Les principes de protection des normes communautaires

§ 2. La portée limitée des principes
A – Des principes similaires ?
Ces principes convergent vers un objectif commun celui du progrès social. Or ces notions apparaissent parfois confuses. La notion de progrès social tend même à s’effacer.
1/ l’objectif commun de ces principes : le progrès social
Est-il possible de considérer que des prescriptions minimales peuvent être synonymes de progrès? L’harmonisation doit réaliser un progrès, ce qui signifie que l’alignement des législations des Etats membres doit se faire vers le haut et non vers le bas. Les prescriptions minimales doivent permettre une amélioration des législations. L’article 136 du Traité CE119 fixe comme objectif aux Etats membres « l’harmonisation dans le progrès » tout en indiquant que les prescriptions minimales sont d’application progressives « compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des Etats membres ». Ainsi, l’Etat membre doit considérer ces prescriptions minimales, il peut également aller au-delà de ces dernières en édictant des normes plus rigoureuses. En aucun cas, l’Etat membres ne peut invoquer ces prescriptions minimales pour justifier une quelconque régression de son droit (application du principe de non régression).
De nombreux auteurs s’expriment sur la manière dont ce progrès doit se faire. Messieurs les Professeurs Gérard et Antoine Lyon-Caen évoquent « l’harmonisation vers le haut des législations sociales 120» et « c’est sur la meilleure des lois nationales que les autres pays devraient s’aligner ». Monsieur le Professeur Pierre Rodière s’exprime dans les même termes : « Chaque Etat membre devra se hisser au niveau de protection sociale atteint dans l’Etat le plus avancé et que tous les Etats membres ensemble devront aller plus loin encore 121».
Le progrès social semble plus que jamais lié à la politique économique communautaire et nationale. La politique sociale communautaire ne pourra prendre toute sa force qu’à la condition d’une politique économique dynamique. L’objectif premier de la Communauté est la mise en place du marché commun, des concessions au niveau social sont donc nécessaires.
Lorsqu’on parle d’harmonisation non régressive, il est question d’harmonisation dans le progrès122. Le droit du travail français s’inspirant du droit communautaire, ne peut mettre en place des dispositions moins protectrices pour le salarié.
Le risque encouru est celui du dumping social si l’harmonisation se réalisait en référence aux Etats à la législation la moins avancée.
Tout progrès social consacré par une norme de droit interne peut être modifié, supprimé par une norme interne de même valeur. Ainsi le droit communautaire inflige à notre droit interne le principe de non régression. Même s’il ne modifie point notre droit interne en ne l’améliorant pas, il permet que perdure le progrès social mis en place par le droit interne. La garantie est celle de la stabilité des normes internes.
De même, la protection nationale renforcée obéit au progrès social. L’ordre public social, par l’application de la norme la plus favorable socialement répond le mieux au progrès social.
2/La remise en cause des principes ou la confusion des principes
Les idées de progrès social, d’élévation des législations des Etats membres vers le haut définissent aussi bien de manière récurrentes, la mise en place de prescriptions minimales, que le principe de non régression, ou encore la protection nationale renforcée, ou l’ordre public social européen.
La grande difficulté à cerner ces différents principes pour pouvoir effectuer une distinction tient à l’objectif commun de progrès social. Il est clair que ces principes tendent vers le même objectif, celui de progrès social, cela ne veut pas dire que ces notions sont identiques, des distinctions peuvent être établies comme nous l’avons démontré précédemment.
Au niveau, tout d’abord, des prescriptions minimales mises en place par la communauté, il s’avère qu’elles ne répondent pas toujours à la notion de progrès, surtout lorsque la législation de l’Etat membre est particulièrement protectrice du travailleur.
Les prescriptions minimales sont transposées au sein du droit interne de chaque Etats membres, s’il existe un droit interne déjà particulièrement développé, l’efficacité des prescriptions minimales est pratiquement nulle, puisque l’on appliquera le droit national plus protecteur des intérêts des travailleurs (principe de l’ordre public social européen).
L’ordre public social européen ne s’applique que si les prescriptions minimales ont été transposées en droit interne.
Quant au principe de non régression, il permet, comme l’exigence des prescriptions minimales, de permettre la stabilité du droit interne. Le droit interne ne peut appliquer de normes allant au deçà du droit communautaire (respect des prescriptions minimales et du principe de non régression).
Ces principes sont ainsi liés entre eux, tantôt ils tendent vers le même objectif, répondent aux mêmes exigences vis à vis du droit national, tantôt ces principes se distinguent en découlant les uns des autres.
B – La non application des principes ou la remise en cause du progrès social
Cependant, il faut prendre en considération le paramètre économique, ce qui ne permet pas de considérer comme principe absolu l’alignement vers le haut.
Le droit communautaire doit en effet répondre à certaines contraintes normatives pour être protecteur et ainsi être efficace. Il faut tout d’abord considérer la disparité de situation des différents Etats membres. Ainsi le droit communautaire s’illustre parfaitement au sein d’une politique de compromis, compromis entre ces différents Etats membres rendant incertain l’objectif de la Communauté de l’égalisation dans le progrès. Madame le Professeur Eliane Vogel- Polsky remarquait à ce sujet que «les directives en matière sociale sont souvent minimales car elles réalisent un rapprochement des législations internes conçu sur la base du dénominateur commun le plus bas. »123. Malgré le principe de l’alignement vers le haut et de non régression, l’alignement des législations vers le bas constitue un danger imminent, difficile à nier. Lors de la transposition de la directive de 1989 sur l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs, des difficultés non négligeables furent rencontrées en France124. Il est alors difficile d’échapper à la mise en place des normes à faible niveau protecteur125.
Madame le Professeur Michèle Bonnechère évoque également la difficulté à parvenir à une harmonisation sociale vers le haut c’est-à-dire un progrès social pour tous les Etats membres : « le minimum commun imposé par les directives fondées sur l’article 118 A n’existe que par bribes et n’ont pas fixé par référence au niveau de législations les plus élevées »126.
Les Etats membres dont le niveau social est faible, peuvent pratiquer le dumping social, en offrant des coûts salariaux plus avantageux que ceux des pays à protection sociale élevée, ce qui aura pour conséquence un alignement vers le bas des législations sociales127.
Les directives minimales n’ont pas le même impact selon la taille de l’entreprise. L’article 137 du traité CE énonce que les directives comportant les prescriptions minimales, « évitent d’imposer des contraintes administratives, financières et juridiques telles qu’elles contrarieraient la création et la développement de petites et moyennes entreprises ». Selon la taille de l’entreprise, la directive aura une application différente. L’évolution vers le progrès apparaît alors compromise par l’application discriminatoire de la directive minimale, ceci selon la taille de l’entrepri
se.

123 VOGEL-POLSKY (E.), « L’Acte Unique ouvre t il l’espace social européen ? », Dr.soc.1989, p.177.
124 MEYER (F.) ET KESSLER (F.), « Les mesures d’hygiène et de sécurité à l’épreuve du droit communautaire ; à propos de la transcription de la directive CEE 89-391 relative à l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs », Dr.ouvrier, 1992, p.161.
125 RODIÈRE (P.), « Construction européenne et droit du travail » in Etudes offertes à G. Lyon-Caen, Dalloz, 1989, p.37.
126 Bonnechère (M.), « Le droit européen peut il poser les bases d’un droit commun social ? » Dr.ouvrier 1999, p.400.
127 SARAMITO (F.), « Le progrès social est il un objectif du droit communautaire ? » in Mélanges H.Sinay, p.305.

Le principe de non régression se réfère au concept de progrès social. Or, peut être considéré comme progrès social la mesure qui, en évitant un licenciement va permettre la sauvegarde de l’emploi. Cet objectif se réalise souvent par la remise en cause d’avantages acquis. Il en a été ainsi concernant le débat sur les 35 heures. Est-ce, en réalité un progrès social soit une non régression du droit du travail français ?
Il en est de même concernant le travail de nuit des femmes. Pendant longtemps, le travail des femmes de nuit était permis en France. Or une directive communautaire permettait explicitement aux femmes le travail de nuit des femmes en application du principe d’égalité entre hommes et femmes. Le droit communautaire mettait en œuvre l’interdiction de discrimination par rapport au sexe de l’individu. L’ordre public social s’applique en second lieu, lorsque les prescriptions minimales du droit communautaire ont été respectées. Ces dernières n’ont, en l’espèce point été respectées. En effet, les exigences minimales imposaient à la France de respecter le travail de nuit des femmes. Après seulement, il était possible d’appliquer une norme interne plus favorable au travail de nuit des femmes. Or le droit français ne respectait pas l’exigence de travail des femmes imposée par la Communauté puisque notre droit le permettait. La question de l’ordre public n’était donc pas envisageable, en l’espèce. La question du progrès social pouvait se poser. Pouvait-on considérer comme progrès social les prescriptions minimales communautaires imposant le travail de nuit des femmes ? Il aurait certainement mieux fallut interdire le travail de nuit aux hommes et aux femmes.
De même, peut on considérer comme progrès social la transposition en France de la directive communautaire 89-391 relative à l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs ? Cette directive impose à la France de transposer des mesures contraignantes pour le salarié. En effet, le salarié se voit consacrer une véritable responsabilité dans la réalisation des risques professionnels128. Selon le principe de non régression, l’Etat ne peut consacrer des dispositions moins favorables aux salariés par rapport au droit national en vigueur. Peut-on considérer qu’en l’espèce, le principe de non régression a été respecté alors que le droit français ne consacrait aucune responsabilité du salarié?
La clause de non régression n’interdit pas à un Etat membre de mettre en place une réforme législative réduisant certains acquis sociaux dès lors qu’il respecte les prescriptions minimales imposées par la directive. La clause impose simplement à l’Etat membre de ne pouvoir justifier sa régression par le fait qu’elle a transposé une directive129. Dans cette situation, où se situe le progrès social ? Où se situe la frontière entre la régression justifiée et celle qui ne l’est pas ?

128 MEYER (F.) ET KESSLER (F.), « Les mesures d’hygiène et de sécurité à l’épreuve du droit communautaire : à propos de la transcription de la directive C.E.E. 89-391 relative à l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs », Dr.ouvrier.1992, p.161

La perception de la notion de progrès joue sur le principe de non régression puisque lorsque l’on parle d’harmonisation dans le progrès, on entend par là, harmonisation non régressive.
Les prescriptions minimales doivent aussi être suffisantes et au moins aussi contraignantes que le pays où la législation sociale est la plus contraignante. Ainsi, cela permettrait de répondre à une élévation du niveau de protection pour tous les Etats membres.
L’influence du droit communautaire en droit du travail français
Mémoire de DEA de droit social – Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales
Université LILLE 2- Droit et santé

Introduction
Partie I : Le contenu du droit communautaire
Chapitre I – le partage des compétences
Section I – Le principe de spécialité
§ 1 Les objectifs de la Communauté
§ 2 Les compétences conférées par les Etats membres à la Communauté européenne
Section II – L’encadrement des compétences
§ 1 Le principe de subsidiarité
§ 2 Le principe de proportionnalité
Chapitre II : la mise en œuvre des compétences
Section I – L’intégration du droit communautaire en droit interne
§ 1 La diversité des principes de protection des normes
§ 2 La portée limitée des principes
Section II – L’utilisation du droit communautaire et ses difficultés
§1 Une influence réciproque du droit communautaire et du droit français
§ 2 La régression du droit français ?
Partie II : l’applicabilité du droit communautaire
Chapitre I : La hiérarchie des normes
Section I – La primauté du droit communautaire
§1 Fondement de la primauté
§ 2 Portée et conséquences
Section II – Le principe d’effet direct
§ 1 Fondement
§ 2 Les extensions du principe
Chapitre II : L’application effective du droit communautaire
Section I – Les difficultés rencontrées dans l’application du droit communautaire sur le droit interne
§ 1. Les difficultés rencontrées au niveau étatique
§ 2 Les difficultés afférentes au juge et aux parties
Section II – Les moyens existants pour une application effective du droit communautaire
§1 Le fondement du recours en manquement
§2 L’effet de la condamnation en manquement de la France
Conclusion

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