Sanction originale quant aux effets de la nullité du contrat

Sanction originale quant aux effets de la nullité du contrat de travail

B. Une sanction originale quant aux effets produits

Selon l’ensemble des auteurs dont se compose la doctrine, la sanction des conditions de validité d’un contrat est en principe la nullité 266. Cette dernière apparaît en effet comme la sanction habituelle de la méconnaissance des conditions de formation du contrat 267.

Dès lors, la nullité du contrat entraîne de fait effacement de celui-ci : « il s’agit donc de rétablir les choses comme elles auraient dû être et donc à faire disparaître le contrat irrégulier »268.

La logique suppose alors que l’effacement de la convention soit rétroactif, le contrat ne peut produire aucun effet et il est censé n’avoir jamais existé, ce qui a été exécuté donne lieu à restitution : quod nullum est, nullum producit effectum269.

On considère donc que la nullité doit remettre les choses dans l’état où les parties se trouvaient au moment de la formation de l’acte270.

Or, la nullité du contrat de travail tient son originalité du fait qu’aucun effet rétroactif ne semble attaché à son prononcé (1). Cette solution originale produit alors des conséquences surprenantes pour un juriste de droit civil ce qui pose ainsi la question du fondement de cette règle qui n’est édictée semble-t-il que par la chambre sociale de la Cour de cassation (2).

265 QUETANT (G.-P.) et VILLEBRUN (J.), op. cit., n°347.

266 Cf. R.CABRILLAC, Droit des obligations, op. cit.

267 J.-L.AUBERT, Le contrat, Droit des obligations, op. cit., p.97

.268 Ibidem, p. 101.

269 « Ce qui est nul ne peut produire d’effet » ; cf. M.MALAURIE, Les restitutions en droit civil, Th. Paris II, Cujas, 1992, préf. G.CORNU.

270 A.BENABENT, Les obligations, Montchrestien, 7ème éd., 1999, n°221.

1. L’absence d’effet rétroactif

Certains auteurs considèrent que les effets attachés au prononcé de la nullité du contrat de travail se rapprochent de ceux inhérents au droit du licenciement 271. En effet, l’effet rétroactif donné au prononcé de la nullité du contrat ne s’impose pas lorsque la restitution des prestations s’avère impossible c’est à dire lorsque le contrat est à exécution successive, ce qui est le cas du contrat de travail.

Dès lors, le salarié aura droit tout de même dans cette hypothèse, au bénéfice des garanties légales en matière de prestations sociales et de couverture contre le risque accident de travail.

De plus, il est important de souligner que l’employeur n’est pas exempté en la matière de ses obligations d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de fourniture des bulletins de paie et certificat de travail272(on cherche évidemment ici à protéger la situation personnelle et physique du salarié au cours et également à la sortie de la relation de travail le liant à son employeur).

De même, lorsque la nullité du contrat réside dans une faute commise par l’employeur, celui-ci peut être condamné au versement d’indemnités de rupture273.

Or, l’effet le plus important donné au prononcé de la nullité du contrat de travail réside, en pratique, dans l’absence d’obligation de restituer les salaires versés par l’employeur au salarié274. En effet, soucieuse de la situation précaire dans laquelle peut se trouver ce dernier, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation se prononce en faveur de la non-restitution des obligations effectuées.

Ce principe connaît toutefois une exception qui réside dans l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans275.

Ainsi, le contrat de travail qui a une cause immorale est nul, car illicite puisque prohibé par l’ordre public et les bonnes mœurs. Dès lors, l’action en paiement des salaires à l’encontre de l’employeur sera irrecevable276(le salarié aurait donc du prendre garde, dans cette hypothèse, à se voir auparavant rémunéré pour ce «travail»).

271 Cf. en ce sens, VERKINDT (P.-Y.), La nullité du contrat de travail, Droit du Travail et de la Sécurité Sociale 1994, pp.1-2.

272 Idem avec pour exemple, cass. soc. 26 janvier 1983, BC V n°33.

273 Cass. soc. 1er avril 1968 Mutuelle Nationale de la coiffure, BC V n°193 ; cass. soc. 14 mai 1987, Jurispr. soc. UIMM n°87-494, p.445.

274 Pour exemple, cass. soc. 22 novembre 1979, BC V n°885.

275 « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».

Peu importe ici de savoir sur quel fondement repose le prononcé de la nullité du contrat de travail. En effet, c’est uniquement lorsque cette sanction est énoncée que les juges prud’homaux vont y attacher les conséquences que l’on vient d’énumérer.

Or, on le sait, le droit commun des contrats refuse de donner de telles conséquences au prononcé de la nullité de la convention sauf hypothèse particulière d’un contrat à exécution successive.

Ainsi, le contrat de travail étant lui-même un contrat de ce type (il en est d’ailleurs l’exemple le plus fréquemment cité en matière de contrat à exécution successive277) la justification de la solution donnée par la chambre sociale de la Cour de cassation se trouverait donc dans l’impossibilité de restituer les prestations de travail effectuées auparavant par le salarié.

Dès lors, celui-ci serait en droit de conserver les salaires versés en contrepartie de l’exécution des obligations attachées à ce contrat.

Ainsi, tout salarié devrait, semble-t-il, se voir consentir l’ensemble des rémunérations correspondant à l’exécution par lui des prestations de travail, peu important le type de contrat dont il fait l’objet278 et les qualités attachées à sa personne279.

Cependant, si la non-restitution des rémunérations attribuées en contrepartie de l’exécution de la prestation de travail semble pouvoir se justifier au regard du droit commun des contrats en tant qu’exception au principe de rétroactivité de la nullité, d’autres indemnités versées au salarié paraissent dépourvues de fondement.

En effet, l’effet attaché au prononcé de la nullité du contrat de travail ne s’arrête pas à la rémunération strictement entendue que le salarié a perçu. Ce dernier bénéficie d’indemnités et de garanties qui rendent le prononcé de cette nullité similaire à celui du licenciement.

Dès lors, c’est à une remise en cause tout entière du fondement des effets de cette nullité qu’il convient de procéder. Comment en effet justifier le paiement de toutes ces sommes alors que le salarié doit être considéré a priori comme n’ayant jamais appartenu à l’entreprise qui l’a pourtant employé pendant la durée précédant le prononcé de la nullité du contrat ?

De nombreux auteurs et le jurisprudence elle-même semblent ainsi avoir recherché un fondement sur lequel s’appuyer en la matière.

276 Cass. soc. 8janvier 1964 Demoiselle Monge c/Veuve Minart, op. cit.

277 Cf. pour exemple, Droit des obligations, responsabilité civile, contrat, DELBECQUE (PH.) et PANSIER (F.- J.), op. cit., p.104.

278 Cf. pour un exemple en matière de travail temporaire : cass. soc. 7 novembre 1995 Divoux c/Société Les Assurances de crédit, op. cit.

2. La recherche d’un fondement à ces solutions

De nombreux auteurs considèrent que les sommes versées au salarié, en tant qu’elles rémunèrent les prestations de travail effectuées, ont lieu d’être qualifiées d’indemnités280. En cela, ils s’appuient sur le libellé de certaines décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation en la matière.

On peut citer pour exemple un vieil arrêt de 1959 selon lequel un contrat nul ne peut produire d’effets et s’il a été exécuté, les parties être remises dans l’état où elles se trouvaient auparavant « mais en raison de la nature des obligations, il leur est impossible de restituer réciproquement ce qu’elles ont reçu, il y a lieu de tenir compte de la valeur des prestations de chacune d’elles et des avantages que l’autre en a retirés »281.

Or, le calcul de ces indemnités repose en grande partie sur le libellé du contrat de travail et la rémunération que celui-ci prévoyait avant d’être annulée. Comme le souligne déjà monsieur FREYRIA en 1960, « la relation de travail justifie le paiement des salaires et le contrat en précise les modalités de calcul »282.

Le fondement de cette jurisprudence a alors été trouvé très tôt dans le concept de l’enrichissement sans cause283.

En effet, le salarié se trouve indemnisé en référence à la valeur des prestations et à l’avantage corrélatif que l’autre partie en a retiré284. La rémunération convenue n’apparaît alors que comme un des éléments d’appréciation dans le calcul de cette indemnisation.

Pourtant, auparavant, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation ne s’appuyait pas sur ce concept. Celle-ci justifiait alors ses décisions sur le fondement de la responsabilité civile.

En effet, il n’est qu’à voir pour illustrer ce propos l’évolution jurisprudentielle ayant eu lieu en matière d’emploi de salariés étrangers : Par un arrêt du 1er avril 1968285, la Cour de cassation décide de la nullité d’un contrat de travail pour emploi dans un travail différent que celui figurant sur la carte de travail du salarié étranger.

Dès lors, se fondant sur l’existence d’une faute imputable à l’employeur, celle-ci considère que ce dernier se doit de réparer le préjudice subi par le salarié et verser à celui-ci une indemnité égale à celle du préavis. Pourtant, dès 1978 et par deux arrêts des 15 février et 4 juillet 1978, la solution que propose la chambre sociale offre un fondement que certains qualifient à l’époque d’obscur286.

C’est là qu’émerge le fondement de l’enrichissement sans cause pour venir justifier ces décisions notamment de la part de monsieur Gérard LYON-CAEN287. Cependant, la jurisprudence reste hésitante en la matière durant les quelques années qui suivent.

En effet, par un arrêt du 26 janvier 1983, la chambre sociale de la Cour de cassation semble toujours sensible à l’idée de faute de la part de l’employeur ainsi que de préjudice causé par celui-ci au salarié288malgré, en matière de nullité du contrat de travail de salariés étrangers, la loi du 17 octobre 1981 définissant les droits de ces derniers en dehors de toute référence à la nullité de celui-ci289.

279 Par exemple, lorsqu’il s’agit de salariés étrangers.

280 QUETANT (G.-P.) et VILLEBRUN (J.), Traité de la juridiction prud’homale, op. cit., n°347.

281 Cass. civ., section sociale, 25 octobre 1959, BC IV n°1069.

282 Nullité du contrat de travail et relation de travail, FREYRIA (J.), Dr. Soc. 1960, pp.619-627.

283 Cass. soc. 15 février 1978 Gasca, D.1980, p.30, note G.LYON-CAEN ; voir également M.BUY, L’enrichissement sans cause dans les relations de travail, Mélanges Béguet, 1985, p.69.

284 Cf. cass. soc. 1er mars 1961, Dr. Soc. 1961, p.483

De façon générale, la doctrine s’est montrée critique quant au fondement de l’action en paiement de salaires et autres indemnités consécutives du prononcé de la nullité du contrat de travail reposant sur l’enrichissement sans cause.

Sanction originale quant aux effets de la nullité du contrat

En effet, celle-ci souligne que « l’action de in rem verso n’est pas faite pour rectifier le droit et tendre à l’exécution partielle d’un contrat nul290 (…) ou que l’enrichissement de l’employeur a une cause, c’est à dire une raison juridique : en l’occurrence, le jugement d’annulation291 »292.

Comme le souligne monsieur SAVATIER293, il semble qu’il faille en la matière distinguer selon le type d’indemnités.

En effet, en ce qui concerne la rémunération des prestations de travail effectuées, la raison de leur versement même si le contrat est déclaré nul, résiderait dans une « application du synallagmatisme dans le domaine des nullités : l’employeur ne pouvant restituer la prestation de travail est tenu de rétablir l’équilibre des prestations par le paiement d’une rémunération ».

C’est donc sur le fondement de la recherche d’un certain principe d’équité et d’équilibre dans les obligations effectuées et à exécuter que se trouverait le fondement d’une telle jurisprudence de la part de la chambre sociale de la Cour de cassation.

De plus, les indemnités de rupture outre celle de préavis reposeraient sur le même fondement. L’indemnité de préavis reposerait quant à elle sur l’idée de responsabilité délictuelle de l’employeur.

Enfin, en cas d’octroi d’une indemnité de rupture abusive, celle-ci se justifierait lorsque le contrat a fait l’objet d’une rupture sans cause réelle et sérieuse de la part de l’employeur c’est à dire en cas de faute de ce dernier causant alors un préjudice au salarié.

285 Cass. soc. 1er avril 1968, BC V n°193.

286 Cass. soc. 15 février et 4 juillet 1978, D.1980, p.30, note G.LYON-CAEN.

287 Idem.

288 Cass. soc. 26 janvier 1983, BC V n°33.

289 Cf. en ce sens, J.SAVATIER, Les sanctions civiles de l’emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière, Dr. Soc. 1986, pp.424-430 ; voir également Droit du travail, G.LYON-CAEN, J.PELISSIER et A.SUPIOT, Dalloz-Sirey, coll. Précis Droit privé, 19ème éd., 1998, note 117.

290 PH. MALAURIE, note sous cass. soc. 8 avril 1957, D.1958, p.221.

291 E.AGOSTINI, D.1982, p.68.

292 J.SAVATIER, Les sanctions civiles de l’emploi de travailleurs étrangers en situation irrégulière, op. cit.

293 Idem

Le fondement des effets donnés au prononcé de la nullité du contrat de travail ne semble pas aujourd’hui, pas plus qu’hier, très précis. Certes, on peut opter pour la conception de certains auteurs comme monsieur SAVATIER294.

Cependant, cette dernière, si elle a le mérite d’exposer un fondement précis aux différentes obligations pécuniaires afférentes à l’employeur, a pour inconvénient majeur sa diversité de règles potentiellement applicables en la matière.

Or, celles-ci peuvent tout de même se rassembler autour d’un objectif commun, celui de la recherche d’un équilibre entre les obligations attachées aux personnes du salarié et de l’employeur. En effet, même si le contrat de travail les liant entre eux est nul, l’employeur a tiré un profit subséquent des prestations de travail accomplies par le salarié.

Dès lors, ce dernier aurait un droit à être traité comme un véritable salarié avec toutes les conséquences qui en découlent.

Cependant, il faut toutefois remarquer que rares sont les décisions de jurisprudence faisant en la matière référence aux obligations nées du contrat nul295. Leurs solutions semblent en effet beaucoup plus nuancées reposant plus sur l’idée d’équité296.

Dès lors, les juges prud’homaux ont-ils réellement vocation à intervenir dans le calcul de ces indemnités ? Ne peut-on pas laisser place à la théorie des restitutions en valeur ?

Ainsi, celui qui a bénéficié d’une prestation de travail aurait alors à sa charge une obligation de restitution en valeur en vue d’indemniser le cocontractant qui lui a fourni ladite prestation (ici le salarié)297. Or, une telle approche serait excessive.

En effet, les juges prud’homaux doivent pouvoir garder un certain pouvoir d’appréciation en la matière notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer l’ensemble des indemnités dues au salarié et non, semble-t-il, qu’une partie de celles-ci lesquelles s’avéreraient difficilement dissociables en pratique.

Les effets produits par le prononcé de la nullité du contrat de travail conduisent aujourd’hui à considérer le salarié dans une position plutôt favorable. En effet, comme le constate également madame AUBERT MONTPEYSSE, « l’intérêt pour l’employeur du recours à ce mode de rupture est, dans la plupart des cas, assez mince, du moins dans un CDI »298.

Le salarié a ainsi droit, entre autres, dans une telle hypothèse et comme on l’a vu, au versement des rémunérations correspondant aux prestations effectuées, de recevoir un bulletin de paie ainsi qu’un certificat de travail et il est de plus en droit de demander la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux299.

294 Idem.

295 Cf. en ce sens, B.PETIT et M.PICQ, note sous cass. soc. 7 novembre 1995, op. cit.

296 Idem.

297 Idem.

Cependant, cette sanction apparaît tout de même dans un contexte exceptionnel. En effet, la nullité de l’ensemble du contrat de travail est le plus souvent prononcée lorsque plus aucun lien ne lie le salarié et l’employeur, c’est à dire lors d’une rupture du contrat de travail précédant l’action en nullité.

Cette action apparaît alors comme une sorte de «porte de secours» par laquelle l’employeur tente de s’échapper. Ainsi, l’argument tiré de la nullité de la relation de travail viendrait justifier selon ce dernier le licenciement prononcé à l’encontre du salarié.

On comprend dès lors la réticence de la chambre sociale de la Cour de cassation pour le prononcé de cette sanction sauf à l’entourer de conditions favorables au salarié, conditions essentiellement pécuniaires on l’a bien compris.

298 T.AUBERT MONTPEYSSE, note sous cass. soc. 16 février 1999 Mademoiselle Bentenat c/Insitut Interprofessionnel de formation pour l’industrie et le commerce, arrêt n°853P, D.2000, pp.97-100.

299 Idem.

Tout autre est l’approche en ce qui concerne la nullité partielle du contrat de travail.

On se trouve là, le plus souvent, dans l’hypothèse où le contrat de travail continue de produire des effets, soit parce qu’il est toujours exécuté, soit parce qu’il a été rompu mais comportait des clauses se mettant en œuvre au jour de sa disparition.

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