Entraves au principe de la force obligatoire du contrat par la loi

Les entraves au principe de la force obligatoire du contrat – Chapitre 2
En vertu de l’article 1134 du Code civil, le contrat est irrévocable et doit être exécuté de bonne foi. Cela montre la force du contrat sur lequel les parties ne peuvent revenir. Le principe de l’irrévocabilité du contrat connaît trois tempéraments en droit commun. Le contrat peut être révoqué par la volonté commune des parties77. D’autre part, au nom de la prohibition des engagements perpétuels, les contrats à durée indéterminée peuvent être résiliés unilatéralement. Enfin, les parties, par le jeu de clauses contractuelles (une clause de dédit par exemple) peuvent prévoir la possibilité pour elles ou l’une d’elles de se désengager78. Pourtant le droit des procédures collectives porte des atteintes supplémentaires à ce principe par des dispositions autres que celles énoncées ci-dessus. En effet, le principe de l’intangibilité du contrat connaît des restrictions par la loi (Section 1) et par le juge. (Section 2) Ce dernier, de part sa place prépondérante dans les procédures collectives s’immisce de plus en plus dans la sphère contractuelle.
Section 1 Par la loi
Des dispositions légales du droit des procédures collectives rendent inefficaces les clauses résolutoires (§1) ainsi que l’indivisibilité des contrats à exécution successive que pourraient stipuler les parties. (§2)
Paragraphe 1 Inefficacité des clauses résolutoires
L’article L 621-28 al 5 du Code de commerce dispose que « nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. » En d’autres termes, les clauses résolutoires fondées sur l’état de cessation des paiements du débiteur sont paralysées. (A) Il en est de même pour l’exception d’inexécution, neutralisée par l’article L 621-28 al 4 du Code de commerce selon lequel « le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution [par le débiteur] de ces engagements antérieurs au jugement d’ouverture. » (B)

77 Mutuus disensus.
78 R. CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz 2000 n°111.

A …Fondées sur l’état de cessation des paiements du débiteur
L’état de cessation des paiements ne peut en aucune façon être le fondement de la résiliation des contrats. Toute disposition légale (1) ou conventionnelle (2) en ce sens est sans effet.
1 Neutralisation de « toute disposition légale »
Il résulte de l’article L 621-28 al 6 du Code de commerce que toute disposition légale qui prévoit une résolution du contrat fondée sur l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’une des parties est paralysée. Ainsi les règles du droit commun sont écartées par la réglementation spéciale des procédures collectives. Les règles d’exception priment le droit commun. Elles sont justifiées par l’impératif de survie de l’entreprise. Cette paralysie est large car « aucun texte, quelle que soit son origine ou son domaine d’application79 » n’y échappe.
A ce titre, les articles du Code civil instaurant une résolution du contrat pour cause de déconfiture sont écartés.80 C’est le cas de l’article 2003 du Code civil relatif au mandat qui dispose que le mandat prend fin en raison de la déconfiture du mandant ou du mandataire81. Alors que cet article, qui permet de rompre le mandat en cas de défaillance de l’une des parties, peut se justifier en vertu de son caractère intuitus personae, il s’avère que cette caractéristique n’est plus un obstacle à la continuation des contrats en cours en cas de redressement judiciaire ou même de liquidation judiciaire. En conséquence, son inapplication dans le cadre d’une procédure collective est conforme à l’évolution de la matière vers le maintien des contrats nécessaires au redressement de l’entreprise en sacrifiant les règles de droit commun.

79 M.H MONSERIE, op. cit., n° 30.
80 La notion de déconfiture est à rapprocher de celle de la faillite puisque qu’elle se définit comme la situation d’un débiteur civil qui ne peut satisfaire ses créanciers.
81 Com. 16 oct. 1990 Bull civ IV p. 167 n°241.

D’autres articles du Code civil où la déconfiture est une cause de rupture du contrat sont également neutralisés. C’est le cas de l’article 1613 qui retient la cessation de l’obligation de délivrance du vendeur si l’acheteur est en déconfiture. Cet article est d’ailleurs contraire à l’article L 621-28 al 4 du Code de commerce puisqu’il permet au cocontractant d’opposer l’exception d’inexécution au débiteur. L’article 1680 du Code civil, relatif à la perte de la qualité d’associé en cas de déconfiture de celui-ci, est également évincé.
Ce dispositif met à mal la sécurité contractuelle des parties qui ne peuvent se prévaloir des règles protectrices du droit commun en raison de la règle spéciale qui prime le général.
2 Neutralisation des clauses contractuelles
Ce principe de neutralisation des clauses résolutoires fondées sur l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du cocontractant a été instauré par la loi du 25 janvier 1985. Cette intervention légale s’avérait nécessaire en raison de la multiplication de telles clauses dans les contrats, aboutissant à la résolution de plein droit du contrat ce qui contrevenait au principe de la continuation des contrats en cours. De plus, la mise en œuvre de ces clauses reposait sur un élément extérieur à la volonté des parties, un fait juridique, à savoir l’ouverture d’une procédure collective, et pas sur le non-respect par une partie de son obligation. Cette clause sanctionnait un changement dans la situation juridique d’une partie, changement qui s’impose à cette dernière car dès lors qu’elle est en cessation des paiements, l’ouverture d’une procédure collective à son encontre est obligatoire. En effet, selon la jurisprudence82 « les dispositions de l’article 37 al 5 excluent la validité d’une clause résolutoire fondée sur l’état de cessation des paiements du cocontractant dès lors que la constatation d’un tel état par le tribunal (…) le conduit nécessairement à ouvrir la procédure de redressement judiciaire. »
La liberté contractuelle est lourdement atteinte par ce principe car ces clauses sont réputées non écrites83. Mais la paralysie de telles clauses était nécessaire pour satisfaire, comme il a été dit, l’objectif premier de la loi de 1985 de sauvegarde de l’entreprise, qui passe par le maintien de relations contractuelles pour que l’entreprise poursuive son activité, condition sine qua non à son redressement.84
Le principe de la force obligatoire du contrat est altéré en raison de la paralysie de ce type de clause. La liberté contractuelle se voit une nouvelle fois sacrifiée par l’objectif économique de sauvetage de l’entreprise.

82 Com. 2 mars 1993 Bull civ IV n°87, D. 1993 IR 77.
83 CA Paris 21 mars 1997, D. aff. 1997 p.702.
84 Com. 19 déc.1995, D. aff. 1996. 181 : « L’impossibilité de mettre en œuvre, du seul fait de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, la clause de résolution d’un contrat, n’a été édictée que dans l’intérêt de l’entreprise en redressement ou en liquidation judiciaires pour permettre au débiteur autorisé par le juge- commissaire, à l’administrateur ou au liquidateur, d’exercer l’exécution des contrats en cours. »

B …Fondées sur l’exception d’inexécution
Le principe de la force obligatoire des contrats empêche que la volonté d’une seule partie puisse remettre en cause le contrat sauf si l’autre partie n’exécute pas ses oblig
ations conformément audit contrat. En effet, aux termes de l’article 1184 du Code civil, « la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des parties ne satisfera point à son engagement. » Donc même en l’absence de clause résolutoire expresse, fondée sur l’exception d’inexécution, celle-ci joue, en vertu de cet article. Or cette disposition est contraire au premier objectif de l’article L 620-1 du Code de commerce puisque vraisemblablement un débiteur en difficulté ne pourra sans doute pas respecter les termes de son contrat notamment les échéances de paiement; il serait ainsi trop facile pour les cocontractants de rompre leur contrat pour défaut de paiement. Donc la loi évince l’article 1184 ce qui constitue une atteinte au principe de la force obligatoire du contrat. Toutefois, la neutralisation de l’exception d’inexécution ne joue que pour les inexécutions antérieures au jugement d’ouverture. En cas de continuation du contrat pendant la période d’observation, si celui-ci n’est pas correctement exécuté le cocontractant pourra de nouveau recourir à l’article 1184 du Code civil.
La législation des procédures collectives paralyse donc l’article 1184 du Code civil dans son article L 621-40 du Code de commerce qui dispose que « le jugement d’ouverture suspend ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement audit jugement et tendant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. » La jurisprudence85 admet par application de cet article que les inexécutions autres que celles touchant au défaut de paiement d’une somme d’argent peuvent valablement donner lieu à une demande en résolution de la part du cocontractant. On comprend mal, au vu de l’objectif de la loi qui est de préserver les contrats utiles à l’entreprise, pourquoi cette même loi crée une distinction dans l’exception d’inexécution entre celle résultant du défaut de paiement d’une somme d’argent et les autres. Cette distinction n’est pas cohérente. Or précisément l’article L 621-28 al 5 ne reprend pas cette distinction car il dispose que « le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. » En conséquence, la doctrine majoritaire retient une paralysie générale de l’exception d’inexécution conformément aux fins de la réglementation des procédures collectives.

85 Voir par exemple Com 3 avril 1990 Bull civ IV p. 73 n°111, D. 1991 somm. p. 1 obs. Derrida, relatif à la résiliation d’un contrat de concession.

Inefficacité de l’indivisibilité conventionnelle – Paragraphe 2
Selon l’article L 621-28 al 6 du Code de commerce, « nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité (…) ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. »
L’indivisibilité signifie que les parties ont entendu, par leur volonté libre, faire d’un contrat à exécution successive, échelonné dans le temps, une opération globale, indissociable. Ce texte écarte donc toute indivisibilité conventionnelle qui pourrait affecter la continuité du contrat par la simple volonté des parties. Le législateur confirme ici une jurisprudence de la Cour de cassation86 qui avait rejeté la prétention d’un cocontractant qui refusait d’exécuter le contrat, dont le syndic demandait la poursuite, au motif que des loyers antérieurs à la période d’ouverture n’avaient pas été réglés alors que ces loyers étaient, selon lui, indivisibles de ceux postérieurs. L’objectif est d’éviter que l’administrateur judiciaire qui opte pour la continuation d’un contrat doive exécuter les prestations antérieures en raison du caractère indivisible de celles-ci avec celles postérieures, ce qui permettrait aux parties d’éluder l’article L621-40 du Code de commerce qui interdit le paiement par l’administrateur ou le débiteur des créances antérieures au jugement d’ouverture.
L’indivisibilité ne peut en aucun cas priver l’administrateur de son droit d’option à partir du moment où le contrat est en cours. Une clause contractuelle instaurant une telle indivisibilité remettrait en cause ce principe qui est d’ordre public.
Si la paralysie de l’indivisibilité conventionnelle est conforme aux objectifs de la loi, il n’en demeure pas moins qu’elle constitue une grave atteinte à la liberté contractuelle des parties puisque l’indivisibilité, qu’elles ont souhaité conférer à un contrat à exécution successive, se trouve neutralisée. La force obligatoire du contrat est donc altérée, ce dernier devant normalement être exécuté conformément à la volonté des parties.

86 Com 22 janvier 1974, D.1974, 514 note Derrida et Com 20 juin 1977 D. 1977 IR 457 obs Honorat; Com 17 juil. 1981, D. 1982 IR 193 obs. Honorat.

Outre cette indivisibilité conventionnelle, le texte doit couvrir également l’indivisibilité naturelle87 définie comme tenant à la nature même de l’objet de l’obligation insusceptible d’exécution partielle88. On peut citer à titre d’exemple la continuité du compte courant imposée par un arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 198789 alors que celui-ci repose sur l’indivisibilité de ses articles.
Ainsi aucune clause contractuelle ne peut fonder la rupture d’un contrat en cours par le simple fait de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du débiteur.
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Mémoire de DEA Droit des affaires
Université Robert Schuman de Strasbourg
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