Formalisme contractuel protecteur appliqué au contrat électronique

Chapitre II – Le formalisme contractuel

Lorsqu’on évoque le formalisme en droit civil, on pense naturellement dans un premier temps au formalisme probatoire, c’est-à-dire aux exigences de formes destinées à prouver l’existence et le contenu d’une convention, encore appelées exigences ad probationem. L’apparition du support électronique n’a d’ailleurs pas manqué de susciter des interrogations et les législateurs européen202 et français203 sont intervenus pour réformer le droit de la preuve.

Mais le formalisme ne se résume pas au droit de la preuve, il conditionne également la validité de certains contrats204. Il s’agit de véritables exceptions car le droit commun des contrats est gouverné par le principe du consensualisme.

La mise en place de ce formalisme contractuel trouve pour partie son fondement dans l’ordre public de protection qui a imposé le respect de prescriptions pour que la manifestation de volonté du consommateur soit juridiquement efficace. Or, appliqué aux contrats électroniques, ce formalisme contractuel s’est vite avéré être un frein au développement du commerce électronique (section I). Seule une réforme du droit des contrats pouvait l’adapter aux besoins du commerce électronique (section II).

202 Directive CE n° 1999-93 du 13 déc. 1999, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques, JOCE, L 13, 19 janv. 2000, p. 12.

203 Loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique, JO 14 mars 2000, p. 3968.

204 FLOUR, Quelques remarques sur l’évolution du formalisme, Mélanges Rippert, 1950, p. 93 et s.

Section I : Un formalisme contractuel protecteur mais inadapté à l’univers électronique

§1 : Un formalisme protecteur

Le droit français est dominé par le principe du consensualisme, qui ne subordonne la conclusion du contrat à aucune formalité particulière sauf exceptions légales.

Par exception, il existe un formalisme protecteur qui passe par des mentions écrites obligatoires (par exemple la stipulation du taux effectif global pour les contrats de prêt, art. L. 313-2 c. consom.), la rédaction d’un écrit pour la validité du contrat (par exemple pour le contrat de construction de maisons individuelles, art. L. 231-1 CCH) ou l’exigence de mentions manuscrites (par exemple dans le contrat de jouissance d’immeuble à temps partagé, art. L. 121-64 c. consom.). L’écrit est un mode de protection car il vise à attirer l’attention du consommateur sur l’importance de l’engagement. Or le simple défilé de stipulations écrites sur un écran d’ordinateur ne paraît pas répondre à l’essence de ce formalisme.

La téléologie, qui consiste à dire que toute norme ou institution doit être interprétée et appliquée en tenant compte de sa finalité, invite, relativement à la forme des contrats, à se demander « à quoi cela sert-il ? ».

Trois réponses peuvent être apportées. Tout d’abord, le formalisme sert à réduire le contentieux, puisque le contenu du contrat sera clair. Ensuite il sert à assurer la sécurité de la circulation des biens et empêche ainsi les fraudes à l’égard des tiers, puisque pour l’acheteur et pour l’acheteur de l’acheteur, la question de savoir quel est le bien transmis et dans quelles conditions est claire. Enfin il permet aux contractants de connaître l’étendue de leurs droits et de conserver le contrat.

Mais la forme peut aussi avoir une fonction psychologique en ce sens qu’elle oblige le contractant à prendre du recul et à réfléchir avant de contracter. Le fait de cliquer sur la souris reliée à un ordinateur a-t-il la même force psychologique que le fait d’apposer une signature au bas d’une page ? Il convient d’en douter.

Cela explique pourquoi on ne peut pas faire de donation par voie électronique. De même la directive 87/102/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 relative aux rapprochements des législations des Etats membres en matière de crédit à la consommation prévoit expressément que les contrats de crédits doivent être écrits205. La téléologie de la forme des contrats oblige à réfléchir sur l’identité entre forme écrite et forme électronique pour les contrats électroniques car en l’état actuel du droit des contrats, le formalisme requis constitue un obstacle au développement du commerce électronique.

§2 : Un formalisme inadapté au développement du commerce électronique

Dans sa volonté de promouvoir le commerce électronique le législateur communautaire s’est opposé à tout formalisme contractuel. L’article 9 alinéa 1 de la directive commerce électronique206 dispose en effet que « Les Etats membres veillent à ce que leur système juridique rende possible la conclusion des contrats par voie électronique.

Les Etats membres veillent notamment à ce que le régime juridique applicable au processus contractuel ne fasse pas obstacle à l’utilisation des contrats électroniques ni ne conduise à priver d’effet et de validité juridiques de tels contrats pour le motif qu’ils sont passés par voie électronique ». Tous les contrats ne sont toutefois pas concernés, l’alinéa 2 de cet article prévoit des exceptions qui se justifient par la nature particulière de certains contrats207.

La majorité de la doctrine estime que la loi du 13 mars 2000208, relative à l’écrit et à la signature électronique, ne concerne pas les écrits exigés ad vaiditatem209. Elle s’appuie sur un amendement déposé lors des débats ayant précédés le vote de la loi du 13 mars 2000 et précisant que l’écrit électronique est admis en preuve et « pour la validité de l’acte », qui a été rejeté à la demande expresse du Garde des Sceaux.

Ainsi pour les contrats de consommation qui requièrent un écrit ad validitatem, le recours à l’écrit électronique est impossible. Cela va à l’encontre de la directive commerce électronique qui oblige les Etats membres à supprimer toutes les interdictions et les restrictions concernant l’utilisation des contrats électroniques. Certains210 estiment néanmoins que nos tribunaux, procédant à la mise en conformité de notre droit, pourraient refuser d’annuler un contrat constaté par un écrit électronique, après avoir vérifié que l’esprit du formalisme a été respecté.

207 Il s’agit des contrats qui créent ou transfèrent des droits sur des biens immobiliers, à l’exception des droits de location ; des contrats pour lesquels la loi requiert l’intervention des tribunaux, des autorités publiques ou de profession exerçant une autorité publique ; des contrats de sûretés et garanties fournis par une personne agissant à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de leur activité professionnelle ou commerciale et des contrats relevant du droit de la famille ou du droit des successions.

208 Loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique, JO 14 mars 2000, p. 3968.

209 En ce sens, PASSA (J.), Commerce électronique et protection du consommateur, D. 2002, p. 555 ; TERRE (F.), SIMLER (P.), LEQUETTE (Y.), Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 8e éd., 2002, n° 145.

210 DEVEZE (J.), La forme du contrat électronique, in Travaux de l’Association Henri Capitant, Journées nationales, Tome V, Toulouse 2000, Coll. Droit privé, éd. Panthéon Assas, 2002, p. 59 et s.

Le droit français en contradiction avec le droit communautaire devra être réformé.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le contrat électronique : protection du cyberconsommateur
Université 🏫: Université de Lille 2 - Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales
Auteur·trice·s 🎓:
Nathalie MOREAU

Nathalie MOREAU
Année de soutenance 📅: Mémoire DEA Droit des contrats - 2002/2003
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