La petite phrase : généralités, repères historiques et définition générique

C) Identifier la petite phrase

1) Généralités

En ce début d’année 2012, année électorale, on pourrait presque appeler cela un phénomène de mode. Une rubrique à côté de laquelle on ne peut pas passer, un thème qu’on ne peut pas occulter, au risque de paraître avoir manqué quelque chose d’essentiel.

Parlons-nous de la campagne des élections présidentielles ? Un peu, oui, mais pas tout à fait…

En effet, depuis que l’on commence réellement à parler de cette échéance (1er tour : 22 avril, 2e tour : 06 mai 2012), il est une cérémonie parallèle dont tout le monde se fait l’écho et qui, on peut le dire, bat son plein chaque jour : « le bal des petites phrases », pour reprendre une expression souvent utilisée par les acteurs de l’information eux-mêmes.

Est-ce exagéré d’aborder cette question sous cet angle ? Cela n’est pas certain.

Bien sûr, d’aucuns diront que la campagne électorale, c’est avant tout des meetings, des rencontres avec les Français, des échanges, des idées, des débats, des interventions dans les divers médias, des allocutions, des déclarations…

Toutes ces prises de paroles sont autant d’occasions pour les candidats de « lancer » ces « petites phrases » et pour ceux que l’on peut nommer d’une manière globale les « observateurs », de les relever, les diffuser, et les faire circuler.

D’ailleurs, en cette période propice, il suffit de regarder d’assez près le « monde médiatique » pour s’apercevoir que le phénomène, et le mot n’est pas trop fort, est d’importance. Si l’on s’arrête sur le média qui a pris une dimension encore plus importante depuis la dernière campagne des Présidentielles en 2007, à savoir Internet, on constate assez rapidement que le sujet occupe une place prépondérante.

Citons par exemple le site de L’express3, qui propose à ses internautes d’élire chaque semaine la meilleure « petite phrase » de la semaine, proposant ainsi à ses lecteurs de devenir des acteurs en intégrant « l’observatoire des petites phrases de la campagne présidentielle ».

Un autre site, Le crieur4, dont le sous-titre est « Les petites phrases de l’actu », en recense un certain nombre, quel que soit le contexte dans lequel elles ont été prononcées et alimente régulièrement sa base de données.

On peut également citer un autre dispositif, toujours sur internet, Le match des mots5, mis en place par les sites de Libération et L’AFP, et qui, sous la forme d’un moteur de recherche spécifique, permet de retrouver très rapidement nombre de « petites phrases ».

Et les autres médias ne sont pas en reste, puisque la télévision tout comme la radio et la presse écrite proposent également des émissions, rubriques et autres encarts dédiés à ce phénomène.

Alors, la « petite phrase » est- elle devenue incontournable ?

Ce qui est certain en tout cas, et en la replaçant dès à présent dans le contexte qu’est celui de cette étude après l’avoir présentée d’une manière quelque peu sensationnelle dans les lignes qui précèdent, c’est que la « petite phrase » a bel et bien fait sa place dans le monde politico-médiatique et ce, depuis déjà un certain nombre d’années.

Néanmoins, peut-on dire que cet « objet », que l’on peut commencer à qualifier ainsi, soit clairement identifié ?

Comme on en a fait l’allusion dans l’introduction de cette étude, chacun n’aurait-il pas sa propre perception de ce qu’est une « petite phrase », et donc sa propre définition ?

S’il s’avère que nous essayerons dans cette 1ère partie de mettre en évidence quelle connotation peut avoir une « petite phrase », si tant est qu’une sorte d’unanimité puisse se faire sur ce point, essayons dans un premier temps, d’en donner une définition la plus neutre et la plus large possible.

3 http://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-concours-des-petites-phrases_1083737.html, consulté le 09/04/2012

4 www.lecrieur.fr, consulté le 09/04/2012

5 http://labs.liberation.fr/match-des-mots/, consulté le 09/04/2012

2) Repères historiques

Même s’il est question des petites phrases depuis quelques décennies via les hommes politiques et les médias, il serait erroné de croire que celles-ci n’existent que depuis cette époque récente.

Aussi, il faut distinguer ici la « production » des petites phrases de l’apparition de l’appellation « petite phrase » qui est certes plus récente.

Car les « petites phrases » ont toujours existé dans la bouche des responsables politiques et des grands dirigeants.

La petite phrase : généralités, définition et historiques

Souvenons-nous de la fameuse « formule » alea jacta est (‘le sort en est jeté’) (Le Petit Larousse, 1995 : 1090) attribuée à Jules César, ou encore les paroles suivantes de Napoléon :

« Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent » (Lavarini/Lhommeau, 2009 : 7).

La phrase qui marque l’opinion ne date donc pas d’aujourd’hui, mais à quel moment a-t-on commencé véritablement à parler de « petite phrase » ?

Selon Patrick Brasart, le syntagme a fait son apparition dans le Trésor de la langue française en 1988 avec la définition suivante (citant un exemple de 1976) :

« Propos bref d’un homme politique, qui sert à frapper l’opinion » (Brasart, 1994 : 106).

Cette période des années 70-80 est confirmée par un point de vue historique, celui de Christian Delporte qui nous dit que « l’entrée des publicitaires dans l’entourage des leaders politiques (…) est bien antérieure à 1981.

D’abord marginale ou limitée aux relations publiques, leur activité s’est peu à peu étendue à la proposition de slogans et à la création de visuels.

L’élection de 1974 marque, à cet égard, un premier vrai tournant » (Delporte, 2001 : 116).

Selon l’auteur, c’est en quelque sorte l’arrivée du marketing qui aurait donc eu une influence non négligeable sur le discours politique, notamment en campagne électorale.

Christian Delporte par ailleurs apporte une précision à cette analyse à l’occasion d’une interview donnée en août 2011 au site internet atlantico.fr qui, lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de la simplification du discours politique, répond : « Cela s’explique en grande partie par la télévision.

La télévision, c’est le média de la conversation et de la répartie.

Au début des années 1980, les politiques ont appauvri volontairement leur vocabulaire », et de préciser « Avant, on trouvait des slogans, maintenant, c’est l’ère de la petite phrase »6.

Selon lui, le rôle grandissant de la télévision dans les années 1980 aurait donc eu comme conséquence directe le « raccourcissement » du discours politique, celui-ci apparaissant plutôt sous la forme de slogans dans les années 1980, et sous la forme de « petites phrases » aujourd’hui.

Cette approche est intéressante puisqu’elle suppose que la « petite phrase » aurait désormais un rôle stratégique, tout comme le slogan.

Pour revenir à la « petite phrase » en elle-même, peut-on dire qu’elle est une invention française ?

Non, selon David McCallam, pour qui la « petite phrase » a été inventée par les USA et pratiquée par la Grande-Bretagne avant d’arriver en France.

Même si le « sound bite », aurait, selon lui, « été inscrit dans le lexique des médias de masse dès le début des années 80 » (Mc Callam, 2000 : 52), donc finalement assez peu de temps avant son arrivée en France.

Il rappelle par ailleurs que le terme spin doctor, que nous avons évoqué plus haut, est originaire des USA et est également apparu « …au milieu des années 80 » (Mc Callam, 2000 : 53), donc plus ou moins au même moment que celui de sound bite.

6Article : « Discours politique : du slogan à la ‘petite phrase’», disponible sur http://www.atlantico.fr/decryptage/parole-politique-populaire-rentree-politique-166689.html, consulté le 09/04/2012

Il semble donc possible de dater l’apparition de la notion de « petite phrase » aux environs des années 1970-80, puisque plusieurs sources font référence à cette période.

Mais à travers cette observation historique, on perçoit la dimension « marketing » à laquelle semble également appartenir la « petite phrase ».

Le lien avec le monde des médias semble se dessiner assez clairement, mais il faut, avant de faire le lien avec la « communication », resituer la petite phrase dans le domaine auquel elle appartient au premier chef, à savoir le monde politique et le monde du discours politique.

Analyse pragmatique du discours politique d’Emmanuel Macron

3) Une définition générique

Si l’on cherche dans un premier temps à délimiter la « petite phrase » d’une manière générale, on peut citer la définition du Petit Robert (2000 : 1868) qui nous la décrit comme étant « extraite des propos d’un homme public et abondamment commentée par les médias ».

La définition de la petite phrase

La « petite phrase » ne serait donc pas réservée au monde politique et concernerait tous ceux qui peuvent avoir l’occasion de s’exprimer dans les médias.

De son côté, Le Petit Larousse (1995 : 778) donne une définition légèrement différente : « élément d’un discours, en particulier politique, repris par les médias pour son impact potentiel dans l’opinion ».

Cette deuxième définition est intéressante, au moins pour deux raisons, en tout cas pour ce qui concerne cette étude. La première raison est que ce phénomène serait plutôt à mettre en lien avec la politique, ce qui n’apparaît pas dans la définition précédente.

L’appellation « petite phrase » appartiendrait donc au champ du discours politique, en tout cas selon le Petit Larousse.

La deuxième raison, et ce n’est pas la moindre, est que cette technique d’expression, en plus d’avoir la faculté de pouvoir être extraite d’un discours, et c’est le point commun avec la première définition, le serait dans le but d’avoir une influence sur l’opinion.

Même si dans les deux cas, on parle de reprise par les médias, ce n’est que dans cette deuxième définition que l’on perçoit la dimension éventuellement stratégique de la « petite phrase » lorsque « son impact potentiel dans l’opinion » est évoqué.

Dans la première proposition, la « petite phrase » pourrait donc être reprise par les médias pour son seul caractère « original » ou « remarquable » alors que dans la deuxième, elle pourrait aussi l’être en raison de sa nature à provoquer des réactions dans l’opinion.

Le « positionnement » politique de la « petite phrase » apparaît également dans cette nouvelle définition :

« Désigne d’abord une formule courte, mais bien frappée qui, par son caractère explosif, occulte dans les commentaires médiatiques le reste du texte ou de la déclaration dont elle est extraite : c’est autour d’elle que le débat politique va s’organiser.

Puis, formule consciemment mise au point pour être relayée par les médias (ou comment le miroir suscite l’image)» (Denquin, 1997 : 105).

Cette définition amène de nouvelles observations. Tout d’abord, outre qu’elle apparaît dans un ouvrage qui lui est consacré, celle-ci place à nouveau la « petite phrase » dans le champ politique.

A la lecture de cette troisième proposition pour dessiner un cadre à la « petite phrase », il apparaît de plus en plus clairement qu’elle est donc liée au monde politique et à ses acteurs.

Objectivement en effet, lorsque l’on réfléchit aux contextes dans lesquelles on entend cette appellation, on ne peut s’empêcher de penser aux interviews, meetings et déclarations diverses des politiques, d’autant plus en campagne électorale.

On pourrait alors émettre l’hypothèse que cette notion revient souvent dans la bouche de deux grandes catégories d’acteurs : d’une part les journalistes et d’autre part les femmes et les hommes politiques eux-mêmes :

En plus du ressenti que l’on peut avoir en suivant les médias, cette perception paraît assez confortée par la description que propose Jean-Marie Denquin et le contexte dans lequel il la fait.

Ensuite, on peut estimer que l’universitaire confère à la « petite phrase » une certaine dimension centrale par rapport au discours politique.

Autant quand il estime qu’elle «…occulte (…) le reste du texte…» que parce que c’est « …autour d’elle que le débat politique va s’organiser », il fait prendre à cet objet un rôle important en termes, certes, d’idéologie, mais a priori également de stratégie.

On perçoit clairement dans cette description la notion « d’extraction » du reste du discours qui semble être propre à la « petite phrase » et il semble bien que l’on parle plus, dans ce cas précis, de caractéristiques de langage et de stratégie de communication, que de politique.

Enfin, on perçoit également dans cette définition, notamment à la fin, une dimension temporelle ou chronologique. Un peu comme si l’auteur voulait nous expliquer que la façon dont on regarde la « petite phrase » a évolué au fil du temps.

Ainsi, il semble vouloir nous dire qu’elle a d’abord été une façon stylistique ou linguistique d’attirer l’attention, avant de devenir une « arme de persuasion », qui plus est volontairement construite avec cet objectif, comme l’indique l’utilisation de l’adverbe « consciemment ».

Ainsi, nous serions passés de la figure de style à l’outil stratégique. Et on verra plus loin que cette évolution de profil et de rôle que semble avoir connu, au fil des ans, la « petite phrase » se retrouve au moment d’évoquer d’autres aspects de sa nature.

Nous avons donc défini un cadre très généraliste et posé quelques jalons historiques pour tenter de déterminer à quel moment les petites phrases sont apparues.

A présent, nous allons regarder comment des disciplines comme la linguistique ou les sciences du langage appréhendent l’objet « petite phrase » et quelle en est leur définition.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Européenne de Bretagne – Rennes 2 - Unité de formation et de recherche d'arts, lettres, communication UFR ALC
Auteur·trice·s 🎓:
Perrault Frédéric

Perrault Frédéric
Année de soutenance 📅: Mémoire de MASTER 2 Communication - Parcours : Métiers de l’information et de la communication organisationnelle - Septembre 2017
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top