La petite phrase : détachabilité, memoria et ses effets

D) La petite phrase : un objet d’étude ?

1) Approche et définition scientifique

a) Généralités

Dans le cadre de notre réflexion, il s’agira d’observer comment la « petite phrase » constitue, ou non, un thème de recherche et dans quelles directions s’orientent les investigations à son sujet.

On l’a déjà évoqué, les travaux sur cette notion de « petite phrase » sont relativement peu nombreux. Il ne s’agit pas ici d’en dresser une liste exhaustive car ce n’est pas le but de cette étude.

Il s’agit plutôt de voir pourquoi les chercheurs s’intéressent à cette notion et si ces recherches s’inscrivent dans le champ des Sciences de l’Information et de la Communication, qui est la discipline dans laquelle se situe notre travail.

Si la notion de « petite phrase » n’a pas fait l’objet de très nombreux travaux, quelques chercheurs s’y sont toutefois intéressés, et ce, d’une manière très précise.

C’est notamment le cas d’A. Krieg-Planque, qui, dans la continuité de ses recherches sur la notion de « formule » a travaillé spécifiquement sur la « petite phrase » et sa présence dans les discours politiques.

A cet égard, elle a d’ailleurs codirigé, avec Caroline Ollivier-Yaniv, un numéro de la revue Langages intitulé Les « petites phrases » en politique, en juin 2011.

Aussi, à côté des références d’autres auteurs, nous nous appuierons principalement sur les recherches effectuées par Alice Krieg-Planque sur ce sujet.

Définition de la notion de petite phrase

Nous nous attacherons à ne faire ressortir que les postulats qui permettent d’aller dans le sens de la reconnaissance de la « petite phrase » comme pouvant jouer un rôle dans une stratégie de communication.

La petite phrase : généralités, 2 définitions et historiques

Tout d’abord, cette identification de la notion de « petite phrase » se fait dans le cadre d’une définition spécifique de la communication établie dans des travaux antérieurs et d’un point de vue discursif.

Ainsi, celle-ci est décrite comme étant « un ensemble de savoir-faire relatifs à l’anticipation des pratiques de reprise, de transformation et de reformulation des énoncés et de leurs contenus » (Krieg- Planque, 2006 : 34).

Il faut noter que cette approche semble faire ressortir en quelque sorte un caractère stratégique, puisque des mots comme l’anticipation, la reprise, la transformation et la reformulation tendent à faire apparaître que plusieurs acteurs font partie intégrante de la communication ainsi définie.

D’un point de vue « technique » la « petite phrase » est définie comme « (…) un syntagme nominal composé d’un adjectif et d’un nom », et l’on nous précise que « (…) l’adjectif est toujours antéposé (…) » ou encore que le syntagme apparaît comme « (…) une unité formant un tout spécifique (…) » (Krieg-Planque, 2011 : 24-25).

Ce qui apparaît ici est à comparer avec ce qui est dit plus tôt dans l’introduction du dossier sous la forme de deux hypothèses : d’une part « Le terme ‘petites phrases’ sert (…) à désigner un ensemble hétérogène de phénomènes » et d’autre part « le terme ‘petites phrases’ appartient à un métalangage peu stabilisé » (Krieg-Planque/Ollivier-Yaniv, 2011 : 18).

Ce qui ressort ici est que l’expression « petite phrase » est à la fois une notion qui présente une délimitation encore imprécise, mais que celle-ci est néanmoins en train de se stabiliser, cette « transformation » pouvant justifier que l’objet est en train de devenir un véritable objet d’études.

Enfin il est précisé que « la dénomination ‘petite phrase’ appartient à un lexique non savant » (Krieg-Planque, 2011 : 25) ce qui, là encore, est à rapprocher de ce qui est dit en introduction, à savoir qu’elle « est une formulation dont on trouve la trace dans le langage courant des acteurs sociaux (…) » (Krieg- Planque/Ollivier-Yaniv, 2011 : 17).

En résumé, cette appellation n’est pas réservée aux seuls chercheurs, elle est présente dans le langage courant et est utilisée par tous ceux qui participent d’une façon ou d’un autre à créer, faire circuler et analyser le discours politique.

Le discours politique: déf., 3 composantes, analyse, pouvoir

On pourrait donc dire qu’elle est une notion assez répandue mais qu’elle peut induire plusieurs interprétations.

b) Petite phrase et détachabilité

L’étape de réflexion suivante consiste à observer la « petite phrase » dans sa dimension énonciative.

Il faut alors aborder brièvement deux notions que sont la détachabilité et la surassertion, « (…) la surassertion étant ce phénomène par lequel un fragment se présente dans le discours comme détachable (…) » (Krieg- Planque, 2011 : 27).

La surassertion est donc en quelque sorte une « mise en relief ».

Au premier abord, on peut admettre qu’une « petite phrase » est détachable, puisque celle-ci a vocation à être extraite d’un discours dans un but de circulation.

Toutefois, ceci n’est pas une généralité : il y a également des « petites phrases » qui « endossent ce statut » sans être extraites d’un discours, mais parce qu’elles sont une simple réponse à une question posée.

Sans compter que d’autres acteurs jouent un rôle dans ce processus, comme par exemple, le journaliste :

« En fait, il est impossible de déterminer si ces ‘petites phrases’ sont telles parce que les locuteurs des textes sources les ont voulues telles, c’est-à-dire détachables, vouées à la reprise ou si ce sont les journalistes qui les disent telles pour légitimer leur découpage » (Maingueneau, 2006 : 111).

Ainsi, le journaliste joue un rôle quant au caractère détachable de telle ou telle « petite phrase » : il semble qu’il ait autant le pouvoir de rendre détachable une « petite phrase » qui n’avait pas cet objectif, que le contraire.

Le lien entre « petite phrase », détachabilité et surassertion ne semble donc pas si évident.

Par ailleurs, on nous rappelle que « le phénomène de création, de mise en circulation et de reprise d’énoncés synthétiques et rendus remarquables n’est pas nouveau, et il n’est en rien spécifique de la sphère politique (Krieg-Planque, 2011 : 28).

En d’autres termes, les questions de détachabilité et de surassertion ne se posent pas que pour les petites phrases, puisqu’elles se posent également pour les proverbes, maximes, dictons, entre autres.

A la lecture de toutes ces réflexions, et avec une approche « non savante » on peut être tenté de vouloir classer la « petite phrase » dans un groupe qui rassemblerait ces formes de texte plutôt courtes, mais remarquables, et dont on va se souvenir.

Voici le moment de pointer deux autres caractéristiques supposées de la « petite phrase » : la memoria et la valeur illocutoire.

c) Petite phrase et memoria

« (…) la memoria correspond à cette partie de la rhétorique qui s’intéresse aux procédés permettant de mémoriser un discours » (Krieg-Planque, 2011 : 35).

La question qui est posée ici est celle de savoir si la « petite phrase » présente des caractéristiques qui permettent de mieux la retenir.

Cette hypothèse est très importante dans notre étude puisqu’il peut paraître raisonnable de penser qu’une stratégie de communication a pour vocation, entre autres, de « marquer les esprits ».

La stratégie marketing et la stratégie de communication

Comment y parvenir si ce n’est en faisant retenir ses idées et ses projets à ceux que l’on veut convaincre ?

Il est fait l’hypothèse que deux groupes de figures de style peuvent favoriser la memoria.

Le premier groupe rassemble des « (…) figures qui s’appuient plutôt sur des phénomènes sémantiques (…) » (ibid.), comme par exemple et pour ne citer que celles-ci : la métaphore, l’allégorie…

Si l’on se permet ici une petite incursion dans la campagne de l’élection présidentielle 2012, on peut citer Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche qui, le 12 novembre 2011, déclarait dans une interview7 : « À présent, à gauche, pourquoi choisir, pour entrer dans la saison des tempêtes, un capitaine de pédalo comme Hollande ?».

La petite phrase : déf., détachabilité, memoria et ses effets

Cette « petite phrase », au delà de la polémique qu’elle a entraînée, peut rentrer dans la catégorie sus-citée, car même si le capitaine de pédalo a les traits d’une « raillerie », l’autre partie de la phrase, faisant référence à la saison des tempêtes est plutôt métaphorique, et donc marquante.

Le second groupe inclut des « (…) figures qui s’appuient plutôt sur des propriétés formelles des énoncés (…) » (ibid.), comme l’inversion, le chiasme, la paronomase, entre autres.

On peut citer en exemple cette phrase de Jacques Duclos, candidat communiste aux élections présidentielles de 1969, qui, lorsqu’il comparaît Georges Pompidou et Alain Poher, deux autres candidats, disait « c’est bonnet blanc et blanc bonnet » (Lavarini/Lhomeau, 2009 : 46), reprenant d’ailleurs lui-même une expression connue.

Enfin, dans le cadre de cette réflexion, ajoutons qu’il semble qu’une « (…) certaine concision s’impose aux énoncés susceptibles d’être mobilisés pour la reprise (…) » (Krieg-Planque, 2011 : 36), que l’on devine dans l’appellation elle-même de « petite phrase ».

Cette caractéristique est d’ailleurs a priori compatible avec la memoria, étant entendu qu’il est plus aisé de retenir un « texte » court que long ou très long, en particulier dans le cadre des discours politiques.

d) Les « effets » de la petite phrase

Par ailleurs, la « petite phrase » serait dotée d’une valeur illocutoire, ce qui faciliterait sa reprise par les médias.

Cette notion a été à l’origine définie par J-L Austin, pour qui l’acte illocutoire est « un acte effectué en disant quelque chose, par opposition à l’acte de dire quelque chose » (Austin, 1970 : 113).

La parole, au moment où elle est prononcée, se confondrait donc avec l’action qu’elle produit.

Pour Alice Krieg-Planque, « Chacun des énoncés qu’une édition d’un quotidien présente comme énoncé détaché prêt pour la reprise est doté d’une valeur illocutoire par son détachement même, et il se donne à voir comme disponible pour une construction en évènement.

En disant que l’énoncé est doté d’une valeur illocutoire par son détachement, nous voulons dire que la «petite phrase » identifiée comme telle est supposée correspondre à un certain acte de langage : promesse, engagement, soutien, exigence, exhortation, menace, condamnation, reniement, offense, demande d’excuse… » (Krieg-Planque, 2011 : 36).

En quelque sorte, la « petite phrase » serait donc en capacité de produire, chez celui qui l’entend prononcer ou la lit, cette imagination de l’acte qui en découle ou qu’elle induit.

Evidemment, cela ne paraît pas totalement étranger au discours politique, qui par nature, peut être facilement mis en parallèle avec les idées de promesse ou d’exhortation, pour ne citer que ces deux caractéristiques.

7 lejdd.fr, 12/11/2011, article : « Mélenchon : Hollande, un ‘capitaine de pédalo dans la tempête’, disponible sur http://www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Jean-Luc-Melenchon-s-en- prend-au-programme-de-Francois-Hollande-interview-422213, consulté le 09/04/2012

Ceci s’inscrit plus largement dans la notion de « performatif », aussi explorée par J.L. Austin, qui la définissait ainsi :

« Ce nom dérive, bien sûr, du verbe (anglais) perform, verbe qu’on emploie d’ordinaire avec le substantif « action » : il indique que produire l’énonciation est exécuter une action (…) » (Austin, 1970 : 41-42).

Le philosophe anglais illustrait alors son propos en prenant entre autres exemples, celui qui déclare « je baptise ce bateau », expliquant que dans ce cas précis, les paroles et les actes se « confondent », au contraire du « constatif », qui est un acte de langage où « l’on se contente » de décrire un évènement.

Même si cette opposition constatif/performatif sera dépassée par le philosophe lui-même, qui finira par décomposer l’énonciation en trois actes, les « actes locutoires (qui ont une signification), illocutoires (qui ont une force) et perlocutoires (qui ont des effets) » (Denis, 2006 : 3).

Pour ce qui nous concerne ici, nous n’irons pas aussi loin mais il sera intéressant d’observer si, les « petites phrases » qui nous occupent sont toutes dotées de cette valeur illocutoire, au sens décrit par Alice Krieg- Planque.

En écho à ceci, il est en tout cas intéressant de noter que, dans le langage populaire, les paroles des politiques sont souvent mises en comparaison avec leurs actes, le plus souvent, d’ailleurs, pour rappeler que les discours ne sont pas ou peu suivis des faits.

Il suffit ainsi de penser à des expressions comme « les promesses non tenues » ou encore « les paroles en l’air » pour le constater.

A nouveau et alors que nous l’avons déjà citée, on ne peut s’empêcher de penser au titre de l’émission politique proposée par France Télévision :

Des paroles et des actes, une émission de débats politique dont le 1er numéro a été diffusé le 23/06/20118 et dont le titre illustre bien le lien qui semble les unir.

8 http://fr.wikipedia.org/wiki/Des_paroles_et_des_actes, consulté le 12/05/2012

Observons à présent quelles évolutions dans les médias sont susceptibles d’avoir favorisé la création, la reprise ou la circulation des petites phrases.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Européenne de Bretagne – Rennes 2 - Unité de formation et de recherche d'arts, lettres, communication UFR ALC
Auteur·trice·s 🎓:
Perrault Frédéric

Perrault Frédéric
Année de soutenance 📅: Mémoire de MASTER 2 Communication - Parcours : Métiers de l’information et de la communication organisationnelle - Septembre 2018
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