladie a très vite évolué, en cinq mois, son état de santé s’est dégradé ! Vous savez c’est très dur de voir que mon père est conscient d’avoir la maladie d’Alzheimer et qu’il accepte avec tant de facilité cette déchéance physique et psychologique. Actuellement, mon père perd de plus en plus ses facultés d’expression ; il sait ce qu’il veut dire mais ne trouve plus ses mots. »

Le fils de M. L. ne sent pas coupable d’avoir placé son père en MRS car c’était pour son bien et pour lui assurer une sécurité que ni lui ni sa mère n’auraient pu lui apporter. Par contre, il est triste et se sent impuissant face à cette maladie.

Exemple 2 :

Mme S, âgée de 74 ans et ancienne comptable, est entrée aux Jardins de la mémoire le 26/09/05 pour maladie d‘Alzheimer.

J’ignore depuis quand Mme S. est atteinte de la maladie d’Alzheimer mais je sais qu’elle se trouve dans le stade II de la maladie. Mme S. présente des troubles de la mémoire tant sur les faits récents que sur les évènements anciens, elle tient des propos incohérents et elle présente une désorientation spatio-temporelle.

Durant mon travail étudiant, j’ai souvent vu sa fille et nous avons pu parler ensemble de son vécu de la situation.

De notre discussion, je ne retiendrai qu’une phrase car c’est celle qui m’a le plus frappé : « Le plus dur vous savez, c’est quand il n’y a plus aucune considération et que je ne peux plus me confier à ma maman comme avant ».

La fille de Mme S. est la seule de ses enfants à venir la voir car sa sœur habite à l’étranger, ce qui ne lui permet pas de venir régulièrement. La fille de Mme S. m’a dit faire deux heures de route, une fois par semaine pour voir sa maman. Pour elle c’est un devoir et une obligation.

Lors d’une visite à sa maman, nous nous sommes installées autour d’une table avec plusieurs résidents dont Mme S. afin de parler de la Saint Nicolas. Les autres résidents se souvenaient de leur enfance, parfois c’était flou mais ils se remémoraient assez facilement leur jeunesse.

Par contre, pour ce qui concerne Mme S., il fallait que sa fille lui redise les moments agréables qu’elles avaient vécus ensemble mais Mme S. se souvenait peu, elle répondait souvent par « oui » mais elle ne tenait pas la discussion. Elle avait un regard absent.

Tout en participant à la discussion, j’ai observé la fille de Mme S., son visage restait impassible car, je pense, qu’elle ne voulait pas que ni sa maman ni moi ne voyions sa tristesse et sa déception.

La fille de Mme S. sait que l’état de sa maman va continuer de s’aggraver, elle présente également un sentiment d’impuissance. Elle se sent désarmée mais elle continuera à faire tout son possible pour que sa maman continue à vivre correctement et que sa maman ne se sente pas abandonnée par sa famille.

Quand la fille de Mme S. est partie, elle m’a demandé d’attirer l’attention de sa maman car bien souvent cette dernière voudrait repartir avec sa fille. Pour elle, il est difficile de voir sa maman avec ce sentiment de déchirure et j’ai pu remarquer la douleur que ressentait cette femme à laisser sa maman dans l’établissement.

Le diagnostic infirmier que l’on peut retenir, pour ces deux exemples, est le sentiment d’impuissance.

Définition selon la classification NANDA, p.478 : « Sentiment d’impuissance : impression que ses propres actes seront sans effets. Sentiment d’être désarmé devant une situation courante ou un événement immédiat. »10.

Caractéristique essentielle : « expression directe ou indirecte d’insatisfaction face à l’incapacité de maîtriser une situation (travail, maladie, pronostic, soins, convalescence) ayant des conséquences fâcheuses sur la vision de l’avenir, les ambitions et le mode de vie de la personne. »11.

Indices présents dans les situations

– pour la situation 1, le fils de M. L. exprime clairement son sentiment d’impuissance face à la maladie. Il a été pris de court par l’évolution de cette dernière et a beaucoup de mal à savoir ce qu’il doit faire.

– pour la situation de la fille de Mme S., elle ne m’a pas clairement exprimé son sentiment d’impuissance mais cela se voit par les gestes, les mimiques et surtout par le fait qu’elle m’ait demandé d’occuper sa mère pendant qu’elle repartait.

La caractéristique principale de sentiment d’impuissance pour valider ce diagnostic est évidente pour le fils de M. L. car il l’a exprimé clairement.

10 CARPENITO L. J., Manuel des diagnostics infirmiers, traduction de la 9ème édition, Paris : MASSON, 2003, p.478.

11 Ibidem, p.478.

Exemple 3 :

Mme A., âgée de 79 ans et ancienne femme au foyer, est atteinte d’une démence de type Alzheimer depuis février 2006. La maladie d’Alzheimer n’a pas été clairement diagnostiquée à l’heure actuelle.

Mme A. est très entourée par sa famille. Sa fille vient lui rendre visite tous les jours, elle s’occupe d’amener sa maman aux différents examens médicaux qu’elle doit passer et lui fait faire une promenade quasi quotidienne.

Ce cas ci est compliqué selon une aide soignante travaillant aux Jardins de la mémoire.

L’aide soignante me dit : « Nous ne savons pas si Mme A. est au courant de la situation, par contre, sa famille l’est. En effet, elle sait que Mme A. développe probablement la maladie d’Alzheimer.

La famille de Mme A. refuse catégoriquement de croire qu’elle peut être atteinte de cette maladie. La famille est allée jusqu’à accuser le personnel soignant d’empoisonnement ! De plus la famille nous parle mal, elle nous maltraite verbalement !!

Pour s’assurer que ce n’est pas la maladie d’Alzheimer, la petite fille de Mme A. (médecin) a fait tout son possible pour avoir d’autres avis médicaux mais malheureusement le diagnostic reste le même à chaque fois. Malgré cette prise en charge de la part de la petite-fille, la famille reste dans le déni du diagnostic. ».

Le problème que pose la famille en refusant d’accepter le diagnostic médical est que Mme A. doute de plus en plus, elle refuse bien souvent de manger et de prendre ses médicaments de peur qu’on l’empoisonne.

Je pourrai formuler le diagnostic infirmier de déni non constructif. Définition selon la classification NANDA, p. 504: « tentative consciente ou inconsciente d’une personne de désavouer la connaissance ou la signification d’un événement afin de réduire son anxiété ou sa peur, au détriment de sa santé. »12

12 CARPENITO L. J., op.cit., p.504

Caractéristiques essentielles

« – remise à plus tard de la demande de consultation ou refus de recevoir des soins au détriment de sa santé

– négation ou ignorance des symptômes ou du danger qui menacent sa santé. »13

Au vu de la situation et des caractéristiques essentielles, je ne peux pas confirmer ce diagnostic infirmier car la famille de Mme A. ne se met pas en danger et se prend en charge correctement.

Ici, nous sommes dans une étape du deuil qui est le déni.

J’ai également pensé au diagnostic infirmier de deuil dysfonctionnel. Définition selon la classification NANDA, p.157 : « réactions intellectuelles et émotionnelles prolongées et infructueuses, par lesquelles les individus (famille, collectivités) tentent, par un travail personnel, de modifier le concept de soi fondé sur la perception de la perte. »14

Caractéristiques essentielles
  • « – incapacité de s’adapter à la perte
  • – déni prolongé et mélancolie
  • – réaction émotionnelle retardée
  • – incapacité de mener une vie normale »15

Indice présent dans la situation

  • – déni prolongé par la famille de Mme A.

Cet indice à lui seul ne peut pas me permettre de valider le diagnostic infirmier de deuil dysfonctionnel étant donné que la caractéristique principale est « déni prolongé et mélancolie » et que je n’ai pas détecté de mélancolie dans la famille de Mme A.

Cependant il me semble important de garder ce diagnostic infirmier car il est possible que la famille de Mme A. soit en deuil dysfonctionnel.

13 CARPENITO L. J., op.cit., p.505

14 Ibidem, p.157

15 Ibidem, p.158

Exemple 4 :

L’épouse de M. G, également placé aux Jardins de la Mémoire, nous a confié qu’elle n’en pouvait plus physiquement et moralement.

Mme G a quatre enfants dont deux à charge qui vont encore à l’école. Elle vient de changer d’appartement et de ce fait elle est en plein réaménagement.

Elle nous a dit : « J’ai trop de lessives à faire, vous ne faites pas attention à la manière dont vous triez le linge, si bien que vous mélangez les pulls, les tee-shirts et les slips ; les slips sont souvent remplis d’urine et les pulls par la même occasion !! Les pulls sont fragiles, faites-y attention pour les prochaines fois s’il vous plait car je ne m’en sors plus ! Je suis épuisée par le déménagement alors si en plus je dois passer des heures à faire les lessives et le repassage, ça n’ira plus. »

Mme G, nous a également dit : « Mon mari est insupportable ! »

Mme G n’accepte pas du tout la maladie d’Alzheimer et pleure beaucoup surtout lorsqu’elle repart chez elle. Elle se sent impuissante et est très fatiguée. Elle se confie aux aides soignantes et aux infirmières dès qu’elle le peut mais ça ne lui suffit plus. Apparemment, l’idée de se confier à un psychologue ne lui plait pas trop.

Dans le cas de Mme G., les diagnostics infirmiers sont sentiment d’impuissance (ce diagnostic est déjà détaillé pour les exemples 1 et 2), fatigue et tension dans l’exercice du rôle de l’aidant naturel.

Définition du diagnostic de fatigue selon la classification NANDA

« Fatigue : sensation accablante et prolongée d’épuisement réduisant la capacité habituelle de travail physique et mental. »16.

Caractéristiques essentielles

« – plainte d’un manque d’énergie constant et accablant

– difficulté à accomplir les activités courantes

– souffrance signalée par la personne »17.

16 CARPENITO L. J., op.cit., p.232.

17 Ibidem, p.232.

Indices présents chez Mme G.

Cette personne exprime clairement ses sentiments :

  • – « je n’en peux plus »,
  • – « je ne m’en sors plus » en rapport aux lessives, à l’aménagement de l’appartement et à la prise en charge de ses enfants.
  • – elle pleure beaucoup ce qui montre bien qu’il y a souffrance morale.

Ce diagnostic est validé car Mme G. exprime clairement son épuisement physique et moral ce qui l’empêche d’aboutir à l’aménagement de son nouvel appartement et d’avoir une vie « normale ».

Définition du diagnostic tension dans l’exercice du rôle de l’aidant naturel selon la classification NANDA

« Tension dans l’exercice du rôle de l’aidant naturel : situation où la personne a des problèmes physiques, affectifs, sociaux ou financiers parce qu’elle s’occupe d’une autre personne. »18.

Caractéristiques essentielles :

  • « – l’aidant déplore un manque de temps et d’énergie pour s’acquitter de sa tâche,
  • – difficulté à dispenser des soins requis
  • – impression que les soins à prodiguer ne permettent pas d’exercer d’autres rôles importants (travail, vie conjugale, amitiés, enfants),
  • – inquiétudes face à l’avenir : santé de la personne aidée, capacité à fournir l’aide requise,
  • – inquiétude quant à la situation de la personne aidée en cas de maladie ou de décès de l’aidant,
  • – sentiments dépressifs, colère »19.

18 CARPENITO L. J., op.cit., p.554.

19 Ibidem, p.554-555.

Indices présents chez Mme G.

– Mme G. exprime clairement une perte de temps avec les lessives ce qui lui fait manquait de temps pour aménager son nouvel appartement ou avoir d’autre occupation.

– il est vrai qu’elle est dans le déni du diagnostic de la maladie d’Alzheimer mais elle s’inquiète tout de même de ce qu’il va advenir de son mari dans les années à venir.

Mme G. était au jour de la discussion en colère car les aides soignantes ne l’aidaient pas dans ses tâches (linge non trié) et elle a exprimé, indirectement, qu’elle manquait de temps pour s’acquitter de ses tâches.

Si bien que le diagnostic infirmier tension dans l’exercice du rôle de l’aidant naturel est bel et bien réel.

D’autres diagnostics infirmiers sont envisageables mais je n’ai aucun témoignage pour appuyer mes dires cependant je vais les citer et les définir selon la classification NANDA afin de prendre conscience des difficultés que peuvent éprouver les familles et les aidants naturels.

Anxiété : « sentiment de malaise (d’appréhension), individuel ou collectif, d’origine généralement indéterminée ou inconnue, se manifestant par une activation du système nerveux autonome. »20.

Conflit décisionnel : « incertitude quant à la ligne de conduite à adopter lorsque le choix entre des actes antagonistes implique un risque, une perte ou une remise en cause des valeurs personnelles »21.

Deuil : « réaction humaine naturelle (ayant une dimension psychosociale et une dimension physiologique) d’une personne ou d’une famille à une perte réelle ou ressentie (personne, objet, fonction, statut, relation) »22.

Deuil anticipé : « réactions intellectuelles et émotionnelles par lesquelles les individus (famille, collectivité) entament, par un travail personnel, le processus de modification du concept de soi selon la perception de la perte potentielle »23.

Dynamique familiale perturbée : « modifications des relations familiales ou du fonctionnement familial. »24.

Interactions sociales perturbées : « rapports sociaux insuffisants, excessifs ou inefficaces. »25.

Perte d’espoir : « état subjectif dans lequel une personne voit peu ou pas de solutions ou de choix personnels valables et est incapable de mobiliser ses forces pour son propre compte »26.

20 CARPENITO L. J., op.cit., p.32.

21 Ibidem, p.98.

22 Ibidem, p.148.

23 Ibidem, p.154

24 Ibidem, p.165.

25 Ibidem, p.258.

26 Ibidem, p.344.

Peur : « réponse à la perception d’une menace consciemment identifiée comme un danger »27.

Prise en charge inefficace du programme thérapeutique par la famille (risque de) : « façon d’organiser les modalités du traitement d’une maladie ou de ses séquelles et de l’intégrer dans les habitudes familiales ne permettant pas d’atteindre certains objectifs de santé. »28.

Habitudes de sommeil perturbées (risque des) : « dérèglement momentané de la quantité et de la qualité du sommeil (suspension normale ou périodique de la vigilance). »29.

Isolement social (risque d’) : « expérience de solitude que la personne considère comme imposée par autrui et qu’elle perçoit comme négative ou menaçante. »30.

27 CARPENITO L. J., op.cit., p.351.

Les diagnostics infirmiers dont j’ai parlé avec les quatre témoignages ne seront pas repris ici afin d’éviter des répétitions inutiles.

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