L’apparition de la petite phrase et sa connotation

2) Apparition de la petite phrase à la lumière de l’évolution des médias

a) Généralités

Le but de notre étude est de définir le lien précis entre les médias et les « petites phrases » pour mieux en définir la nature et le rôle en termes de communication. Posons ici quelques jalons également observés par les spécialistes.

Sur un plan général, il faut noter que la manière dont les Français consomment les médias a beaucoup évolué entre les années 1970 et les années 2000.

Dans une étude réalisée par le Ministère de la Culture retraçant les pratiques culturelles des Français entre 1973 et 20089, on perçoit ce changement de comportement.

Ainsi, on y apprend qu’en 1973, 55% des Français de 15 ans ou plus lisaient un quotidien tous les jours ou presque ; ils n’étaient plus que 43% en 1988 et 29% en 2008.

En ce qui concerne la télévision, on constate que 65% des Français regardaient la télévision tous les jours ou presque en 1973 ; ce chiffre passe à 73% en 1988 et 87% en 2008.

Les médias sociaux et traditionnels, l’information et le Web 2.0

Ces données montrent bien l’engouement de la population pour le média télévision et le développement manifeste du phénomène à partir des années 1980.

Ainsi, on peut se demander quelles ont été les conséquences sur la « présentation de l’information » ?

Et quelles relations peut-on faire avec la « petite phrase » ?

Tout d’abord, il semble bien que la « présentation de l’information » ait subi ces dernières années un morcellement qui a entraîné une réduction du volume, que ce soit dans les textes ou sur les écrans.

Par exemple, dans la presse papier, « la sémiotique de la page du support périodique imprimé a évolué tout au long de son histoire vers un espace de plus en plus fragmenté, rubriqué, découpé, imposant des formats d’articles plus courts et dotés d’éléments paratextuels nombreux (…) » (Krieg-Planque, 2011 : 30).

Le manque de place pourrait donc être une explication à l’apparition et surtout à la reprise des petites phrases, puisqu’il est aisé de comprendre que lorsqu’il y a moins d’espace, il faut faire plus court.

Reste la question de savoir, si, en matière de communication politique, c’est le « tournant marketing » qu’elle a connu qui a plus ou moins entraîné ce phénomène de transformation dans les médias ou le contraire.

Ce qui est certain, c’est que ce morcellement de l’information ne semble pas être réservé à la politique, ce qui pourrait laisser penser que ce n’est pas la société qui s’est adaptée aux médias, mais le contraire.

9 Etude réalisée par le Ministère de la Culture, « Pratiques culturelles, 1973-2008, dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales », juillet 2011, disponible sur http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/evolution73-08/CE-2011-7.pdf, consulté le 12/05/2012

b) La « construction » de la petite phrase

Ensuite, il y a la question de l’évènement. On l’évoquait plus haut, les médias rivalisent d’imagination pour mettre « à la une » ce phénomène de « petite phrase ».

Entre les concours pour élire « la meilleure petite phrase » organisé dans tel ou tel média et les rubriques intitulées « la phrase du jour » ou « les phrases chocs » par exemple, on sent que le phénomène est devenu en quelque sorte un « outil de travail » pour le journaliste.

Reprenant l’exemple de la presse écrite, Alice Krieg-Planque note que « ces rubriques sont parfois pérennes et apparaissent dans chacune des éditions du journal, lequel réserve alors un emplacement spécifique et régulier (…) » (Ibid : 31).

On pense alors à un autre terme qui a fait son apparition assez récemment et que l’on associe plutôt à internet : le buzz.

Internet est un média ouvert, qui offre à de nombreux intervenants un espace d’expression libre.

La petite phrase : déf., détachabilité, memoria et ses effets

Cela s’observe particulièrement avec le « dérapage verbal », qui peut faire le tour de « la Toile » très rapidement, comme l’explique Frédéric Torterat :

« (…) l’évènementialisation du dérapage verbal est l’une des contreparties de la connivence qui s’établit entre discours politique et discours journalistique, qui s’influencent mutuellement et s’assortissent ici et là de ce que nous appellerons volontiers un esprit de forum » (Torterat, 2010).

Ce qu’il faut ajouter à ce qui vient d’être dit et qui semble essentiel lorsqu’on parle de stratégie de communication est que les « petites phrases » pourraient bien avoir également la fonction de « définir l’agenda », selon la théorie de l’agenda setting.

Rappelons que cette théorie, développée dans les années 1970 par les Américains Mc Comb et Shaw, met « l’accent sur la concurrence (et parfois la coopération) entre acteurs rivaux, notamment lors des campagnes électorales, cherchant à imposer la définition de l’agenda (donc les thématiques incontournables) conformes à leurs intérêts (…) » (Riutort, 2007 : 38-39).

La « petite phrase » pourrait donc participer, pour un candidat, à prendre la main dans une campagne électorale en imposant un thème qu’il veut voir mettre « à la une ».

C’est également l’avis d’Alice Krieg-Planque pour qui l’analyse de l’étude de la « petite phrase » ne peut se faire qu’en réfléchissant aux trois notions que sont « l’agenda setting », « l’impératif de visibilité dans [un] cadre médiatique complexe » et « l’injonction à la création d’évènements » (Krieg-Planque, 2011 : 34).

Enfin, les méthodes de travail ont évolué et peuvent favoriser la production de ces « petites phrases », puisque les journalistes sont de plus en plus soumis à des « impératifs de rapidité » (Krieg-Planque, 2011 : 32).

L'apparition de la petite phrase et sa connotation

C’est aussi pour cette raison qu’il est « (…) plus facile et plus rapide de reprendre une phrase isolée que de synthétiser un long discours (…) » ajoutait-elle à l’occasion d’une interview donnée à la radio suisse en 2012 (Krieg-Planque, 2012).

Elle ajoute d’ailleurs à cette occasion que la création des petites phrases est « réellement une coproduction des médias et des journalistes d’une part, et des politiques et des communicants qui en sont les auxiliaires d’autre part », soulignant ce point comme un aspect important du profil d’une « petite phrase ».

En résumé, le morcellement de l’information, son évenementialisation ainsi que la réduction des moyens pourraient avoir entraîné ce phénomène que Dominique Maingueneau appelle l’aphorisation, et qui fait, en ce qui concerne les médias, des observations identiques à celles évoquées ci-dessus :

« Le fonctionnement des médias a beau favoriser les séquences déjà formatées pour devenir des ‘petites phrases’, (…) rien n’empêche un journaliste, par une manipulation appropriée, de convertir souverainement en ‘petite phrase’ une séquence qui n’a pas été surassertée, voire de fabriquer des ‘petites phrases’ à partir de plusieurs phrases. » (Maingueneau, 2006 : 116).

La petite phrase : généralités, 2 définitions et historiques

Plusieurs hypothèses vont donc dans le sens d’une coproduction de ces « petites phrases ».

3) La connotation de la petite phrase

Puisque notre thème d’étude s’inscrit dans le champ du discours politique, il est intéressant, par comparaison, de réfléchir à la connotation de la « petite phrase ».

Tout d’abord, il faut redire que l’expression « petite phrase » est principalement utilisée par les acteurs sociaux concernés par la production et le commentaire de celle-ci, à savoir les femmes et hommes politiques, les journalistes et les communicants.

Alors, on se rend compte que ces trois acteurs confèrent plutôt une image négative à l’objet « petite phrase ».

Ainsi, on entend régulièrement les hommes politiques qui, pour dénoncer leurs adversaires, les accusent de ne se contenter que de « petites phrases » plutôt que de parler du fond des dossiers.

Et lorsqu’on parcourt la presse, l’expression « petite phrase » est très souvent associée à une attaque personnelle, une phrase accusatoire ou destinée à déstabiliser.

Ces extraits du Figaro pris au hasard illustrent parfaitement cela.

Tout d’abord, cette annonce d’un autre article dans les pages intérieures :

« Il n’y a plus de communistes » en France : la petite phrase du candidat PS a ulcéré celui du Front de gauche, qui fustige « une attitude hautaine et insupportable » »10 , ou encore cet extrait d’un autre article :

« Une polémique politicienne, une petite phrase assassine au « 20 heures » ou une insulte proférée par un candidat à l’encontre de son adversaire, tolérées durant la campagne, serviraient-elles mieux la démocratie qu’une analyse objective et impartiale des attentes exprimées par le peuple ? »11.

Ce constat semble par ailleurs partagé : « « Petite phrase » apparaît comme une catégorie péjorée, ce que suggère le fait que les petites phrases sont bien souvent déniées, critiquées, dénoncées, dépréciées, condamnées » (Krieg-Planque, 2011 : 39).

La « petite phrase » serait-elle donc systématiquement associée à une volonté de nuire ?

On peut tout de même en douter, ne serait-ce que lorsqu’on relit les définitions génériques proposées plus haut et par exemple celle du Trésor de la Langue Française en 1988 (voir supra p. 30).

Par ailleurs, les « petites phrases » de François Hollande qui seront étudiées dans la partie suivante, on le verra, ne mettent pas spécifiquement en avant ce caractère « négatif ».

Ceci pourrait signifier qu’elles ne rentrent pas dans cette catégorie de « petites phrases » ?

Les émeutes de l’automne 2005 dans les médias

On le verra, certains médias les ont pourtant qualifiés ainsi…

Cela signifie alors que ce caractère péjoratif de la « petite phrase » n’est peut-être pas systématique :

« Si une forte négativité est associée aux petites phrases, une certaine ambivalence s’attache néanmoins à cette catégorie (…) » (Krieg-Planque, 2011 : 39), l’exemple ayant été pris pour illustrer ce propos étant celui de Georges Frêche12 (1938-2010), un homme politique réputé pour son franc-parler.

Il est alors fait l’allusion que les « petites phrases » de l’intéressé dénotaient sa force de conviction, voire son « aura »

Dans ce cas, on veut signifier qu’a priori, elles ne desservaient pas celui qui les prononçait, mais qu’elles avaient plutôt tendance à renforcer sa notoriété.

10 Le Figaro, article : “Hollande provoque la colère de Mélenchon », le 15/02/2012, p. 1

11 Le Figaro, article : « Faut-il interdire au peuple d’influencer le peuple ? », le 21/04/2012, p. 20

12 Homme politique français, Président du conseil régional de Languedoc-Roussillon entre 2004-2010

Donc, si une certaine unanimité semble prévaloir quant au format relativement court de la « petite phrase » et à son caractère « remarquable », l’aspect « négatif » de cette dernière semble quant à lui plus discutable.

Nous évoquerons cet aspect lorsque nous étudierons en détail les « petites phrases » sélectionnées.

Nous venons donc de nous intéresser plus précisément à la « petite phrase » en elle-même.

Nous avons tout d’abord constaté que, d’un point de vue général, cette appellation est devenue très à la mode dans les années 2010, puisque les médias, dans leur dispositif, cherchent tous les moyens de les mettre en avant.

Toujours dans cette observation générale, nous avons constaté que les « petites phrases » dans le sens d’une déclaration d’un personnage public, ont plus ou moins tout le temps existé puisque l’histoire s’est chargée de recenser quelques phrases ou formules très célèbres.

Concernant ses origines, il semble qu’elle soit née dans le monde anglo-saxon, qui, on l’a évoqué au moment de parler de communication politique, était précurseur dans ce domaine.

Les années 1980 semblent marquer un tournant dans la « stabilisation » de l’appellation et confère à la « petite phrase » un statut de plus en plus officiel.

Même si les travaux sur le sujet sont encore rares, y compris dans les années 2010, la « petite phrase » est de plus en plus présente dans certains travaux des Sciences du Langage ou des Sciences de l’Information et de la Communication.

Cette difficulté à s’imposer comme un véritable objet d’étude est peut-être due au fait qu’elle est utilisée par plusieurs acteurs et que tous n’attribuent pas la même signification à l’appellation « petite phrase ».

Enfin, le rôle joué par les médias jette le trouble sur la « fabrication » même de la « petite phrase », puisqu’il est parfois difficile de savoir si celle-ci est une construction de celui qui déclame ses discours ou bien si ce sont les médias qui les créent Enfin, nous avons regardé de quelle manière la « petite phrase » était perçue par ceux qui la « pratiquent » ainsi que dans l’opinion publique.

Globalement, cette perception est plutôt négative, même si nous avons noté que ce phénomène n’était pas exclusif.

En résumé, cette 1ère partie nous a permis de mieux appréhender l’objet « petite phrase » ainsi que le contexte dans lequel elle évolue.

Un objet présentant divers aspects, a priori coproduit, et évoluant au contact de techniques de communication politiques autant influencé par l’histoire que les grandes théories communicationnelles.

Ces éléments viennent poser une base pour les deux parties qui viennent, à savoir la présentation du corpus et des éléments statistiques sur une sélection de petites phrases de François Hollande d’une part, et l’étude de leur caractère éventuellement stratégique à travers l’observation de leur reprise et circulation dans deux journaux de la presse écrite française d’autre part.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Européenne de Bretagne – Rennes 2 - Unité de formation et de recherche d'arts, lettres, communication UFR ALC
Auteur·trice·s 🎓:
Perrault Frédéric

Perrault Frédéric
Année de soutenance 📅: Mémoire de MASTER 2 Communication - Parcours : Métiers de l’information et de la communication organisationnelle - Septembre 2021
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