Les moyens pour une application effective du droit communautaire

Les moyens existants pour une application effective du droit communautaire – Section II :
A travers l’étude de la primauté du droit communautaire et de son effet direct, nous avons pu mettre en évidence les difficultés rencontrées à appliquer concrètement ces principes.
Pourquoi de telles difficultés existent au niveau de l’application effective du droit communautaire ?
Une règle est facilement transgressée si aucune sanction dissuasive n’est mise en place à l’encontre de l’Etat désobéissant.
§1. Le fondement du recours en manquement
A – Le principe
L’interprétation du droit communautaire a été principalement précisée grâce aux recours en manquement. Le recours en manquement permet de faire condamner l’Etat ne respectant pas la transposition des directives européennes dans le délai donné.
L’article 228 du traité de la Communauté européenne dispose : « si la Cour de justice reconnaît qu’un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombe en vertu du présent traité, cet Etat est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour de justice ». Ne respectant pas l’article 228, l’Etat engagerai sa responsabilité.
Le manquement a un aspect protéiforme. Il se caractérise par de multiples facettes. Ce recours condamne un grand nombre de comportements répréhensibles de l’Etat.
Il peut tout d’abord s’agir d’une violation de toutes les obligations qui découlent des sources du droit communautaire (droit primaire ou dérivé).
Le manquement peut également découler d’une violation d’une jurisprudence de la Cour de Luxembourg.
Il peut couvrir des situations variées comme l’adoption d’un texte contraire aux sources du droit communautaire, ou le fait de ne pas adopter un texte, l’adoption d’un texte remplissant imparfaitement les obligations de l’Etat.
Cela concernera aussi bien un acte positif (adopter un texte contraire au droit communautaire) que passif (ne pas adopter un texte).
La Cour de justice agit ainsi pour permettre le respect du droit communautaire par l’Etat. La sécurité juridique des individus est ainsi respectée.
Est considéré comme manquement le fait que le Parlement ne modifie pas les dispositions nationales incompatibles avec le droit communautaire dans les délais qui lui sont impartis, la France encourt une condamnation pour manquement.
La condamnation en manquement implique l’exécution de l’arrêt de la Cour dans les délais fixés. A défaut, la Cour de justice peut infliger à l’Etat condamné, le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte279.
Il est indispensable que la Communauté dispose d’un instrument efficace, sanctionnant le comportement répréhensif des Etats membres afin d’assurer que ces derniers respectent leurs obligations découlant du droit communautaire280.
Ainsi, pour qu’un Etat soit condamné effectivement au paiement d’une somme d’argent, il doit souvent réitérer son manquement c’est-à-dire réitérer sa volonté de ne point se conformer au droit communautaire.
L’influence du droit communautaire au sein de notre ordre juridique est par la même, malmenée. Si la mise en conformité du droit interne au droit communautaire n’est pas spontanée, la Communauté a cette possibilité de contraindre l’Etat à s’y conforter.
La France est l’un des pays où le recours en manquement est le plus introduit contre lui281.
Ainsi, la France, dans certains domaines du droit du travail se fait l’écho d’une mauvaise élève, en étant condamné pour manquement.
B – Les condamnations répétitives de la France
On peut noter le nombre important de directives communautaires non transposées ou de transposition tardive au sein de notre ordre juridique. Il est rare que les directives soient transposées rapidement. Dans ce cas, la commission a la possibilité de mettre en œuvre la procédure en manquement.
La directive du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail282 devait être transposée par l’Etat français dans un délai de trente mois. La France n’a pas respecté ces délais puisque la transposition est intervenue en 1982-1983 pour les fonctions publiques et 1982 pour le secteur privé. Sur le point de la transposition, la France n’a pas été poursuivie en manquement pour non respect du délai de transposition.
Par le fait, que l’Etat ne respectant pas les délais de transposition, n’est point poursuivi pour manquement, ne serait ce pas une incitation au non respect des délais? Ne vaudrait-il pas mieux une certaine automaticité dans l’application de la procédure en manquement ? L’Etat qui systématiquement est inquiété, est un Etat qui redoublerait de vigilance dans le respect des délais de transposition.

280 SIMON (D.), « Recours juridictionnels : recours en constatation de manquement » in Europe, éd. du Juris Classeur, Fasc. 380, 2002.
282 Directive 76/207/ CEE du Conseil du 9 février 1976

Concernant la transposition de cette directive, la France fut condamnée en manquement pour ne pas avoir fait une pleine application du droit communautaire283. Revenons sur les faits :
La directive 76/207 fut transposée par la loi du 13 juillet 1983284 en ce qui concerne la fonction publique. Le principe général de non discrimination y est proclamé. Cependant, l’alinéa 3 de l’article 1 de la loi précise : « Toutefois des recrutements distincts pour les hommes ou les femmes peuvent, exceptionnellement, être prévus lorsque l’appartenance à l’un ou l’autre sexe constitue une condition déterminante de l’exercice des fonctions ». Une liste de métiers pour lequel des recrutements distincts étaient prévus comportait en ce qui concerne l’Education nationale, les professeurs d’éducation physique, instituteurs. Cette liste plutôt surprenante, engendra une mise en demeure de la France par la Commission. La CJCE fut ensuite saisi au nom de la non-conformité de cette liste à la directive communautaire précitée. La CJCE condamna la France en manquement le 30 juin 1988285. La Cour dénonce les recrutements distincts en fonction du sexe en ce qui concerne les corps de police nationale et pénitentiaire286.
En ce qui concerne le secteur privé, une autre loi du 13 juillet 1983287 relative à l’égalité professionnelle énonce également le principe de non discrimination entre hommes et femmes288. Il est toutefois, possible de déroger au principe lorsque le sexe est la condition déterminante à l’exercice d’un emploi ou d’une profession. L’article 19 de cette loi prévoyait le maintien d’avantages ouverts aux femmes.
N’était ce point une discrimination des hommes par rapport à la situation plus favorables des femmes ? La directive 76/207 n’était-elle pas transgressée ?

283 Condamnation en manquement sur le fondement de l’article 169 du Traité, aujourd’hui article 228 du TCE
284 Loi n° 83-694 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
285 CJCE, 30 juin 1988, voir LANQUETIN (M.T.), « Les recrutements distincts d’hommes et de femmes, ls exigences du droit communautaire », Action juridique, n°75, mai 1989, p. 23.
286 LANQUETIN (M.T.), « Les apports du droit social communautaire » in Le droit social communautaire, numéro spécial, Action juridique, mai 1991, p. 23.
287 Loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l’égalité professionnelle entre hommes et femmes.
288 Nul ne peut prendre en considération du sexe ou de la situation de famille, un ce tain nombre de mesure énumérées à l’article L
.123-1 du code du travail.

La Cour de justice, par un arrêt du 25 octobre 1988 a condamné la France en manquement pour ne pas avoir pris « dans le délai prescrit toutes les mesures nécessaires pour assurer l’application complète de la directive 76/207… a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité ».
Suite à cette condamnation, la France a modifié l’article 19 de la loi de 1983 par une loi du 10 juillet 1989 en prévoyant un délai de 2 ans pour les négociations et en précisant que les négociations « auront pour objectif l’harmonisation dans le progrès et le respect des droits et garanties acquis par les femmes ».
Ce qui est regrettable dans ces différentes condamnations en manquement est le temps écoulé entre d’une part, la mise en place de la loi de transposition (loi du 13 juillet 1983) et la directive transposée ( loi du 9 février 1976), d’autre part, entre la condamnation en manquement de la France n’ayant pas correctement transposée la directive ( arrêt de la CJCE du 25 octobre 1988) et la modification de la loi de transposition (loi du 10 juillet 1989) pour être enfin conforme à la directive de 1976 ! Treize années auront été nécessaires pour qu’au final la France respecte la directive européenne. Ces délais de conformité et de transposition sont inadmissibles, surtout en ce qui concerne des matières aussi fondamentales que l’égalité entre hommes et femmes.
La France pourrait se voir condamner en manquement289 par la Cour de justice au sujet de la clause de non régression insérée dans la directive 2000/43290. Dans le cas d’une condamnation, la situation serait particulièrement originale puisque la France respecte les dispositions matérielles de la directive, mais ne respecte pas les obligations relatives à la mise en œuvre de celle-ci.
Une fois la condamnation en manquement de la France prononcée, nous avons pu remarquer qu’elle ne respectait pas la sanction communautaire. Etudions à présent, plus en détail, les effets de la condamnation en manquement.

289 MOIZARD (N.), « Droit communautaire- Son usage régressif dans la réforme de la charge de la preuve d’un harcèlement », Semaine sociale, n° 1113, 10 mars 2003, p. 9.
290 Voir précédemment. Selon le droit national, le salarié doit établir les faits laissant supposer le harcèlement, alors que la directive prévoit que le salarié invoque la matérialité des faits, laissant présumer le harcèlement.

L’influence du droit communautaire en droit du travail français
Mémoire de DEA de droit social – Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales
Université LILLE 2- Droit et santé

Introduction
Partie I : Le contenu du droit communautaire
Chapitre I – le partage des compétences
Section I – Le principe de spécialité
§ 1 Les objectifs de la Communauté
§ 2 Les compétences conférées par les Etats membres à la Communauté européenne
Section II – L’encadrement des compétences
§ 1 Le principe de subsidiarité
§ 2 Le principe de proportionnalité
Chapitre II : la mise en œuvre des compétences
Section I – L’intégration du droit communautaire en droit interne
§ 1 La diversité des principes de protection des normes
§ 2 La portée limitée des principes
Section II – L’utilisation du droit communautaire et ses difficultés
§1 Une influence réciproque du droit communautaire et du droit français
§ 2 La régression du droit français ?
Partie II : l’applicabilité du droit communautaire
Chapitre I : La hiérarchie des normes
Section I – La primauté du droit communautaire
§1 Fondement de la primauté
§ 2 Portée et conséquences
Section II – Le principe d’effet direct
§ 1 Fondement
§ 2 Les extensions du principe
Chapitre II : L’application effective du droit communautaire
Section I – Les difficultés rencontrées dans l’application du droit communautaire sur le droit interne
§ 1. Les difficultés rencontrées au niveau étatique
§ 2 Les difficultés afférentes au juge et aux parties
Section II – Les moyens existants pour une application effective du droit communautaire
§1 Le fondement du recours en manquement
§2 L’effet de la condamnation en manquement de la France
Conclusion

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top