Les femmes : une clientèle privilégiée de la micro-assurance 

Les femmes : une clientèle privilégiée de la micro-assurance

3. Les femmes : une clientèle privilégiée

Depuis les années 80, les femmes sont au cœur de la plupart des politiques de développement. Bien qu’étant perçues comme un groupe particulièrement vulnérable, l’idée générale selon laquelle les femmes assument la responsabilité financière de la famille et du ménage promettait un impact plus grand sur le développement collectif.

Selon le rapport de Campagne du sommet du micro-crédit de 2006, au niveau mondial, 84,2% des clients les plus pauvres de la microfinance sont des femmes. C’est le constat que dresse l’ADA dans un bulletin spécialement consacré aux liens entre genre et microfinance.20 Les femmes sont très impliquées dans le secteur de l’économie informelle pour compenser la faiblesse des ressources du ménage ou parer à une situation de chômage.

On comprend dès lors l’enjeu pour les micro-assureurs d’aborder cette population qui bénéficie souvent déjà d’un micro-crédit. Cependant une grande prudence doit être observée puisque ces femmes sont pour la plupart illettrées et vivent dans des régions rurales isolées.

L’assureur ne peut donc pas « arriver avec ses gros sabots » et faire signer un contrat de dix pages en petits caractères Il doit s’adapter et simplifier au maximum l’objet, les garanties et la gestion du contrat. De nombreux acteurs de la microfinance ont déjà l’importance de la place des femmes dans les ménages et les collectivités de certains pays développés et ont mis en place des prestations à leur intention : WWF (Working Women’s Forum) et SEWA (Self-Employed Women’s Association) en Inde, Assef (Association d’entraide des femmes) au Bénin, WEP (Women’s empowerment project) au Népal, ou encore en Chine et au Vietnam.

Le cas de SEWA est intéressant en ce qui concerne la micro-assurance puisque c’est d’abord un syndicat de femmes des milieux informels qui a par la suite diversifié ses services pour proposer dès 1992 une assurance de santé pour les femmes membres. Au Bangladesh, sur les 5 millions de clients de la microfinance que compte la Grameen Bank, 96% sont des femmes.

20 Microfinance et genre : des nouvelles contributions pour une vieille question,Véronique Faber, Appui au Développement Autonome, dialogue n°37, mai 2007

Pourquoi s’intéresser aux femmes ? On peut déterminer quatre raisons majeures qui ont amené les acteurs de la microfinance à concentrer leurs efforts sur la population féminine :

* Les femmes font partie des catégories les plus pauvres. 70% des personnes qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté sont des femmes.

Cette caractéristique importante de la population pauvre a amené les politiques de développement à s’intéresser de plus près aux problématiques de condition des femmes.

* Il est dit que les femmes rembourseraient mieux leurs crédits que les hommes.

D’un point de vue financier, il apparaît donc intéressant de cibler cette population. Le fait que les femmes soient un « meilleur risque » de crédit que les hommes favorise la pérennité financière des programmes de microfinance.

Le taux de remboursement des crédits des femmes est en moyenne de plus de 95% mais cela ne révèle pas les difficultés rencontrées pour rembourser les prêts. Il faut différencier aussi parmi les femmes, les groupes qui ont les plus forts taux de remboursement, et prendre conscience du fait qu’au bout de quelques années les taux de remboursement des femmes ne sont pas meilleurs que ceux des hommes.

Les femmes peuvent participer au bien-être des familles.

Les femmes ont un intérêt particulier pour l’alimentation et la santé des enfants ce qui amène les politiques de développement à se concentrer plus particulièrement sur cette « cible ». Les préoccupations des femmes ne sont pas les mêmes que celles de homme. Cette constatation est importante pour l’assureur qui doit prendre en compte cette perception du risque variable selon le genre.

Le tableau suivant, qui montre les divergences entre les préoccupations des femmes et des hommes ghanéens, en est une illustration 21:

Femmes ghanéennesHommes ghanéens
+

Par ordre de préoccupation

Frais scolaires pour les enfants

Problèmes de santé Frais d’obsèques Dommages aux biens

Vols – Remboursement des prêts

Accidents

Incendie – Sécheresse

Vieillesse – Mortalité du bétail

Problèmes de santé

Accidents

Frais scolaires pour les enfants

Vols – Incendie Dommages aux biens Mortalité du bétail

Frais d’obsèques – Remboursement des prêts

Vieillesse

Les femmes peuvent s’émanciper en utilisant les outils de la microfinance.

La microfinance permettrait au-delà de l’aspect financier de lutte contre la pauvreté d’améliorer l’empowerment (« attribution de pouvoir ») de ces femmes, l’augmentation durable des revenus pouvant être considéré comme un indicateur de cette tendance.

Les femmes sont, en effet, de plus en plus associées à la gestion de la trésorerie familiale de part leur contribution aux revenus du foyer. Mais cet « empowerment » n’est pas le même selon les pays puisque les acteurs indiens ou bengalis n’ont pas la même volonté de développer l’autonomisation des femmes.

Au Bangladesh, si la très grande majorité des bénéficiaires de la micro-assurance sont des femmes, cela ne les rend pas plus autonomes financièrement et cela peut même aboutir à des pressions très fortes dans les couples ; les hommes utilisent les femmes pour accéder aux prêts.

Isabelle Guérin et Jane Palier relativisent les effets de la microfinance sur les relations hommes/femmes et sur les changements vers plus d’autonomie des femmes22. Les études menées sur les clientèles des institutions de microfinance montrent que les prêts consentis aux hommes, si ils sont moindres, restent néanmoins en moyenne d’un montant plus importants que les prêts octroyés aux femmes.

De plus, de nombreux obstacles juridiques persistent, notamment l’accès à la propriété est refusé aux femmes dans certaines régions du monde.

21 Source : Micro-assurance défis, mise en place et commercialisation, Marc Nabeth, Argus,2005

Pourtant l’approche collective, à l’image des SHG (Self-Help Groups) indiens, crée un espace plus propice à « l’empowerment ». Ces groupes solidaires formés par une quinzaine de femmes gèrent la collecte de l’épargne, l’attribution et le remboursement des prêts.

Les groupes d’entraide jouent un rôle essentiel sur le « terrain » et sont les partenaires privilégiés des organismes de microfinance. Ils contribuent à la naissance de liberté nouvelle pour les femmes par la création d’un espace de parole, par l’action collective et la mobilité de ces femmes. Les organisations comme SEWA et WWF deviennent alors de véritables groupes de pression pour les questions les concernant.

SEWA

Crée en 1972, SEWA (Self-Employed Women’s Association) est à l’origine un syndicat qui a pour but de représenter les femmes du secteur informel indien et particulièrement dans le Gujarat.

En 2006, SEWA comptait près de 960 000 membres23, actives principalement dans le milieu ouvrier agricole (70%), le travail à domicile, la vente ambulante et le petit négoce. Le nombre d’adhérentes s’est accru fortement ces dernières années ; en 2006 les membres étaient quatre fois plus nombreux qu’il y a dix ans. Le terme de « self employed » plus valorisant plutôt que le terme « informel », est préféré pour désigner l’activité de ses femmes.

L’organisation regroupe le syndicat d’origine, une banque et des prestations d’assurance.

22 Microfinance et genre : des nouvelles contributions pour une vieille question, Isabelle Guérin et Jane Palier, Appui au Développement Autonome, dialogue n°37, mai 2007

23 http://www.sewa.org/

SEWA a lancé en 1992 une assurance de santé pour les femmes membres.

« La particularité de ce régime est d’être intégré à un panier d’assurances dont les composantes ne peuvent être séparées les unes des autres. Le panier est constitué de quatre types de protections : une assurance maladie, une assurance vie, une assurance perte des actifs et une assurance maternité. […]

La première assurance de SEWA en 1992 affiliait obligatoirement 50 000 membres de la coopérative. C’est à cette condition que la Life Insurance Corporation of India (LIC) acceptait de gérer la composante assurance vie du panier d’assurances proposé par SEWA. Jusqu’en 1994, l’assurance a donc été obligatoire. Face aux réticences de ses membres, l’assurance est devenue volontaire à partir de 1994 et SEWA a constaté une chute brutale du nombre de ses assurés (10 000 assurés en 1994).

Les effectifs n’ont pas encore retrouvé le niveau de départ. Cet exemple montre que le principe de l’assurance est loin d’être acquis et que le volontariat reste nécessaire pour faire accepter le mécanisme. Néanmoins, le volontariat n’est pas sans poser de problème. En effet, l’affiliation peut être remise en cause à tout moment et le nombre d’assurés peut avoir du mal à progresser.

SEWA regroupe des femmes qui disposent d’un revenu professionnel, mais dans le secteur informel. L’originalité du produit, couplant une garantie vie et une garantie maladie adaptées à la population, rencontre un grand succès.

Le produit vie doit permettre la constitution d’un fonds disponible pour l’investissement dans des activités productives, la construction de produits d’épargne. Le lien entre le marché de l’assurance et le marché financier pourrait ainsi a priori s’établir.

SEWA a confié partiellement la gestion à une société privée. La croissance du système est fonction de la capacité de SEWA à étendre son terrain d’intervention. Les investissements correspondants pourraient être financés par l’extérieur. C’est la GTZ qui appuie actuellement SEWA. Il est probable que d’autres partenaires seront associés à la démarche. »24

La micro-assurance va, du point de vue des assureurs, être une nouvelle « cible » bien spécifique. Il n’ont pas l’habitude d’être confrontés à ce type de population et ne possèdent que peu de données la concernant. Du fait de l’absence d’intérêt commercial des sociétés pour cette population, il existe peu d’études qui décrivent de manière fiable les comportements de ces « micro- consommateurs ».

24 La micro-assurance santé dans les pays à faible revenu, Alain Letourmy et Aude Pavy- Letourmy, Agence française de développement, 2005

Doit-on en déduire que les besoins sont inexistants ? Peut- être pas. Et même sûrement pas en ce qui concerne l’assurance. La démonstration de l’existence d’un besoin est entreprise dans cette étude.

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