Production de produits ou production d’œuvres, 2 tendances distinctes

Production de produits ou production d’œuvres, 2 tendances distinctes

3.5- Deux tendances distinctes : production de produits ou production d’œuvres

Le design a subi un double changement. : il nous semble difficile de parler du design comme on le faisait dix ans auparavant. La distinction que nous allons exprimer est fortement marquée dans le «design domestique» (appellation de Branzi)

Sans être dans une obsession taxinomique, et au risque d’une description quelque peu caricaturale, nous soutiendrons qu’il existe deux discours :

* un discours sérieux, fonctionnaliste, techniciste, qui s’explique parce que d’un côté les designers sont plus présents dans l’industrie qui progressivement s’est ouverte. Les produits de grande consommation sont de mieux en mieux designés et de moins en moins différents les uns des autres.

Il y a une fonctionnalité accrue et de bon aloi. Ce n’est pas le triomphe du «good design» et de son unicité dans la mesure où subsistent toujours des différences marginales, mais globalement beaucoup de produits notamment électroménagers sont devenus des serviteurs discrets et ont perdu leur statut symbolique. Même les automobiles, pourtant chargées de tous les fantasmes de mobilité et de puissance, ont subi les contraintes du risque financier et de la rationalisation industrielle pour se fondre dans une production relativement homogène.

De fait, le créateur conçoit dans le respect des contraintes liées à l’industrie. Son statut est celui de l’anonymat. Les objets qu’il conçoit sont destinés à la production de masse. Son champ d’intervention est tout ce qui a trait à la production industrielle.

* un discours ludique, dans lequel on peut inclure les néo-primitivistes et les «humanistes» italiens.

Face au progrès qui indifférencie, s’est peu à peu développé un design formaliste, reprenant en charge les dimensions symboliques et l’expression plastique. Le créateur conçoit dans un premier temps l’objet et recherche par la suite un éditeur.

Son souci n’étant pas la diffusion de masse, il peut tout aussi bien créer des pièces uniques ou des séries numérotées. Il s’applique d’avantage aux objets de la maison, au mobilier, aux mille fétiches (stylos, montres, couverts, luminaires…) On est loin des imprécations d’Adolf Loos contre le crime et l’ornement.

Ce design-là tient à la signature, il compte sur le phénomène du «star system». Il redécouvre les métiers d’art, l’artisanat et la série limitée. Il accepte de limiter la valeur de marchandise de sa production, revendiquant une liberté, similaire à l’artiste.

Il est commercialisé par les boutiques de mobilier et d’objets contemporains (après intermédiaire d’éditeurs souvent) et comme par glissement de fonction par des galeries d’art (exemple la galérie Néotu à Paris).

L’image, le visuel (ce qui se voit), l’affirmation de soi s’installent aux lisières de l’art et de la mode.

Il est un discours cependant sur lequel ils se rencontrent l’un l’autre : le discours marketiste; ni l’un ni l’autre n’ont véritablement le choix : il faut vendre, exporter, séduire, être présent.

Mais les frontières ne sont pas si clairement définies, ou plus exactement l’identité de l’un et de l’autre n’est pas toujours aussi évidente dans la mesure où ce discours est aussi fonction d’un contexte donné. Philippe. Starck, le touche-à-tout, illustre bien cette double identité, le travail de Denis Santachiara également. En effet, ce dernier semble partir de l’observation de Heidegger : «l’homme habite poétiquement», pour donner naissance à un design domestique plus autonome, plus hybride et plus mystique.

Santachiara envisage la technologie comme «une pourvoyeuse possible de lutins domestiques». Dans sa façon de travailler, le rapport à l’art et à la technologie, via le design, est à la fois question de méthode et de résultat, en cela qu’il cherche à obtenir une prestation artistique de la technologie, de service et d’émotion. Loin du design classique, que l’on peut qualifier d’analytico-constructif, Santachiara apprécie la technologie pour ses vertus expressives, démesurées et inexplorées.

Contre le dualisme typique de la culture occidentale moderne, construite entre deux pôles opposés – l’âme et le corps, la vie et la mort, la forme et la fonction- Santachiara essait de développer une troisième possibilité, qu’il appelle sa «stratégie de prestidigitateur», méthode qui tend à extraire un maximum d’imaginaire à partir d’un maximum de technologie. Citons le :

«Le design de l’invention et de l’extase artificielle (…). Le design est en soi un onirisme diurne : l’invention est une l’activité où l’on rêve les yeux ouverts»1.

Le designer peut donc se situer alternativement dans un discours sérieux, et dans un discours ludique.

La distinction entre l’œuvre et le produit prend ses racines dans des oppositions binaires que sont : l’unique et le multiple, le manuel et l’industriel, l’indépendance et la soumission au marché. La position qu’adopte les designers que l’on définit par le jeu (discours ludique), pose le problème du statut de leur production; s’agit-il de produits ou d’œuvres?

1 entretien entre Denis Santachiara et Arnaud Sompairac, «Design, actualité fin de siècle», Paris, Cahiers du CCI, n°2, CCI-Beaubourg, 1986.

Sans doute est-ce au «consommateur» de déterminer s’ils se trouvent face à une œuvre ou à un produit. Pour le producteur, il y aurait produit quand le concepteur et/ou réalisateur applique des processus formalisés sans affectivité; il y aurait œuvre quand un créateur et/ou un réalisateur met en œuvre des processus originaux avec affectivité et investissement personnel.

Les définitions données (voir dictionnaire Le Petit Robert) rendent d’ailleurs toujours compte du rôle actif de l’artiste : «ensemble organisé de signes et de matériaux propres à un art, mis en forme par l’esprit créateur, œuvre qui manifeste la volonté esthétique d’un artiste, qui donne le sentiment de la valeur artistique.»

Pour le consommateur, il y aurait œuvre quand la fonction de signe l’emporte sur la fonction d’utilité et/ou quand pour le consommateur il y a apparence de singularité, et il y aurait produit quand la fonction d’utilité l’emporte sur la fonction de signe et/ou quand il y a pour le consommateur apparence de banalité.

C’est sur cette base que Y. Déforge distingue deux processus, l’un conduisant au produit, l’autre à l’œuvre.

La distinction œuvre – produit peut, selon ces principes, se résumer par le schéma suivant :

Réseau de contraintes

dense

lâche
solutions déduites des données et contraintesrecherche de solutions
conception

application de processus formalisés

création

choix d’une solution originale

modèle de référence prototype
production

application de processus formalisés

Réalisation

mise en œuvre de processus originaux

produitœuvre
objet de consommation

Consommation variable d’utilité et design

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