Le champ de l’esthétisable

Le champ de l’esthétisable

4.2- Le champ de l’esthétisable

Mikel Dufrenne1, (philosophe dont les théories sont définies comme un point de rencontre entre le kantisme et le courant existentialiste), conçoit l’esthétisation comme l’acte d’une perception qui se prend à l’apparaître de l’objet et qui le goûte comme sensible.» Perception étonnée et gourmande, dont on peut bien dire qu’elle se retient d’agir, parce qu’elle est attentive à savourer le visible, le sonore, le tactile.»

Il s’interroge sur les limites de l’esthétisable. Peut-on cerner les champs de l’esthétisable ?

Dans notre culture qui a institutionnalisé l’art depuis quelques siècles, l’esthétisable est donné, sa production est préméditée et organisée. Une longue tradition établie et transmise par les instances de légitimation détermine et recommande certains objets esthétisables : ce sont les œuvres d’art. L’accès à cet ordre transcendant du Beau est donc réservé à des privilégiés de l’esprit, «aux génies», soit aux artistes reconnus.

L’objet utilitaire chez nos ancêtres était pourtant considéré comme «esthétisable» : le harpon s’éprouvait à travers l’esthéticité de la pêche comme pratique rituelle où fonctionnait ce harpon. C’est la vie qui esthétisait l’objet.

La conception classique reculant nous sommes plus sensibles à ce qui se déploît en marge du système traditionnel beaux-arts. Même les musées se sont ouverts et en tiennent compte. Notre culture a opéré une redistribution du champ de l’esthétisable. En exposant des artistes tel que Arman, Annette Messager, C. Boltansky…, l’institution pose elle même la question : ces œuvres sollicitent-elles une expérience esthétique ?

Inversement, le design vise à injecter du Beau dans les produits de l’industrie : quelles que soient les procédures de cette stratégie – addition d’ornements, recherche de pureté formelle, visibilité de la fonction – on veut que l’objet soit aussi dans le champ de l’esthétisable.

Gilbert Simondon2 considérait que l’objet technique est beau quand il est en action; et donc quand il n’est pas arraché à son lieu et à sa fonction. On peut, en allant plus loin se demander si l’esthétisation ne peut pas également être accomplie par celui qui use de l’objet. Il s’agirait alors d’une autre expérience esthétique, qui n’aurait plus rien de commun avec la contemplation inactive face à l’œuvre d’art, mais rejoindrait celle des peuples archaïques.

1 Pour l’objet, Revue d’Esthétique, n°3-4, Union Générale d’Editions, 1979.

2 Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier-Montaigne, 1969.

Dans le champ de l’esthétisable, peuvent aussi entrer les objets naturels, soit les animaux, les paysages… (cf. les pensées kantiennes ou rousseauïstes…)

L’interprétation de l’esthétisation est à rechercher dans l’imaginaire, le sensible, la substance de l’objet. L’expérience esthétique est liée au plaisir. Or, tous les objets ne produisent pas ce plaisir. Reste que bien des objets ne sont pas «beaux» et méritent notre indifférence. Mais, soyons vigilants et ne nous laissons pas contraindre par la culture : gardons ouvert le champ de l’esthétisable.

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