La gestion des détenus : une désobéissance aux règles nécessaire

La gestion des détenus – Deuxième paragraphe :
Les nombreux textes législatifs et réglementaires ainsi que le règlement intérieur, viennent encadrer le surveillant dans son travail quotidien. Néanmoins, dans certaines situations, les surveillants doivent « désobéir » aux règles pour éviter un incident (A.). Mais parfois cette désobéissance n’est pas souhaitée. En effet, certaines transgressions sont involontaires (B.).
A. Une désobéissance aux règles nécessaire.
L’objectif principal du surveillant est d’éviter tout désordre afin de maintenir la sécurité. « Ils se doivent de créer, au sein des établissements, un climat relationnel favorable à tous. »67 D’ailleurs c’est ce qu’a souligné Héloïse Pellet, « dans la pratique quotidienne, le travail des surveillants consiste avant tout à assurer la sécurité de l’établissement en prévenant les crises ». Pour cela, le surveillant est parfois obligé de transgresser les normes.
A ce propos, le rapport Chauvet reconnaît que les initiatives personnelles quant à la gestion de la détention, sont d’une grande richesse68. De toute façon, le surveillant est responsable de son étage, il prend les décisions qu’il juge opportunes69. Souvent, il va préférer faire un écart au règlement, plutôt que de créer une tension dans la détention, qui pourrait avoir de plus graves conséquences. Un surveillant résume ainsi la situation : « si on applique le règlement intérieur, c’est l’émeute à l’étage tous les jours; si on ne l’applique pas, ça va, tout va bien, mais s’il y a un problème, on est tout seul, hors la loi »70. Le bon surveillant pour le personnel, est celui qui « sait être diplomate, qui sait négocier…et se trouve donc en marge des règles bureaucratiques »71. Ainsi, le surveillant qui, en principe, devrait transmettre un rapport pour tout atteinte au règlement intérieur, appréciera par lui-même, le bien fondé d’un tel rapport. Ainsi, tout manquement à la discipline n’appelle pas forcément une sanction immédiate, « les surveillants optent parfois pour une dynamique informelle porteuse de plus d’intérêts sur le moyen terme »72.

67 Les fiches de la justice, les surveillants pénitentiaires, Ministère de la Justice.
68 Deuxième partie, 4-a. La cohésion des personnels de surveillance.

Un autre aspect rentre en jeu : l’importance de la hiérarchie. En effet, un rapport d’incident qui n’aurait pas été suivi par la hiérarchie, peut causer de graves désordre en détention.
Il ne faut pas perdre à l’idée, que les textes sont théoriques. Ils ne s’adaptent donc pas à toutes les situations et à chaque comportement des détenus. Par exemple, un centre de détention doit fonctionner en régime porte ouverte. Néanmoins, celui de Loos ne peut fonctionner de cette manière du fait de son architecture, étant donné que l’on a voulu faire d’un monastère, une prison. Par conséquent, il est évident que les surveillants auront tendance à adoucir la détention des détenus.
M. Lhuilier pose cette affirmation très explicite : « il désobéisse pour obéir »73.
Mais, il ne faut pas que certaines transgressions aient l’effet inverse. En effet, l’inconvénient majeur est que le surveillant ne fasse plus les contrôles nécessaires. Comme l’a justement souligné M. Lebel, « la routine tue le travail ». La difficulté est de faire prendre conscience que la sécurité doit toujours être la priorité. La sécurité est l’affaire de tous. Mme Silveri insiste essentiellement sur cette notion, en comparant la sécurité à une mélodie où chaque surveillant joue une note de musique.
De plus, comme la gestion de la détention reste personnelle, la possibilité de faire telle chose peut être interdite par un autre surveillant, plus scrupuleux du règlement. Ainsi, cette arbitraire fait naître une perte de repères chez les détenus et occasionne un sentiment d’injustice. Pour éviter cela, il faut renforcer le travail en équipe. La prison peut être comparée à une cocotte minute, à une poudrière, qui peut « exploser » à tout moment. Il ne faut pas que le surveillant perde l’idée que c’est lui qui décide et non le détenu qui impose. Mme Silveri fait le parallèle avec une famille. Il y a des règles de vie qui doivent s’instaurer et être respectées. C’est le détenu qui doit se soumettre et qui doit obéissance, et non l’administration.

69 Circulaire du 11 février 2002 sur les pouvoirs des personnel de surveillance dans les établissements pénitentiaires : « Les personnels disposent au quotidien d’un important pouvoir d’opportunité qu’il leur appartient d’exercer avec discernement et sous le contrôle de sa hiérarchie ».
70 Héloïse Pellet, les fondements et le régime de l’exercice de la coercition en prison, juin 1999, p26.
71 Héloïse Pellet, les fondements et le régime de l’exercice de la coercition en prison, juin 1999, p23.
72 Jean-Paul Céré, Le contentieux disciplinaire dans les prisons françaises et le droit européen, Edition l’Harmattan, 1999.
73 Citation tiré du mémoire de M.Maro et Melle Simon sur le surveillant de prison : travailleur de l’ombre, 1997-1998.

La gestion des détenus dans une prison est bien souvent une affaire de personnalité et de règles officieuses. Néanmoins, de nombreux dysfonctionnements involontaires viennent faire obstacle au travail quotidien des surveillants.
B. Des transgressions involontaires :
Lors de la gestion de la détention, il y a certaines mesures qui ne peuvent pas être effectuées, à cause du manque en personnel. C’est le cas pour le sondage des barreaux le matin, qui devrait être fait par deux surveillants, étant donné la présence de la barre à sonder, qui peut être utilisée comme une arme. Malgré le fait que ce soit une mesure de sécurité importante, dans la majorité des cas, les barreaux ne peuvent donc pas être contrôlés. Ainsi, le travail des surveillants, et par conséquent la sécurité des établissements, sont mis de côté. Actuellement, il existe un réel fléau au sein de la profession. En effet, les surveillants se sentent abandonnés par le gouvernement. Un surveillant, délégué UFAP, Rémy Bultor, rapporte le découragement de ses collègues :
« on a déjà 120 démissions dans la nouvelle promotion de 500 surveillants qui devait arriver (…) il n’y a jamais eu autant de dépressions et de maladies chez nous ! »74. M. Lebel, premier surveillant au centre de détention nationale de Bapaume, remarque que l’absentéisme est un problème considérable dans le monde pénitentiaire. Cela est essentiellement dû notamment au travail considéré comme ingrat, au manque de compensation. Le rapport du Sénat fait le même constat : « un même sentiment semble animer l’ensemble des agents de l’administration pénitentiaire : celui de ne pas être reconnu par la société et d’être tenu à l’écart des réformes imposées par l’administration pénitentiaire »75.

74 Témoignage paru dans le journal Libération, à l’article Prison : le revers de la vague sécuritaire de Dominique Simonnot, le lundi 15 juillet 2002.

Estimée comme étant la cinquième roue du carrosse, l’administration ne dispose pas souvent des moyens que la mission de garde exigerait. D’ailleurs, M. Duflot considère que l’administration pénitentiaire est « le bouc émissaire de la société ». Motiver les surveillants pénitentiaires, c’est aussi leur donner des moyens adéquats pour exercer leur métier. D’ailleurs M. Lebel a affirmé à ce propos : « tout pour eux (les détenus), rien pour nous ».
Actuellement, un surveillant doit gérer son étage comprenant une soixantaine de détenus76 minimum. A ce sujet, Michel Pelchat, le 21 novembre 2000 constate que « la nécessité de disposer de personnels en quantité suffisante est une évidence qui appelle une réforme urgente, accompagnée des crédits budgétaires nécessaires »77.
Les conditions de travail ne sont donc pas optimales : certains établissements sont très vétustes, le nombre de détenus en maison d’arrêt est trop important (plus de 200% de taux d’occupation). En effet, les maisons d’arrêt accueillent les prévenus, les condamnés à de petites peines. Mais on y trouve également les condamnés qui attendent leur transfert vers un autre établissement, essentiellement les centres de détention nationale et les maisons centrales78. Pour lutter contre la surpopulation, certains prônent un numerus clausus afin que le nombre de place soit identique au nombre de détenu. Mais cela n’est réellement envisageable que s’il existe une réelle collaboration entre les magistrats et l’administration pénitentiaire. On ne peut en effet laisser un suspect qui a des raisons plausibles d’être dangereux, en liberté, sous prétexte qu’il n’y a plus de place en détention.

75 Rapport de la Commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, La prison : une humiliation pour la République, juillet 2000, 1.B. Un personnel pénitentiaire dévoué, désorienté et soucieux de reconnaissance.
76 Heureusement dans les établissements sécuritaires comme à la maison centrale de Saint Maur, un surveillant a une vingtaine de détenus à sa charge.
77 Questions au gouvernement, discussion de la question orale avec débat sur la suite des conclusions de la commissions d’enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Site du Sénat : http://www.senat.fr:Extense/bin/nph-cgi
78 Le temps d’attente pour être transféré vers la maison centrale de Poissy est actuellement de 18 mois. La longueur des peines étant de plus en plus long, les transferts sont de plus en plus difficile. Le nombre de places en maison centrale est évidemment limité strictement. L’attente pour être transféré au Centre nationale de Fresnes est encore plus importante: délai d’environ 2 ans après la condamnation par la Cour d’assises.

Néanmoins, actuellement, la population carcérale ne cesse d’augmenter79, engendrant de nombreux incidents, cet été. Dès, début août, une mutinerie a éclaté à la maison d’arrêt de Valence80. Depuis, une série d’événements ne cesse de se produire : des évasions rocambolesques, des surveillants agressés, des suicides, des rixes entre détenus…
La surpopulation est un problème majeur pour la sécurité, qui doit être par conséquent, pris plus au sérieux par l’administration pénitentiaire. En effet, un surveillant de la maison d’arrêt de Loos, suite à l’augmentation de la population cet été, en a fait le constat : « notre mission de sécurité n’est plus jouable : on fouille les cellules à la va-vite, on procède au sondage des barreaux quand on a le temps… »81.
Enfin, dans les établissements pénitentiaires, le métier de surveillant est très complexe, du fait de sa grande diversité. En effet, de nombreux postes tous très différents, sont confiés aux mêmes surveillants : tenu du mirador, gestion de la détention, surveillance du PCI… De ce fait, le rapport Chauvet82 reprend83 l’idée de professionnalisation, de spécialisation. Ainsi, il s’agirait de former un certain nombre de personnels dans certaines disciplines requérant des qualifications particulières, grâce à un système de certification. Néanmoins, les intéressés sont contre, estimant que pour un bon fonctionnement de l’établissement, chacun doit rester polyvalent84.
La conséquence de tous ces problèmes concernant le métier de surveillant est cruciale. En effet, le résultat est que les détenus finissent par connaître mieux le fonctionnement d’un établissement que les surveillants eux-mêmes. C’est ce qu’a d’ailleurs fait remarquer l’Inspection Générale des Services Judiciaires et l’Inspection Générales de l’Administration dans son rapport réalisé en 1993 sur l’emprisonnement prolongé des détenus difficiles et dangereux : « Leur faible implication dans la fonction d’observation est renforcée du fait qu’ils changent constamment de poste. Les détenus connaissent donc beaucoup mieux qu’eux le fonctionnement réel de la prison »85.

79 En août 2002, les prisons françaises accueillaient 55879 personnes, alors qu’elles ne disposent que de 47473 places. D’ailleurs la maison d’arrêt de Loos a accueilli presque 1000 détenus cet été, alors que sa capacité d’accueil n’est que de 478 places.
80 Le monde, Le 4 août 2002, Prison : les forces de l’ordre ont dû intervenir à la maison d’arrêt de Valence.
81 Le monde, le 16 août 2002, A la prison de Loos, les conditions de détention ne cessent de se dégrader.
82 Deuxième partie, 2-c. De la question de la spécialisation à la professionnalisation.
83 En effet l’idée de spécialisation n’est pas nouvelle. Dans son rapport sur la cellule de crise et la gestion des incidents majeurs dans les établissements pénitentiaires, M. Maurel en 1999, présente les intérêts de cette spécialisation dans le cadre de la gestion des incidents (p54 à 62) : « officialiser et réglementer des fonctionnements qui existent déjà dans quelques établissements; remobiliser les personnels sur des objectifs clairs et institutionnellement soutenus; assurer une cohérence et une cohésion dans la gestion des détenus longues peines ou difficiles; valoriser les fonctions de surveillance par des dispositifs de travail pluridisciplinaire; assurer une formation prenant réellement en compte les besoins de l’institution et de ses personnels; spécialiser le service public en deux missions complémentaires et définir une véritable déontologie professionnelle; prévenir et traiter efficacement les incidents majeurs ».
84 Conclusion tirée des entretiens que nous avons eus avec des surveillants mais aussi des cadres de l’administration pénitentiaire, comme M. Juillan.

Afin de pallier cet inconvénient, le centre de détention de Loos a instauré un passage minimal sur les différents postes. Ainsi, le surveillant reste trois mois en détention, trois mois à la porte d’entrée, trois mois au mirador…
Comme nous pouvons le constater, l’objectif carcéral est de maintenir un équilibre précaire, afin qu’aucun incident ne vienne perturber l’ordre. Ainsi, un certain nombre de mesures ont un rôle de prévention. Comme l’a montré M. Guy Casadamont, docteur en sociologie, « l’impératif professionnel des personnels est d’abord d’assurer la détention de la détention; c’est d’ailleurs l’évasion d’un ou plusieurs détenus qui signe l’échec de cet impératif carcéral »86.
Néanmoins, la prison reste, malgré de nombreuses précautions, un endroit où l’incertitude pour la tranquillité est chose courante. Même dans les établissements où aucun problème réel n’existe, on n’ose avouer que « tout va bien ». En effet, le moindre petit incident peut vite dégénérer en mutinerie. D’ailleurs, pour essayer de prévenir ce risque, l’administration pénitentiaire essaye d’anticiper au maximum. Par exemple, l’importance des médias dans la détention ne peut être négligée. En effet, lors notamment des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l’administration a craint des répercussions importantes dans les établissements. Ainsi, elle a pu se préparer à un éventuel débordement.
De plus, le ministère de la justice avait diffusé une circulaire Vigipirate auprès des directeurs, qui rappelait notamment les consignes de sécurité quant aux entrées dans les établissements pénitentiaires. Heureusement, aucun incident important ne s’est produit.
Néanmoins, si malgré les nombreux efforts réalisés dans l’établissement, un problème survient, il faut que l’administration pénitentiaire soit suffisamment préparée. Plus vite l’incident sera pris en charge, moins il y aura des répercussions dans l’établissement. L’établissement pénitentiaire fonctionne donc différemment en cas d’incident. La sécurité n’a plus ici un rôle de prévention, mais contribue à rétablir l’ordre. Deuxième partie

85 M.Maurel, cellule de crise et gestion des incidents majeurs dans les établissements pénitentiaires, 1999, p56.
86 Guy Casadamont, Notes pour une sociologie du rapport surveillant/détenu, Revues des sciences criminelles, janvier-mars 1991, p60.

Lire le mémoire complet ==> (La sécurité en prison)
Mémoire de DEA droit et justice
Ecole doctorale n° 74 – Lille 2

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