La requalification, sanction du défaut de formalisme du CDD

La requalification, sanction du défaut de formalisme du CDD

1. La requalification, sanction du défaut de formalisme

L’écrit est un moyen d’éviter dans certaines situations des abus de la part d’une des parties au contrat de travail. En effet, on peut envisager que l’un des contractants affirme que leur relation de travail a la forme d’un CDI alors que l’autre considérera qu’il s’agit d’un CDD.

Dès lors, l’écrit, comme support à cette relation, apparaît nécessaire lorsque l’on se trouve face à un contrat de travail particulier, c’est à dire autre que le contrat à durée indéterminée. Aussi, le législateur est venu imposer la rédaction d’un écrit dans des situations spécifiques ainsi que le contenu de ce dernier par l’exigence de mentions impératives.

Prenons pour exemple le cas spécifique d’un contrat à durée déterminée. Celui-ci doit, outre le fait d’être constaté par écrit, faire l’objet d’un certain nombre de mentions lesquelles figurent à l’article L.122-3-1 du Code du travail335. Dès lors, à défaut de respecter cette exigence d’un contrat écrit, ce contrat de travail sera réputé à durée indéterminée336 et cette présomption présente, dans cette hypothèse, un caractère irréfragable que l’autre partie ne peut combattre en apportant une preuve contraire337.

Les textes actuels applicables en matière de CDD ne laissent donc aucun pouvoir à l’employeur qui aurait omis de rédiger le contrat338. Ainsi, la sanction n’est pas en la matière la nullité car « le contrat subsiste en soi, seule sa qualification au regard de la durée de l’engagement contractuel étant sujette à révision : de déterminée, la durée devient indéterminée339.

334 Droit de l’emploi, sous la direction J.PELISSIER, Dalloz-Sirey, coll. Dalloz Action, 1999, n°709.

335 Cette exigence d’écrit est issue de la loi n°79-11 du 3 janvier 1979 confortée par l’ordonnance n°82-130 du 5 février 1982 et la loi n°90-613 du 12 juillet 1990.

336 Art. L.122-3-13 du Code du travail.

337 Cf. Rép. Trav. Dalloz, voir Contrat à durée déterminée, n°288 et 289, par D.CORRIGNAN-CARSIN.

De même, l’omission de certaines mentions obligatoires entraîne également la requalification du CDD en CDI selon une jurisprudence bien établie de la chambre sociale de la Cour de cassation340. En effet, il faut considérer alors que ces mentions ont pour but de permettre de vérifier la conformité du contrat de travail aux hypothèses et conditions prévues par le législateur.

Dès lors, leur inexistence dans le contrat conduit à présumer de la volonté de l’une au moins des parties à la relation de travail de détourner celle-ci des cas envisagés par la loi et la sanction de la requalification apparaît alors la solution la mieux adaptée à cette hypothèse.

Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation considère, par exemple, qu’un CDD conclu pour le remplacement de salariés absents et ne comportant ni leurs noms ni leurs qualifications doit être requalifié en CDI341, de même lorsque le contrat ne comporte pas la signature de l’intéressé, celui-ci étant alors considéré comme un contrat purement verbal et donc à durée indéterminée342.

Cependant, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation semble s’être volontairement éloignée, en la matière, de la lettre de l’article L.122-3-13 du Code du travail. En effet, à la lecture de cet article, la plupart des auteurs considèrent que la sanction de la requalification n’a vocation qu’à sanctionner la méconnaissance des dispositions de l’article L.122-3-1 seulement en ce qui concerne son alinéa 1er343. Dès lors, le CDD n’a vocation à être requalifié en CDI qu’en l’absence d’écrit344, de signature du salarié345, et de défaut d’indication précise du motif de recours à ce type de contrat346.

338 Pour une évolution de la jurisprudence en la matière, voir Y.CHAUVY, L’écrit en garantie de l’ordre public : son incidence sur la durée du contrat de travail, op. cit.

339 Idem.

340 Cass. soc. 16 juillet 1987, BC V n°481 ; D.1988, somm. comm., p.97 et 19 novembre 1987, BC V n°656 ; D.1987, IR, p.244 in Y.CHAUVY, op. cit.

341 Cass. soc. 1er juin 1999 Banque populaire savoisienne de crédit c/Madame Meynet et a., arrêt n°2533P, JCP E 1999, II, pp.1929-1930.

342 Cass. soc. 26 octobre 1999, D.1999, IR, p.264 ; BC V n°401.

343 Cf. en ce sens, D.JOURDAN, Le formalisme du contrat à durée déterminée et le risque de requalification, JCP E 2000, Conseil pratique, pp.978-979.

344 Cass. soc. 21 mai 1996, BC V n°190 ; 18 février 1997, RJS 1997 n°664 ; 12 novembre 1997, RJS 1997 n°1454 in Le formalisme du contrat à durée déterminée et le risque de requalification, op. cit.

345 Cass. soc 22 octobre 1996, RJS 1996 n°1238 et 26 octobre 1999, op. cit.

346 Cf. cass. soc. 4 janvier 2000, BC V n°2000 (dans le cadre d’une convention entre employeur et pouvoirs publics) et cass. soc. 24 janvier 1998, BC V n°511 (mention de l’existence d’un surcroît temporaire d’activité) in Le formalisme du contrat à durée déterminée et le risque de requalification, op. cit.

Soucieux de la situation précaire dans laquelle peut se trouver le salarié et conscient de l’absence de sanction quant à la méconnaissance des dispositions de l’alinéa 2 de ce même article, la jurisprudence a donc adopté une position extensive de l’article L.122-3-13.

Dès lors, le défaut de nom de la personne remplacée347 et de la qualification de celle-ci348 peut entraîner requalification. On aurait pu craindre ainsi qu’à trop vouloir protéger le salarié, la chambre sociale s’éloignait abusivement de la volonté des pouvoirs publics qui n’était pas a priori celle de permettre une requalification importante de tout un ensemble de CDD en CDI mais d’éviter un recours abusif à ce type de convention afin de pourvoir des emplois durables et permanents.

D’ailleurs, dans une espèce du 20 mai 1997349, cette crainte semblait vouloir se confirmer par l’affirmation d’ordre général dont faisait preuve la chambre sociale de le Cour de cassation350. Une exception toutefois au sein de cette jurisprudence a pu être établie ; en effet, l’absence de mention quant à la convention collective applicable en la matière n’est pas sanctionnée par le biais de la requalification du CDD en CDI351.

Mais la sanction de la requalification apparaît également dans de nombreuses autres hypothèses. En effet, le CDD en est l’exemple le plus particulier car l’ambiguïté de la rédaction des articles du Code du travail le concernant permet aux juges prud’homaux d’appliquer cette sanction aux dispositions ne prévoyant pas celle-ci ni aucune autre d’ailleurs.

Tout autre est l’hypothèse du contrat d’apprentissage. En effet, celui-ci pose moins de difficulté, car la jurisprudence considère depuis de nombreuses années que le défaut d’écrit ainsi que le non-respect des procédures de déclaration et d’enregistrement de ce contrat entraîne nullité des aspects relatifs à l’apprentissage et requalification en contrat de droit commun352. Une telle hypothèse se produit également à propos du contrat de qualification353 et du contrat de travail temporaire354.

347 Ibidem, cass. soc. 6 juillet 1997, BC V n°160.

348 Ibidem, cass. soc. 1er juin 1999, BC V n°249 et 26 octobre 1999, BC V n°402.

349 Cass. soc. 20 mai 1997, JCP E 1997, p.705 in Le formalisme du contrat à durée déterminée et le risque de requalification, op. cit.

350 « Le CDD doit être établi par écrit, et comporter la définition précise de l’objet, ainsi que les mentions prévues à l’article L.122-3-1. A défaut, il est réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée ».

351 Cass. soc. 26 octobre 1999, BC V n°399 et D.1999, IR , p.264.

352 Cf. A.DE SENGA, note sous cass. soc. 12 juillet 1999 Interfit c/Courtois, Dr. Ouvrier, janv. 2000, p.23 et s.

353 Idem.

354 Cf. cass. soc. 7 novembre 1995, BC V n°212 ; Gaz. Pal. 1995.2, panorama p.255 ; D.1995, IR, p.258 ; JCP G 1996, II, 22626, note P.PETIT et M.PICQ in Vanité du contrat de travail non-signé ( nécessité de précaution à destination des employeurs), F.-J.PANSIER, CSBP mai 2000, D 010, p.541 et s.

La requalification d’un contrat particulier en contrat à durée indéterminée est donc bien, on le voit, l’œuvre combinée du législateur et de la chambre sociale de la Cour de cassation. Cette dernière en effet a fait un travail de protection des intérêts du salarié dépourvu de tout support écrit constatant sa relation de travail.

Cependant, certains auteurs contestent la qualification même de cette sanction. Ainsi, selon monsieur PANSIER, dont il faut reconnaître que la pensée en la matière est tout à fait véridique, constate que « le terme requalifier n’est pas exact, le contrat verbal EST contrat à durée indéterminée ab initio et ce n’est pas une opération de requalification mais de qualification à laquelle le juge procède »355. En effet, le contrat en l’occurrence ne remplit pas toutes les conditions nécessaires à sa validité.

Dès lors, celui-ci n’a jamais été un contrat particulier, il ne l’a peut-être été qu’aux yeux des parties contractantes, et le juge prud’homal procède alors non à une sanction qui serait la requalification mais à une qualification du contrat lui- même.

Ainsi, on l’a vu, cette opération intéresse l’ensemble des contrats de type particuliers (y compris toutes les formes que peuvent revêtir un contrat à durée déterminée356). Or, il est à souligner qu’en la matière la chambre sociale de la Cour de cassation opère une requalification dans des espèces qu’elle juge elle-même opportunes.

En effet, concernant l’hypothèse précise d’un contrat d’aide au retour à l’emploi, contrat à durée déterminée de type spécifique, cette dernière a considéré dans une espèce en date du 18 mai 1999 que ce contrat bien que conclu sans convention d’aide avec l’Etat conservait son caractère de contrat à durée déterminée357.

Dès lors, ce n’est pas à une requalification du contrat en CDI à laquelle les juges ont procédé mais à une qualification de cette relation de travail en CDD. Pourquoi une telle position de la part de cette chambre ? En fait, les magistrats de la Cour de cassation ont, en l’absence de toute disposition impérative en la matière, pris en considération les intérêts du salarié en l’espèce. En effet, le choix de la requalification ou plutôt de la qualification du contrat en CDD permettait au salarié de bénéficier ainsi, en plus des dommages et intérêts pour rupture anticipée fautive, d’une indemnité de fin de mission à laquelle il n’aurait pu prétendre dans le cadre de son contrat aidé.

355 Vanité du contrat de travail non-signé ( nécessité de précaution à destination des employeurs), F.- J.PANSIER, CSBP mai 2000, D 010, p.541 et s.

356 Pour un exemple en matière de contrat emploi-solidarité, voir CA Bourges 10 décembre 1999, JCP E 2000, II, p.1191 et s., note J.-P. LHERNOULD.

357 Cass. soc. 18 mai 1999, Dr. Soc. 1999, note C.ROY-LOUSTAUNAU, p.728 et s

On constate donc que la jurisprudence, comme en matière de nullité du contrat de travail, s’avère soucieuse des intérêts essentiellement pécuniaires du salarié. En effet, celui-ci, par le biais de la requalification de son contrat de travail, peut prétendre au bénéfice d’indemnités supplémentaires et supérieures à celles qui lui auraient été versées au moment de la rupture de sa relation de travail. De même, ce dernier bénéficie en cas de requalification du contrat en CDI, d’avantages indéniables qu’il convient à présent d’énumérer.

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